Qui vous persuadera de votre irréalisme catastrophique ?
IL faudrait un livre. Pour recueillir, analyser et interpréter une masse de documents sous lesquels je croule. Et dût-il même avoir mille pages, vos Frossard auront toujours, du moins jusqu'à la minute de votre mort ou de votre chute, la solution de nier les faits eux-mêmes, en recourant aux innombrables ressources que leur offre la désinformation universelle, et de contester les liens de cause à effet que j'aurais établis entre votre utopisme et le malheur du monde.
J'aurais voulu pourtant expliquer pourquoi et comment, tel le Sillon avant 1914, selon la parole de saint Pie X, vous « convoyez le socialisme, l'œil fixé sur une chimère », votre chimère humaniste, nous promettant de nouveaux Auschwitz et de nouveaux Katyn, et puis un grand camp de concentration planétaire, tenu par « des démons tout droit sortis de l'enfer », comme disait Pie IX des pétroleurs et pétroleuses de la Commune de Paris en 1871.
Il faut me borner à la structure essentielle de la démonstration.
I. LE PAPE DES DROITS DE L'HOMME, LE PAPE DES DISSIDENTS
Le point de départ de votre action, c'est votre philosophie anthropocentrique et solipsiste. Vous ignorez que les deux premiers mots de la parole chrétienne sont Pater, Noster. Dieu est premier, il nous est antérieur et supérieur : il est Le Père. Nous sommes plusieurs, et frères les uns des autres, nous qui sommes ensemble les fils d'adoption de notre Père. Pour vous l'Homme est un concret-abstrait, universel et absolu. « Ce n'est pas d'abord la foi que je défends, c'est l'homme », disiez-vous déjà à Cracovie 127Homélie, mai 1978 (cf. CRC 136, p. 20).. C'est impressionnant.
Au commencement, il y a l'Homme. Et vous entrez comme Pape dans l'arène politique mondiale, non pas au Nom de Dieu, du Christ, de l'Église et non plus, bien sûr, de l'État souverain du Vatican. Mais, tant de titres si élevés vous donnant cependant une inégalable autorité morale, au nom de l'Homme. « Toute l'activité politique, nationale et internationale, vient “ de l'homme ”, s'exerce “ par l'homme ” et est “ pour l'homme ”. La raison d'être de toute politique est le service de l'homme. » C'était le thème, obsédant, de votre Discours à l'Onu du 2 octobre 1979 128DC du 21 oct.; cf. CRC 148, p. 16..
La foi en l'homme, la religion de l'homme qui se fait dieu, le culte de l'homme confluent en un service, en une propagande, en une lutte, pour les Droits de l'homme. Et de tous les horizons se sont levés depuis deux siècles une pléiade de défenseurs de l'homme opprimé parmi lesquels aujourd'hui vous vous rangez. Tous les exploités, tous ceux dont les droits humains ne sont pas reconnus, honorés, respectés, ont donc droit à votre sollicitude comme à celle de tous les pouvoirs qui généreusement travaillent comme vous, avec vous, à la libération des opprimés. Contre les oppresseurs esclavagistes qui règnent encore, encore ! ici et là dans le monde, bien plus nombreux qu'on ne pense.
Ainsi en Argentine, depuis dix ans, depuis la lutte méthodique et implacable menée victorieusement contre les Monteneros communistes, les défenseurs des Droits de l'homme ont fort à faire. Et vous leur faites régulièrement écho, en faveur des “ disparus ” et de leurs femmes, les “ folles de mai ”. Propagande bien montée, exemplaire, de la lutte pour l'homme. Vous clamez votre émotion au monde entier :
« Nous prions pour que le Seigneur réconforte ceux qui n'ont plus l'espoir de retrouver ceux qu'ils aiment. Nous partageons pleinement leur peine et nous ne perdons pas la confiance que des problèmes si douloureux soient éclaircis, pour le bien non seulement des familles intéressées, mais aussi pour le bien et la paix de ces communautés qui nous sont si chères. Nous demandons que l'on se hâte de donner, comme on l'a annoncé, des précisions sur la situation des emprisonnés et que, dans toutes les circonstances où l'on veut faire respecter la loi, on s'engage rigoureusement à respecter la personne physique et morale, même de ceux qui sont coupables ou accusés d'avoir violé cette loi. 129Angélus du 28 oct. 1979; DC, 18 nov. »
Coupable ou innocent, mais surtout coupable, l'homme est menacé et vous vous portez à son aide, à sa défense. Quel réconfort pour tous les criminels, tous les terroristes ! Quel collaborateur précieux vous êtes, et combien encourageant pour tous les agitateurs et révolutionnaires qui travaillent la plume ou la kalatchnikov à la main, pour la liberté de l'homme ! Ernesto Cardenale, que Malinski déplorait si furieusement que vous n'ayez pas rencontré ! Sam Nujoma, le chef de la Swapo, la terrible organisation soviétique depuis dix ans en guérilla contre l'Afrique Australe pour la libération de la Namibie, mais lui vous l'avez rencontré, comme je l'ai dit plus haut. Et Yasser Arafat, qui se dévoue à son malheureux peuple palestinien chassé de son sol par décision internationale et vivant dispersé depuis quarante ans. Lui aussi, vous l'avez reçu et cela a fait choc dans le monde ! Et tant d'autres...
Vous êtes le défenseur prestigieux de l'homme votre frère. Cette vocation fait de vous un témoin dans toutes les organisations internationales, que vous reconnaissez elles-mêmes comme des autorités mondiales légitimes, souveraines, efficaces, à mettre au-dessus des États et peut-être même des Églises, en tout cas des religions humaines : Onu, Unesco, BIT, États signataires de la charte d'Helsinki, etc. Vous diriez volontiers : Tout ce qui est international est nôtre.
