Jean-Paul II et Fatima
Q UAND il fut nommé évêque auxiliaire de Cracovie, en 1958, Mgr Karol Wojtyla choisit comme devise épiscopale Totus tuus, Tout à toi, comme s’il voulait se vouer à la Vierge Marie par la maxime du plus grand amour. (...) Toutefois, il manifesta peu d’intérêt pour Fatima et il déclina l’invitation de Mgr Venancio à participer aux célébrations du jubilé des apparitions en 1967.
D’autre part, à peine élu sur le Siège de Pierre le 16 octobre 1978, Jean-Paul II renoua sans tarder avec l’Ostpolitik de Paul VI. (...) Dès le 24 janvier 1979, il reçut au Vatican, en audience privée, le ministre soviétique des Affaires étrangères, Andrei Gromyko. Il choisira comme successeur du cardinal Villot à la secrétairerie d’État, Mgr Casaroli, le promoteur et l’agent, depuis 1961, de la politique d’ouverture et de complaisance du Vatican à l’égard des gouvernements communistes de l’Europe de l’Est.
Évidemment, ces relations cordiales du Pape avec les dirigeants soviétiques et son dialogue avec les chefs des communautés schismatiques ne pouvaient s’accorder avec l’acte de consécration et de réparation demandé par la Vierge Marie.
Jean-Paul II le reconnut lui-même, spontanément, en conversant avec le cardinal Wyszinski et Mgr Hnilica. C’était en 1980. Mgr Hnilica lui déclara que « la chose la plus importante qu’il aurait à faire pendant son pontificat, était la consécration de la Russie au Cœur Immaculé de Marie en union avec tous les évêques ». Le Pape répondit qu’ « une telle consécration serait considérée par les Russes comme une ingérence dans leurs affaires intérieures, que cela aurait des conséquences politiques ». Il ne pouvait donc effectuer un tel acte. Il objecta aussi que « la juridiction du Souverain Pontife n’englobait que l’Église catholique ; que le Pape n’était pas le Pape de tous les hommes ». Ce à quoi le cardinal Wyszinski répondit que « le Christ étant le Roi du monde, son vicaire avait la juridiction sur tous les hommes ». Ce qui n’ébranla pas le Pape polonais.
Ce bref dialogue suffit à montrer que les pensées de Jean-Paul II couraient à l’opposé de celles du Cœur Immaculé de Marie. Le Pape demeura donc sourd à toutes les suppliques que les dévots de Fatima lui adressèrent.
13 MAI 1981 : L’AVERTISSEMENT DIVIN
Mais le mercredi 13 mai 1981, lors de l’audience publique sur la place Saint-Pierre, le Pape fut grièvement blessé au ventre par deux coups de feu, tirés par le terroriste turc Ali Agça. « Quand j’ai été atteint par la balle de mon agresseur, confiera-t-il plus tard à un journaliste, je ne me suis pas rendu compte immédiatement que nous fêtions précisément l’anniversaire du jour où Marie était apparue aux trois enfants de Fatima, au Portugal. » Mais la coïncidence des dates était si remarquable qu’il ne put l’ignorer longtemps. C’est pourquoi, quelques jours après l’attentat, il réclama des documents sur Fatima. (...)
L’abbé de Nantes a tout de suite vu dans cet attentat un « signe » et un « avertissement » célestes, précisément une « mise en demeure » pour le Pape de prêter attention au message de Fatima : « Jusqu’à ce mystérieux coup d’arrêt du 13 mai, le pape Jean-Paul II a manifesté clairement et continuellement sa connivence avec la tendance générale de l’Église postconciliaire et montinienne à l’acceptation du fait mondial du communisme, à l’entente, au dialogue, à la coopération tous azimuts, catholiques-communistes. Il y a au moins une personne au monde qui a voulu que cela cesse. Il s’agit de cette auguste Personne à qui est confié le salut du monde et qui déjà, un 13 mai, en 1917, était venue annoncer par avance le communisme comme la grande abomination satanique de notre vingtième siècle. »
Si Jean-Paul II n’avait pas été atteint mortellement le 13 mai 1981, c’était pour qu’il puisse ouvrir son cœur à la grâce de Fatima, et modifier radicalement tant son enseignement que sa pastorale afin d’accomplir des actes décisifs pour le salut des âmes, la paix du monde et la victoire de la sainte Église sur les puissances des enfers déchaînées.
