Jean-Paul Ier et Fatima
N OTRE étude de la vie et de la doctrine de Jean-Paul Ier nous a montré qu’il fut un être d’élection, cher au Cœur Immaculé de Marie. Sa mort fut un sacrifice rédempteur, le sacrifice du bon Pasteur, s’offrant en victime pour le salut de ses brebis. Sa foi et ses convictions s’accordaient avec les grands thèmes des révélations de Fatima.
Évêque de Vittorio Veneto, puis patriarche de Venise, il manifesta, en plusieurs occasions, sa dévotion à la Vierge de Fatima.
Pour préparer le soixantième anniversaire des apparitions, il prononça, le 6 janvier 1977, en la basilique Saint-Marc, une homélie qui émut toute l’assistance. Sa narration des apparitions fut détaillée et captivante, soulignant le caractère extraordinaire, miraculeux, de l’ébranlement et de la chute du soleil, le 13 octobre 1917.
De plus, il écartait les objections opposées par de prétendus théologiens à la dévotion au Cœur Immaculé de Marie : « Certains rechignent lorsqu’on parle de consécration au Cœur Immaculé de Marie, ils ne voudraient que des dévotions robustes, soutenues par le ferme et solide pain de la Bible. S’il est certes bon de donner à la dévotion mariale consistance et authenticité, cela ne signifie pas qu’il faille être plus catholique que les Papes.
« Que chacun loue la Madone de son mieux, mais qu’il ne tire pas pour autant les autres en arrière. Que, dans les domaines où les Papes se sont engagés, il n’en appelle pas continuellement à la “ base ”, c’est-à-dire au peuple de Dieu et à son droit à la “ participation ” dans l’Église, si c’est pour se moquer de cette même “ base ” dès qu’elle montre quelque goût pour les dévotions populaires, qui ne conviennent pas à son esprit critique.
« Faire pénitence, c’est-à-dire se convertir, est simplement un commandement de Dieu. Même si la Vierge Marie ne l’avait pas recommandé, toutes les pages de la Bible l’enseignent, et la pénitence est d’autant plus nécessaire en nos temps actuels où les habitudes mondaines et la propagande font croire que toute la vie consiste à bien manger, à se vêtir élégamment, à faire carrière et à se divertir le plus possible. »
Pour célébrer avec dévotion le soixantième anniversaire des apparitions, un pèlerinage à Fatima fut organisé par les Vénitiens, et le Patriarche accepta d’y prendre part : « Oui, je viendrai volontiers, c’est un désir que je porte dans mon cœur depuis longtemps. C’est une promesse secrète que j’ai faite à la Madone. »
Peu après, le cardinal Luciani téléphona à madame Olga, marquise do Cadaval. C’était une amie, d’origine vénitienne, qui avait épousé un membre de la haute aristocratie portugaise. Il voulait la charger de prévoir et d’organiser son pèlerinage.
« Éminence, lui répondit-elle, je ne puis pas. Je ne suis pas qualifiée pour remplir cette charge. Vous devriez entrer en relation avec le patriarche de Lisbonne, ou bien vous adresser au Vatican. » Le cardinal l’arrêta : « Ah, non ! Impossible ! Je ne veux rien faire avec le Vatican. Il y a le diable au Vatican. »
Cette réponse tellement impressionnante faisait probablement allusion aux malversations financières de la maffia milanaise, toute-puissante au Vatican.
10 JUILLET 1977 : PÈLERIN DE FATIMA
Le cardinal arriva à Fatima le dimanche 10 juillet 1977 pour présider la concélébration solennelle, sur l’immense esplanade, où la statue de la Sainte Vierge fut portée en procession sur son coussin de fleurs, précédée du cortège des diacres, des prêtres et des évêques. (...)
Dans son homélie, le cardinal rappela les principaux faits dont on célébrait le soixantième anniversaire, et en appliqua les leçons à l’actualité pleine de menaces :
« (...) Frères et sœurs, des nuages noirs de tempête passent au-dessus de l’humanité. Notre cœur est troublé. La Sainte Vierge a dit cependant aux enfants de Fatima, lors de l’apparition du 13 juillet : “ À la fin, mon Cœur Immaculé triomphera. Le Saint-Père me consacrera la Russie qui se convertira, et il sera accordé au monde une période de paix. ” Que Notre-Dame de Fatima, par la grâce et la miséricorde de Dieu, et par les mérites de son Fils Jésus, nous obtienne le pardon et nous préserve des horreurs de nouvelles et terribles guerres. »
11 JUILLET 1977 : PARLOIR AVEC SŒUR LUCIE
Le lundi 11 juillet au matin, le cardinal Luciani se rendit à Coïmbre, avec les pèlerins vénitiens. Après qu’il eut concélébré la messe dans la chapelle des carmélites, « sœur Lucie fit savoir, par sa Mère prieure, qu’elle désirait ardemment lui parler ; celui-ci, à la fois surpris et heureux, répondit qu’il saluerait volontiers sœur Lucie ».