« Il faut noter que le Saint-Siège — en conformité avec son identité et à différents niveaux — s'est toujours efforcé d'être un fidèle collaborateur des Nations Unies dans toutes les initiatives destinées à promouvoir cette noble mais difficile action. Le Saint-Siège a toujours apprécié, loué et soutenu les efforts des Nations Unies tendant à garantir d'une façon toujours plus efficace la pleine et juste protection des droits fondamentaux et des libertés des personnes humaines. 130Message aux Nations unies pour le 30e anniversaire de la déclaration des droits de l'Homme; DC, 7 janv. 1979. »
Ainsi tous les grands organismes internationaux, les plus hautes autorités spirituelles et morales sont aujourd'hui heureusement mobilisés pour la défense de l'homme contre... Contre qui ? Contre les dictatures de droite, contre les régimes non démocratiques, antiparlementaires, et nécessairement anticommunistes. Que vous dites, de ce fait, antichrétiens, même si leur Constitution les déclare ouvertement, officiellement catholiques, hélas !
L'Église, dans la lutte des droits de l'homme, condamne les « régimes de Sécurité nationale », régimes d'ailleurs corrompus, ploutocratiques, insupportables, c'est le portrait robot qu'en fournit à l'opinion mondiale la désinformation du KGB. Le Chah d'Iran, le dictateur anticommuniste Somoza au Nicaragua, le général Romero au Salvador, le président Marcos au Philippines, et bien sûr le général Pinochet qui se maintient, l'animal ! au Chili malgré l'archevêque de Santiago, le cardinal Silva Henriquez, que vous y maintiendrez jusqu'à ce qu'il tienne sa revanche. Nombre des dictateurs que vous dénonciez sont tombés. Patience, ils tomberont aussi, ceux qui défient votre Pouvoir spirituel ! ceux qui défient l'Homme !
Voici comment vous les mettez au ban des nations : « Il n'y a pas non plus de vraie liberté quand la sécurité interne est érigée en norme unique et suprême des relations entre l'autorité et les citoyens, comme si elle était le seul ou le principal moyen de maintenir la paix. On ne peut pas ignorer, dans ce contexte, le problème de la répression systématique ou sélective — accompagnée d'assassinats et de tortures, de disparitions et d'exils — dont sont victimes tant de personnes, y compris des évêques, des prêtres, des religieux, des religieuses et des laïcs chrétiens engagés dans le service du prochain. » C'était votre message pour la journée de la paix, du 1er janvier 1983 131DC, 4 janv.. Le service du prochain, il faut vous entendre ! c'est la révolution.
Au président Marcos, qui est dans le colimateur de tous les défenseurs de la personne humaine à travers le monde, et ça fait beaucoup de très importantes personnalités et puissantes, comme aussi de très dangereuses maffias de terroristes ! Parce qu'il est anticommuniste, mais aussi, le saviez-vous ? anticapitaliste ! vous énoncez les sévères et implacables principes de votre nouvelle morale politique :
« Même dans les situations exceptionnelles qui peuvent se produire, on ne peut jamais justifier une violation de la dignité fondamentale de la personne humaine ou des droits fondamentaux qui sauvegardent cette dignité. Tout conflit qui apparaît entre les exigences de la sécurité et des droits fondamentaux des citoyens doit être résolu selon le principe fondamental — toujours préconisé par l'Église — que l'organisation n'existe que pour le service de l'homme et pour la protection de sa dignité, et qu'elle ne peut prétendre servir le bien commun lorsque les droits de l'homme ne sont pas sauvegardés. 132DC no 1804 p. 258, 15 mars 81, Message du 17 février au président et à la nation des Philippines. »
Prends garde, Marcos ! Prenez garde, Imelda, c'est la valise ou le cercueil ! Et sans absolution. Parlons sérieusement. Vos principes rendent tout gouvernement impossible. Pourquoi ne les rappelez-vous qu'aux États antidémocratiques, et jamais en face, aux démocraties ploutocratiques, laïques, maçonniques. Ni aux démocraties populaires communistes ? Ni d'ailleurs à votre propre pouvoir, puisque vous ne me rendez pas la justice à laquelle j'ai droit, pas plus d'ailleurs que déjà votre Prédécesseur. Sans parler de bien d'autres “ épurés ” de votre Église conciliaire. Cette lutte pour les droits de l'homme serait-elle le paravent d'une autre guerre ?
Ce qui devrait vous frapper, si vous êtes sincère en ce combat, c'est quelque chose qu'ont en commun tous les très malheureux exploités ou opprimés dont vous prenez généreusement la défense. Quelque chose qui en fait deux. Ces opprimés sont soutenus par tout le réseau des organismes spirituels de défense de la personne humaine, tous d'accord, et qui rendent leurs noms, soudain, connus de la terre entière. Et, autre ou même chose, très curieuse ! ils sont aussi, tous, subventionnés, commandés et armés par le KGB de Moscou. Vous avez pour aides dans la défense de ces pauvres “ paysans ” du Salvador et Arméniens de Turquie, six cent mille officiers du GRU et du KGB ! Félicitations ! Au point que le petit Vatican sans le sou paraît devenu une succursale idéologique de Moscou !
Que faut-il en conclure ? Que Moscou est avec Rome une grande puissance de libération des peuples opprimés et de défense des droits de l'homme partout où ils sont violés ? Personne d'autre que vous et votre Frossard ne le croira. Alors, Rome serait devenue, par idéalisme, rêverie dangereuse, chimères, la meilleure courroie de transmission du KGB, le meilleur compagnon de route de l'Empire soviétique ? Je vous laisse la réponse.