Le 18 juillet 1981, le cardinal Seper, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, lui transmit deux enveloppes : l’une contenant le texte original de la troisième partie du Secret, en langue portugaise, l’autre sa traduction en langue italienne. Mais le 11 août suivant, le substitut de la secrétairerie d’État les rendit aux Archives du Saint-Office.
Le Pape, après avoir lu le texte du troisième Secret, a donc décidé lui aussi de ne pas en parler publiquement. Cependant, remarque avec perspicacité l’abbé de Nantes, « à partir de l’attentat, Fatima est entré dans l’imaginaire de Jean-Paul II ». Quand il reprit ses audiences du mercredi, après son rétablissement, le Pape affirma publiquement qu’il devait son salut à un miracle de la Vierge de Fatima. (...)
SŒUR LUCIE ET LES ACTES D’OFFRANDE DU MONDE
Un mois à peine après l’attentat, Jean-Paul II « confia la famille humaine à la protection maternelle de la Vierge ». Cependant, c’était « un acte d’affidamento (offrande), non une consécration proprement dite ». Le Pape renouvela cet acte le 8 décembre de la même année.
Ce jour-là, après la cérémonie, Mgr Hnilica l’interrogea : « Pourquoi seulement affidamento et non pas consacrazione ?
– Il y a encore des théologiens, lui répondit le Pape, qui doutent que l’on puisse faire une consécration à quelqu’un d’autre qu’à Dieu lui-même. »
Mais que valent ces théologiens à côté des saints Jean Eudes, Louis-Marie Grignion de Montfort et Maximilien-Marie Kolbe, dont la doctrine constitue une réponse décisive à cette objection inlassablement ressassée par les adversaires de Fatima ! (...)
Pour le premier anniversaire de l’attentat, Jean-Paul II décida de se rendre à Fatima. Deux mois avant l’événement, le 21 mars 1982, sœur Lucie eut avec le nonce de Lisbonne et l’évêque de Fatima, Mgr do Amaral, un long entretien au cours duquel elle rappela les conditions exigées par le Ciel au sujet de la consécration de la Russie.
VOYAGE DE Jean-Paul II À FATIMA, LE 13 MAI 1982
Le 13 mai, à Fatima, la messagère de Notre-Dame eut le privilège d’une entrevue seule à seul avec le Souverain Pontife. Elle lui remit alors une lettre qu’elle avait écrite à son intention. (...) La voyante avertissait le Souverain Pontife que les visions du Secret représentaient, de manière allégorique, les malheurs qui frappaient le monde et l’Église puisque la hiérarchie s’obstinait à ne pas satisfaire aux demandes du Ciel. (...)
Mais, durant les vingt à vingt-cinq minutes que dura leur entretien, Jean-Paul II tenta de la convaincre qu’il n’était « ni nécessaire ni prudent de révéler le contenu du troisième Secret, vu que le monde ne le comprendrait pas ». Il éluda la question de la consécration de la Russie en disant qu’il parlerait de « toutes ces choses » aux évêques, pendant le synode de 1983...
Toute sa prédication durant son séjour à Fatima fut une interprétation des révélations de Notre-Dame à la lumière... du Père Dhanis, jésuite moderniste. Quant à la dévotion réparatrice, non seulement il ne l’approuvait pas, mais, visiblement, il la réprouvait, puisqu’en citant l’une des prières enseignées par Notre-Dame le 13 juillet 1917, le Pape dit bien : « en réparation des péchés », mais il omit : « commis contre le Cœur Immaculé de Marie ».
En outre, Jean-Paul II prêcha sa théologie personnelle de la consécration, c’est-à-dire non pas la consécration à Marie ou au Cœur Immaculé de Marie, mais l’offrande à Dieu par Marie.
