Il est ressuscité !

N° 261 – Décembre 2024

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


Une encyclique sans destinataire 

La lettre encyclique Dilexit nos 
du Saint-Père François sur l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ (2)

NOUS avons commencé le mois dernier la lecture de l’encyclique Dilexit nos du pape François  (Il est ressuscité n° 260, novembre 2024). Ce grand texte paraît être son testament spirituel. Il y livre tout le fond de sa religion, de sa piété, de sa charité, mais subverties par et pour le concile Vatican II, mises au service de l’homme en vue de la réalisation de la « civilisation de l’amour ». Pour l’heure, le constat du Pape est amer : c’est l’échec. Mais il veut raviver et mener à sa réussite enfin ce grand œuvre chimérique : il suffit de redonner du cœur à l’humanité, et aux catholiques la dévotion au Sacré-Cœur.

Au départ, il y a donc le cœur. Occupé de soi, le Pape le veut éveiller en chacun, dans l’idée que s’il s’occupe de l’autre, ce cœur se révèlera lui-même à lui-même comme un centre de soi-même. Comment de là le tourner vers cet autre centre qui est le Sacré-Cœur ? Le passage n’est pas facile, et même difficilement compréhensible, parce que le Pape ne veut pas tout simplement reconnaître que ce pauvre cœur humain est depuis le péché originel un champ de bataille entre Dieu et le démon qui veulent tous les deux le posséder. Tous nos heurs et malheurs humains sortent de cet affrontement, en attendant le jugement dernier, éternel... absent de l’encyclique !

À relire notre Père, qui s’est montré le plus grand théologien du vingtième siècle, ces lacunes sont vite compensées pour notre plus grande joie ! et instruction, car cette encyclique est l’occasion d’une bonne révision de toute notre religion catholique à son école. Dieu, le Bon Dieu, a donc créé notre cœur pour l’aimer, Lui, et notre prochain, et faire ainsi notre salut par son Fils Jésus venu en ce monde nous racheter, en luttant contre le démon et le monde, avec la force de l’Esprit-Saint. Ce qui manque cruellement au Pape, c’est la théologie toute relationnelle de la circumincessante charité divine et trinitaire, dont notre Père a eu l’intuition, et qui nous délivre de l’individualisme moderne, bétonné, en même temps qu’elle donne à comprendre la charité rayonnante du Cœur de Dieu.

Dans sa deuxième partie, le Pape contemple Jésus, dans l’Évangile, attentif à soulager les misères des gens, avec bonté et douceur, et encore au moment de son immolation sur la Croix. Ce commentaire de l’Évangile dont le Pape a le secret est une riche méditation. Il y manque cependant tout un aspect de la vie de Notre-Seigneur, d’avertissements à ses ennemis d’avoir à se convertir, et à entrer dans le Royaume, sous peine du châtiment de la géhenne éternelle. Telle est la vérité de notre condition humaine. Mais il n’est point question de vérité ni d’erreur dans l’encyclique du pape François.

III. VOICI LE CŒUR QUI A TANT AIMÉ
( Nos 48 à 91, SUITE)

Nous avions entamé une troisième partie où le Pape rappelle « comment l’Église réfléchit sur le saint mystère du Cœur du Seigneur » ( n° 47). C’est le mystère de Jésus, Dieu Verbe fait homme selon la théologie mystique de saint Cyrille d’Alexandrie que le Pape reprend dans son encyclique, pour notre plus grande joie, car c’est cette vision mystique que notre Père privilégiait.

De là, le Pape s’est engagé sur une explication de la Sainte Trinité, qui commence bien, par un élan vers le Père, car Jésus nous conduit au Père. Mais ensuite, sur la Personne du Saint-Esprit, plus rien n’est clair dans la théologie du Pape, parce qu’il ne le voit pas procéder du Père « et du Fils » (filioque), mais comme indépendant du Christ, ce qui émancipe cet Esprit de la circumincessante charité qui anime la vie divine des Trois Personnes de la Sainte Trinité. Synode masduiste oblige...

Notre Père avait déjà clairement identifié cette hérésie dans la théologie du CEC, en même temps qu’il nous a donné le remède dans sa lumineuse théologie totale, par une merveilleuse démonstration de théologie relationnelle : le Saint-Esprit, « c’est l’amour jaillissant du Père et du Fils qui, éternellement, revient à ce centre du Cœur de Dieu, dans la joie et l’allégresse » (Théologie totale, 1986). Absolument incompatible avec la pluralité des religions de rigueur au Synode.

Achevons cette troisième partie : le pape François évoque maintenant l’enseignement de ses prédécesseurs.

EXPRESSIONS MAGISTÉRIELLES RÉCENTES.

« 78. [...] Dans la Bible et dans les premiers siècles de l’Église, le Cœur du Christ apparaît sous la forme du côté blessé du Seigneur, comme source de grâce ou bien comme appel à une rencontre intime d’amour. Il ne cesse de réapparaître dans le témoignage de nombreux saints jusqu’à nos jours. Au cours des derniers siècles, cette spiritualité a pris la forme d’un véritable culte du Cœur du Seigneur. »

« 79. Nombre de mes prédécesseurs ont évoqué le Cœur du Christ et, de manières très diverses, nous ont invités à nous unir à Lui. »

Et d’entreprendre l’énumération des Papes par... l’inévitable Léon XIII !

Si le pape François avait voulu être original, il aurait peut-être commencé par Grégoire XVI, ou par le bienheureux Pie IX. L’un et l’autre ont ouvert l’ère des Papes modernes, c’est-à-dire l’ère des Papes qui furent confrontés aux idées modernes.

Or, précisément le pape Pie IX, dans l’encyclique Quanta Cura (8 décembre 1864) accompagnant le Syllabus, terminait par un appel au Sacré-Cœur : que les fidèles s’unissent au Pape pour demander « avec une perpétuelle instance à son très doux Cœur, victime de sa très ardente charité envers nous, d’attirer tout à lui par les liens de son amour, et de faire que tous les hommes, enflammés de son très saint amour, marchent dignement selon son Cœur, agréables à Dieu en tout, portant des fruits en toutes sortes de bonnes œuvres » (Quanta Cura, n° 17).

Et dix ans plus tard, Pie IX consacrait l’Église entière au Sacré-Cœur, le 16 juin 1875, explicitement contre le poison du libéralisme, ce dont se félicitait Mgr Freppel auprès de l’évêque libéral d’Autun : « Mais il est un autre péril qui, pour n’être pas aussi apparent, n’en est pas moins redoutable, je veux dire le catholicisme libéral que le Souverain Pontife ne cesse de poursuivre dans tous ses Brefs et ses Allocutions. Dans l’acte de consécration au Sacré-Cœur formulé par la Congrégation des Rites, les erreurs des catholiques libéraux ont obtenu une mention aussi formelle que méritée. » (Frère Pascal du Saint-­Sacrement, Mgr Freppel, t. 2, Un évêque de combat 1870-1880, p. 313)

Ainsi pour le bienheureux Pie IX, la dévotion au Sacré-Cœur est liée à la lutte contre le libéralisme. C’est loin des préoccupations de son successeur, le pape Léon XIII, comme aujourd’hui du pape François.

« À la fin du XIXe siècle, Léon XIII nous invita à nous consacrer à Lui [au Sacré-Cœur], unissant dans sa proposition l’invitation à l’union avec le Christ à l’admiration de la splendeur de son amour infini. » ( n° 79) C’est tout à fait louable, mais quelle bataille a dû livrer le Sacré-Cœur pour obtenir cette consécration du Pape !

On lit cela tout au long des chapitres 24 à 28 du livre de sœur Muriel, Le secret de la bienheureuse Marie du Divin Cœur.

En 1898, au plus fort de la guerre de Cuba, « le Sacré-Cœur promettait la victoire de l’Espagne catholique en vue de sa gloire et de son extension sainte du levant au couchant, moyennant la consécration du monde. Or, une telle politique divine gênait les options de Léon XIII qui avait misé, dès le début du conflit, sur une solution de compromis bien conforme à la diplomatie de complaisance qu’il pratiquait, depuis vingt ans, avec les gouvernements maçonniques et libéraux. » (p. 307)

« Les conséquences de sa politique furent dramatiques dans tous les pays du monde où la franc-­maçonnerie étendit sa puissance, multipliant les lois persécutrices. La “ léontreizine ” réduisit l’Église et les États catholiques à l’impuissance en face de leurs ennemis, et précipita leur décadence. Le pape Léon XIII était le responsable direct de cette situation. Notre-Seigneur, en la personne de sa confidente, s’était heurté au mur infranchissable de la politique pontificale imposée sous couvert d’intérêts religieux mal compris. Telle fut la cause de l’échec de la première mission héroïque de la messagère du Ciel. N’y aurait-il pas une brèche pour atteindre le cœur du Saint-Père ? » (p. 311)

Alors, notre sainte, sur ordre de Notre-Seigneur, confirmé par son directeur contraint de reconnaître la vérité de cette révélation, écrivit à nouveau au Saint-Père, le 8 décembre 1898 :

« Très Saint-Père,

« Par ordre exprès de Notre-Seigneur et avec le consentement de mon confesseur, je viens, avec le plus profond respect et la plus parfaite soumission, faire part à Votre Sainteté de quelques nouvelles communications, que Notre-Seigneur a daigné me faire sur la matière dont traitait ma première lettre.

« Lorsque, l’été dernier, Votre Sainteté souffrait d’une indisposition qui, vu votre âge avancé, remplit de soucis les cœurs de vos enfants, Notre-Seigneur me donna la douce consolation qu’il prolongerait les jours de Votre Sainteté afin de réaliser la consécration du monde entier à son Divin Cœur. Plus tard, le premier vendredi du mois de décembre, Il me dit qu’Il avait prolongé les jours de Votre Sainteté afin de vous accorder encore cette grâce – de faire la consécration – et que, après avoir accompli ce désir de son Cœur, Votre Sainteté devait se préparer à rendre compte à Dieu.  Dans mon Cœur, il trouvera consolation pour les négligences de son pontificat et réparation pour ses fautes, ainsi qu’un refuge sûr à l’heure de la mort et du jugement.  Il me laissa l’impression qu’après avoir fait la consécration, Votre Sainteté finira bientôt son pèlerinage ici-bas.

« [...] Je reconnus l’ardent désir qu’Il a de voir son Cœur adorable de plus en plus glorifié et connu, et de répandre ses dons et ses bénédictions sur le monde entier. Et Il choisit Votre Sainteté, prolongeant vos jours, afin que vous puissiez lui rendre cet honneur, consoler son Cœur outragé et attirer sur votre âme les grâces de choix qui sortent de ce Divin Cœur, cette source de toutes les grâces, ce lieu de paix et de bonheur. Je me sens indigne de communiquer tout cela à Votre Sainteté ; mais Notre-Seigneur, après m’avoir pénétrée de plus en plus de ma misère et m’avoir fait renouveler le sacrifice de moi-même comme victime et épouse de son Cœur, acceptant volontiers toute espèce de souffrances, d’humiliations et de mépris, me donna l’ordre strict d’écrire de nouveau sur ce sujet à Votre Sainteté.

« On pourrait trouver étrange que Notre-Seigneur demande cette consécration du monde entier et ne se contente pas de la consécration de l’Église catholique. Mais son désir de régner, d’être aimé et glorifié et d’embraser tous les cœurs de son amour et de sa miséricorde est si ardent, qu’Il veut que Votre Sainteté Lui offre les cœurs de tous ceux qui par le saint baptême Lui appartiennent pour leur faciliter le retour à la vraie Église, et les cœurs de tous ceux qui n’ont pas encore reçu la vie spirituelle par le saint baptême, mais pour lesquels Il a donné sa vie et son sang et qui sont appelés également à être un jour les fils de la sainte Église, pour hâter par ce moyen leur naissance spirituelle.

« Dans ma lettre du mois de juin (10 juin 1898), j’ai exposé les grâces que Notre-Seigneur veut accorder en suite de cette consécration, et la manière comment Il désire que celle-ci se fasse ; mais vu les nouvelles instances de Notre-Seigneur, je viens de nouveau supplier avec la plus filiale soumission et les plus vives instances Votre Sainteté d’accorder à Notre-Seigneur la consolation qu’Il demande et d’ajouter au culte de son Divin Cœur quelque nouvel éclat, selon que Notre-­Seigneur vous inspirera. » (p. 322-323)

Léon XIII fut donc contraint de s’exécuter, sur ordre du Sacré-Cœur, mais ce ne fut pas de bonne grâce. Encore lui fallut-il un avertissement sérieux. Le 1er mars 1899, « il apprit qu’une grosse tumeur mettait ses jours en danger et que l’opération lui laissait peu de chances de survie. Pourtant, après l’intervention, aucune des complications prévues ne survint. Se souvenant de la lettre du 8 décembre 1898 de la sainte messagère, Léon XIII comprit qu’il ne devait plus différer l’accomplissement des demandes du Ciel.

« Cependant, allait-il ouvrir son cœur à la grâce qui lui était faite ? Allait-il modifier sa diplomatie et sa pastorale afin d’accomplir des actes décisifs pour le salut des âmes, la victoire des nations catholiques et le triomphe de la sainte Église sur les puissances des enfers déchaînés ? » (sœur Muriel, p. 328).