Première réflexion. L'Église des siècles, aussi experte en humanité que Paul VI et Vous-même vous le prétendez, avait toujours obéi à son Seigneur et maître en préférant, dans toutes les injustices de ce pauvre monde, appeler les malheureux à la soumission, à la résignation, et faire sans doute la leçon aux puissants, mais sans jamais discuter leur pouvoir, sans jamais remettre en cause, elle, sous prétexte de défense de l'Homme ou d'avènement d'une ère de Justice, toute autorité de droit ou de fait qui assure le bien commun. Et toujours condamner formellement l'anarchie.
Oui, soutenir l'autorité, dénoncer les dissidents ! Ce bien-là ne fait pas de bruit certes, mais il sauve la paix et l'ordre dans le moment et il réserve toutes les possibilités de progrès à venir. Vous faites beaucoup de bruit, ô “ Pape des dissidents ”. Il n'est pas sûr que vous ne fassiez pas beaucoup de mal.
Autre réflexion. Si vous intervenez dans la politique “ toujours en témoin du Christ et de l'Évangile ”, l'Évangile même des droits de l'homme et de la liberté, je m'étonne cependant que vous vous occupiez préférentiellement d'ébranler les États qui vous sont les plus favorables, les régimes qui sont les plus proches de la conception catholique. Au contraire, vous épargnez les pouvoirs protestants, orthodoxes, musulmans, juifs, francs-maçons et communistes. Je ne voudrais pas que ce soit l'illustration de notre vieux proverbe : Oignez vilain, il vous poindra ; poignez vilain, il vous oindra.
Autre réflexion encore. Pourquoi ne défendez-vous que des causes assurées d'aboutir, jamais les causes désespérées ! Telles que celle de Rudolf Hess, “ le plus vieux prisonnier du monde ”, pour lequel une association de juristes éminents vous a demandé d'intervenir, sans succès, sans réponse de votre part. On peut choisir entre deux solutions. Ou bien, vous êtes un démagogue soucieux de votre prestige et qui ne tient pas à le risquer dans des affaires qui ne passionnent pas l'opinion publique... Mais alors, tout cela n'est que mensonge ! Ou bien il y a les bons et les mauvais opprimés, les bons et les mauvais prisonniers... Mais alors la défense des droits de l'homme est une énorme imposture servant à un camp contre l'autre. Et vous, le Vicaire de Jésus-Christ, vous êtes du côté des puissants pour écraser les humbles, les faibles, les persécutés. C'est cela. Je vous plains.
II. LE PAPE DE L'EST, DUPE VOLONTAIRE DU COMMUNISME
D'abord, vous inventez une morale politique impraticable, impossible. Il faudrait que l'État tolère l'anarchie ! Tenez, à l'O.U.A., le 6 octobre 1979, vous dites : « Si certaines idéologies et certaines formes d'interprétation de la légitime préoccupation pour la sécurité nationale avaient pour résultat de mettre l'homme avec ses droits et sa dignité sous le joug de l'État, elles cesseraient, dans la même mesure, d'être humaines (!) et il serait impossible, à moins de faire preuve d'une grande fourberie, de les considérer avec une référence chrétienne. 133Cf. CRC 148, p. 17. »
Tout État donc qui prétendra se faire obéir de “ la personne humaine ”, Monsieur Tout-le-monde avec ses droits, sa dignité, son attaché-case et son compte en banque, ses convictions démocratiques et sa lutte contre la torture, sera convaincu de violation des droits de l'homme, cessera d'être considéré comme humain, et à plus forte raison comme chrétien, pour n'être plus à vos yeux et à ceux de l'Église, que bestial sans doute, et justiciable des pistoleros.
Votre plus efficace appui contre les dictatures est le communisme mondial qui veut leur chute, avec vous, plus que vous, et qui s'y emploie avec les plus zélés de vos fils, les jésuites, et de vos filles, les Mariaknoll, et qui travaille à l'instauration de la même démocratie parlementaire, pluraliste et personnaliste que celle de vos rêves. Voyez ces braves sandinistes du Nicaragua qui ont même fait quatre de vos prêtres ministres de leur gouvernement ! Arrivé à ce point, à cette heure de vérité où la Révolution montre son vrai visage, où elle est confisquée par les brigands, élimine les libéraux, tue, viole et pille, enrégimente et se mue en pure dictature marxiste-léniniste articulée sur La Havane, Tripoli et Moscou, l'évêque de Managua, Ovando y Bravo, se réveille et tourne casaque ; au moins est-il honnête. Et vous ?
Vous préférez vous faire aveugle et sourd pour ne pas voir, ne pas entendre, les cris, le sang des victimes de vos compères de la lutte pour les Droits de l'homme. Ce n'est pas de la bêtise. Qu'est-ce ? Qui pourrait savoir ? La personne qui vous est le plus intime, est persuadée que le communisme « va dans le sens de l'histoire », c'est comme ça qu'elle parle, et donc qu'il faut s'en accommoder. Si elle pense ainsi, c'est de vous qu'elle le tient, n'ayant nulle pensée par elle-même.