Étant donné que le patriarche de Venise comprenait le portugais, madame do Cadaval s’éclipsa « dès que la conversation devint trop intime », m’a-t-elle personnellement précisé lorsque je l’ai rencontrée en février 1993. Le cardinal resta donc seul avec Lucie pour un entretien qui se prolongea plus d’une heure et demie.
Quand il sortit du carmel, (...) comme on l’interrogeait à haute voix de tous côtés, il déclara : « Cette sœur m’appelait continuellement “ Votre Sainteté ” ; et plus je lui disais que j’étais un simple cardinal, plus elle s’adressait à moi avec un grand respect, s’inclinant devant moi et m’appelant “ Sa Sainteté ” ! »
« Je lisais sur son visage, d’une grande pâleur, sa vive émotion, raconte mademoiselle Luisa Vannini. Le cardinal m’avait promis qu’il m’accorderait un bref entretien. Je voulais lui parler de ma vie. Il s’excusa en me disant : “ Maintenant je ne peux pas, ce sera à Venise, je dois retourner à Fatima, je veux parler à la Madone. ” Il a dit vraiment : “ parler ”. “ Sœur Lucie m’a laissé un gros souci sur le cœur. Désormais, je ne pourrai plus oublier Fatima. ”
« Lorsqu’on lui demanda si la voyante lui avait parlé du Secret, il répondit que non. »
Le patriarche publia un compte rendu de son entrevue, sous le titre “ À Fatima... avec sœur Lucie ”. Mais il n’y a pas rapporté les paroles de la voyante qui l’avaient si profondément bouleversé.
Avant de revenir sur les raisons de son émotion, citons cette confidence qu’il fit par la suite à sœur Vincenza, attachée à son service au patriarcat de Venise.
Un matin, à 5 heures, en prenant sa tasse de café, le cardinal lui dit : « Après sa mort, sœur Lucie sera connue et aimée dans le monde entier, comme le fut sainte Bernadette de Lourdes. Le monde entier connaîtra les faits extraordinaires et les conversions opérées par Notre-Seigneur et par la Madone à la prière de sœur Lucie. » (...)
Edoardo Luciani a conservé dans son cœur les paroles et les gestes de son frère bien-aimé, lors de ses dernières rencontres avec lui :
« Tout est devenu clair lorsque nous avons rassemblé toutes les allusions faites par mon frère au cours de différentes conversations ; la voyante lui avait annoncé quelque chose qui concernait non seulement l’Église, mais aussi sa propre vie, le destin que Dieu lui préparait. » (...)
« AFFLIGÉ DE DOULEUR ET DE PEINE »
Jean-Paul Ier se savait voué au martyre. Le cardinal Sin, l’un de ses voisins au conclave, lui avait déclaré à l’ouverture du troisième scrutin : « Je suis sûr que ce sera vous le nouveau Pape. » Une fois élu, le 26 août 1978, Jean-Paul Ier lui dit : « Vous avez été prophète, mais mon pontificat sera bref. »
Le lendemain, il confia à son ami, le cardinal Felici : « J’ai placé sur ma table le Chemin de Croix que vous m’avez offert. Il est déjà commencé. » Comme le cardinal lui faisait remarquer qu’au-dessus de la petite Via crucis triomphait le Christ ressuscité, Jean-Paul Ier lui répondit : « Oui, mais après la mort. »
Dans son premier message aux catholiques du monde entier, le 27 août 1978, Jean-Paul Ier avoua ses angoisses et ses craintes : « Notre âme est encore accablée à la pensée du terrible ministère pour lequel nous avons été choisi. Comme Pierre, il nous semble avoir posé le pied sur l’eau périlleuse et, battu par un vent impétueux, nous avons crié avec lui : “ Seigneur, sauvez-moi ! ” (Mt 14, 30) »
Ce jour-là, le Saint-Père prit ses premières décisions au sujet des finances du Vatican. Il avait ordonné au cardinal Villot, reconduit provisoirement dans ses fonctions de secrétaire d’État, de réexaminer toutes les opérations financières du Vatican, d’en analyser chaque aspect en détail. Il était particulièrement inquiet des opérations de l’Institut pour les Œuvres religieuses, la Banque du Vatican.
