DEUS CARITAS EST
UNE ENCYCLIQUE TRINITAIRE
Qu’est-ce que Dieu ?
Deus caritas est: dans cette Lettre encyclique adressée aux évêques, aux prêtres et aux diacres, aux personnes consacrées, et à tous les fidèles laïcs de l’Église catholique romaine, sur l’amour chrétien, le Dieu dont il s’agit est le vrai Dieu, un seul Dieu en trois Personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, unique objet de notre foi catholique et de notre adoration. Cette encyclique aurait donc pu se diviser en trois parties : l’amour de Dieu le Père se révèle d’abord dans l’Ancien Testament, puis en Jésus-Christ, notre Sauveur, enfin dans le Saint-Esprit à l’œuvre dans l’Église. Mais, puisque Benoît XVI ne voulait évoquer qu’un aspect de l’action de cet Esprit d’Amour, l’encyclique se divise en deux grandes parties.
La première est consacrée à montrer « L’unité de l’amour dans la création et dans l’histoire du salut », tant du côté de Dieu le Père qui a l’initiative de l’amour en envoyant Dieu son Fils, que du côté de l’homme, invité à lui répondre par un amour semblable répandu dans son cœur par Dieu le Saint-Esprit. Nous pourrions intituler cette première partie : « Notre vocation à l’amour total ».
La seconde partie est consacrée à « La charité pratiquée par l’Église en tant que “ communauté d’amour ” ». Nous pourrions l’intituler : « Circumincessante charité ».
Ces deux titres laissent déjà paraître, entre les lignes de l’encyclique, les thèmes dominants de l’œuvre théologique et mystique de l’abbé de Nantes.
CONVERGENCE
Une sentence du Carmel introduit le corpus des œuvres de ce dernier : « Au soir de la vie, une seule chose demeure : l’amour. Il faut tout faire par amour. » (Lettre à mes amis n° 1, octobre 1956) Notre Saint Père le Pape marque le début de son pontificat de la même maxime, en posant d’emblée la grande question : Qu’est-ce qu’aimer Dieu ? C’est l’objet de sa première partie. De la réponse apportée à cette question découle son corollaire : Comment aimer Dieu ? Objet de la seconde partie.
Pour répondre, deux grandes voies s’ouvrent. La voie classique, celle d’Aristote, reprise par les scolastiques du treizième siècle, mais déjà par saint Bernard dans son “ De diligendo Deo ”, au siècle précédent, consiste à chercher des raisons d’aimer Dieu dans ses perfections.
Pourquoi aimer Dieu ? Parce que Dieu est infiniment parfait, infiniment bon. Considérant tous les biens de la terre : le pain, le vin, l’huile et tant de fruits et de fleurs variées de la création qui nous viennent de la main de Dieu, le raisonnement est simple ; il conduit à conclure : Qu’y a-t-il de meilleur que Dieu ? Si nous aimons toutes ces choses, comment ne pas aimer celui qui nous les donne ?
Pourtant, observe l’abbé de Nantes en toute sincérité : ce raisonnement n’a jamais convaincu personne. Pour une raison bien simple : peindre Dieu à l’image de l’homme et de la nature qu’aime l’homme est inopérant. « Revêtir Dieu d’ornements et de vêtements qui, dans leur vérité d’objets humains, sont plus beaux, plus chatoyants, plus attirants que Lui, c’est trop humain pour éveiller le moindre enthousiasme. »
En résumé, « Dieu à l’image de l’homme, c’est pas génial ! » (CRC n° 320, p. 12)
D’autant plus qu’il faut, pour les appliquer à Dieu, ôter de toutes les perfections créées les limitations qui les accompagnent dans les créatures : nada, nada, nada ! enseigne saint Jean de la Croix. À ce coup, c’est trop inhumain pour ne pas effrayer, terroriser, éloigner les âmes, glacer les cœurs des croyants eux-mêmes.
Nous sommes au rouet ! Le Pape a noté cette contradiction au numéro 9 de l’encyclique.