Dans son homélie du 13 mai, le Pape laissa entendre faussement que ses prédécesseurs avaient déjà répondu aux demandes de « la Dame du message » : « Pie XII a voulu consacrer au Cœur Immaculé de Marie tout le genre humain et spécialement les populations de la Russie. N’a-t-il pas, par cette consécration, donné satisfaction à la résonance évangélique de l’appel de Fatima ? » Quant à lui, il prétendait vouloir seulement « accomplir une fois encore ce que mes prédécesseurs ont déjà fait : confier le monde au Cœur de la Mère ».
Après la cérémonie, Jean-Paul II insinua qu’il avait satisfait aux requêtes célestes. À la sacristie du sanctuaire, quand un évêque le félicita d’avoir consacré le monde, il répondit en souriant : « Et aussi la Russie. » De surcroît, au lendemain de son voyage au Portugal, lors de l’audience du 19 mai, en évoquant la “ consécration ” du 13 mai, il affirma : « J’ai cherché à faire tout ce qui pouvait être fait dans les circonstances concrètes pour mettre en évidence l’unité collégiale de l’évêque de Rome avec tous ses frères dans le ministère et le service épiscopal du monde. »
La conclusion s’impose, l’abbé de Nantes la tira dans son éditorial intitulé “ L’imposture suprême ”, Jean-Paul II avait fait semblant d’obéir à Notre-Dame : « Le pire est qu’il a voulu faire accroire aux bons qu’il faisait tout le nécessaire, tout l’humainement possible, tout ce qu’une prudence surnaturelle lui inspirait de faire. Tandis qu’il montrait aux méchants qu’il n’était pas dupe des légendes et affabulations et hystéries fatimistes. Et qu’il n’exigeait pas qu’on y croie, qu’il ne demandait aucun effort à personne. »
LE FERME TÉMOIGNAGE DE SŒUR LUCIE
Quelle était alors la pensée de sœur Lucie ? (...) Le 14 mai 1982, elle eut un long parloir, au carmel de Fatima, avec Mgr Hnilica, le Père Sebastian Labo, don Luigi Bianchi, et le provincial des carmes.
« Ma sœur, lui demanda don Bianchi, hier dans son acte d’offrande le Pape a-t-il vraiment consacré la Russie au Cœur Immaculé de Marie ? »
De l’index, sœur Lucie eut un geste de dénégation. Puis, des deux mains, elle dessina la forme du globe terrestre en expliquant que, pour répondre à la requête de Notre-Dame, il faudrait que chaque évêque fasse une consécration publique et solennelle. Elle fit remarquer que la Russie n’avait pas été l’objet de la consécration. Or, Dieu voulait « la consécration de la Russie et uniquement de la Russie, sans aucune adjonction » ; car « la Russie est un immense territoire, bien circonscrit, et sa conversion se remarquera, montrant ainsi ce qu’on peut obtenir par la consécration au Cœur Immaculé de Marie ». (...)
Sœur Lucie ayant de nouveau témoigné des volontés du Ciel, auprès du nonce, le 19 mars 1983, et Mgr Beltritti, patriarche de Jérusalem, les ayant rappelées aux évêques du synode de 1983, Jean-Paul II se décida à écrire, le 8 décembre 1983, aux évêques du monde entier. Il les informait de la cérémonie qui aurait lieu à Rome le 25 mars 1984 afin qu’ils puissent, ce jour-là, « renouveler » avec lui la consécration. (...)
Au carmel de Coïmbre, le jeudi 22 mars 1984, madame Eugénia Pestana, sa vieille amie, demanda à Lucie : « Alors, dimanche, c’est la consécration ? »
La voyante fit encore signe que non et déclara : « Cette consécration ne peut avoir un caractère décisif » puisque « la Russie n’apparaît pas nettement comme étant le seul objet de la consécration ». (...)