Non pas ! « Le 25 mars, fête de l’Annonciation, le pape Léon XIII lut attentivement la lettre de la supérieure en présence du cardinal Mazzella, préfet de la Sacrée Congrégation des Rites, qui déclara : “ Cette lettre est bien touchante et paraît bien dictée par Notre-Seigneur. ” Elle n’était pas “ bien touchante ”, commente notre Père, elle était pressante ! Or, le Pape voulut chercher ailleurs la justification de l’acte projeté : “ Monsieur le Cardinal, prenez cette lettre et allez la poser là-bas [ !] ; elle ne doit pas compter en ce moment. ” Aux yeux du Pape, la consécration du monde devait être présentée, non comme l’obéissance à une “ révélation privée ”, mais comme sa propre initiative. Il chargea le cardinal d’examiner la question in se, abstraction faite des volontés du Ciel.

« Chercher ailleurs la justification, traiter la question in se, c’était mépriser gravement le Sacré-Cœur qui, depuis trois ans, s’efforçait de se faire entendre de ses ministres par l’intermédiaire de sa fidèle et héroïque épouse ! » (sœur Muriel, p. 328)

Remarquons en passant que pour le pape François, la dévotion au Sacré-Cœur n’est pas liée à une quelconque “ consécration ”. Le mot n’apparaîtra que bien plus tard dans l’encyclique ( n° 206), et une seule fois.

De Léon XIII à Pie XI, le pape François passe par-dessus son saint prédécesseur, saint Pie X.

C’est dommage, parce qu’il aurait été bienvenu de remarquer comment ce Pape répondait parfaitement aux volontés du Sacré-Cœur, en adoptant pour devise de son pontificat : « Instaurare omnia in Christo. » C’était en 1903 comme le premier fruit de la Consécration au Sacré-Cœur de 1899. Bien sûr, saint Pie X n’a pas produit de document spécifiquement sur le Sacré-Cœur, mais il était imbu de cette dévotion, on le voit au détour de ses prédications, de ses écrits. Par exemple, dans sa première encyclique, voici comment il définissait le règne du Sacré-Cœur comme un règne de charité :

« C’est lui qui nous adresse cette invitation : “ Venez à moi, vous tous qui souffrez et qui gémissez sous le fardeau, et je vous soulagerai. ” (Mt 11, 28) Et, dans sa pensée, ces infirmes et ces opprimés n’étaient autres que les esclaves de l’erreur et du péché. Quelle mansuétude, en effet, dans ce divin Maître ! Quelle tendresse, quelle compassion envers tous les malheureux ! Son divin Cœur nous est admirablement dépeint par Isaïe dans ces termes : “ Je poserai sur lui mon esprit, il ne contestera point et n’élèvera point la voix : jamais il n’achèvera le roseau demi-brisé et n’éteindra la mèche encore fumante. ” (Is 42, 1-3)

« Cette charité patiente et bénigne (1 Co 13, 4) devra aller au-devant de ceux-là mêmes qui sont nos adversaires et nos persécuteurs. » (E supremi apostolatus n° 13)

Ainsi, comme pour le bienheureux Pie IX, la dévotion au Sacré-Cœur, selon saint Pie X, est une œuvre de vérité, de charité combattante, pour le salut des âmes... autant de pensées que n’effleure pas l’encyclique du pape François.

Saint Pie X est aussi le Pape de l’Eucharistie. « Après Léon XIII, les décrets eucharistiques de Pie X sont la mise en œuvre pratique de la consécration de 1899 », souligne le Père Émile Bergh, jésuite belge, dans la Nouvelle revue théologique de juin 1949. « L’Eucharistie n’est-elle pas le signe suprême de la charité du Christ, par lequel il veut atteindre personnellement tout homme, jusqu’à la fin des temps ? N’est-ce pas principalement du mépris de sa charité dans l’Eucharistie que le Sacré-Cœur s’est plaint à Paray ?

« Personne ne s’étonnera donc, pensons-nous, que nous signalions les décrets eucharistiques de Pie X, comme la première application toute naturelle de la consécration de 1899. Le décret Sacra Tridentina Synodus du 20 décembre 1905, sur les conditions requises pour la communion fréquente et quotidienne, dénonce l’erreur janséniste, diamétralement opposée aux intentions de charité du Cœur de Jésus.

« Le 8 août 1910, le décret Quam singulari, sur la communion des enfants, débutait par l’affirmation de l’amour tout particulier que Jésus leur portait. Il faisait aussi le procès de la sévérité janséniste, qui voyait dans la communion une récompense et non un remède.

« Il est impossible d’exagérer la portée de ces deux actes pontificaux dans le développement de la dévotion vraiment effective au Sacré-Cœur. » (Émile Bergh, s. j., Le cinquantenaire de la consécration au Sacré-Cœur, 11 juin 1899 – juin 1949, in La nouvelle revue théologique, juin 1949)

Le pape François poursuit : « Pie XI présenta cette dévotion comme une synthèse de l’expérience de foi chrétienne. » ( n° 79) avec en note la référence à l’encyclique Miserentissimus Redemptor du 8 mai 1928. Notre Père la commenta en 1995 :

« Cette encyclique de Pie XI est calquée sur celle de Léon XIII en mai 1899. L’analyse est aussi sombre, aussi virulente chez Léon XIII et chez Pie XI, des maux dont nous souffrons. Le pape Léon XIII dénonce le laïcisme et propose la dévotion au Sacré-Cœur comme la solution à tous les maux de ce temps. Nous sommes dans le même contexte et la même manière pour un Pape de traiter de la chose : les forces ennemies sont épouvantables, comme la lâcheté des chrétiens, mais voici le Sacré-Cœur, tout ira bien. Pendant ce temps, le cœur du Pape est toujours libéral l’un, démocrate l’autre, les jésuites, les dominicains se glissent dans la collaboration avec les ennemis de l’Église, mais le Sacré-Cœur doit tout sauver. Ce qui fait que la dévotion au Sacré-Cœur est une dévotion tout à fait à part, sans aucune conséquence dans la vie des peuples. On est du côté du Pape quand on a la dévotion au Sacré-Cœur, sur la voie de la sainteté, et Dieu fera le reste. On ne peut pas rendre plus stérile notre sainte religion. » (oraison du 30 juin 1995)

Puis le pape François évoque Pie XII qu’il cite abondamment tout au long de Dilexit nos :

« Pie XII affirma ensuite que le culte du Sacré-Cœur exprime de manière excellente, en une sublime synthèse, notre culte envers Jésus-Christ. » ( n° 79)

Notre Père fit un enthousiaste commentaire de cette encyclique Haurietis Aquas pour la fête du Sacré-Cœur de l’année 1966, dans la Lettre à mes amis n° 229 : « Cette doctrine vraiment fondamentale [le culte du Sacré-Cœur] trouva sa forme achevée dans la parole de Pie XII : “ Ce culte est l’acte de religion par excellence. ” Sans doute n’a-t-il “ rien introduit de nouveau ” dans la foi de l’Église quand le dix-septième siècle l’a instauré et que les révélations divines de Paray-le-Monial sont venues le confirmer. Mais c’est parce qu’il épanouit au grand jour de la liturgie les trésors mêmes de l’immortelle Révélation, “ car ce culte n’est rien d’autre en substance que le culte de l’amour divin et humain du Verbe incarné ” ; il est donc “ la profession pratique de toute la religion chrétienne ”. Il suscite dans nos âmes, en effet, “ une volonté pleine et absolue de nous vouer et consacrer à l’amour du divin Rédempteur, dont son Cœur transpercé est le vivant témoignage et le signe ”. »

C’est pourquoi « l’Église, Vierge, Épouse et Mère, ne cessera plus de contempler ce Cœur Sacré de Jésus, de l’adorer, de l’aimer, de l’implorer, de se presser contre lui et d’élever jusqu’à lui ses enfants pour leur en inspirer l’amour. Ce culte a quelque chose de mystérieux et de saisissant que Pie XII exprime, peut-être mieux que tout autre, quand il écrit : “ Le Christ Notre-Seigneur, en montrant son Cœur très sacré, a voulu retenir d’une façon extraordinaire et singulière les esprits des hommes pour qu’ils contemplent et honorent le mystère de l’amour miséricordieux de Dieu à l’égard du genre humain. Par cette manifestation si particulière, le Christ, en des paroles expresses et réitérées, a montré son Cœur comme le symbole qui attirerait les hommes à la connaissance de son amour ; en même temps il en a fait comme le signe et le gage de sa miséricorde et de sa grâce pour les besoins de l’Église de notre temps ”, car c’est bien là “ l’image dont la puissance et la signification dépassent tout le reste, le Cœur du Christ qui a été transpercé sur la Croix. ” » (ibid.)

Le pape François poursuit son énumération en citant Jean-Paul II ; choc du changement de religion :

« L’homme de l’an 2000 a besoin du Cœur du Christ pour connaître Dieu et se connaître lui-même ; il en a besoin pour construire la civilisation de l’amour. » ( n° 80 citant Jean-Paul II en juin 1994)

L’expression « civilisation de l’amour » fut lancée par Paul VI dans son allocution du 24 décembre 1975, en refermant la porte sainte du Jubilé. Et il s’en expliqua dans son discours du 31 décembre 1975 que notre Père fustigea (voir encart).

Dans son Autodafé, notre Père dénonçait la mise à contribution de Jésus pour la réussite de ce rêve : « Tout pousse à faire de Jésus un gourou, annonciateur d’un monde nouveau de “ paix, de vérité, de justice et de fraternité ”, poncifs chers à Jean XXIII, colonnes de rêve de la grande utopie conciliaire annoncée, qui deviendra, avec Paul VI, “ la civilisation de l’amour ”, et avec Jean-Paul II, l’accomplissement par une nouvelle évangélisation d’un monde régi par l’idéal de 1789, de liberté, d’égalité et de fraternité. » (Autodafé, p. 158)

Jean-Paul II a ainsi détruit l’Église avec cette chimère tout au long de son pontificat, comme notre Père l’en avait accusé dans son Deuxième Liber accusationis, dès 1983. Sous le titre : « Le signe du malheur est sur vous », notre Père écrivait :

« Vous avez voulu que règnent d’abord Joie et Espoir. Ces deux-là, quand ils ne viennent pas de Dieu mais de l’homme, n’enfantent, c’est connu ! que pleurs et grincements de dents. En l’autre monde ? Déjà en ce monde-ci. Vous pensez être le Pape de l’an 2000. Vous vous souvenez de Léon XIII, de qui bien des circonstances et des traits vous rapprochent, élu Pape en 1878 et qui franchit le cap du nouveau siècle pour mourir en 1903. Ainsi parlez-vous souvent de cette entrée dans le troisième millénaire, comme d’une Aurore que vous avez fixée d’avance, pour cette “ civilisation de l’amour ” qu’enfin les hommes auront édifiée, achevée, réussie, de leurs propres sagesses et vertus.

« Vous vivez dans ce rêve, et ce rêve indéfiniment répété étouffe la religion, démolit l’Église, subvertit l’ordre séculaire des nations civilisées. » (p. 113)

Cette réalisation de la « civilisation de l’amour » reste le rêve du pape François encore aujourd’hui.

En outre, ce qui intéresse le pape François, et qu’il relève chez Jean-Paul II, c’est le développement du culte comme « une réponse à la croissance de formes de spiritualités rigoristes et désincarnées qui oubliaient la miséricorde du Seigneur, mais aussi comme un appel actuel à un monde qui cherche à se construire sans Dieu » ( n° 80). Et qui est dévoré de la haine diabolique qui allume la guerre sur la terre.

Enfin, le pape François cite son prédécesseur :

« Benoît XVI a invité à reconnaître le Cœur du Christ comme une présence intime et quotidienne dans la vie de chacun :  Toute personne a besoin d’avoir un centre dans sa vie, une source de vérité et de bonté à laquelle puiser pour affronter les diverses situations et difficultés de la vie quotidienne. Chacun de nous, lorsqu’il fait silence, a besoin d’entendre non seulement les battements de son propre cœur, mais aussi, plus profondément, les battements d’une présence sûre, perceptible avec les sens de la foi et pourtant bien plus réelle : la présence du Christ, cœur du monde. ” » ( n° 81)

Nous voilà en plein teilhardisme, doublé de l’autosuggestion d’une dévotion tellement intime qu’elle en est finalement centrée sur soi.

Notre Père a cependant repris magistralement à Teilhard cette idée de « la présence du Christ, cœur du monde », dans son cours de Théologie kérygmatique de 1972. Le théologien de la Contre-Réforme catholique tirait une leçon toute différente de ce vague sentimentalisme de Benoît XVI : le Sacré-Cœur, qui est Jésus, la deuxième Personne de la Sainte Trinité, bien plus qu’une indéfinissable « présence », veut prendre possession de l’univers entier, comme de chaque personne en particulier, acquérant de son Père, par sa Passion, sa Mort, et la puissance de sa Résurrection, un pouvoir, une domination sur toute la création qu’il a rachetée de son Précieux Sang, en l’Église son Corps mystique. Le Sacré-Cœur « veut tout connaître, il veut aimer tout ce qu’il connaît, il veut sauver tout ce qu’il aime, il veut régner sur tout ce qu’il sauve.