Une autre voie, celle des franciscains du treizième siècle, héritière de saint Augustin, que l’on découvre en lisant saint François de Sales, part d’un point de vue tout différent, selon lequel c’est l’amour qui compte ; Dieu nous a créés par amour, dans l’amour et pour l’amour. Et pour nous rendre capables de l’aimer en retour, il nous a créés plusieurs. Il ne nous a pas dit : « Aimez-moi et ensuite vous aimerez votre prochain à cause de moi », non ! Il nous a créés au milieu d’êtres “ prochains ” qui nous attirent, afin que les aimant d’un amour naturel, et même instinctif, nous désirions aimer aussi Celui qui nous les a donnés. C’est la voie franciscaine suivie par le Pape : « Aimer son prochain conduit à rencontrer également Dieu, et se détourner de son prochain rend également aveugle envers Dieu. » (n° 16)
Beaucoup de nos amours et charités illustrent cette vérité. Le Saint-Père les énumère au début de sa première partie (n° 2). Puis il privilégie « l’amour entre homme et femme ».
Or, dans une série de brèves méditations destinées à des jeunes gens et jeunes filles pour leur faire désirer aimer la Sainte Vierge et les encourager à réciter beaucoup de chapelets pour leur salut et celui du monde, notre Père formulait un vœu, aujourd’hui comblé par cette encyclique. À croire que notre Saint-Père le Pape, qui fait mine de ne pas le connaître, en a eu connaissance et a voulu y répondre sans en avoir l’air !
C’était en août 1999 : « Nous voudrions prêcher, disait notre Père, décrire sans gêne, avec tous les moyens des arts et de la poésie, sous la bienveillante tutelle de l’Église romaine, ce que Dieu a créé de plus beau dans le monde et qui est l’amour, l’amour entre personnes créées par Dieu, et amour entre les Personnes divines et les personnes créées par Dieu à sa ressemblance.
« On pourrait très bien le faire sous la tutelle de l’Église romaine, comme tant d’autres siècles, et même sous la tutelle bienveillante d’une Inquisition fort sereine en ces domaines.
« La débauche qui caractérise le monde moderne et dans laquelle les peuples catholiques se ruent sans aucune spiritualité, étouffe dans l’âme, précisément, tout retour à cette spiritualité libératrice. Puisqu’on baigne dans cette débauche et qu’on s’y rue autour de nous, et peut-être nous-mêmes ? cette débauche est une condamnation générale de “ l’amour ”, plus ou moins soupçonné de porter au péché. Ceux qui ont l’obsession de cette immoralité, de ces plaisirs charnels débridés, énervés, ne sauraient trouver à prêcher selon la Parole de Dieu les amours mystiques que leurs ancêtres chantaient dans la liturgie de l’Office divin, avec une sainte ivresse inspirée de la sainte Écriture et des écrits des saints.
« C’est dans cette atmosphère de pestilence, déjà contrariées par la terreur panique d’en être soi-même souillé, que nos recherches et prédications ont produit quelques bons fruits savoureux, poussés sur des arbres bien greffés, mais en contrepartie d’horribles rumeurs infâmes dont je ne sortirai plus avant que l’Église romaine en décide. »
Eh bien ! Roma locuta est ! Par la plume du grand Inquisiteur Joseph Ratzinger lui-même devenu le pape Benoît XVI.
Pour pallier la faiblesse de la nature et la tare du péché originel, Dieu a fait que tout être humain est relié à d’autres êtres qui l’aiment naturellement, instinctivement, et aussi par grâce, c’est-à-dire qu’il connaît la joie de l’amour. Saint Augustin disait : « Donne-moi quelqu’un qui aime, il comprendra ce que je veux dire. » Il y a l’expérience de l’amour d’abord. Et qui ne l’a pas ? Nous savons la joie d’aimer et d’être aimé. Cette joie qui nous est donnée par des créatures évoque en nous la possibilité d’aimer et d’être aimé de personnes plus parfaites, par exemple de saints vivant parmi nous, ou déjà au Ciel : saint Joseph, la Sainte Vierge, Jésus, et leur couronne de saints martyrs et pontifes, moines et vierges. C’est ainsi que Dieu a voulu que nous l’aimions.