À la fin des années quatre-vingts, Jean-Paul II adopta alors le parti de travestir les promesses de Fatima. L’éclatement de l’Union soviétique et la fin des persécutions contre l’Église orthodoxe lui en donnaient le prétexte, ne pouvaient-ils pas en paraître la réalisation ?
Ce qui serait à partir de cette époque “ la vérité officielle ” sur le message de Fatima se répandit partout. Mais ce n’était qu’un mensonge, parce que la conversion de la Russie promise par Notre-Dame n’était pas encore accomplie.
Au contraire, le conflit entre le Saint-Siège et le patriarcat de Moscou n’a fait qu’empirer sous le pontificat de Jean-Paul II, à la suite de la réorganisation de l’Église catholique latine décrétée par lui en 1991, en Russie, en Biélorussie et au Kazakhstan. Aujourd’hui encore, la loi de la Fédération de Russie sur la liberté de conscience et sur les associations religieuses, entrée en vigueur le 1er août 1997, oblige chaque paroisse catholique à s’inscrire annuellement dans un registre officiel, comme s’il s’agissait d’une secte quelconque, genre témoin de Jéhovah, et cette inscription peut être annulée, arbitrairement, à tout moment.
LE CARDINAL RATZINGER PARLE DU SECRET
Alors que le Secret de Fatima était occulté par la loi du silence imposée par les Papes depuis 1960, le cardinal Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, prit la liberté de l’enfreindre en répondant, en août 1984, aux questions du journaliste Vittorio Messori.
« Avez-vous lu ce qu’on appelle le “ troisième Secret de Fatima ”, celui que sœur Lucie envoya [ ? ! ] au pape Jean, qui n’a pas voulu le révéler, et qui a ordonné de le déposer dans les archives ?
– Oui, je l’ai lu.
– Pourquoi n’est-il pas révélé ?
– Parce que, selon le jugement des Papes, cela n’ajoute rien d’autre à tout ce qu’un chrétien doit savoir de la Révélation : un appel radical à la conversion, la gravité absolue de l’histoire, les périls qui menacent la foi et la vie du chrétien, et donc du monde. Et puis l’importance des derniers temps. » (...)
Un an plus tard, le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi reparla du « message de Fatima », dans son livre Entretien sur la foi, en le mettant en relation avec « une possibilité de fin imminente de l’histoire ». Ses déclarations contenaient des réminiscences du troisième Secret : « L’Église, écoutant le message vivant du Christ donné par l’intermédiaire de Marie à notre temps, sent la menace de ruine de chacun et de tous, et répond par une pénitence et une conversion résolues. »
Toutefois, l’abbé de Nantes s’étonnait que le discours du cardinal sur Fatima tourne court brusquement : « Je crains que Vous-même, intoxiqué par les diaboliques critiques du doux Père Dhanis, consulteur au Saint-Office, vous ne vouliez pas donner foi au message de salut, puisque vous ne faites aucune mention des demandes du Ciel qui en sont l’essentiel, ces demandes auxquelles est subordonnée la grâce divine sur notre monde en détresse : conversion de la Russie ! paix ! règne universel du Cœur Immaculé de Marie et, donné par lui au monde une nouvelle fois, du Cœur Sacré de notre Divin Sauveur et Roi Jésus ! » (...)
Ainsi, comme le constatait l’abbé de Nantes, le rappel des volontés de notre Mère au Cœur Immaculé devenait « de plus en plus obsolète, jugé indécent, insolent, et pourquoi pas ? interdit par les autorités romaines ».
LE TRAVESTISSEMENT DU TÉMOIGNAGE DE LUCIE
C’est que, pour le pape Jean-Paul II, la paix du monde dépendait de la liberté religieuse, c’est-à-dire du prétendu droit naturel de l’homme à la liberté sociale en matière religieuse, et non pas de la pénitence et de la dévotion au Cœur Immaculé de Marie.