« Oui, le Christ, toujours le même, hier, aujourd’hui et dans les siècles, est cet homme, le plus humble de tous les hommes, qui fut charpentier à Nazareth et il est aussi bien ce Seigneur et Roi, investi par sa Résurrection glorieuse de la Toute-Puissance qui conquiert aujourd’hui encore et partout, à la manière humaine d’un homme semblable à nous, tout ce que le Père lui offre pour en faire son Royaume éternel. Amen ! » (CRC n° 64, janvier 1973, Le mystère de Jésus, cf. extrait, infra, p. 23)

LA « CIVILISATION DE L’AMOUR » : PAUL VI CONTRE PIE X

«LANNÉE sainte est finie, mais la  vie continue », disait le Pape à l’audience du 31 décembre 1975. Pour lui apporter son couronnement, ajoutait-il, Nous avons exhorté tout le monde à promouvoir  la Civilisation de l’Amour ”, ce qui constitue tout un programme. Oui, tel devrait être... le principe de la nouvelle heure de grâce et de bonne volonté que le calendrier de l’histoire ouvre devant nous : la Civilisation de l’Amour. »

Tel sera le thème de l’année 1976. Mais qu’est-ce à dire ?

Paul VI explique : « Nous voudrions ouvrir à la vie des hommes dans cette conjoncture historique les voies d’une civilisation et d’un bien-être meilleurs, animés par l’amour. Et par civilisation Nous entendons cet ensemble de conditions morales, civiles et matérielles qui permettent à la vie humaine de meilleures possibilités d’existence, une plénitude raisonnable, un heureux destin éternel. »

La fin poursuivie, c’est tout à la fois le Bien-Être, la culture, le bonheur en ce monde et la vie éternelle dans l’autre ; suivant Populorum Progressio et Gaudium et Spes.

Le moyen d’y atteindre, c’est l’Amour au lieu de la haine, des injustices, de la guerre, de la violence qui, « aujourd’hui encore », agitent et attristent l’humanité.

Le fondement de ce beau projet d’ « une humanité civilisée et heureuse », c’est le « Culte de L’homme ». Le Pape le proclame dans les derniers mots de cette allocution : « Ferions-Nous un rêve lorsque Nous parlons de la civilisation de l’amour ? Non, Nous ne rêvons pas. S’ils sont authentiques ( ?), s’ils sont humains ( ?), les idéaux ne sont pas des songes, ils sont des devoirs ( ?), spécialement pour nous, chrétiens. Et ils sont d’autant plus urgents et fascinants que les grondements de l’orage ébranlent davantage les horizons de notre histoire. Ils sont une force, une espérance. Le culte – et il s’agit bien de cela maintenant – que nous avons pour l’Homme nous conduit à cela, lorsque nous repensons à cette célèbre expression d’un Père de l’Église, le grand saint Irénée :  L’Homme vivant est la Gloire de Dieu  (Contra Hæres. IV, 20, 7) », Documentation catholique, 1er février 1976, p. 101-102.

Cette allocution, entre autres, prêche et nous impose toujours la même vision teilhardienne de Paul VI et c’est son style, romantique, luxuriant à l’excès, comme d’un Chateaubriand non plus nostalgique, mais progressiste, c’est sa pensée, utopique et messianique comme d’un Lamennais pacifiste et non violent ; c’est son message inchangé depuis le commencement : Chercher le bonheur en ce monde ; par les douceurs d’un amour universel que le culte de l’homme inspire, dans la paternité d’un Dieu dont c’est toute la gloire.

MAIS...

  1. Saint Irénée n’a JAMAIS dit que la gloire de Dieu était la bonne vie tranquille, dans le bien-être, la culture, l’amour du monde. Je l’ai signalé à mainte reprise, contre la falsification éhontée de nos nouveaux docteurs, teilhardiens et naturalistes, qui n’ont que ce seul Père de l’Église à invoquer pour précurseur, et par cette seule phrase détonante qu’ils amputent de son essentiel (cf. critique du Père Congar, Lettre à mes amis n°202, p. 4 ; de Mgr Rougé, CRC n°84, p. 7, colonne 2 ; et de Vatican II dans Gaudium et Spes, CRC n° 59, p. 13).

Saint Irénée a bien écrit : « Gloria Dei vivens homo », la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant... mais la phrase n’est pas terminée et elle ne prend son sens que par son terme : « et vita hominis Visio Dei », et la vie de l’homme c’est la Vision de Dieu ! Pas question de Vision de Dieu ni rien de semblable dans le discours montinien, d’un naturalisme parfaitement athée, d’une religion de l’homme et de la terre qui n’invoque enfin Dieu que par un violent contresens pour Le faire garant de l’erreur qu’il abomine.

  1. Quant au Culte de l’Homme, j’ai eu le redoutable honneur, quoique indigne, d’en faire reproche public et motivé au Pape, dans mon Liber accusationis, après qu’il eut célébré ce culte impie, lors de la clôture du Concile, le 7 décembre 1965, en présence de tous les évêques du monde dont aucun n’a quitté l’Assemblée en signe de protestation contre cette profession d’idolâtrie majeure. Je renvoie le lecteur à cette « plainte en hérésie » demeurée sans réponse (Liber, p. 18-21). Mais comment y aurait-il bien-être ici-bas, tranquille fin, heureux destin éternel, pour Celui qui, Vicaire de Jésus-Christ, brave la Loi divine en proclamant : « Nous avons plus que quiconque le culte de l’homme » ? Car voici, en Vérité, la Parole de Jésus-Christ : « Retire-toi, Satan ! Car il est écrit : C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, c’est à LUI SEUL que tu rendras un culte», (Matthieu 4, 10 ; traduction de la Bible de Jérusalem), et Jérémie prononce : « Malheur à l’homme qui met sa confiance en l’homme» (17, 5) !
  2. La Civilisation de l’Amour ? Qu’est-ce à dire ? Je me rappelle ce qu’écrivait Guitton de son Auguste Ami dans ses fameux Dialogues : « Jamais avant d’avoir entendu Paul VI, je n’avais entendu parler du Monde avec un tel accent d’admiration, de ferveur. » (p. 297) Paul VI prêche l’amour du monde et de tout ce qui est du monde (cf. Lettre à mes amis n°213). Or voici ce que dit la Parole qui ne passera jamais : « N’aimez pas le monde ni ce qui est dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est pas en lui.» (1 Jean 2, 15) Et la Vulgate nous donne le moyen de marquer la différence entre amour et amour : « Si quis diligit mundum, non est caritas Patris in eo, si quelqu’un aime le monde, la charité du Père n’est pas en lui. » Paul VI aurait parlé de Charité au lieu d’Amour, ç’aurait été plus clair ? Oui, mais ç’aurait été autre... une autre religion !

LA CIVILISATION DE LA CHARITÉ.

Ah ! oui, quelqu’un en a déjà parlé, non comme d’un idéal, d’un songe, d’une nouveauté fascinante, mais non pas davantage comme d’un avenir de bien-être, de culture, de fraternité et de paix universelle, et d’amour du monde, c’est saint Pie X : « Non, Vénérables Frères... on ne bâtira pas la cité autrement que Dieu ne l’a bâtie... Non, la civilisation n’est plus à inventer ni la cité nouvelle à bâtir dans les nuées. Elle a été, elle est ; c’est la civilisation chrétienne, c’est la cité catholique. Il ne s’agit que de l’instaurer et de la restaurer sans cesse sur ses fondements naturels et divins contre les attaques toujours renaissantes de l’utopie malsaine, de la révolte et de l’impiété : Omnia instaurare in Christo. » (Lettre sur le Sillon, n° 11 ; cf. CRC n° 47, p. 3-4) » (CRC n° 103, mars 1976, p. 11.)

L’ÂME DU CHRIST, ROYALE ET CONQUÉRANTE, 
LE CŒUR SACRÉ DE JÉSUS, CŒUR DU MONDE

LA pointe étincelante du Mystère Total, la solution de la dif-  ficulté se trouvent dans la considération de l’âme du Christ et de ses puissances : ses facultés de connaître, d’aimer, de vouloir sont humaines mais soutenues par la force divine.

Parlons pour évoquer cette puissance tout humaine et cependant divine, divine et pourtant bien humaine, du Cœur de Jésus.

On a trop souvent considéré ce Cœur comme un simple organe corporel étroitement lié à l’affectivité, et cette âme comme absorbée par sa fonction organique... On ne voyait pas quel rôle spirituel leur attribuer qui ne soit tellement mieux rempli par la Personne divine même. Cet esprit créé, cette âme humaine, ce cœur spirituel paraissaient doubler inutilement la Nature divine du Verbe. Dieu est Esprit : il n’aurait donc nul besoin d’un esprit créé pour agir dans la chair ! Seule l’orthodoxie catholique a tout sauvé en maintenant la plénitude d’humanité du Christ, Fils de Dieu fait homme. Et dans l’homme, ce qui importe, ce qui agit, ce qui crée des liens c’est l’âme, à partir et par le moyen de son corps, mais bien au-delà de lui.

Ainsi avons-nous accès à l’Âme de Jésus, âme immense, âme que sa divinité emplit de toute une plénitude de vie et de force humaine, au point qu’elle nous prend et nous contient tous dans son rayonnement.

JÉSUS HÉRITIER D’UN IMMENSE PASSÉ.

À la différence de sa nature divine, qui ne dépend de rien ni n’est déterminée par rien, l’âme humaine de Jésus est génétiquement déterminée par la convergence illimitée de mille déterminations biologiques, psychologiques, sociologiques, dont son individualité est le terme. Que Dieu ait tout voulu en fonction de ce Jésus qui devait venir, voilà qui soulignerait à quel degré cet enfant est le résumé de toute l’histoire antérieure. Mais peut-être Dieu avait-il déjà créé, tout premiers, cette Âme, cet Esprit humain, ce Cœur individuel en attente d’incarnation, afin que tout se réalise comme par son Ordre et selon un arrangement historique auquel il présidât ? Il ne paraît pas tout à fait insensé de le soutenir. De toute manière le Christ, grandissant en âge et en sagesse, aura inventorié l’héritage qu’il assumait et se le sera approprié par volonté humaine. Ainsi tout le passé du monde est en lui récapitulé et par ses mérites reconquis.

Jésus, Homme-Dieu, s’est trouvé situé, commandé par ses liens héréditaires, besogneux et pauvre. Il s’est soumis à ses pères et ses ancêtres, à Adam le premier d’entre eux, pour mettre à profit leur héritage de vie et pour racheter la faute assumée. Ainsi, sans être lui-même organiquement la Matière en évolution, ni la Biosphère ni même l’Humanité totale, il reprend tout à son compte et s’en fait, comme homme et au prix de tant d’humiliations, de labeurs et de sang, le Maître Souverain. Ceux qu’il ira chercher aux Enfers sont déjà siens par adoption et conquête...

JÉSUS, ROI DES SIÈCLES.

Comme chacun de nous est ouvert sur le monde et se lance à sa conquête avec toute l’énergie qui est en lui, l’Âme de Jésus est une immense vacuité, un besoin sans limites, de tous et de tout. Comme Dieu, le Verbe n’est soumis à rien, ne se trouve lié à aucune créature et n’en ressent aucun besoin, aucune attirance. S’il aime, c’est dans une gratuité qui nous demeure froide et incompréhensible. Mais fait homme, devenu l’un de nous, l’un des moindres, il attend des autres le lait et le miel, le pain et le vin de son corps et de son cœur. Cet enfant des hommes a besoin de tout et il désire plus que la nourriture du Corps, celle de l’Âme insatiable qui est en Lui !

Il veut tout connaître, il veut aimer tout ce qu’il connaît, il veut sauver tout ce qu’il aime, il veut régner sur tout ce qu’il sauve. C’est un besoin qu’il a voulu éprouver en se donnant une âme humaine et sans doute ce besoin exprime-t-il, sous mode humain, la suprême grâce du divin amour... Cette puissance passive, en attente d’un achèvement qui ne peut venir que d’autrui, est la raison dernière de ce grand œuvre de conquête de l’humanité par le Christ.

Comme homme il tient à chacun d’entre nous, à tous et à tout. Il a besoin, il veut, il aime conquérir tout, à la fois pour notre bien et pour sa gloire, pour sa stature parfaite et pour la nôtre, solidaires et mutuellement dépendantes. Nous sommes honorés d’être aimés gratuitement par Dieu qui prédestine selon le décret de son élection, mais nous sommes rassurés d’être voulus, désirés et aimés ainsi, humainement, charnellement, par ce Cœur, cet esprit, cette âme, cette Personne qui nous cherche et qui nous veut dans l’absolue passion, dans la détermination invincible qui lui vient de sa toute-puissante divinité déployée dans la chair.

Ainsi l’individualité phénoménale, objet d’expérience, du Jésus historique, n’est que la semence, infime, de la personnalité totale qui n’aura de repos qu’elle n’ait été par sa chair et par la nôtre, par sa parole et notre réponse, par son amour dévorant et le nôtre, jusqu’au bout de son influence, de sa construction d’un Royaume, de l’édification d’un Corps social, envahissant et transfigurant tout.

Il fallait qu’il mourût pour mériter de son Père « les nations en héritage ». Mais il fallait aussi qu’il ressuscite et monte à la droite de Dieu pour déployer invisiblement dans toute la création sa puissance humaine de Chef, de Docteur et de Pasteur de l’Église. Cette puissance d’une âme en tout semblable à la nôtre, et fraternelle, mais dont la mesure est divine, lui donne la passion de tout marquer de son empreinte et lui permet de le faire. Ainsi sommes-nous « chrétiens », membres de ce Corps dont Lui, le Christ, est la Tête, la Puissance omniprésente, omnipotente.