Mais dans cette collaboration communiste, vous allez, vous avancez depuis trente ans, non contraint et forcé mais sûr d'aller fondamentalement dans la même direction qu'eux et, pour le reste, plus fort qu'eux, de les faire évoluer dans la bonne direction à laquelle, consciemment ou inconsciemment, ils aspirent. Donc, vous poursuivez le dialogue avec eux sur les droits de l'homme, les accords d'Helsinki, etc., écoutant leurs discours, ignorant leurs actes. Vous souhaitez seulement qu'à l'intérieur aussi de l'Empire communiste, on réclame pour les droits de l'homme et sa dignité, qu'on se mobilise pour défendre les dissidents. Vous voulez ignorer la Loubianka, les accidents de la route, les chutes du haut des fenêtres de l'Hôtel Moscou sur le pavé sous les yeux aveugles des passants ; et vous oubliez charitablement les coups de revolver d'Ali Agca. Ainsi vivez-vous dans un mensonge par omission perpétuel et bétonné, en tout ce qui touche à la différence de nature entre l'Ouest que vous détruisez, et l'Est que vous ne pouvez même pas ébranler.
Sur votre respect du pouvoir mondial communiste, pour ne pas dire votre servilité et, de ce fait, votre coopération, voulue, forcée ou spontanée, qu'importe ! les Occidentaux sont absolument trompés par votre attitude dans le drame polonais, qui est très particulier et où le communisme mondial vous laisse une copieuse marge de manœuvre et de propagande. On vous croit anticommuniste. Vous êtes Polonais et comme tel outré de toute occupation russe, d'avance soulevé contre toute invasion de Moscou. Et d'autant que, comme tout socialiste slave ou juif, vous êtes plus germanophile que panslaviste ; vous avez choisi “ l'option Jagellon ” : pas de Russes chez nous ! Reconquête des terres de l'Ouest ! Mais le communisme en Pologne et dans le monde, c'est une autre question !
Quand Walesa vous a rendu visite à Rome, le 15 janvier 1981, au temps de l'entente cordiale entre Solidarnosc et l'État polonais communiste, vous lui avez dit et chaque Occidental a cru que c'était une grosse malice, mais ce ne l'était pas :
« Je me réjouis... Tous ont souligné la particulière maturité que la société polonaise — et en particulier les ouvriers — ont manifestée... Dans le cadre des événements qui ne manquent pas dans le monde d'aujourd'hui et dans lesquels la méthode d'action est si souvent la violence et la force par l'intermédiaire de la terreur qui existe dans de nombreux pays et qui n'épargne pas la vie des innocents, cette manière d'agir dépourvue de violence et de force (souligné dans le texte) qui recherche les solutions par l'intermédiaire du dialogue réciproque et des motivations fondamentales et qui garde à l'esprit le bien commun, fait précisément honneur aux ouvriers... et également aux représentants des autorités de l'État.
« J'ai accueilli avec joie la nouvelle de l'approbation du syndicat libre Solidarité. Elle montre qu'il n'y a pas — parce qu'il ne doit pas y en avoir — de contradiction entre une telle initiative autonome sociale prise par des hommes du travail et la structure du système (sic) qui fait appel au travail humain comme à la valeur fondamentale (sic) de la vie de la société et de l'État. 134DC, 15 fév.; cf. CRC 164, Pape polonais contre général américain, p. 2. »
Vous voulez que le monde change. Surtout pas dans le sens d'un fascisme quelconque. Cela dépasse pour vous les limites de l'horreur. C'est exclu. C'est “ l'intrinsèquement pervers ” du monde auquel vous appartenez. Non pas dans le sens d'un capitalisme libéral dont vous êtes convaincu depuis toujours, tout en en profitant considérablement, en en vivant, la Pologne, le Vatican, et vous, qu'il est décadent, condamné parce qu' « il ne va pas, comme dit cette personne, dans le sens de l'histoire ». Reste ? Voyons ce qui reste :
« J'ai entendu le cri qui monte de ces terres ! » disiez-vous à l'aéroport de San José, au Costa Rica dont vous veniez de baiser la terre (rite qui me paraît malséant, d'un pape qu'on ne voit jamais baiser que la terre et les femmes). Et vous appeliez ce brave petit peuple du Costa Rica, qui ne vous avait jamais rien demandé, qui vous applaudissait gentiment, à la Révolution ! au changement radical, des idées, des programmes et des structures 135DC, 17 avril 1983, p. 385-386. :
« Oui ! ces nations sont capables d'atteindre progressivement les objectifs d'une plus grande dignité pour leurs fils— voilà bien les chimères dénoncées par saint Pie X. — « Il faudra y tendre avec une volonté toujours plus déterminée et avec la collaboration des divers secteurs de la population... — appel insensé à tous les pêcheurs en eau trouble, agitateurs et, bien entendu guébistes; comme dans toutes les “ résistances ” ! comme dans Solidarnosc infiltré par le KOR — « sans recourir à des méthodes de violence ni à des systèmes collectivistes... — Va, ma fille, au bal et ne pèche point, disait la femme ; va, ma fille, au feu et ne brûle pas, disait au brin de paille le Curé d'Ars en le jetant dans la cheminée ! Et vous : allez mes enfants, à l'omelette mais ne cassez pas les œufs, allez avec le diable mais ne tombez pas au goulag ! — « qui peuvent se révéler aussi oppressants pour la dignité de l'homme qu'un capitalisme purement économiste. » — Alors, là, autant de mots, autant de mensonges homicides. Peuvent ? Non, aucune incertitude. Se révéler ? Non, c'est archiconnu, scientifiquement établi, vérifié depuis 1917. Aussi oppressants ? Mille fois plus, incomparablement plus. Pour la dignité humaine ? Oui, et pour la vie, et pour le salut éternel. Qu'un capitalisme purement économiste ? Il n'y a jamais eu de société capitaliste purement ceci ou cela. La preuve ? On vous y supporte ! Mais convertir ne vous intéresse pas ; c'est laborieux, c'est souffrant et c'est modeste. Tandis que subvertir, en robe blanche, croix d'or et cape rouge sur fond de ciel bleu, le rêve ! —
« C'est la voie de l'homme, l'humanisme proclamé par l'Église— L'Église de Satan ! — « ... dans son enseignement social— nouvelle imposture, ou alors il faut jeter par-dessus bord avec vous Léon XIII et Pie XI et bien sûr Paul VI — « ... qui pourra faire surmonter des situations lamentables, qui attendent des réformes nécessaires. » — Mais ou donc pareille utopie a-t-elle déjà permis de surmonter, etc. ? Au Chili de Frei et Allende ? au Nicaragua ? Ou ? Nulle part mais dans le futur, bien sûr ! Parlez-nous donc de la situation économique de la Pologne de Gierek, que vous félicitiez si chaleureusement lors de votre premier voyage ! J'aime mieux vivre au Costa Rica, la petite Suisse d'Amérique centrale que dans le régime communiste de vos utopies sanglantes !