Cela n’empêcha pas quelques prêtres ou religieux, très au fait du message de Fatima, de le supplier encore, en 1986-1987, d’accomplir les demandes de Notre-Dame. Ils le faisaient avec insistance et obstination, parce qu’ils connaissaient la pensée indubitable de sœur Lucie. Mais Jean-Paul II leur répondait non sans agacement : « La consécration est faite. On la recommence tous les matins. »
Ce fut dans cette conjoncture qu’il interdit au cardinal Gagnon de se rendre à Coïmbre pour converser avec la voyante : « Ah, non ! s’était exclamé le Pape. Ce n’est pas la peine... La consécration, c’est fini. »
Et pour en finir avec les réclamations, en 1988, la secrétairerie d’État donna ordre à sœur Lucie, aux autorités de Fatima et à plusieurs ecclésiastiques de ne plus “ importuner ” le Saint-Père avec la consécration de la Russie : « Une consigne arriva de Rome, obligeant tout un chacun à dire et à penser : “ La consécration est faite. Le Pape ayant fait tout ce qu’il pouvait, le Ciel a daigné agréer son geste. ” »
Le Souverain Pontife exigeait de sœur Lucie qu’elle cesse d’affirmer que l’acte d’offrande du monde du 25 mars 1984 ne répondait pas aux demandes de Notre-Dame de Fatima. Elle fut donc contrainte de soutenir le contraire par un ordre de Jean-Paul II transmis à la voyante par l’intermédiaire du cardinal Casaroli, secrétaire d’État.
Dès 1989, ce travestissement du témoignage de la messagère du Ciel fut l’objet d’une campagne médiatique, aux États-Unis et en Europe, pour donner à penser que la perestroïka de Gorbatchev et la chute du mur de Berlin étaient les fruits de la consécration de 1984.
Afin d’alimenter cette campagne de presse, les autorités de Fatima diffusèrent plusieurs lettres dactylographiées, portant la signature de sœur Lucie, où il était affirmé que l’acte d’offrande du 25 mars 1984 avait satisfait à la requête de la Vierge de Fatima. Toutefois, ces lettres contenaient de grossières erreurs, ainsi qu’un ensemble de propositions qui falsifiaient les révélations de Notre-Dame. C’est pourquoi, dès l’hiver 1989-1990, nous avons démontré par la critique interne de ces documents, de manière demeurée irréfutée jusqu’à ce jour, leur caractère apocryphe.
Malheureusement, (...) comme les mesures prises par le Saint-Office, à la fin des années cinquante, pour maintenir sœur Lucie dans un grand isolement, furent maintenues jusqu’à sa mort, il était impossible d’obtenir d’elle toute la lumière sur le travestissement de son témoignage concernant la consécration de la Russie. (...)
26 JUIN 2000 : PUBLICATION DU TROISIÈME SECRET
Depuis dix ans, le procès de canonisation des deux voyants, Francisco et Jacinta, était ajourné à Rome pour un motif inavouable, à savoir que leur élévation sur les autels marquerait la réhabilitation officielle des confidents de l’Immaculée et annulerait, par le fait même, les raisons alléguées par Jean XXIII et par ses successeurs pour ne pas divulguer le troisième Secret.
Leur béatification le 13 mai 2000 amena effectivement le pape Jean-Paul II à publier la troisième partie du Secret, mais ce fut avec une telle mise en scène que sa signification en fut travestie et son effet pratiquement annulé.
En effet, à Fatima, ce jour-là, en présence de Jean-Paul II et de sœur Lucie, à la fin des cérémonies, le cardinal Sodano, secrétaire d’État, anticipa son dévoilement pour en donner l’interprétation officielle qui le réduisait à l’annonce de l’attentat contre Jean-Paul II : le Pape ne s’était-il pas trouvé « comme mort » lors de l’attentat du 13 mai 1981 ?
La falsification du texte du Secret ne fut manifeste que le mois suivant, le 26 juin 2000, à la publication du document authentique : les trois pastoureaux n’avaient pas vu le Pape tombé “ comme mort ”, mais bel et bien « tué » ! Cependant, l’interprétation officielle avait déjà eu le temps d’être répandue partout, provoquant le désintérêt des foules pour le Secret.