Sa grandeur ne le disperse pas. Au contraire, elle explique qu’il puisse nous toucher, nous guérir, nous sanctifier de tout près, Lui qui règne sur tout l’univers et se révèle présent et agissant en tous aussi intensément. Il est notre compagnon de route, notre prochain, agissant avec nous et en nous, par la puissance de sa résurrection, comme un homme en use avec son épouse, ou son frère, ou son ami. C’est le Christ catholique.

L’histoire humaine cesse avec Lui d’être anarchique, atomisée, sans signification ni fin, comme si le Verbe de la Sagesse créatrice l’avait abandonnée et livrée à l’absurde chaos des volontés individuelles. Elle n’est pas pour autant linéaire, unidimensionnelle, comme si dans le Christ s’exerçait une toute-puissance divine dominatrice, ressoudant toutes les créatures selon le dessein premier d’évolution cosmique arrêté d’abord... C’est un cœur d’homme, c’est une volonté d’homme qui réintroduisent dans notre histoire la loi de Dieu, l’amour de Dieu comme une nouvelle force partout affrontée aux forces du mal. C’est un Lutteur divin qui annonce la victoire finale. Il est partout où il y a danger, Jésus ! pour lutter avec nous et pour vaincre.

(Abbé Georges de Nantes, Le mystère de Jésus, CRC n° 64, janvier 1973, p. 13-14).

APPROFONDISSEMENT ET ACTUALITÉ.

Sous ce dernier titre de la troisième partie de son encyclique, le pape François veut traiter de plusieurs points délicats.

« 82. L’image symbolique et expressive du Cœur du Christ n’est pas l’unique moyen que nous donne l’Esprit-Saint pour rencontrer l’amour du Christ ; et elle aura toujours besoin d’être enrichie, éclairée et renouvelée par la méditation, la lecture de l’Évangile et la maturation spirituelle. » Qu’est-ce à dire ? En tout cas, cette expression se retrouve au début de la présentation par le cardinal Fernandez de ses Normes procédurales pour le discernement de phénomènes surnaturels présumés (voir Il est ressuscité n° 256, juin 2024, p. 3 à 9). Le ton est donc donné...

« 83. La dévotion au Cœur du Christ est essentielle à notre vie chrétienne, car elle signifie notre ouverture, pleine de foi et d’adoration, au mystère de l’amour divin et humain du Seigneur, au point que nous pouvons affirmer une fois de plus que le Sacré-Cœur est une synthèse de l’Évangile. »

Excellent ! mais c’est la méthode conciliaire du « oui... mais... » dénoncée par notre Père dans son Autodafé : « Nous devons rappeler que les croyants ne sont pas obligés de croire, comme s’il s’agissait de la Parole de Dieu, aux visions ou manifestations mystiques racontées par les saints qui ont proposé avec passion (sic !) la dévotion au Cœur du Christ [références à Benoît XVI]. Ce sont de beaux stimuli qui peuvent motiver et faire beaucoup de bien, mais personne ne doit se sentir obligé de les suivre s’il ne trouve pas qu’ils l’aident à avancer dans sa vie spirituelle. » Et voici pour achever la déroute des bons fidèles : « Cependant, il est important de garder à l’esprit, comme Pie XII l’a déclaré, que l’on ne peut pas dire que ce culte  viendrait d’une révélation privée ”. » Cet emprunt à Pie XII, hors contexte, produit un effet violent.

Pie XII dans Haurietis Aquas, montrait que le culte du Sacré-Cœur préexistait aux révélations de Paray-le-Monial : « Si Nous voulons évoquer les étapes glorieuses parcourues par ce culte au cours de l’histoire de la piété chrétienne, nous voyons tout de suite se présenter à nous les noms de certains de ceux qui ont acquis une célébrité particulière dans ce domaine et qui doivent être tenus pour les pionniers d’une forme de religion qui se répandait de plus en plus privément et progressivement dans les communautés religieuses. » (Haurietis Aquas, n° 51)

Et de citer notamment saint Jean-Eudes, apôtre du culte liturgique du Sacré-Cœur.

Pie XII enchaînait : « Il suffit d’évoquer cette époque où se développait le culte du Cœur très sacré de Jésus pour comprendre parfaitement que son admirable progression tenait à ce qu’il convenait parfaitement à la nature de la religion chrétienne, qui est une religion d’amour. On ne doit donc pas dire que ce culte tire son origine d’une révélation privée faite par Dieu ni qu’il est apparu soudainement dans l’Église, mais qu’il a fleuri spontanément de la foi vivante et de la piété fervente dont étaient animées des personnes privilégiées à l’égard du Rédempteur adorable et de ses glorieuses blessures, témoignages les plus éloquents de son immense amour.

« Ainsi, comme on le voit, ce qui a été révélé à sainte Marguerite-Marie n’a rien apporté de nouveau à la doctrine catholique. Son importance vient de ce que le Christ Notre-Seigneur, en montrant son Cœur très sacré, a voulu retenir d’une façon extraordinaire et singulière les esprits des hommes pour qu’ils contemplent et honorent le mystère de l’amour miséricordieux de Dieu à l’égard du genre humain. » (Haurietis Aquas n° 52)

Nous sommes certainement très loin du radicalisme du pape François. Cependant, même pour Pie XII, les “ révélations privées ” posent problème... Aucune nouveauté, aucun ordre ne peut, ne doit venir de la révélation du Sacré-Cœur à sainte Marguerite-Marie, révélation cependant utile puisque cela « fait beaucoup de bien » comme l’écrit le pape François, qui en cela ne fait qu’appliquer les “ règles ” des théologiens.

Il faut toute la clarté de notre Père pour résoudre la difficulté définitivement (cf. lire l’excursus ci-dessous).


EXCURSUS 
LA VRAIE QUESTION : LES RÉVÉLATIONS PRIVÉES

En juin 1989, lors d’une suite de conférences sur le mystère du dessein du Sacré-Cœur sur la France, de sainte Jeanne d’Arc à sainte Marguerite-Marie, notre Père posa une question insolite, et plutôt dérangeante :

Il se trouve que – et c’est pourquoi tous les saints sont avec nous –, à travers les siècles, dans notre histoire de France, nous avons bien de la chance, parce que ce n’est pas tous les pays pareils, Notre-­Seigneur et la Très Sainte Vierge ont daigné descendre du Ciel et nous apparaître, nous dire des choses et guider notre destin. Ont-ils le droit, ou non ?

Quand Jésus ou la Sainte Vierge voient que nous sommes en danger de périr, que nous allons vers l’apostasie générale ou que la France va vers la décadence par la dénatalité, par le désarmement, par la corruption des mœurs, Jésus et la Sainte Vierge qui aiment le royaume de France – ils ont quand même le droit d’aimer le royaume de France, même si c’est plus que les autres nations, ils ont le droit – se disent : « Il faut faire quelque chose pour ce peuple, notre peuple, sans quoi ce peuple va périr. »

Alors ils descendent du Ciel sur la terre, et ils causent à des bergères... Est-ce qu’ils ont le droit de parler à des bergères ? Est-ce que la Sainte Vierge a le droit de parler à des bergères ? Est-ce que Jésus a le droit de parler à une visitandine pour lui dire ses secrets et ses désirs ? ( De sainte Jeanne d’Arc à sainte Marguerite-Marie, la France au Sacré-Cœur ”, S 101 – conférence du 18 juin 1989, à Reims).

Alors, notre Père s’attarde sur cette “ difficulté ” dite des “ révélations privées ”, pour la traiter en théologien :

J’ai pris mon Dictionnaire de Théologie Catholique, comme tout théologien, pour savoir si Jésus et la Sainte Vierge ont le droit de nous donner des directives dans les domaines politique, économique et autres. Nous avons ça chez nous, ça occupe un rayon grand comme ça, sans vous mentir, et puis c’était en tout petit, et je vous assure, ce sont des montagnes de science ! L’autre jour, précisément pour préparer ma conférence, j’ai pris le Dictionnaire de Théologie Catholique, à l’article “ révélation ” pour savoir si les révélations du Sacré-Cœur à Paray-le-Monial, les révélations de la Sainte Vierge à Fatima comptaient et ce qu’en pensait l’Église (ibid.)

DISTINCTION ENTRE RÉVÉLATION UNIVERSELLE ET PARTICULIÈRE.

J’ai cherché ces révélations. J’ai vu une petite distinction : on disait qu’il y avait les révélations qu’on appelle particulières ou privées, et puis la révélation universelle, la Révélation, celle de Jésus-Christ et des Apôtres, qui maintenant constitue le dépôt de la Foi. Pendant des pages et des pages d’écriture toute petite et serrée, trente, quarante pages ! ils m’ont parlé de la Révélation universelle, de la Révélation divine que l’Église a reçue et qu’elle enseigne à travers les siècles. Je feuilletais, parce que ça je le sais par cœur, mais je voulais savoir ce qu’ils disaient des révélations privées. À la dernière ligne, il y avait : « Pour ce qui est des révélations privées universelles, elles n’ont pas la même importance (cf. Bricout, colonne “ révélation ”). »

Dans mon immense dictionnaire de théologie, pas un mot sur les révélations particulières ! Cela n’intéresse pas les deux cent cinquante théologiens qui ont participé à l’élaboration de ce dictionnaire entre les deux guerres ! Stupéfaction !

Alors j’ai été voir mon Bricout. On a le Bricout aussi, le Dictionnaire des connaissances religieuses, – que les théologiens appellent “ le Bricout ”, c’est plus facile, c’est Bricout qui l’a fait, et c’est un bon dictionnaire –, je le feuillette, et là je trouve des pages sur la Révélation générale et ensuite, quelques pages sur la révélation dite “ privée ”, les révélations privées ou dites “ particulières ”. J’ai été stupéfait de ce que j’ai trouvé ! Pourquoi ? Ah ! mais ces libéraux – ce sont des libéraux ! – sont très intelligents quand ils travaillent, ils travaillent très sérieusement, l’article est très sérieux, mais ils s’occupent d’autre chose que ce qui m’intéresse ! Ça consiste en quoi ? J’ai là les citations. Un peu de courage, on va faire une étude de théologie. Je suis licencié en théologie et en toutes sortes de choses, j’ai 64 ans et il m’a appris des choses : il m’a appris comment on pouvait fuir la vérité en ayant l’air de lui être fidèle. Ça, c’est merveilleux !

« On distingue révélation universelle et révélation particulière ou privée. »

Bon ! D’accord : révélation universelle, celle de Jésus et des Apôtres, de tout l’Ancien et du Nouveau Testament, et la tradition orale qui s’y est jointe, qui est pour tout le monde et pour tous les siècles, c’est la totalité de la religion. Nous sommes d’accord, nous y croyons. Et maintenant, les révélations particulières ou privées. À la ligne :

« Il ne leur est pas dû un assentiment de foi catholique (cf. Benoît XIV), mais seulement de foi humaine, selon les règles de la prudence. »

Ah ! Ça commence comme ça tout d’un coup : on ne nous explique pas exactement ce qu’elles sont, pourquoi le Ciel fait des révélations. On nous dit tout de suite : vous n’êtes pas obligé d’y croire ! Curieux, ça ! C’est tout à fait secondaire ! Ensuite :

« Elles peuvent être pourtant l’instrument de grandes grâces, même pour tous les fidèles. »

J’aime bien le « même pour tous les fidèles » ! Ça veut dire que d’habitude, les révélations particulières, ça peut donner de grandes grâces, par exemple à Marguerite-Marie, à la rigueur à tout son couvent, ça leur a fait du bien que Jésus vienne visiter l’une de ces religieuses. Ça a changé des choses, dans le couvent et puis même un peu plus vaste et puis même, à la rigueur, ça pourrait servir au monde entier !

« Mais, quel qu’en soit le prix – “ mais ” ! tout de suite, le “ mais ” : ne leur accordons pas trop de choses –, elles ne rentrent pas dans l’économie primordiale et universelle du salut. »

Cela veut dire : on n’en a pas besoin, elles ne nous apportent rien de nouveau et nous, théologiens, ça ne nous intéresse pas.

« Cependant, lorsque l’Église les a approuvées et surtout a établi ou recommandé des fêtes et des dévotions à ce propos, s’élever à l’encontre serait manquer gravement “ au respect et à leur sentiment d’esprit et de volonté que nous devons aux directives et aux enseignements de l’Église, à l’exercice du magistère qu’elle exerce sous l’inspiration du Saint-­Esprit, lors même qu’elle ne met pas en mouvement son privilège d’infaillibilité. ” »

Évidemment, vous ne suivez pas, c’est de la théologie concentrée, mais ça veut tout simplement dire : quand l’Église a reconnu ces apparitions, comme par exemple à Lourdes en instituant une fête des apparitions de Lourdes, ou en canonisant sainte Bernadette, donc en reconnaissant tout de même que cette sainte n’était pas une hystérique, n’était pas une illuminée, etc., on ne peut pas quand même s’élever contre ces révélations sans outrecuidance. On n’est pas forcé d’y croire, mais enfin il est quand même nécessaire au respect et à l’obéissance qu’on doit au Pape et aux évêques de ne pas aller à l’encontre. Donc, si vous n’y croyez pas, vous vous taisez (ibid.).