Oui, vous rêvez d'un autre communisme. Vous vous en êtes expliqué dans votre encyclique Laborem exercens du 14 septembre 1981 136DC, 4 oct.. C'est un monument que je n'ai pas commenté par écrit, que je commenterai certainement, prouvant ce que je vais vous en dire, et que voici :
Sa grille d'analyse est marxiste, et donc étrangère et hostile à la réalité des faits qu'elle ne veut pas admettre et qu'elle ne peut contenir, hostile à la vérité théologique évidemment, et philosophique même (n° 8). Ennemie de notre tradition corporative, ignorante de nos doctrines et de nos réalisations modernes de catholiques légitimistes sociaux (n° 11).
Vous laissez face à face, par dialectique hégélo-marxiste, le capitalisme libéral matérialiste et le communisme collectiviste, matérialiste également (n° 11). Également ! Vous rejetez le capitalisme comme le règne de l'objet, de la chose, le capital, l'argent. En cela, vous êtes déjà marxiste (n° 12). Mais vous faites du travaillisme, une religion du travailleur, donc du sujet, de l'Homme ! Ainsi optez-vous pour un communisme évoluant non vers le libéralisme mais vers le personnalisme (n° 14), et enfin s'ouvrant au spirituel comme jamais ne saurait le faire le capitalisme (n° 21).
Vous ignorez pour de bon, ou vous faites semblant, ou l'auteur premier de l'encyclique, Polonais depuis près de quarante ans imprégné de marxisme-léniniste et ne connnaissant rien d'autre qu'à travers ce prisme déformant. Vous ignorez, lui ou vous : a) Les conditions naturelles de la prospérité naturelle des nations, que le capitalisme connaît et respecte en partie, en partie seulement. b) Les conditions politiques premières de l'ordre et de la liberté qui sont l'indépendance du Souverain de toute puissance d'argent ou de violence, de bourgeoisie ou de masses populaires, et sa légitimité sacrale ; votre pensée évolue dans le cadre fermé du désordre démocratique. 3) Les conditions du « supplément d'âme », de la fraternité universelle, etc., que vous désirez, dont vous rêvez, mais qui exigent comme leur seule cause proportionnée, la vérité de la religion prêchée par la véritable Église, et la reconnaissance de celle-ci par l'État lui laissant une liberté parfaite pour son œuvre chrétienne.
Votre illusion touchant le marxisme est confondante. Elle admet mieux le communisme que le capitalisme, et celui-ci mieux encore et de toute manière que toute dictature, que ce soit même la monarchie absolue d'un roi ou la dictature militaire d'un catholique soumis en tout à la loi de l'Église (la vraie !).
Votre pente va donc de ceci à cela. et de cela au pire. Votre amie a raison, c'est le sens de l'histoire, la morale du chien crevé au fil de l'eau. C'est, en deux étapes, la chute de la Chrétienté au Goulag 137Goulag ou Chrétienté, CRC 124, déc. 1977..
III. LES EFFETS PERVERS, BLANCS, ROUGES ET NOIRS
D'UN PONTIFICAT QUI TOURNE AU TRAGIQUE
En France, en septembre 39, nous avons connu “ la drôle de guerre ”, théâtre aux armées, football sur les terrains militaires, joyeusetés dans les forts et fortins de la ligne Maginot. Pendant ce temps, c'était l'agonie de la Pologne. Et au printemps suivant, la nôtre, la défaite, l'exode, l'invasion. Ainsi vont nos démocraties frivoles, de la comédie à la tragédie. De même votre pontificat, après un drôle de Concile, est comme celui de Paul VI, vraiment un “ drôle de pontificat ” pour une Église dont tous les voyants d'alerte clignotent. Chaque jour une paroisse meurt, chaque mois un monastère ferme. Le moral est bas parmi les fidèles, les prêtres vieillissent tristement et savent que, n'étant remplacés par personne après leur mort, il n'est plus temps de semer, de planter, de fonder. Triste, triste. Le moral public n'est pas plus optimiste, ni à l'Est bien sûr, ni à l'Ouest ni dans le Tiers Monde. Le capitalisme ne séduit plus personne et le socialisme déçoit cruellement ceux qui y tombent. Le monde s'assombrit.
Les hommes politiques sont plus allègres, députés, ministres et, en tous pays, gens de la Nomenklatura. Quant aux chefs d'État, ils débordent de contentement d'eux-mêmes, et du monde comme il va. Sauf le sinistre Andropov. C'est un signe... Et aussi les dictateurs de Sécurité nationale, qui s'inquiètent de tant de menaces concentrées sur leurs peuples. Les évêques aussi nous paraissent heureux, leur mine joviale les dit satisfaits ; ils sont d'ailleurs d'autant plus nombreux qu'il y a moins de prêtres, moins de pratiquants et moins d'argent dans les caisses de l'Église. Et le Pape est encore plus joyeux, content de lui-même et de l'Église, content de tout le monde et du Monde même, comme il va.
