Corrupteur, vous mettez le Christ à mort

NOVATEUR, VOUS TRAHISSEZ LE CHRIST !

EN vous faisant, Vous qui êtes le vicaire de Jésus-Christ sur la terre, le sectateur de l'Homme, au lieu d'être avec Lui, comme Lui, en Lui, l'adorateur de Dieu, le révélateur du Père, le donateur de l'Esprit-Saint et le distributeur de sa grâce, enfin le serviteur de Dieu rappelant les hommes à la crainte de leur Souverain Juge et au désir, à l'amour, au service de sa plus grande Gloire en vue de la Vie éternelle, vous trahissez le Christ. Quelle nouveauté dans l'Église que cette foi en l'homme ! ce culte de l'homme ! ce service de l'homme ! ce combat, cette lutte pour l'homme ! En lieu et place de la foi en Dieu, du culte de Dieu, du service de Dieu, du combat jusqu'au témoignage suprême, jusqu'au martyre pour Dieu !

Dès le 16 octobre 1978, surprenaient vos étranges propos : « Je me présente à vous pour confesser notre foi commune, notre espérance et notre confiance dans la Mère du Christ et de l'Église, et aussi pour commencer à marcher à nouveau sur cette route de l'histoire et de l'Église, avec l'aide de Dieu et l'aide des hommes. » Quel est donc ce parallèle entre le monde séculier, hélas ! aujourd'hui indifférent ou apostat, et le surnaturel chrétien, cette route de l'histoire profane et de l'Église ? Et cette aide parallèle de Dieu et... des hommes ?

Dès le 22 octobre, lors de votre intronisation, quel amour vénérant pour l'homme ! « Je m'adresse encore à tous les hommes, à chaque homme (et avec quelle vénération l'apôtre de Jésus-Christ ne devait-il pas prononcer cette parole : homme !), priez pour moi ! aidez-moi, afin que je puisse vous servir. » Quarante-six fois l'Apôtre Paul évoque “ l'homme ” dans ses épîtres. Jamais avec une ferveur si déplacée, comme volée au Christ à qui soient tout honneur, louange et gloire à jamais !

Or, ces sentiments exagérés pour l'homme, se manifesteront de plus en plus exaltés et envahissants, jusqu'à ce sommet indépassable du Discours à l'Unesco, du 2 juin 1980, dont je ne retiens qu'un bref passage, mais combien évocateur de votre foi, de votre culte !

« Il faut considérer jusqu'à ses dernières conséquences et intégralement l'homme comme une valeur particulière et autonome, comme le sujet porteur de la transcendance de la personne. Il faut affirmer l'homme pour lui-même et non pour quelque autre motif : uniquement pour lui-même. Bien plus, il faut aimer l'homme parce qu'il est homme, il faut revendiquer l'amour pour l'homme en raison de la dignité particulière qu'il possède. L'ensemble des affirmations concernant l'homme appartient à la substance du message du Christ, malgré ce que tous les esprits critiques ont pu déclarer en la matière, et tout ce qu'ont pu faire les divers courants opposés à la religion en général et au christianisme en particulier. »

On pourra transcrire ces blasphèmes évidents en prière adoratrice : « Ô Homme, ô Femme, je vous aime de tout mon cœur, de toute mon âme, de toute ma raison, parce que vous êtes grands dans votre dignité d'homme, de femme, votre valeur, votre transcendance, comme je m'aime moi-même à raison de ma propre dignité et valeur. » Ainsi prétendez-vous, sous la garantie de l'Évangile, instaurer une civilisation de l'amour, un règne de l'homme fondés sur l'Homme même, indépendamment de Dieu ? Quelle trahison !

Vous avez beau dire. Ceci exclut cela. Vous vous défendez : « Le christianisme est anthropocentrique précisément parce qu'il est théocentrique ; et en même temps, il est théocentrique du fait de son anthropocentrisme particulier. 1Allocution du 29 nov. 1978. » Mais ce sont de pénibles jeux de mots ! Autant prétendre que la Pologne a deux capitales, Varsovie, Cracovie, qui n'en feront désormais qu'une seule. Voyez-vous cela concrètement ? Non, non, le Seigneur Jésus nous l'a dit : « Nul ne peut servir deux maîtres : ou il haïra l'un et aimera l'autre, ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre 2Mt. 6,24.. »

Encore peut-on et doit-on bien aimer et servir ses frères, son prochain pour l'amour et le service de Dieu. Mais la foi en Dieu et son culte excluent toute autre foi et toute adoration d'un être quelconque qui lui pourrait être contraire, qui ne procéderait pas totalement de Lui seul comme est la bénie Vierge Immaculée et comme sont les saints de l'Église. Ainsi faut-il vous répondre, comme déjà je l'objectais à Paul VI, cette parole de Jésus au Tentateur durant la sainte Quarantaine : « Retire-toi, Satan ! Car il est écrit : C'est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, c'est à lui seul que tu rendras un culte. 3Mt. 4,10. »

