dimanche 25 mai 2025
L’Amour n’est pas aimé
« J’ai pitié de cette foule », disait Notre-Seigneur. Il disait cela, parce qu’elle n’avait pas mangé et qu’elle le suivait depuis plusieurs jours. Mais enfin, nous savons qu’il est venu sur la terre pour apporter une autre nourriture que la nourriture du ventre. Il est venu pour nourrir l’esprit et le cœur des hommes. Au bout de tant de siècles, nous sommes toujours affrontés à ce fait dramatique, à cette grande pitié des foules qui sont sans amour, qui ne connaissent pas, qui n’ont pas compris encore, qui n’ont pas expérimenté, même les foules chrétiennes, ce qu’était l’amour de Dieu. Nous nous rangeons très humblement, chacun d’entre nous, dans cette pauvre foule qui ne sait pas, qui n’a pas compris, qui n’a pas expérimenté ce qu’est l’amour de Dieu ; j’entends l’amour de Dieu qui transforme une vie, qui embrase le cœur, qui illumine l’intelligence : le véritable amour de Dieu. Comme disait sainte Angèle de Foligno : « L’Amour n’est pas aimé, l’Amour n’est pas aimé ! »

Il n’y a rien de plus précieux, il n’y a rien qui soit davantage recherché par l’homme, que l’amour. L’amour de l’être le plus beau, le plus parfait, le plus digne d’être aimé, le plus aimable et le meilleur qui est Dieu ; et nous n’aimons pas Dieu, nous ne savons pas aimer Dieu. Nous ne connaissons pas l’amour de Dieu pour nous. C’est tragique puisque Dieu nous aime, et nous ne savons pas comment l’aimer, lui, comment exercer cet admirable échange, cette alliance entre Dieu et les hommes, entre les hommes et Dieu qui est le grand dessein de Dieu dans la création et que pourtant il avait restauré dans la Rédemption, dans la recréation du genre humain par la Croix du Christ.
Et pourtant, cet amour est une question de salut éternel : Il s’agit de savoir si nous aurons l’amour de Dieu au moment de notre mort, si nous comparaîtrons devant un Juge que nous aurons détesté, ignoré ou méprisé, ou bien devant un Père que nous aurons aimé, pour nous jeter dans ses bras.
Question de salut, mais question aussi de joie et de paix en ce monde, ici-bas. On meurt de faim quand le cœur est vide de tout amour ; nous avons besoin de l’amour de Dieu. Question de salut éternel, de joie et de paix pour le laïc, mais encore bien plus pour le religieux ! On ne peut pas vivre religieux, consacré à Dieu, si on ne l’aime pas et si on ne se sait pas aimé de lui.
C’est cela qui a inquiété saint François de Sales et c’est cela qu’il a voulu prêcher avant tout. Depuis le début de son épiscopat et jusqu’à la fin, et même avant son épiscopat, il avait compris qu’une seule chose devait être enseignée, prêchée, avant toute autre, c’était la charité ou plus exactement l’amour.
Je me demande si on aime encore dans notre époque. Est-ce que l’homme n’est pas devenu si égoïste qu’il est incapable d’aimer, même ses semblables ? Il y a tant de choses matérielles qu’on aime et qu’on adore. L’homme moderne est tellement surchargé de choses sensibles, de biens, de luxe, que tous ses appétits sont comme aussitôt accaparés par les biens sensuels. Cela se complique de toutes les propagandes qui nous ramènent toujours à l’exercice de nos sens corporels au détriment du spirituel. Comment voulez-vous que le pauvre cœur humain trouve encore à s’élever vers les choses spirituelles, et même vers les affections humaines, mais spirituelles, sans être tout de suite rabattu et conduit dans les choses matérielles ? Non seulement les biens sensuels, mais l’orgueil qui se mêle à la conquête de l’univers, à la conquête de l’argent, du pouvoir et de la puissance !
Ne sommes-nous pas victimes de notre époque, victimes trop consentantes souvent ? Il faudrait nous examiner. Où en sommes-nous ?
Et pourtant, quelle richesse que l’amour de Dieu ! Notre salut en dépend ! La paix, la joie de notre être en dépend. La beauté de la vie, la splendeur du chrétien qui doit rayonner sur son visage ne vient ni de la foi, ni de l’espérance, ni des vertus morales, ni de la pénitence, ni de l’éloquence, ni de la science, ni de rien d’autre que de la charité, je veux dire de l’amour brûlant que l’on éprouve pour son Dieu en échange de l’amour qu’il éprouve pour nous et qu’il nous manifeste !
Abbé Georges de Nantes
Sermon du 18 septembre 1977