Le lendemain, lorsque Mgr Martin, préfet de la Maison pontificale, se présenta à Jean-Paul Ier, celui-ci était en train de réciter pieusement son chapelet. Après son audience, Mgr Martin nota dans son journal : « Le Pape n’est pas dupe des acclamations populaires. Il rappelle celles qui accueillirent Pie IX en 1846 : “ Et puis vinrent les croix ! Pour moi les premières sont déjà venues ”. »
Jean-Paul Ier fit pareillement confidence à Mgr Pierre Canisius van Lierde, son vicaire général pour la Cité du Vatican : « Voyez-vous, Monseigneur, je souris toujours mais, croyez-moi, à l’intérieur, je souffre. »
Dans sa biographie de Jean-Paul Ier, parue en 1988, c’est-à-dire douze ans avant la divulgation du Secret, Regina Kummer écrivait avec un admirable à-propos : « Le sourire du “ Pape souriant ” n’était pas un sourire béat, contrairement à ce que l’on a pu penser, mais un sourire héroïque, illuminé par le Christ. Il lui fallait parcourir un chemin de Croix, selon le décret divin. » Depuis la publication du troisième Secret, nous savons que ce “ décret ” y était consigné.
« En souriant, il monta au Calvaire durant ces trente-trois jours ; en souriant, il but le calice de sa passion. Il se savait entre les mains du Père et l’instrument de ses desseins. Quel tremblement dut éprouver cette âme ! » (...)
L’ÉLU DE L’IMMACULÉE
Nous ignorons si, pendant les trente-trois jours de son pontificat, il prit connaissance du troisième Secret de Fatima, conservé au palais du Saint-Office, et quelles furent ses intentions à son sujet.
Sans doute, avant de le divulguer, voulait-il réveiller chez les fidèles la dévotion à Notre-Dame de Fatima. Le 11 juillet 1977, il avait parlé avec sœur Lucie de la “ route mariale ” qui devait débuter en Italie pour préparer la célébration du vingtième anniversaire de la consécration de cette nation au Cœur Immaculé de Marie.
À vrai dire, la pensée de Fatima et de sœur Lucie ne le quittait pas. Il en parla à don Germano Pattaro, théologien de Venise, qu’il avait appelé à Rome pour être son conseiller :
« Depuis ce pèlerinage, je n’ai pas oublié Fatima. Ce que sœur Lucie m’a dit m’est devenu un poids sur le cœur. Je cherchais à me convaincre que ce n’était qu’une illusion. J’ai prié pour l’oublier. J’aurais voulu confier tout cela à une personne chère, à mon frère Edoardo, mais je n’y suis pas arrivé. Cette pensée était trop importante, trop embarrassante, trop contraire à tout mon être. Ce n’était pas croyable, et pourtant la prévision de sœur Lucie s’est avérée. Je suis ici. Je suis Pape.
« Si je vis, je retournerai à Fatima pour consacrer le monde et particulièrement les peuples de la Russie à la Sainte Vierge, selon les indications qu’elle a données à sœur Lucie. »
Ainsi Jean-Paul Ier était-il décidé à accomplir la demande de Notre-Dame de Fatima, dans un acte d’obéissance et d’amour filial envers son Cœur Immaculé. Il voulait faire, humblement, ce que la Vierge avait demandé, exactement comme elle l’avait demandé, et pour la seule raison qu’elle le voulait ainsi. « Si je vis... », disait-il à don Pattaro, comme s’il était averti qu’il ne vivrait pas. (...)
« IL FUT TUÉ... »
Le vendredi 29 septembre 1978, à 4 heures 45 du matin, le Saint-Père était trouvé mort dans son cabinet de toilette. Les circonstances suspectes de son trépas éveillèrent immédiatement les plus graves soupçons. (...)
Don Luigi Guissani affirmait : « Dieu a voulu, je crois, le sacrifice de cet homme : car son trépas a été un sacrifice réel, et nous ne saurons peut-être qu’à la fin du monde à quel point il a été martyr. »
Par le Secret de Fatima, la Vierge Marie a révélé elle-même, dans sa plénitude surnaturelle, le drame qu’a vécu son élu, victime innocente tuée par ses frères. (...)
Dès l’automne 1978, l’abbé de Nantes écrivait : « Pour moi j’interprète la mort de Jean-Paul Ier comme un holocauste accepté par Dieu pour le salut de son Église et la paix du monde. (...)
« De telles morts n’ont rien qui doive épouvanter. Au contraire, elles parlent de divine miséricorde, et de ce temps de paix qu’à la prière du Cœur Immaculé de Marie notre Père du Ciel donnera au monde, par la conversion de la Russie et par la renaissance et l’expansion universelle de la foi catholique romaine, au grand labeur du Soleil. »
Extraits de Fatima, Salut du monde, p. 327-338