Tout irait pour le mieux si l'application courageuse du Concile, la pastorale résolument missionnaire, le renouveau liturgique et surtout l'ouverture au monde, le service des hommes, tout cela si “ positif ”, si “ prometteur ”, n'était contrarié par certains “ effets pervers ”, comme disent les nouveaux économistes, qu'on ne maîtrise ni ne contrôle ni même ne détecte parfaitement. On pense généralement qu'il faudrait aller de l'avant, plus vite, pour semer ces fâcheux accompagnateurs. Vous imposez à tous, cependant, votre allure qui se veut allante, audacieuse mais non point précipitée.
Tout cela me paraît l'habillement en beau d'une tournure des choses qu'on voudrait ne pas s'avouer à soi-même ni aux autres, chaque jour davantage, tragique. Ce sont les effets, non point pervers mais attendus, conséquents, Très Saint Père, de votre “ anthropocentrisme laïc ”, de la philosophie de l'homme et de la pratique méthodique qui en découle, de détérioration de la religion, de l'Église et de notre société encore civilisée et chrétienne, déjà singulièrement mise à mal par les réformateurs et révolutionnaires précédents. Ces effets, je les dirai pour les classer commodément, blancs, rouges et noirs.
ÉROS
Je dis blanc : À la pensée que ces premiers effets ont toujours accompagné le succès politique du parti des Blancs en Pologne. Aristocrates et bourgeois libéraux, francs-maçons pour la plupart, férus d'idées germaniques et juives, ont régulièrement provoqué un regain soudain du culte du dieu Éros, par suite, une chute vertigineuse de la moralité.
L'appel au bonheur, à la réussite de la vie, à la réalisation et à l'épanouissement de soi, de chacun et de tous, en liberté, se paie toujours par un boum de sensualité, aujourd'hui un surboum ! dont les conséquences immémoriales sont la dénatalité, l'avortement, les divorces, les aberrations sexuelles, la licence des plages et des spectacles, la mixité, la baisse de la pratique religieuse, les chutes sacerdotales, les abandons des religieux ; de là viennent une fièvre de revendications salariales, l'agitation sociale, la désertion des campagnes, la ruée vers la ville, la criminalité croissante, la drogue, la paresse des travailleurs, la veulerie des élites, le rejet des traditions, c'est Sodome et Gomorrhe à la veille de leur destruction, Babylone au moment de sa chute.
« La liberté, disiez-vous à Philadelphie, le 3 octobre 1979, est le principe suprême de l'ordre politique et social, dans les rapports entre le gouvernement et le peuple, dans les rapports entre les personnes. 138Cf. CRC 148, p. 21. »
On aurait cru plutôt que le principe suprême de la vie en société était quelque chose comme l'obéissance à Dieu, ou la charité fraternelle qui en découle ! Mais la liberté ! Et si quelque part ailleurs vous nous appreniez le principe suprême de la vie avec Dieu, ou de la vie morale. Mais non ! Rien n'existe en dehors de la vie sociale, et celle-ci est gouvernée par la liberté ! Que vient donc y ajouter le Christ ? La joie !
À Turin, avez-vous raconté au retour d'un voyage, vous avez fait cette expérience que vous vous hâtiez de communiquer urbi et orbi, lors de l'Angélus du 21 avril 1980, comme “ le fruit de ce pèlerinage pascal et de cette visite ” :
« C'est une nouvelle expérience de la foi dans le Christ qui redonne constamment à l'homme la joie d'être homme. Oui, le Christ donne à l'homme cette joie. Et cela est le plus grand don. C'est le fondement de tout ce que les hommes désirent et qu'ils peuvent réaliser à travers n'importe lequel de leurs programmes ou idéologies. — Très Saint Père, c'est l'Esprit de blasphème et de frénésie qui vous fait parler ainsi ! Suis-je moi-même égaré ? Chaque fois qu'il m'arrive de relire, et ici de recopier ces paroles sur l'Osservatore romano, édition française du 22 avril, je me dis : mais ce n'est pas possible ! ce n'est pas possible ! Et le monde a entendu, a lu cela ? et tous ont accepté cela sans étonnement ni murmure ! —
« Oui, ceci est à la base de toute chose. L'homme doit être réconcilié avec son humanité. On ne peut pas le priver de cela sur n'importe quelle route. On ne peut pas le priver de l'acceptation de sa propre humanité. On ne peut pas le priver de la joie simple, fondamentale, du fait d'être homme. Le Christ donne à l'homme cette paix. Il lui donne cette joie. Celle-ci est proprement la joie pascale... »
Voilà donc l'humanité lestée de ces deux principes, l'un, politico-social, de liberté, l'autre de foi chrétienne, la joie d'être homme. Le Curé d'Ars dirait dans son honnête langage qu'avec de tels principes le genre humain s'en viendra à adorer les bêtes !
D'autant plus que vous ne cessez depuis votre avènement de titiller savamment, subtilement, la chair « dans sa masculinité et sa féminité », dans la complémentarité, l'attirance réciproque, l'union de l'une à l'autre, et là c'est l'Esprit de luxure qui vous instruit et vous pousse à lancer ces paroles les plus audacieuses comme un dard qui va se ficher dans les cœurs et verse son venin, tandis que votre discours se poursuit en vains appels à la dignité, à la grandeur, à l'exaltation de soi-même.