Rien d’obligatoire donc, sauf le respect dû aux décisions de la hiérarchie ecclésiastique. Ce n’est pas tout, voici qui s’ajoute et va garantir toute liberté d’y croire ou pas : les théologiens vont juger... de l’opportunité !

C’est assez négatif jusqu’ici. Enfin, j’ai trouvé cette phrase qui est un peu plus positive :

« À noter que ceux qui reçoivent de telles révélations et ceux à qui elle est transmise par ordre, peuvent et doivent en examiner la créance. »

C’est-à-dire la crédibilité, est-ce que c’est croyable.

« Si ces titres sont reconnus valables, ils n’ont pas le droit, en conscience, de lui refuser leur adhésion. »

Lucie de Fatima a vu la Sainte Vierge, elle ne peut pas nier que ce soit la Sainte Vierge, la Sainte Vierge lui a donné des ordres ; ou bien Bernadette de Lourdes : « Va dire au clergé que je veux une église ici... » Le dictionnaire reconnaît que ces personnes-là, qui ont été les témoins de la vision, ou bien ceux qui sont directement concernés, le petit groupe autour d’eux, les supérieures de Marguerite-Marie, mis en face du fait, doivent examiner si c’est vrai ou si c’est faux. Dieu sait s’ils le font ! Et si, véritablement, ils doivent considérer que c’est vrai, ils n’ont pas le droit de refuser, en conscience, leur adhésion à ces apparitions.

Je passe, le dictionnaire parle de Paray-le-Monial, tout à fait selon cette analyse, puis la dernière phrase :

« Ce qui juge en dernier ressort de ces révélations privées, c’est l’harmonie constatée de cette vérité, de cette dévotion avec le dogme ancien dont ces révélations constituent le développement providentiel. »

Ce sera vrai dans la mesure où ça dit des choses qu’on savait déjà. Et puis :

« C’est l’opportunité de leur réponse aux besoins actuels du peuple chrétien qui permet d’en juger. »

Est-ce que c’est opportun, est-ce que ces révélations vont faire du bien au peuple chrétien aujourd’hui, ou non ? Si vraiment ces apparitions nous apparaissent devoir être opportunes dans la conjoncture, alors il faudra tenter de les respecter, de les répandre et de leur obéir. Mais, qui va juger de leur opportunité ? Messieurs les théologiens ! Exemple : lorsque Jeanne d’Arc a dit qu’elle était envoyée pour faire sacrer le dauphin à Reims, messieurs les théologiens ont étudié pour savoir si c’était dans l’opportunité de la situation de l’Église de l’époque, et tous à l’Université de Paris, sauf les exilés parce qu’ils étaient fidèles au roi de Bourges, tout l’ensemble a décidé que ce n’était pas du tout opportun et donc que cela ne pouvait pas être une vraie révélation malgré toutes les preuves qu’elle en donnait, et ils ont fait brûler Jeanne d’Arc ! (ibid.)

CRITIQUE.

C’est une vue rationaliste, ou intellectualiste des choses. Il n’est question que d’une chose :

  1. Les révélations particulières n’égalent pas la Révélation de Jésus-Christ, bien entendu, elles sont d’un ordre tellement inférieur qu’on n’est jamais obligé d’y croire. Merci pour Jésus s’Il se déplace, et la Vierge !
  2. C’est nous, les théologiens qui jugeront de l’opportunité de ces révélations. Si nous jugeons qu’elles sont opportunes, on les développera dans le peuple fidèle, mais si nous jugeons qu’elles ne sont pas opportunes, nous les laisserons de côté.

Cette étude intellectualiste pour étudier dans quelle mesure on doit recevoir ou non ces révélations se termine d’une manière tout à fait “ minimisante ” : les dévotions et les pratiques de piété qui en résultent, pour nouvelles qu’elles soient et pour relatives et secondaires qu’elles soient, peuvent être utiles au peuple chrétien. Par exemple de faire pénitence après Lourdes, par exemple de porter un scapulaire, après des révélations du dix-neuvième siècle ; par exemple de communier les premiers vendredis du mois après Paray-le-Monial, c’est bien ! « C’est pour ma femme », dira le libéral, ce sont des dévotions qui sont bien à recommander pour les gens qui sont particulièrement pieux (ibid.).

QUESTION.

Notre Père, poursuivant son exposé, ramassait tout ce “ problème ” en un simple énoncé décisif :

Mais je pose tout d’un coup une question, une question évidemment indiscrète et insolite : Dieu a-t-Il encore le droit, depuis que Jésus-Christ est remonté au ciel et depuis le jour de la Pentecôte, d’entrer dans la vie de l’Église, des hommes et des nations, pour les gouverner ? Ah ! Cette question, je voudrais pouvoir la poser aux évêques, au Pape lui-même, je voudrais pouvoir la poser dans un concile. Est-ce que vous pensez que Jésus-Christ a encore le droit d’entrer dans notre vie, de redescendre et de parler à tel ou tel saint, pour nous dire ce que nous devons faire dans telle ou telle alternative de l’époque, ou non ?

La réponse serait très étonnante et on le voit bien par l’histoire. A-t-Il le droit encore de nous donner des commandements, des ordres qui sont nouveaux ?

Vous dites : « De toute manière, il n’y aura plus rien de nouveau parce que Jésus-Christ a tout dit ! » Je veux bien ! Dans l’ordre de la doctrine tout est dit, mais dans l’ordre du gouvernement du monde, est-ce que Jésus-Christ a le droit, est-ce que la Vierge Marie a le droit encore de donner des directives évidemment nouvelles à l’Église, au monde, aux nations, comme dans la vie des individus ?

Quand la Vierge paraît à Lourdes, elle dit à la petite Bernadette de creuser, de se laver et puis de boire. Que fait Bernadette ? Qu’est-ce qu’elle devait faire et dire ? « Ah ! Mais il n’y a plus rien, hein ! Maintenant, Jésus-Christ a tout dit ! » Non, on l’a vu se mettre à quatre pattes comme un animal, manger de l’herbe et creuser, puis se laver avec une eau boueuse et boire de cette eau boueuse ! Les gens ont dit : « Elle est folle ! » Mais elle obéissait à un commandement de la Sainte Vierge. Elle aurait dû refuser ? Ou demander aux théologiens l’opportunité de se laver avec de l’eau boueuse et de manger de l’herbe ?

Lorsque le Ciel met toute son autorité et allonge des preuves, des miracles absolument contraignants pour notre intelligence, est-ce que, oui ou non, on est obligé d’y consentir sous peine de châtiment temporel et éternel et sous l’attrait des mystérieuses récompenses promises ? Que la Révélation soit close à la mort du dernier Apôtre, c’est vrai, tous les théologiens le savent, mais en plus, en continuité avec elle, qu’en est-il de la conduite du monde et de l’Église ? Qu’en est-il de l’orthodromie ? Est-ce qu’elle est abandonnée une fois pour toutes aux hommes constitués en dignité ou est-ce que Dieu est encore libre d’agir ? (ibid.)

ACCUSATION.

À travers les siècles d’avant, de pendant et d’après le Christ, il semble que les hommes constitués en dignité se soient considérés comme les véritables autorités divines ou ecclésiastiques, qu’ils se soient eux-mêmes organisés en castes aristocratiques ou technocratiques : nous les évêques, nous les théologiens, et qu’ils y aient perdu leur docilité à Dieu. Ils n’ont plus jamais aimé que Dieu vienne exceptionnellement jusqu’à eux et ont fait mille difficultés et objections pour le reconnaître (ibid.).

Revenant sur sa conférence, notre Père précisait son accusation :

On sent très bien que les théologiens qui ont rédigé ces articles ou ces manuels sont tout à fait opposés à l’intrusion du Sacré-Cœur, de la Vierge Marie ou des saints dans notre histoire quotidienne. Ils n’en veulent pas ! Tout d’un coup, en lisant ces dictionnaires qui sont très savants et qui apparemment sont bien argumentés, j’ai compris que, d’une manière générale – je ne dis pas “ tous ” parce qu’il y a des saints au sommet de l’Église comme il y en a dans le peuple, et il y a des saints dans la politique comme partout ailleurs –, les grands de ce monde responsables du gouvernement de l’Église d’un côté, responsables du gouvernement des nations de l’autre, c’est leur job, c’est leur compétence, c’est là qu’ils ont pouvoir et ils n’aiment pas être dérangés (Conclusion de la conférence : “ De sainte Jeanne d’Arc à sainte Marguerite-Marie, la France au Sacré-Cœur , 24 juin 1989 à la maison Saint-Joseph).

Par exemple :

Moi, je veux bien que lorsqu’une apparition nouvelle comme celle de Fatima ou celle de Medjugorje intervient, les théologiens, les évêques, sous la conduite du Pape, étudient, discernent les esprits pour savoir si ça vient du démon ou de Dieu. Jésus a reproché aux prêtres et aux pharisiens de Jérusalem de ne pas faire ce discernement des esprits pour Lui. Ils font ce discernement, tant qu’ils ne craignent pas pour leur autonomie de jugement et de gouvernement, mais à partir du moment où ça commence à aller contre leurs lubies, contre leurs plans, contre leurs passions, contre leur collaboration avec les puissances du monde ou avec les ennemis, ils ne font plus le discernement ou, s’ils le font, c’est en violant toutes les règles habituelles à l’Église pour dire que Medjugorje est vrai et que Fatima est faux (conférence du 18 juin 1989).

Mais ce n’est pas nouveau. Déjà au quinzième siècle, c’était le cas :

Au moment de Jeanne d’Arc, tous les grands de l’Université de Paris n’ont pas aimé être dérangés par une bergère de Domrémy ! D’autant plus que, précisément, elle avait une autre politique que la leur et une autre ecclésiologie... Elle ne savait ni a ni b, et elle en appelait au Pape contre eux, comme si le Pape était au-dessus d’eux ! Elle leur faisait la leçon en leur disant que c’était le gentil dauphin qu’elle avait mené sacrer à Reims qui était le vrai roi, légitime, désigné par Dieu pour être son représentant et administrer les choses de la France pour lui, Dieu, qui lui donnerait toute puissance et toute gloire. Cela ne correspondait pas avec leurs choix politiques ; eux, ils étaient passés dans le parti des Anglais et le parti des Bourguignons rebelles. Alors, qu’est-ce qu’ils ont fait ? Ils ont bien essayé de discerner les esprits, mais ils ont conclu que Jeanne était une sorcière et qu’elle était digne d’être brûlée ! Après, plus de justice, plus de vérité, elle serait brûlée, on se débarrasserait d’elle (conférence du 24 juin 1989).

Autre exemple, les révélations du Sacré-Cœur à Paray-le-Monial.

Le message de Marguerite-Marie : pourquoi Marguerite-Marie a-t-elle échoué ? C’est parce que le Père de La Chaize a dit au roi : « Qu’est-ce que c’est que cette religieuse qui s’occupe de ce que vous devez faire à Versailles et de ces peintures du Sacré-Cœur que vous devez faire sur vos oriflammes ? De quoi se mêle-t-elle ? Et puis voilà que cette religieuse se met à faire de la politique, vous encourage à faire la guerre au monde, vous assure de la victoire ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?! »

La même chose a eu lieu, c’est-à-dire que toutes ces autorités, tous ces hommes qui n’étaient pas mystiques, qui n’avaient pas l’amour de Dieu, ont trouvé mille moyens – jusqu’à ce Lambertini qui deviendra le pape Benoît XIV – de dire que c’est contraire à la théologie, que le cœur n’est qu’une pompe et que... « Mais enfin, Jésus... » Oui, peut-être, Il est apparu à cette religieuse, elle a cru qu’Il était apparu, etc. Si vous y croyez, ayez la dévotion ! (conférence du 18 juin 1989)

Et les apparitions de Notre-Dame à Fatima ? Toujours la même opposition sous prétexte d’  opportunité ”.

Laurentin, ça l’embête que la Vierge Marie ait parlé de la Russie à Fatima. Ça l’embête, pourquoi ? Parce que l’abbé Laurentin a ses idées toutes faites en politique et qu’il ne veut pas qu’on dise du mal de la Russie ! Les savants et les sages, obligés d’écouter des bergères et d’humbles moniales ou d’humbles moines, ce n’est pas dans l’ordre ! Il faut passer cela au crible de l’humaine sagesse. Et certes le discernement des esprits leur appartient, la nouveauté leur est une occasion de désapprouver. La nouveauté ?

Quand le Ciel parle, c’est pour faire une chose créatrice, c’est une nouveauté créatrice, c’est dynamique, c’est orthodromique et donc ça peut redresser les idées tout à fait prosaïques et véritablement trop matérielles, trop rationalistes, des hommes. Ce recours de Dieu à la théocratie soudain semble une espèce de remise en question de leur autocratie, de leur dictature, même si elle est cachée sous des voiles démocratiques (conférence du 24 juin 1989).

Plus tard, notre Père, à la veille de partir pour notre grand pèlerinage de Turin du 9 mai 1998, reviendra sur le sujet pour conclure sur cet abus d’autorité des hommes d’Église prétendant contrôler les dits et faits du Ciel.