Il n’empêche que Jean-Paul II mit son entourage dans un grand embarras en voulant être identifié avec l’évêque vêtu de blanc dont les trois pastoureaux ont vu le martyre le 13 juillet 1917.
Ce 26 juin 2000, à Rome, au cours de la conférence de presse sur le Secret, plusieurs journalistes contestèrent si vivement cette interprétation que le cardinal Ratzinger fut presque contraint de la désavouer : « Nous voulons voir dans cette vision les passions des Papes de ce siècle, et pas seulement l’attentat du 13 mai 1981. »
Mgr Corrado Balducci souligna la « discordance » entre la prophétie et son interprétation officielle : « Quel rapport existe-t-il entre la description donnée par sœur Lucie : les soldats, les flèches, le Pontife qui est tué, et le Pape blessé sur la place Saint-Pierre ? »
Il fallait tenir à la seule vérité, et avoir une totale liberté de jugement, pour répondre comme le fit l’abbé de Nantes : « Aucun rapport ! En revanche, il existe une seule correspondance possible avec le seul Pape du vingtième siècle qui a été tué.Le dossier romain publié le 26 juin en apporte la preuve à sa façon par une étonnante lacune. On trouve dans son palmarès flatteur les noms de tous les papes, depuis Pie X jusqu’à Jean-Paul II, bref, tous les Papes du vingtième siècle à l’exception d’un seul : celui de Jean-Paul Ier ! Oublié ? non, c’est impossible. Alors, étouffé, comme dans la nuit des assassins ? »
Le dossier explicatif, émané de la Congrégation pour la doctrine de la foi, accompagnant le texte intégral du Secret, était imprégné des théories modernistes du Père Dhanis, bien qu’elles aient été réfutées magistralement, à maintes reprises. (...)
Le cardinal proposait une « tentative d’interprétation » du Secret pour le moins décevante : « Aucun grand mystère n’est révélé. Le voile de l’avenir n’est pas déchiré. »
Le Secret de Fatima contient pourtant, dans ses deuxième et troisième parties, plusieurs prédictions de... « l’avenir » ! Certaines sont encore en attente de leur réalisation. Par exemple, celle-ci : « À la fin, mon Cœur Immaculé triomphera. » (...)
N’importe ! Méprisant ces faits, l’interprétation officielle imposa que le troisième Secret ne concernait qu’une époque révolue. (...)
Osons dire la vérité : ces prélats romains ne faisaient qu’exprimer la pensée du Pape, et il est probable qu’ils s’étaient fait forcer la main...
En outre, Jean-Paul II n’hésita pas à faire attribuer à sœur Lucie sa propre interprétation de la vision, par le biais de comptes rendus fallacieux des rencontres de la voyante avec Mgr Bertone, secrétaire de la Congrégation pour la doctrine de la foi, les 27 avril 2000 et 17 novembre 2001. Lors de la seconde entrevue, ce prélat exerça de telles pressions sur la carmélite que celle-ci lui répondit : « Je ne suis pas ici pour me confesser. »
LA DÉVOTION RÉPARATRICE MÉCONNUE
Ignorant les châtiments annoncés, l’interprétation officielle ignora aussi le remède qui, cependant, demeure devant nous : « Elles s’éteignaient au contact de l’éclat que, de sa main droite, Notre-Dame faisait jaillir vers lui. » C’est l’Immaculée qui rayonne la grâce, la lumière et la force de Dieu. (...)
Le Père Simonin, qui ne se permettait pas la moindre critique à l’égard de S. S. le pape Jean-Paul II, observait néanmoins, en 1985 : « Outre la consécration de la Russie au Cœur Immaculé de Marie, sœur Lucie demandait, de la part de la Vierge, l’approbation par le Saint-Père de la dévotion réparatrice des cinq premiers samedis du mois. Ce qui n’a encore été réalisé, il faut bien le dire, par aucun Pape jusqu’ici. » (...)