« Jeunes de France, écrivîtes-vous dans le Message que vous leur adressâtes après la folle soirée du Parc des Princes, l'union des corps a toujours été le langage le plus fort que deux êtres puissent se dire l'un à l'autre. 139Note, Centurion, p. 182. »
C'est impie, c'est antichrist, c'est antimarial, antireligieux. L'Être Saint des Trois divines Personnes connait-il l'union des corps ? La Vierge Marie l'a-t-elle connue, celle dont vous parlez très précisément ? Saint Joseph l'a-t-il regrettée ? Et tous les saints. Ah ! que vous êtes odieux, haïssable dans vos enseignements corrupteurs ! Et comment voulez-vous qu'ensuite ces jeunes que vous enthousiasmez pour votre Personne et que vous excitez à l'imagination des plaisirs de la chair, trouvent vos éloges de la dignité et de la maîtrise de soi, pour l'orgueilleuse contemplation de leur propre beauté et grandeur, un frein à leurs passions charnelles !
Mais vous pouvez continuer en ce sens et débaucher la terre entière, saoulée de vos caresses, et vous de ses applaudissements, chaque dénonciation de votre « obsession érotique 140CRC 174, fév. 82, L'obsession érotique. » m'a valu, mais contre moi ! l'indignation de tous...
POLÉMOS
Rouge. Oui, comme le parti des Rouges polonais, frères des carbonari. Vous excitez les enfants, les petits, les prolétaires, les métis, les primitifs, les étudiants, les femmes. De proche en proche, tout ce qui peut prétendre à avoir plus et être plus. Tous, à votre appel, vibrionnent, s'agitent, s'excitent, prêts à se dresser pour une lutte, ils ne savent pas laquelle, LA révolution ! dont vous leur êtes le prophète, l'athlète légendaire. Plus l'athlète de cette insurrection que “ l'athlète de Dieu ”. Écoutez-vous rêver en parlant, mais sachez les flots de sang et de larmes qui jalonnent vos itinéraires touristiques dans les cinq continents !
« Plein d'espoir, je prie pour que tout le peuple philippin et ses dirigeants ne cessent jamais de respecter un engagement en faveur d'un développement qui soit pleinement humain et qui triomphe de situations et de structures d'inégalité (ah !), d'injustice et de pauvreté (oh !), au nom du caractère sacré de l'humanité. Je prie pour que tous travaillent ensemble avec générosité et courage, sans haine, sans lutte de classe et sans combat fratricide, en résistant à toutes les tentations des idéologies matérialistes ou violentes. Les ressources morales des Philippines sont assez fortes pour résister aux pressions qui s'exercent du dehors pour forcer cette nation à adopter des modèles qui sont étrangers à sa culture et à sa sensibilité.
« De récentes initiatives qui sont dignes de louange (il s'agit de la levée de l'état de siège exigée par le Pape) augurent bien de l'avenir, car elles témoignent de la capacité du peuple d'assumer sa part légitime de responsabilité pour construire une société qui aspire à la paix et à la justice, et protège tous les droits de l'homme. 141DC, 15 mars, p. 258. »
Vous allez partout, comme un Lamennais, perdu dans ses chimères de liberté, d'égalité et de fraternité, ne voyant pas la terre qu'il traverse, les foules qui l'écoutent. En Afrique, corrompue, décadente, désorganisée, qui ne s'est pas relevée de la brutale et funeste décolonisation programmée à New York et à Moscou, vous chantez son bonheur d'être libre, vous y attisez les guerres raciales qui n'arrêtent pas...
« Il y a quelques jours, avant de partir pour cette visite pastorale, j'ai exprimé ma joie de pouvoir visiter les peuples d'Afrique dans leurs propres pays, dans leurs propres États souverains, où ils sont “ les vrais patrons de leur propre terre et les timoniers de leur propre destin ”. En Afrique, la plupart des nations ont connu dans le passé l'administration coloniale. Sans nier les diverses réalisations de cette administration, le monde se réjouit du fait que cette période arrive aujourd'hui à sa fin. Les peuples d'Afrique, à quelques douloureuses exceptions près, sont en train d'assumer une pleine responsabilité politique pour leur propre destin — et je salue ici particulièrement l'indépendance récente du Zimbabwe. 142DC, 1er juin 1980. »
Vous vous adressiez au “ corps diplomatique ” de tous ces nouveaux États africains, vous, le Pape, insultant la race blanche colonisatrice. J'ai juré de tout dire : Vous m'écœurez ! Insulteur de nos marins et de nos missionnaires, de nos soldats et de nos colons, de nos médecins, de nos planteurs grâce auxquels l'Afrique avait un avenir. Vous crachez sur les tombes de nos aînés et de nos frères torturés, violées, empalés, mangés, parce que des émissaires de Moscou, de New York... et de Rome étaient venus soulever les nègres contre leurs bienfaiteurs. J'arrête, je deviendrai méchant et sarcastique. Comme je l'écrivais à Paul VI tendant les mains vers les Gardes rouges de la Révolution culturelle chinoise : Il y a désormais entre nous un fleuve de sang qui nous sépare, le sang de nos martyrs répandu par ces chiens, par ces démons à votre appel !
Derrière vous, après vous, les révoltes se multiplient et chaque fois le destin hésite, incertain, entre le massacre, la répression brutale des rebelles par quelque roitelet ou dictateur païen, ex-chrétien, musulman, et la prise en main du pays par les Soviétiques et leurs mercenaires cubains ou, plus dangereux, Est-Allemands. Mais de plus en plus, l'aire de vos voyages se réduit, à mesure que s'étend l'Empire soviétique mondial. Vous n'aurez bientôt plus que Rome où prêcher la révolte contre l'étranger venu du Nord !