Alors, les révélations privées... cela n’a pas grande importance, elles ne sont pas nécessaires, le Christ a tout dit, les Apôtres ont tout dit, nous prétend-on. Curieusement, cela vient des hommes qui, par ailleurs, ne cessent eux-mêmes de prophétiser, de faire les illuminés, de nous apprendre une religion nouvelle. Tout cela est contradictoire, preuve du mensonge (sermon du 8 mai 1998).

APPLICATION.

Notre Père a donné sa solution de théologien mystique, c’est-à-dire pour qui Jésus et Marie sont des personnes vivantes, ayant des volontés et desseins précis, qu’Ils continuent à nous faire connaître.

Mais qu’est-ce que c’est que les révélations privées ? C’est quand Notre-Seigneur Jésus-Christ ou la Sainte Vierge, ou quelque saint descend du Ciel pour apparaître à quelqu’un, quelque saint homme ou quelque sainte femme et lui donner un message et lui manifester son authenticité par des miracles. Oui, c’est bien, Bernadette a vu la Vierge à Lourdes. Si cela lui a fait quelque bien, tant mieux, l’Église est plutôt favorable, mais nous, on n’a pas besoin de cela ! Nous, nous sommes majeurs, nous ne sommes pas des enfants comme les foules de Galilée, nous savons ce qu’est Dieu, nous l’avons appris dans nos séminaires, notre science ecclésiastique est faite. Alors, que voulez-vous que j’apprenne à Fatima ? C’est inutile ! Vous allez à Turin ? Qu’allez-vous voir à Turin ? Ces gens qui n’adorent plus jamais le Saint-Sacrement dans les Saluts comme autrefois ou dans les tabernacles, ces gens ne veulent pas aller à Turin : le Christ est là, dans notre église, tout le monde le sait. Bienheureux encore quand ils disent cela, quand ils ne disent pas, et on n’entend plus que cela depuis des dizaines d’années : « Moi, je préfère trouver le Visage du Christ dans l’exclu, le chômeur, le rebelle, l’homme en prison (lisez l’Évangile) plutôt que d’aller regarder le Saint-Sacrement qui ne m’apprend rien ! » Que faut-il dire dans ces cas-là ? Deux choses qui sont d’une grande simplicité. C’est simple parce que c’est vrai ; c’est vrai parce que c’est simple.

Voici ce qu’il faut trouver dans les véritables manuels de théologie : l’Église doit juger des révélations privées, c’est-à-dire que les hommes d’Église, comme déjà les grands prêtres et les scribes de Jérusalem devaient juger de l’authenticité des vocations des prophètes. Par exemple, ils devaient descendre au bord du Jourdain pour examiner les paroles et les actes de Jean le Précurseur, afin de dire s’il était un véritable homme de Dieu ou non. Cela qu’ils devaient faire, ils n’ont jamais eu le courage de le faire parce que cela contredisait leurs convictions profondes.

Lorsqu’il y a des apparitions, que ce soit à Medjugorje, à Fatima, à Garabandal, c’est le devoir de la hiérarchie avec son autorité pleine et souveraine, de nous dire si ce sont de vraies ou fausses apparitions. En ce sens, l’Église domine les voyants et ce que les voyants peuvent faire et raconter. De deux choses l’une : ou bien l’Église déclare que ce sont de fausses apparitions, de fausses visions, que la chose est fausse et dans ce cas-là, l’Église a le devoir de sanctionner ceux qui y croient, de faire disparaître ces choses de la superstition, de la sorcellerie, afin de ne pas nous égarer. Par exemple, si vraiment le Suaire est une œuvre fabriquée au quatorzième siècle, en prenant un cadavre saignant enroulé dans ce drap, horrible boucherie pour faire un suaire qu’on ferait adorer et on gagnerait de l’argent ainsi, le pape Jean-Paul II doit de toute obligation déclarer que c’est un faux et le brûler, pas le vendre, mais le brûler. Mais si c’est la vérité, tout change.

Révélation privée, que ce soit sainte Bernadette, sainte Marguerite-Marie, des songes de don Bosco, tout cela est du ressort de l’Église enseignante. Elle doit dire si c’est vrai ou si c’est faux. Mais si c’est vrai, l’Église, avec le Saint-Esprit qui la guide, dit que les choses étant vraies, les messages, les miracles viennent du Ciel et le Ciel est au-dessus de Rome, au-dessus de l’autorité épiscopale. C’est le Ciel qui commande à ce moment-là et ce qui est dit, montré, est également parole d’Évangile. Ces révélations, quoique privées, sont égales en certitude à la révélation apostolique. On doit s’en occuper, on doit en parler, on doit s’en faire le relais. Parce que si la Vierge Marie a fait tourner le soleil dans le Ciel pour faire passer un certain message, ce message est un message divin qu’il faut prendre au sérieux (ibid.).

Alors notre Père pose une nouvelle question d’importance :

Pourquoi à notre époque ? Parce que ce message répond à des besoins nouveaux, à des besoins qui sollicitent la grâce de Dieu. C’est pour nous avertir, et si nous n’en tenons pas compte, si nous faisons comme si cela n’était pas, nous nous mettons sur le chemin de l’infidélité à la Vierge Marie, l’infidélité à Jésus qui est son Fils bien-aimé, l’infidélité à Dieu... pour la damnation éternelle ? Nous devons y faire écho.

Quand le Saint Suaire se manifeste comme un objet scientifique dont l’authenticité est ruisselante d’évidences multiples, c’est parce que Dieu veut que ce Saint Suaire retienne notre attention, qu’il excite notre dévotion, qu’il renouvelle notre piété et qu’il soit pour l’Église un ferment de conversion universelle. C’est de toute importance et cela s’impose même au Pape, aux évêques, au Concile. Cela passe avant leurs inventions humaines ou leur conservation un peu ramollie du dogme chrétien (ibid.).

Voilà qui est sauveur, car cela signifie que Jésus et Marie s’occupent personnellement de nous conserver la foi, pourvu seulement que les hommes veuillent bien les écouter.

D’où les révélations particulières. Au Ciel, ils doivent se dire – le Père, à son Fils, dans leur Esprit-Saint, puis le Père et le Fils à la Sainte Vierge – : « Mais comment est-ce que, bougre, on pourrait arriver à les sauver, tous ces gens-là ! On leur envoie des saints, on leur fait tourner le soleil dans le ciel, on envoie des miracles à gogo, on les punit, on les caresse, etc. Pas moyen ! Ils n’ont pas besoin de nous, ils nous disent : “ Oui, d’accord, on vous mettra beaucoup d’encensoirs et des fleurs autour de votre autel, mais pour le reste, laissez-nous faire, nous sommes compétents et dans notre domaine, nous sommes indépendants ”. »

Voilà le libéralisme que le saint pape Pie IX a condamné en disant que le libéralisme, c’était le pire péché des catholiques ! Il l’a dit, il l’a répété, les libéraux ont continué tout comme, en se disant : « Quand il sera mort, on aura un pape libéral. » Ils l’ont eu avec Léon XIII...

Ah ! C’est vraiment difficile à Dieu de faire le bonheur des hommes ! (conférence du 18 juin 1989)

LE TEMPORALISME DU SACRÉ-CŒUR.

Quel est donc ce dessein divin révélé qui gêne tant les hommes ? C’est que Dieu veut régner en son Fils, par le Cœur Immaculé de Marie, en tous domaines, et spécialement dans celui que l’homme croit pouvoir se réserver à lui-même, alors que c’est une soumission au « Prince de ce monde » par indocilité aux volontés du Sacré-Cœur.

Nous en sommes là. Vous voyez à quel point ce n’est pas au Bon Dieu qu’il faut reprocher d’abandonner la terre ! Ce n’est pas au peuple chrétien qui gémit sous les persécutions ni à aucun d’entre vous. Si nous sommes bons catholiques et si nous faisons notre possible – encore faut-il que nous le fassions –, mais c’est à tous ces intellectuels, à tous ces théologiens, l’équivalent de ceux qui ont condamné Jeanne d’Arc, qu’il faut le reprocher, parce qu’ils trouvent toujours le moyen de renvoyer le Sacré-Cœur et le Cœur Immaculé de Marie du domaine de leur politique qui leur appartient, et quand on leur rappelle la politique du Bon Dieu, ils disent que c’est nous qui faisons de la politique ! Ils appellent ça “ le temporalisme ”.

Encore, l’autre jour, à Montmartre, les chapelains de Montmartre disaient à nos jeunes gens de la CRC, qui sont d’ailleurs ici présents : « Ce qu’on reproche à l’abbé de Nantes et à la Contre-Réforme, c’est de faire du temporalisme.

Qu’est-ce que c’est, le temporalisme, mon Père ?

– C’est de dire que le Sacré-Cœur doit gouverner les choses politiques ! »

Ah ! la belle hérésie que voilà ! C’est l’hérésie dont nous nous vantons, c’est l’hérésie des saints ! Mais ça dénonce leur hérésie à eux : la politique nous appartient et nous faisons la politique de l’Amérique, nous faisons la politique de la Russie, nous faisons la politique de l’Allemagne, nous faisons la politique de l’Europe, mais la politique de l’Évangile, on ne connaît pas ça, parce que ça nous forcerait à ne plus être républicains, ne plus être démocrates, ne plus croire au libéralisme, ne plus croire au mercantilisme. Cela nous obligerait à devenir catholiques, royalistes et communautaires, alors ça jamais ! D’abord, de Nantes a pris ça, il faudrait qu’on n’aille pas à sa suite... [Applaudissements] (conférence du 18 juin 1989)


Avec cette démonstration en tête, nous pouvons poursuivre la lecture de l’encyclique du pape François, sans plus être étonnés de cette indocilité aux révélations du Sacré-Cœur.

« 84. La proposition de la Communion eucharistique des premiers vendredis du mois, par exemple, était un message fort à une époque où de nombreuses personnes cessaient de recevoir la Communion parce qu’elles n’avaient pas confiance dans le pardon divin, dans sa miséricorde, et considéraient la Communion comme une sorte de prix pour les parfaits. »

C’est exact. À propos, qui a fait cette proposition de la communion des premiers vendredis du mois, et pourquoi ? Le pape François ne le dit pas ici, mais bien évidemment, c’est le Sacré-Cœur, à sainte ­Marguerite-Marie !

D’abord pour elle-même. C’était un vendredi de 1674. En voici le récit commenté par notre Père, lors de la retraite de communauté de l’automne 1985 :

« “ Ce fut alors qu’il me découvrit les merveilles inexplicables de son pur amour et jusqu’à quel excès il l’avait porté d’aimer les hommes, dont il ne recevait que des ingratitudes et méconnaissances. ” (Autobiographie, n° 56)

« Là, le thème revient : à cet amour de Dieu que manifeste ce Cœur – et aujourd’hui, pour les derniers temps de l’Église, d’une manière tout à fait sensible – à notre sainte, à sa messagère, sa disciple, répond l’ingratitude des hommes. Et cette ingratitude est tellement coupable qu’il faut faire quelque chose pour que ce Cœur soit honoré, que Dieu soit glorifié par lui et que les hommes se sauvent.

« “ Ce qui m’est beaucoup plus sensible, me dit-il, que tout ce que j’ai souffert en ma Passion, d’autant que s’ils me rendaient quelque retour d’amour, j’estimerais peu tout ce que j’ai fait pour eux, et voudrais, s’il se pouvait, en faire encore davantage. ” (Autobiographie, n° 56)

« Il ne demande en retour que quelque retour d’amour, un peu d’amour. Il n’attend pas de nous que nous flambions comme les saints.

« “ Mais ils n’ont que des froideurs et du rebut pour tous mes empressements à leur faire du bien. Mais, du moins, donne-moi ce plaisir de suppléer à leurs ingratitudes autant que tu en pourras être capable. 

Et lui remontrant mon impuissance, il me répondit :

 Tiens, voilà de quoi suppléer à tout ce qui te manque. Et en même temps, ce divin Cœur s’étant ouvert, il en sortit une flamme si ardente que je pensai en être consommée car j’en fus toute pénétrée, et ne pouvais plus la soutenir lorsque je lui demandai d’avoir pitié de ma faiblesse. (Autobiographie, n° 56)

 Je serai ta force, me dit-il, ne crains rien, mais sois attentive à ma voix et à ce que je te demande pour te disposer à l’accomplissement de mes desseins. ” ( n° 57)

« Alors là, nous passons encore, selon ce qui va nous devenir tout à fait habituel dans les révélations de Paray-le-Monial, de la dévotion pure à la pratique de cette dévotion. Chaque fois, nous devons recevoir cette pratique avec empressement parce que, n’ayant pas une dévotion brûlante – nous ne sommes pas des saints –, nous pouvons tout de même effectuer cette pratique qui a une valeur sacramentelle, sacramentale :

« “ Premièrement, tu me recevras dans le Saint-­Sacrement autant que l’obéissance te le voudra permettre, quelque mortification et humiliation qui t’en doivent arriver, lesquelles tu dois recevoir comme des gages de mon amour. 

« Donc, Il veut la communion fréquente, Il sait qu’on l’interdira, qu’on lui fera des misères, qu’on en clabaudera toujours contre elle puisque la communion était une chose rare que les jansénistes voulaient rendre plus rarissime encore. Donc, elle en recevra des opprobres, ce sont des signes de l’amour de Jésus.