Le Pape Jean-Paul II n’ignorait-il pas systématiquement la dévotion réparatrice au Cœur Immaculé ? Dans l’homélie de béatification de Francisco et de Jacinta, le 13 mai 2000, il évita d’en parler, allant jusqu’à censurer les paroles des voyants et de Notre-Dame elle-même. (...)
De nouveau, racontant une des apparitions de Notre-Dame à Jacinthe, le Pape ne citait qu’en partie les propos de la plus jeune des voyantes : « La très Sainte Vierge est venue nous voir et nous a dit que, très bientôt, elle viendrait prendre Francisco pour l’emmener au Ciel. Elle m’a demandé si je voulais convertir encore davantage de pécheurs. Je lui ai dit : Oui. » Il omit la suite : « Elle m’a dit que j’irais à l’hôpital et que, là, je souffrirais beaucoup ; que je souffrirais pour la conversion des pécheurs, en réparation des péchés commis contre le Cœur Immaculé de Marie, et pour l’amour de Jésus. » Et encore dans le récit du dernier entretien de François avec sa sœur, on constate que la mention du Cœur Immaculé est omise !
« ILS N’ONT PAS VOULU ÉCOUTER MA DEMANDE ! »
On peut se demander si cet aveuglement et cet endurcissement du Pape ne serait pas le « malheur » prophétisé à Rianjo : « Ils n’ont pas voulu écouter ma demande ! Comme le roi de France, ils s’en repentiront [...]. Ils le suivront dans le malheur. »
Plus on étudie les gestes et les actes de Jean-Paul II, plus on constate qu’il a fui et éludé les volontés de Notre-Dame, mais en manifestant un semblant de révérence à l’égard de sœur Lucie. Comme s’il n’existait aucune « tension » entre lui et elle !
Faut-il en fournir une preuve ? Examinons l’attitude adoptée par le Pape lors du “ jubilé des évêques ”, les 6, 7 et 8 octobre 2000. C’était la première fois, depuis le concile Vatican II, qu’on en comptait un si grand nombre réunis à Rome : ils étaient 1400 évêques et 76 cardinaux.
Le samedi 7 octobre, premier samedi du mois, au cours d’une cérémonie place Saint-Pierre, présidée par Jean-Paul II, ils récitèrent le chapelet en présence de la statue de Notre-Dame de Fatima, apportée tout exprès de la Cova da Iria.
Après les quatre premières dizaines, on chanta l’Ave Maria de Fatima. Puis le visage de sœur Lucie apparut sur les écrans géants disposés sur la place et, grâce à une liaison satellite avec Coïmbre, on l’entendit réciter la cinquième dizaine.
Dans son allocution, Jean-Paul II affirma qu’en ce « premier samedi du mois d’octobre..., notre prière se situe, d’une manière particulière, dans la lumière du “ message de Fatima ” ». Il annonça : « Demain, au terme de la concélébration eucharistique, nous accomplirons collégialement un “ acte de consécration ” au Cœur Immaculé de Marie. »
Mais le lendemain, 8 octobre, nous n’avons rien vu ni entendu, si ce n’est un acte de “ confiance ”, au cours duquel le Pape n’a même pas évoqué le Cœur Immaculé de Marie ! (...)
En décembre 2000, comme pour couronner cette série d’événements qui auraient pu être le moyen de faire connaître toute la vérité sur Fatima au monde entier, fut enfin publiée « la longue lettre » aux pèlerins que sœur Lucie avait écrite sur la recommandation de Paul VI. Cela faisait vingt-cinq ans que le précieux document avait été remis aux autorités ! (...)
Le livre fut donc enfin édité, sous le titre les Appels du message de Fatima, en date du 25 mars 1997, mais après avoir subi un profond remaniement, à Rome, sous l’autorité directe de Jean-Paul II. Ayant eu le manuscrit un instant sous les yeux, je peux assurer qu’il était daté de la main de sœur Lucie, du 25 mars 1974 et non pas du 25 mars... 1997. J’ai pu constater aussi que le plan d’ensemble avait été bouleversé. Mais plus grave, une lecture attentive de l’ouvrage, tel qu’il a été édité, accuse des omissions qui ne peuvent certainement pas être attribuées directement à sœur Lucie. (...)