THANATOS
Noir comme la mort. La clef de voûte de votre optimisme, de votre humanisme, c'est le pacifisme. Comme celle de votre “ foi ” est la négation de l'enfer. Ni péril de damnation dans l'au-delà, ni péril de guerre en deçà. À nous le bien-être, la facilité, la joie ! J'espère qu'il n'y a rien de plus qu'une immense frivolité dans votre pacifisme, votre neutralisme, votre antimilitarisme d'intellectuel de gauche. Au-delà, il y aurait crime. Le crime de haute trahison.
Vous appelez à désarmer. Vous préférez la méthode Coué chère à votre prédécesseur, Paul VI. À force de bêler la paix, les lions se changeront en moutons :
« Mais pour relever le défi qui s'impose à toute l'humanité face à la rude tâche de la paix, il faut plus que des paroles [...]. Il faut que pénètre le véritable esprit de paix. Il faut, au minimum, que l'on consente à s'appuyer sur quelques principes élémentaires mais fermes, tels que ceux-ci. Les affaires des hommes doivent être traitées avec humanité, et non par la violence. Les tensions, les contentieux et les conflits doivent être réglés par des négociations raisonnables, et non par la force. Les oppositions idéologiques doivent se confronter dans un climat de dialogue et de libre discussion [...]. Les droits humains imprescriptibles doivent être sauvegardés en toute circonstance. Il n'est pas permis de tuer pour imposer une solution. »
C'est un passage “ très remarqué ” de votre Message à une quelconque assemblée internationale consacrée au désarmement 143Message du 7 juin 1982; DC, no 1833, p. 663..
Un autre jour, vous prenez un langage très solennel, mais le discours, quoique pontifical, n'en est pas moins absurde. On laisserait passer ce flot de littérature vaine si, émanés d'un autre “ Pèlerin de la paix ”, comme on appela jadis Aristide Briand, ces discours désarmeurs ne nous préparaient pas un autre cataclysme dantesque où sombrera l'humanité ! Voici donc ce passage de je ne sais quel discours. J'ai dit : absurde, parce que je parle ici en politologue et polémologue. Parlant en prêtre, je devrai dire aussi, impie, athée.
« En vertu de ma mission universelle, je veux me faire encore une fois l'interprète du droit de l'homme à la justice et à la paix, et de la volonté de Dieu que tous les hommes soient sauvés. Et je renouvelle l'appel que je lançais à Hiroshima le 25 février dernier : Engageons-nous solennellement, ici et maintenant, à ne plus jamais permettre (et encore moins à rechercher) que la guerre soit un moyen de résoudre les conflits. Promettons à nos frères en humanité de travailler sans nous lasser au désarmement et à la condamnation de toutes les armes atomiques. Remplaçons la domination et la haine par la confiance mutuelle et la solidarité. 144Édité sans sourciller par le pieux Homme Nouveau du 15 nov. 1981. »
Vous abominez tout intégrisme, tout fanatisme, chauvinisme, racisme, nationalisme, militarisme. Vous affaiblissez tout ce qui est du parti de Dieu, du parti du bien et du parti de la civilisation qui est, en définitive, le vrai parti de “ l'homme ”. Tandis que, méprisant Votre Sainteté, s'arment toutes les forces du Mal.
Que va-t-il arriver ? La chute du monde que vous aurez perdu. On dira que vous n'y êtes pour rien. Comme Léon XIII dans la guerre de 14, comme Pie XI dans celle de 39. On dira ce qu'on voudra. Vous en serez bel et bien la cause. J'ai dans les oreilles les cris des Français sur les routes de l'Exode de juin 40 : Nous avons été trahis ! À bas les traîtres ! Mort aux traîtres ! Du temps de Carter, on pouvait imputer les désastres du Monde libre à ce marchand de cacahuètes avec lequel vous avez tant sympathisé lors de votre visite à la Maison Blanche. Mais maintenant que c'est Reagan, face à Andropov, il est sûr que vous n'êtes pas pour Reagan. Seriez-vous pour ce bon Monsieur Andropov, du KGB ?
ÇA ME PARAÎT UN RÊVE FOU
Ce n'est pas moi qui le dis, c'est votre ami et confident André Frossard. Dans une interview qu'il donna au Point. Je cite la dernière question et sa réponse. Et je fermerai le dossier après avoir pendu un écriteau sur le palais du Vatican. Lequel ? Lisez :
« Dernière question concernant le Pape. Très différente, je vous prie de m'en excuser. Pourquoi a-t-il reçu Arafat ? » — Pour lui l'Église est avec les pauvres. Et cela, à jamais. Il est sensible à la pauvreté profonde de l'homme qui n'a plus de sol. Et je crois qu'il y a davantage. Qu'il sent que dans l'univers mental arabe il y a à la fois de la générosité et une pointe de sauvagerie : que dans l'univers mental juif il y a un déchirement et une dureté. Depuis le début des temps, on ne met face à face que la sauvagerie et la dureté. Il voudrait que la générosité rencontre le déchirement.
« Ça me paraît un rêve fou. Mais serait-il un pape s'il n'exigeait pas l'impossible ? Vous voyez que je ne suis pas tellement loin de Mai 68 : “ Soyez réalistes, demandez l'impossible. ” 145Le Point, 25 octobre 1982. »
À un monde fou, il faut donc un pape fou ? C'est une opinion. Je garde la liberté de penser qu'à un monde fou il faudrait un pape sage, et prudent, un bon pape catholique.