Et voilà que, ce matin, de bons amis m’écrivent certaines choses déplaisantes. Du coup... je ne les aime plus ! parce que je suis mauvais. Si j’étais bon, j’entrerais dans leur manière de voir, je pardonnerais peut-être tel ou tel jugement hâtif qui me blesse, je leur serais reconnaissant de tel ou tel dévouement. Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, dans son manuscrit “ C ” sur l’amour du prochain, nous a laissé le mode d’emploi... Il n’y a qu’à suivre son exemple, si nous voulons bien entendre et mettre en pratique ce que dit le Pape au numéro 18 de son encyclique :
« L’amour du prochain, défini par la Bible, par Jésus, consiste précisément dans le fait que j’aime aussi, en Dieu et avec Dieu, la personne que je n’apprécie pas ou que je ne connais même pas. »
L’amour du prochain passe par-dessus les rancœurs, les égoïsmes, les étroitesses, pour aller, des personnes exquises, des saintes âmes pour lesquelles nous avons eu des sentiments amoureux, aux plus pauvres, aux plus malades, aux plus abandonnés et déjetés, pour les aimer.
DIVERGENCE
Dans la seconde partie de l’encyclique, le Pape se montre nettement réactionnaire par rapport à ses deux prédécesseurs, affirmant de nouveau le rôle spécifique de l’Église catholique. Cependant, en conscience, nous demeurons davantage sur la réserve du fait de quelques réflexions directement inspirées de la doctrine sociale des papes Paul VI et Jean-Paul II, à l’encontre de laquelle l’abbé de Nantes a formulé d’importantes critiques. On constate surtout une méconnaissance de la politique entendue comme science et art du bien commun antérieur au bien individuel, et distinct de la somme des biens particuliers. Cette grave lacune entraîne une confusion du fait politique et du fait social, ramenés sous la toise d’une morale individuelle, sans cohérence avec la première partie de l’encyclique, foncièrement “ relationnelle ”. Le Pape ne fait aucune mention d’institutions autres que caritatives ; pourtant, les communautés familiales, professionnelles, communales, nationales, ont une influence décisive sur la pratique de la charité en société !
En haut l’État, en bas « l’homme ». Point de corps intermédiaires. Le rôle de l’Église se réduit alors à « la purification de la raison et à la formation éthique, afin que les exigences de la justice deviennent compréhensibles et politiquement réalisables » (n° 28).
C’est ce que saint Pie X qualifiait de « rêve », lorsqu’il condamnait le Sillon de vouloir « porter à son maximum la conscience et la responsabilité civiques de chacun », en vue d’établir « la démocratie économique et politique, et le règne de la justice, de l’égalité et de la fraternité » (Lettre sur le Sillon du 25 août 1910, n° 19). « Et si, objectait le saint Pontife, dans la société, il se trouve des êtres pervers, et il y en aura toujours », ne comprenant pas « les exigences de la justice », et les rendant irréalisables ? « L’autorité ne devra-t-elle pas être d’autant plus forte que l’égoïsme des méchants sera plus menaçant ? » (n° 22)
Et que dire si ces « êtres pervers » en viennent à contrôler l’État et les institutions internationales, l’économie nationale et mondiale, le système scolaire et les loisirs de nos peuples chrétiens ? Comment les institutions caritatives catholiques pourraient-elles survivre ?
Benoît XVI ne semble pas envisager cette situation qui est pourtant celle dont les œuvres catholiques sont aujourd’hui victimes presque partout dans le monde.
Nous ne trouvons donc pas dans cette seconde partie de l’encyclique les vigoureux appels capables de faire des institutions caritatives les éléments d’une Action catholique, à la fois spirituelle, politique et sociale, telle que la concevait saint Pie X pour tout restaurer dans le Christ.
Mais enfin, ce qui l’emporte est notre joie de voir l’amour de Dieu mis à l’honneur à la lumière de l’école franciscaine. Un tel enseignement conduit infailliblement à la découverte du Cœur Immaculé de Marie, chef-d’œuvre de cet Amour. Des siècles avant la révélation de Fatima, le bienheureux Jean Duns Scot en eut l’intuition puisqu’il défendit avec ardeur le privilège marial de l'Immaculée Conception, contre presque tous les théologiens de son temps. Il fallut ensuite attendre plus de cinq cents ans la proclamation du dogme, en 1854, par le bienheureux pape Pie IX.
Espérons qu’il faudra moins longtemps à notre bien-aimé Souverain Pontife pour recommander la dévotion réparatrice des cinq premiers samedis et pour consacrer la Russie au Cœur Immaculé de Marie, afin d’obéir aux demandes du Ciel qui veut le règne de ce Cœur Immaculé, pour notre salut éternel, et le salut temporel d’un monde en perdition.
Frère Bruno de Jésus
Extrait de Il est ressuscité ! n° 44, mars 2006, p. 1-4