Déjà, lors de la publication de votre première encyclique, Redemptor hominis, l'éditorialiste du Monde, dont on sait la neutralité, le remarquait : « Le pape, tout conservateur et Polonais qu'il soit, apparaît sensible à son époque. Dans sa ferveur, il s'essaie à tenir les deux bouts de la chaîne, sans toujours y parvenir. C'est dire que son encyclique est quelque peu ambiguë, comme le fut la première de Paul VI en 1964. Plus que de l'habileté, il s'agit d'une double allégeance qu'il voudrait totale, à Dieu et à l'homme. Pari qui est plus facile à tenir dans les traités de théologie que dans la réalité... 4L'optimisme du Pape, 7 mars 1979. »

Serait-ce une construction intellectuelle destinée à rapprocher les athées, les incroyants, les indifférents, d'une Église qui se montrerait plus accueillante à leurs problèmes, même avec quelques excès d'éloquence ? Ce serait un moindre mal, que l'insuccès total d'une telle apologétique devrait suffire à terminer. Serait-ce davantage ? Une vraie passion, une obsession de l'homme, de sa grandeur, de son amour, de sa réussite ? Alors cet humanisme encombrera de plus en plus l'espace de votre esprit, de votre cœur, de votre temps, de vos activités ! Et cela sera d'autant plus grave que vous êtes monté au plus haut degré de la hiérarchie ecclésiastique. Parce qu'alors tout doit être enfin donné à l'homme et enlevé à Dieu, tout ce qui est conservé pour Dieu paraissant refusé à son rival l'homme.

Cette diplopie, cette discorde, ce dualisme, cette bipolarité de la foi, de l'espérance, de la charité, dès qu'ils ne sont plus seulement rhétoriques, ou sophistiques, mais qu'ils se font effectifs et publics, revêtent tous les caractères de ce que les prophètes d'Israël appelaient sans ambages « l'adultère » suprême, voire une « prostitution », avec les mêmes conséquences dramatiques : En premier lieu, la destruction du foyer légitime, la dispersion, l'abandon des enfants de cette première union, et en second lieu l'impossibilité d'élever le nœud criminel de l'adultère à la hauteur d'une institution stable, honorable et sacrée.

CORRUPTEUR, VOUS METTEZ À MORT L'ÉGLISE DU CHRIST

C'est pourquoi je suis contraint par votre adultère spirituel, votre “ prostitution sacrée ”, et la trahison du Christ qu'elle constitue, à poursuivre mon accusation par cette seconde interpellation brutale : Corrupteur ! Vous mettez à mort l'Église du Christ ! À mesure que vous avez cédé à l'offre tentante du Diable, et que vous avez reçu en échange, selon le contrat, tous les royaumes de la terre — ô trompeuse royauté ! fatale ivresse ! — votre foi en l'homme, votre confiance, votre espérance, votre amour, votre service de lui, en lui, avec lui, pour lui, l'Homme ! ont envahi votre être comme un cancer et se sont changés, ne croyez-vous pas ? en foi, en confiance, en amour, en culte de Vous-même, vous faisant le centre du monde, comme vous l'étiez déjà de l'Église et le croyiez être de sa religion ? N'êtes-vous pas, Vous-même, L'HOMME le plus en vue, le plus élevé, le plus proche visiblement de la divinisation ? Rien de plus illusoire évidemment, mais rien de plus corrupteur qu'un tel égoïsme et un tel orgueil au sommet de l'Église, cette Église qui doit être le modèle et le guide des nations ! Votre pensée et votre prédication, votre exemple et votre incitation perpétuelle et intense au culte de l'homme et au culte de soi, à l'amour de l'homme vécu comme un amour de soi, à la foi en l'homme faite outrecuidance et autosatisfaction individuelle, sont devenus comme des acides attaquant, dissolvant implacablement, insidieusement, tout l'ordre divin et humain, tout le mystère “ théandrique ” d'un monde transformé par la grâce. Universellement, indéfiniment tout se délite et tombe. Si cela continue, et c'est déjà partout un champ de ruines, spirituelles, morales, matérielles, c'en sera fini de la religion, de l'Église et de la civilisation chrétienne. Au point que se réalise la douloureuse éventualité, annoncée comme à demi-mot par le Christ : « ... Mais le Fils de l'homme quand il reviendra, trouvera-t-il encore la foi sur la terre ? 5Lc 18,9. »

« Dieu ne ferait-il pas Justice à ses élus qui crient vers lui jour et nuit, lui qui est si compatissant pour eux ? Je vous le dis, il les sauvera promptement, si toutefois ils prient sans relâche ! 6Lc 18,7. » Encore faut-il qu'ils prient ! Or malheureusement ce que votre passion pour l'homme étouffe d'abord, c'est la vertu de religion.