« “ Tu communieras de plus tous les premiers vendredis de chaque mois. ” »

« Là, il n’y a pas encore de comptabilité. C’est donc tous les premiers vendredis que Jésus veut être particulièrement honoré et recevoir réparation dans son Cœur outragé. »

Puis ensuite, Notre-Seigneur a étendu sa demande :

« En mai 1688, notre sainte reçoit une promesse, une communication de Notre-Seigneur, que l’on trouve dans la lettre 87 à mère de Saumaise, qui est tout à fait étonnante : “ Un jour de vendredi, pendant la sainte communion, il dit ces paroles à son indigne esclave, si elle ne se trompe [mais il ne faut pas faire attention à ces derniers mots ; c’est mère Greyfié qui lui a dit que, par humilité et sens de sa faillibilité, il fallait que lorsqu’elle affirme les choses, elle ajoute cette clause de style pour marquer qu’elle abandonne cela au jugement de l’Église] :

 Je te promets dans l’excessive miséricorde de mon cœur, que son amour tout-puissant accordera à tous ceux qui communieront neuf premiers vendredis des mois de suite, la grâce de la pénitence finale, ne mourant point dans ma disgrâce et sans recevoir leurs sacrements, mon divin Cœur se rendant leur asile assuré au dernier moment. ” »

Le Pape ne fait pas état de cette promesse du Sacré-Cœur, et se contente de recommander cette pratique à cause de ses bons effets contre les jansénistes : « Dans ce contexte janséniste, la promotion de cette pratique a fait beaucoup de bien, en aidant à reconnaître dans l’Eucharistie l’amour proche et gratuit du Cœur du Christ qui nous appelle à l’union avec Lui. Elle ferait beaucoup de bien également aujourd’hui pour une autre raison : parce qu’au milieu du tourbillon du monde actuel et de notre obsession pour les loisirs, la consommation et le divertissement, les téléphones et les réseaux sociaux, nous oublions de nourrir notre vie de la force de l’Eucharistie. » ( n° 84)

Quand même, c’est un peu court, en regard de la demande du Sacré-Cœur et de son intention réparatrice, en vue de la persévérance finale. Le Sacré-Cœur demandait que nous nous occupions de lui, et ici, le Pape trouve que cette pratique serait bien pour « notre vie »... présente.

« 85. De même, personne ne doit se sentir obligé de faire une heure d’adoration le jeudi. Mais comment ne pas la recommander ? Lorsque quelqu’un vit cette pratique avec ferveur, avec de nombreux frères, et qu’il trouve dans l’Eucharistie l’amour du Cœur du Christ,  il adore avec l’Église le symbole et comme l’empreinte de la charité divine qui a été jusqu’à aimer le genre humain avec le Cœur du Verbe Incarné ” (Haurietis Aquas, Pie XII). »

Bien sûr que cette pratique a de bons effets, de communion ecclésiale, puisque c’est encore une demande du Sacré-Cœur à sainte Marguerite-Marie. Le Pape ne le dit pas, ni non plus pourquoi le Sacré-Cœur a fait cette demande :

« “ Et toutes les nuits, du jeudi au vendredi, je te ferai participer à cette mortelle tristesse que j’ai bien voulu sentir au jardin des Olives, et laquelle tristesse te réduira, sans que tu la puisses comprendre, à une espèce d’agonie plus rude à supporter que la mort. 

« Il veut l’unir à son agonie, parce qu’elle est l’instrument choisi de sa dévotion.

« “ Et, pour m’accompagner dans cette humble prière que je présentai alors à mon Père parmi toutes mes angoisses, tu te lèveras entre onze heures et minuit pour te prosterner pendant une heure avec moi, la face contre terre, tant pour apaiser la divine colère, en demandant miséricorde pour les pécheurs, que pour adoucir en quelque façon l’amertume que je sentais de l’abandon de mes apôtres, qui m’obligea à leur reprocher de n’avoir pu veiller une heure avec moi : et pendant cette heure tu feras ce que je t’enseignerai. ” » (Georges de Nantes, retraite 1985)

JANSÉNISME OU QUIÉTISME ?

Mais visiblement, le Pape veut passer vite, il a d’autres soucis que de s’occuper du Sacré-Cœur. Pour lui, la dévotion au Sacré-Cœur n’est qu’un remède à un certain jansénisme moderne qui le préoccupe :

« 86. Cela était difficile à comprendre pour de nombreux jansénistes qui méprisaient tout ce qui était humain, affectif, corporel, et qui considéraient en fin de compte que cette dévotion nous éloigne de la pure adoration du Dieu Très-Haut. Pie XII qualifia de “ faux mysticisme ” cette attitude élitiste de certains groupes qui voyaient Dieu tellement haut, tellement séparé, tellement distant, qu’ils considéraient les expressions sensibles de la piété populaire comme dangereuses et nécessitant un contrôle ecclésiastique. »

Pie XII écrivait en effet dans l’encyclique Haurietis Aquas : « Il est donc faux de dire que la contemplation du Cœur physique de Jésus empêche de parvenir à l’amour intime de Dieu et qu’elle retarde l’âme dans le chemin qui conduit aux plus hautes vertus. L’Église rejette complètement cette fausse doctrine mystique, comme par la voix de Notre Prédécesseur d’heureuse mémoire, Innocent XI, elle a rejeté les assertions de ceux qui disaient : “ Elles (les âmes de cette voie intérieure) ne doivent pas exprimer des mouvements d’amour à l’égard de la Sainte Vierge, des saints ou de l’humanité du Christ, parce que ces objets étant sensibles, il en est de même de l’amour à leur égard. Aucune créature, ni la Sainte Vierge, ni les saints ne doivent avoir de place dans notre cœur, parce que seul Dieu veut l’occuper et le posséder. ” »

Et il ajoutait : « Les théologiens catholiques ne pensent ni n’enseignent ainsi. [...] C’est donc à la Personne même du Verbe incarné en tant que fin que s’adresse le culte relatif qui est rendu aux images, soit aux reliques se rapportant aux affreux tourments que notre Sauveur a supportés pour nous, soit à cette image dont la puissance et la signification dépassent tout le reste, le Cœur du Christ qui a été transpercé sur la croix. » (Haurietis Aquas, n° 52)

Mais ce n’est pas cela qui soucie le pape François car il ajoute : « En outre, diverses formes de religiosité privées de références à une relation personnelle avec un Dieu d’amour se multiplient dans la société, et sont de nouvelles manifestations d’une  spiritualité sans chair ”. Cela est vrai. Mais je dois souligner qu’un dualisme janséniste préjudiciable renaît sous de nouveaux traits au sein même de l’Église. Il a acquis une nouvelle force au cours des dernières décennies. Il est une manifestation de ce gnosticisme qui ignorait la vérité du  salut de la chair  et qui fut dommageable à la spiritualité des premiers siècles de la foi chrétienne. » ( n° 87) Qui cela vise-t-il ? Difficile à dire... Le Pape ne mentionne aucun nom, aucun ouvrage. Dans le paysage ecclésiastique moderne, on ne voit pas trop qui pourrait viser cette étiquette de “ janséniste ” ? Des modernistes, mais dépourvus du piétisme d’un Benoît XVI, genre Hans Küng ou Xavier Léon-Dufour ? Peut-être...

Mais en réalité, c’est exactement la méthode du Fonds obligatoire du Nouveau catéchisme que notre Père dénonçait dans sa lettre au cardinal Lefebvre, en juin 1968 : « Nos Évêques, dans leur Directoire de Pastorale Catéchétique, recommandent d’  écarter le danger pour l’enfant de réduire la vie chrétienne à une observance tout extérieure des préceptes moraux ”. Le fantôme anachronique du jansénisme est évoqué ici pour nous jeter dans le désordre contraire, très réel et plus grave celui-là, du quiétisme, de l’immanentisme moderniste. » (CRC n° 9, juin 1968, p. 5)

« Quiétisme ? Oui. Ne pas se soucier de son salut éternel et croire à l’amour (celui de Dieu pour nous, et de nous pour lui) est bien une marque de cette hérésie. » (Autodafé, p. 341)

Et de fait, bien que le mot n’y soit pas (et pour cause !) nous sommes en plein quiétisme avec cette encyclique où il n’y a pas de péché originel, pas de rédemption, pas de jugement éternel, pas d’enfer ni de ciel, mais le seul amour pur du Cœur de Jésus. Le Pape agite l’épouvantail du jansénisme dans le seul but de nous conduire plus sûrement dans son rêve.

Comme s’il fallait le prouver, le Pape ajoute aussitôt : « C’est pourquoi je tourne mon regard vers le Cœur du Christ et je vous invite à renouveler votre dévotion. J’espère qu’elle pourra aussi toucher la sensibilité contemporaine et nous aider à faire face à ces dualismes anciens et nouveaux auxquels elle offre une réponse adéquate. » ( n° 87) Mais si c’est pour tomber dans le quiétisme, guidé par le Pape... où est le profit ?

Le Pape poursuit ses mises en garde :

« 88. Je voudrais ajouter que le Cœur du Christ nous libère en même temps d’un autre dualisme : celui des communautés et des pasteurs qui se concentrent uniquement sur les activités extérieures, les réformes structurelles dépourvues d’Évangile, les organisations obsessionnelles, les projets mondains, les réflexions sécularisées, les propositions qui se présentent comme des prescriptions que l’on veut parfois imposer à tous. »

Attention ici : si cet avertissement vise l’activisme qui prend le pas sur la piété, la contemplation, fort bien ! Mais si c’est l’idée qu’on peut se passer de structures, d’institutions, de l’Église, alors c’est tout différent. Et c’est plutôt ce que semble insinuer ici le Pape en fustigeant « un christianisme qui oublie la tendresse de la foi, la joie du dévouement au service, la ferveur de la mission de personne à personne, la fascination pour la beauté du Christ, la gratitude passionnée pour l’amitié qu’Il offre et pour le sens ultime qu’Il donne à la vie. » Car le Pape ne décrit ici que des réalités individuelles et non communautaires, c’est-à-dire d’Église. C’est tout l’esprit de la “ synodalité ”, tintée d’un quiétisme anesthésiant. Tout comme au dix-septième siècle, le quiétisme du pape François ne peut supporter l’idée d’une institution prévalant sur la personne, et l’obligeant.

Au contraire, notre Père voit l’Église comme le « Corps mystique du Christ » (Pie XII), qui nous permet de Le voir, Le sentir, Le toucher pour ainsi dire par la médiation de son Église.

« La seule pensée d’appartenir à l’Église suffit à renouveler la jubilation de notre âme, car l’Église est sainte, semblable à son Époux Jésus-Christ dont elle a reçu une telle ressemblance qu’il n’y a rien au monde d’aussi beau, d’aussi sage, d’aussi majestueux que son visage et tout son être.

« En cette Épouse vit l’Esprit de son Époux, Jésus, “ cet homme que Dieu a accrédité auprès de nous par les miracles, prodiges, et signes qu’Il a opérés par lui au milieu de nous ” (Ac 2, 22), homme comme jamais n’en a paru ni n’en paraîtra sur terre, tendre, sage et fort. L’Église en tout elle-même rayonne de la vie, de la santé, de la splendeur de Jésus-Christ et l’enfant revient sans cesse en ses bras, boire aux mamelles gonflées du lait de sa doctrine et de sa charité. » (Lettre à mes amis n° 134 du 19 mars 1963)

Notre Père a précisé cette doctrine catholique à de nombreuses reprises dans ses sermons, comme celui-ci de 1980 :

« L’Église est la suite corporelle du Christ. On dit que l’Église est son corps et que nous sommes ses membres. C’est parce que l’Église a été fondée par Jésus, Jésus qui a envoyé ses Apôtres, leur a imposé les mains, leur a donné le Saint-Esprit et ainsi, de siècle en siècle, sans aucune interruption, toujours d’homme visible à homme visible, par un contact corporel (l’imposition des mains, le don des sacrements), par un contact spirituel (celui de la parole, de l’enseignement, de la discipline). Ainsi, de proche en proche, de génération en génération, jusqu’à nous, nous sommes en lien avec Jésus-Christ. Vous avez été baptisé par un prêtre ? Ce prêtre, c’est le Christ. Voyez bien cette suite d’imposition des mains par un prêtre à un autre prêtre, par un évêque à un prêtre, qui devient évêque, etc., entre le Christ et nous, il n’y a pas de discontinuité. C’est merveilleux, cela !

« Donc, l’Église est le Corps de Jésus. Cela veut dire que, de Jésus à nous, sans interruption, nous est venue par la parole répétée de bouche en bouche, de bouche à oreille, d’âme à âme, la connaissance de ce que Jésus a enseigné. De la même manière, la vie de Jésus est venue de sacrement en sacrement ; par le baptême administré, sans interruption, la vie de Jésus coule en nous. Quand nous recevons les sacrements, en raccourci, nous les recevons de la main du Christ. Et enfin, quand nous nous soumettons aux ordres de nos supérieurs, quand ces ordres sont saints, sont donnés bien légitimement dans l’Église, ce sont les ordres mêmes de Jésus-Christ. Voilà pourquoi ce n’est pas tout d’obéir à sa conscience, c’est d’obéir à l’Église parce que l’Église, c’est le Corps du Christ, c’est Jésus qui continue à commander parmi nous. C’est le bon Pasteur.

« Nous ne sommes pas seuls en face de Dieu. Il y a toujours des hommes orgueilleux, des esprits curieux, des esprits faux, qui ne veulent aucun intermédiaire entre Dieu et eux. Alors, ils rejettent le Pape, les Évêques, les Sacrements. Ils ne veulent pas qu’on les instruise du catéchisme. Ils veulent être seuls avec Dieu. Ils ne viennent jamais à la Messe, mais ils viennent dans les églises, paraît-il, quand il n’y a personne ! Quelle vue fausse ! L’homme seul en face de Dieu... Mais ils ne le voient pas, ils ne l’entendent pas ! Cet homme est perdu et s’il s’imagine avoir trouvé Dieu, il n’a trouvé que son imagination. Et il tombe dans le vertige de l’admiration de lui-même et de ses créations imaginaires.

« Alors que l’Église est notre Médiatrice, c’est elle qui nous parle du Christ, c’est elle qui nous met en relation avec le Christ et par le Christ, à Dieu, au Père. Le Christ est Dieu, mais le Père est Dieu et le Christ nous mène à Dieu le Père. Elle nous mène à lui, puis elle nous laisse avec lui. Elle est Médiatrice, mais elle ne fait pas obstacle, elle facilite la rencontre. Nous autres, comme membres de l’Église, nous sommes en elle, épouse du Christ, et nous ne pouvons pas être unis plus intimement à Jésus que lorsque nous sommes intégrés très profondément à l’Église. » (sermon du dimanche 22 juin 1980)

Malheureusement, le pape François est loin de cet amour de l’Église qui est « Jésus répandu et communiqué », comme disait Bossuet.

Il poursuit son idée : « 89. Ce sont ces maladies très actuelles, dont nous ne ressentons même pas le désir de guérir lorsque nous nous sommes laissés piéger, qui me poussent à proposer à toute l’Église un nouveau développement sur l’amour du Christ représenté dans son saint Cœur. Là nous rencontrons la totalité de l’Évangile, là se résume la vérité à laquelle nous croyons, là se trouve ce que nous adorons et cherchons dans la foi, là se trouve ce dont nous avons le plus besoin. » Sera-ce le Cœur avec la Croix ? Ou sans la croix... Le Pape semble répondre à la question en achevant sa troisième partie par un appel à cette « chère sainte Thérèse de l’Enfant Jésus » :

« 90. Devant le Cœur du Christ il est possible de revenir à la synthèse incarnée de l’Évangile et de vivre ce que je proposais il y a peu, en rappelant la chère sainte Thérèse de l’Enfant Jésus : l’attitude la plus appropriée est de placer la confiance du cœur hors de soi-même, en la miséricorde infinie d’un Dieu qui aime sans limites et qui a tout donné sur la Croix de Jésus-Christ. Elle a vécu cela intensément parce qu’elle avait découvert dans le cœur du Christ que Dieu est amour :  À moi Il a donné sa Miséricorde infinie, et c’est à travers elle que je contemple et adore les autres perfections Divines ”. »

On pourrait entendre sainte Thérèse de l’Enfant-­Jésus dire au Pape : « Pas de quiétisme ! »

Céline raconte ses souvenirs de novice :

« Bien qu’elle marchât par cette voie de confiance aveugle et totale qu’elle nomme sa petite voie ou voie d’enfance spirituelle, jamais elle ne négligea la coopération personnelle, lui donnant même une importance qui remplit toute sa vie d’actes généreux et soutenus. C’est ainsi qu’elle l’entendait et nous l’enseignait constamment au noviciat. Un jour que j’avais lu ces paroles dans l’Ecclésiastique : La miséricorde fera à chacun sa place selon le mérite de ses œuvres et selon l’intelligence de son pèlerinage. ” (Si 16, 15) – Je lui fis remarquer qu’elle aurait une belle place car elle avait dirigé sa barque avec une sublime intelligence ; mais pourquoi y avait-il selon le mérite de ses œuvres ?

« Elle m’expliqua alors avec énergie que l’abandon et la confiance en Dieu s’alimentent par le sacrifice. “ Il faut, me dit-elle, faire tout ce qui est en soi, donner sans compter, se renoncer constamment, en un mot, prouver son amour par toutes les bonnes œuvres en son pouvoir. Mais à la vérité, comme tout cela est peu de chose... il est nécessaire, quand nous aurons fait tout ce que nous croyons devoir faire, de nous avouer des serviteurs inutiles, espérant toutefois que le Bon Dieu nous donnera, par grâce, tout ce que nous désirons. C’est là ce qu’espèrent les petites âmes qui courent dans la voie d’enfance : je dis “ courent ” et non pas “ se reposent. ” » (Conseils et souvenirs, recueillis par sœur Geneviève de la Sainte Face)

Mais le Pape continue sur sa lancée : C’est pourquoi la prière la plus populaire, adressée comme une flèche au Cœur du Christ, dit simplement :  J’ai confiance en toi  (sœur Faustine, 22 février 1931). Aucune autre parole n’est nécessaire. »

Et voilà le quiétisme du Pape bien appuyé ! Mais la fausse mystique de la religieuse polonaise (cf. frère Bruno de Jésus-Marie, Sœur Faustine contre sœur Lucie, in Il est ressuscité n° 162, avril 2016) n’a rien à voir avec la dévotion au Sacré-Cœur. En effet, la vision du 22 février 1931 réclame la réalisation d’une peinture de Jésus, avec cette légende « Jésus, j’ai confiance en Toi ». Or ce tableau dit du “ Christ miséricordieux ”, fruit de la désobéissance (cf. Il est ressuscité n° 162, avril 2016, p. 16 à 18), qui se trouve répandu partout maintenant dans les églises, est une image où il n’y a précisément pas le Sacré-Cœur. Et pour cause ! Car la dévotion au Sacré-Cœur est le culte de la sainteté de Justice en même temps que de la sainteté de Miséricorde, l’une ne pouvant être séparée de l’autre, selon le message du Sacré-Cœur à sainte Marguerite-Marie, à Paray-le-Monial.

Et précisément, l’expression de « flèche au Cœur du Christ » employée ici par le pape François fait irrésistiblement penser à une révélation faite à sœur Marie de Saint-Pierre, du carmel de Tours. Cette authentique sainte mystique avait entendu le 26 août 1843, une “ voix intérieure ” lui dire :

« “ Mon Nom est partout blasphémé, jusqu’aux enfants qui blasphèment. ” Alors, Il m’a fait voir combien cet affreux péché blessait douloureusement son divin Cœur plus que tous les autres. Par le blasphème, le pécheur le maudit en face, l’attaque ouvertement, anéantit sa Rédemption et prononce lui-même sa propre condamnation et son jugement. Il me fit envisager le blasphème comme une flèche empoisonnée qui blessait continuellement son divin Cœur ; alors Il me fit entendre qu’Il voulait me donner “ une flèche d’or ” pour le blesser délicieusement ou pour cicatriser les blessures de la malice que lui font les pécheurs.

« Voici la louange que Notre-Seigneur me dicta malgré ma grande indignité pour la réparation des blasphèmes de son Saint Nom et qu’Il me donna comme une flèche d’or, me disant que chaque fois que je la dirai, je blesserai son Cœur d’une blessure d’amour.

FLÈCHE D’OR

« Qu’à jamais soit loué, béni, aimé, glorifié, le très Saint, très Sacré, très suradorable, très inconnu, très inexprimable Nom de Dieu, au Ciel, sur la terre et dans les enfers, par toutes les créatures sorties des mains de Dieu et par le Sacré Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ au très Saint-Sacrement de l’autel. »

Nous sommes très très loin de la fausse mystique de sœur Faustine. « Aucune autre parole n’est nécessaire » que ce « J’ai confiance en toi » ? Au contraire et bien mieux enseignent tous les saints, et particulièrement saint Ignace dans ses Exercices : « Il faut mettre l’amour dans les œuvres plus que dans les paroles. » (Exercices spirituels, n° 230)

Et c’est dans cette perspective que notre Père développait sa doctrine mystique du “ Chemin bas de la perfection ”, en 1990 : « Dans notre symbolique aimée de la C. R. C., de notre monastère, il y avait le Cœur, et jamais nous n’aurons passé assez de temps – et c’est ce que nous avons fait pendant des années, nous continuerons parce que ce n’est pas encore parfait – à contempler, à regarder ce Cœur Sacré, à regarder le Cœur Immaculé de Marie ; ce Cœur c’est l’amour : il nous convainc que l’amour de Dieu est grand pour nous, l’amour de Jésus, de la Vierge et de saint Joseph ; et qu’il n’y a que l’amour et que, en définitive, c’est l’amour qui compte. Seulement, comme dit saint Ignace, l’amour ne se montre pas par des paroles, mais par des œuvres. Comment manifester qu’on aime ?

« Il faut vivre cet amour, mais comment ? Soudain, voici que la Croix apparaît, plantée sur ce Cœur de Jésus et de Marie, plantée dans ces deux Cœurs. Plantée dans l’un : c’est la Passion ; et secrètement plantée dans l’autre : c’est la Compassion. Ces deux Cœurs sont ainsi resserrés l’un contre l’autre. La preuve, c’est qu’ils sont entourés, dans les images de sainte Marguerite-Marie, d’une couronne d’épines unique pour eux deux, c’est leur même couronne. Si l’un est blessé par la lance et que l’on en voit l’ouverture d’où sort de l’eau et du sang, l’autre est transpercé, transfixé par une épée, un glaive de douleur, qui transperce le Cœur de Marie et le Sang coule dans le calice, il arrose la terre. Et nous mettons sur le Cœur de la Vierge Marie une hostie blanche, qui symbolise l’action de grâces, l’Eucharistie, le Saint-Sacrifice de la Messe, l’oblation. Jésus se charge de l’immolation physique, corporelle, et la Vierge Marie l’accompagne dans l’oblation spirituelle, cordiale. » (Vraie et fausse mystique, 1990 – 9e conférence : “ Le Chemin bas de la Perfection ”, II. Adolescence laborieuse : la Charité)

À Jésus la Passion, à l’Église dont la Vierge Marie est la personnification, la Compassion.

Le Pape en commençant sa troisième partie, écrivait : « Rappelons maintenant comment l’Église réfléchit sur le saint mystère du Cœur du Seigneur. » ( n° 47) À la fin de cette troisième partie, nous voyons mieux qu’il ne suffit pas de « réfléchir », mais d’aimer, et il manque cruellement ici l’expression d’une volonté d’épouser les pensées, les désirs, les œuvres du divin Cœur de Jésus, signe d’un attachement de l’épouse, l’Église, à son Époux, Notre-Seigneur Jésus-Christ, de la recherche d’un cœur à Cœur. C’est pourquoi il importerait de répondre à cette question que ne se pose malheureusement pas le pape François : Qu’est-ce que le Sacré-Cœur dit à l’Église, tout particulièrement pour aujourd’hui ?

La réponse se trouve dans les révélations de Fatima, révélations “ privées ” peut-être, mais tellement prouvées par des signes éclatants, dans le soleil même, qu’elles en sont largement rendues publiques ! et donc impératives pour l’Église en sa hiérarchie et en ses membres. Sainte Jacinthe les résumait ainsi à Lucie qui aurait à les répéter et propager, quatre-vingt-cinq ans durant, au milieu de tant de contradictions : « Toi, tu resteras ici afin de dire que Dieu veut établir dans le monde la dévotion au Cœur Immaculé de Marie. Le moment venu de le dire, ne te cache pas. Dis à tout le monde que Dieu nous accorde ses grâces par le moyen du Cœur Immaculé de Marie ; que c’est à Elle qu’il faut les demander ; que le Cœur de Jésus veut qu’on vénère avec Lui le Cœur Immaculé de Marie ; que l’on demande la paix au Cœur Immaculé de Marie, car c’est à Elle que Dieu l’a confiée. Ah ! si je pouvais mettre dans tous les cœurs le feu que j’ai là, dans ma poitrine, et qui me brûle et me fait tant aimer le Cœur de Jésus et le Cœur de Marie ! »

Voilà ce que devrait être notre dévotion au Sacré-Cœur : un immense amour du Cœur de Marie, une volonté de réparer sans cesse les offenses à ce Cœur Immaculé, un désir de pratiquer la petite dévotion réparatrice des cinq premiers samedis du mois. Ce sont les œuvres qui aujourd’hui manifestent notre dévotion au Sacré-Cœur, comme Il l’a demandé lui-même.

Le pape François annonce la suite de son encyclique : « 91. Dans les chapitres suivants, nous allons souligner deux aspects fondamentaux que la dévotion au Sacré-Cœur doit réunir aujourd’hui pour continuer à nous nourrir et à nous rapprocher de l’Évangile : l’expérience spirituelle personnelle et l’engagement communautaire et missionnaire. » Et il le fera en parcourant l’histoire sainte puis l’histoire de l’Église, en citant abondamment les saints. Vu l’ampleur qu’il a consacrée à ce développement, cela intéresse le Pape. Et c’est un point commun avec notre Père ! S’il plaît à Dieu, ayant en main l’œuvre immense de ce grand théologien, nous aussi nous profiterons de cette étude, afin de renouveler notre compréhension et notre ardeur de dévotion au Sacré-Cœur de Jésus et au Cœur Immaculée de Marie, qui ne font qu’un. (à suivre)

frère Sébastien du Cœur de Marie Immaculée.