Excepté le saint Rosaire, tout ce qui appartient en propre à Fatima, et qui ne se trouve pas en toutes lettres dans la Bible, est systématiquement négligé, méconnu. Les Appels du message enferment le mystère de Fatima dans les limites de la Cova da Iria, comme un simple rappel de l’Évangile, datant de 1917. (...)
Les deux requêtes adressées au Saint-Père, touchant la consécration de la Russie et l’approbation de la communion réparatrice des premiers samedis, sont totalement occultées. Il n’est jamais question des prophéties du Secret en relation avec ces demandes. (...)
Comme le dit fort justement frère Bruno, son silence sur les éléments spécifiques du message « est extraordinairement éloquent, puisqu’il accuse l’incrédulité des supérieurs, évêques et Papes auxquels il appartient de publier le Secret, de recommander la pratique des premiers samedis, de consacrer la Russie. L’obéissance héroïque de sœur Lucie accuse leur désobéissance. »
Car il est indubitable que, même s’il lui a été parfois très pénible d’accomplir sa mission, sœur Marie-Lucie du Cœur Immaculé a toujours transmis à ses supérieurs les messages qu’elle était chargée de leur communiquer. Le 15 août 1982, elle disait à l’une de ses amies, madame Eugénia Pestana : « Je suis vieille, j’ai soixante-quinze ans, je me prépare à voir Dieu face à face. J’ai donné tous mes textes à la sainte Église. Je mourrai tranquille. Mais, si l’on veut mon avis, le voici : “ La consécration de la Russie, telle que Notre-Dame l’a demandée, n’est pas faite. ” » (...)
Le 24 mars 2004, Jean-Paul II, de plus en plus éprouvé par la maladie de Parkinson, parla encore une fois, publiquement, de Fatima. Ce fut pour déplorer le peu de fruits produits par son acte d’offrande du monde :
« Vingt ans se sont écoulés depuis ce jour où, sur la place Saint-Pierre, en union spirituelle avec tous les évêques convoqués auparavant, j’ai voulu confier toute l’humanité au Cœur Immaculé de Marie, répondant à ce que Notre-Dame avait demandé à Fatima (sic). L’humanité vivait alors des moments difficiles, de grande préoccupation et d’incertitude. Vingt ans plus tard, le monde reste encore affreusement marqué par la haine, la violence, le terrorisme et la guerre. » À qui la faute ?
SŒUR LUCIE AU CIEL, Jean-Paul II CONVOQUÉ AU TRIBUNAL DE DIEU
En ce même mois de mars 2004, sœur Lucie commença à décliner rapidement. (...) Le 27 novembre, l’aumônier du carmel, le chanoine Joao Lavrador, lui administra le sacrement des malades. Elle continuait à prier et à offrir ses souffrances aux intentions qui, depuis 1917, lui tenaient tant à cœur, particulièrement pour le Saint-Père. Il en fut ainsi jusqu’à la fin. Lorsqu’on lui parla de Jean-Paul II, hospitalisé à la polyclinique Gemelli, le 5 février 2005, elle répondit encore : « J’offre le sacrifice de ma vie pour le Saint-Père. » (...)
Le 13 février, l’évêque de Coïmbre, Mgr Albino Cleto, arriva alors au carmel avec un message de Jean-Paul II pour la voyante, que la nonciature venait de lui communiquer. « Je lui ai lu le texte à son oreille », indique mère Marie-Céline. Le Pape lui envoyait sa bénédiction apostolique pour « qu’elle puisse surmonter ces moments d’épreuves, d’une façon méritoire, avec sérénité, résignation, en étant unie au Christ et illuminée par sa Pâque ».
Au cours de l’après-midi, son état s’aggrava. Elle rendit son âme à Dieu à 17 h 25. (...)
Jean-Paul II mourut le 2 avril suivant, n’ayant effectué, pendant son pontificat, que des contrefaçons des actes demandés par le Ciel. Malgré l’avertissement du 13 mai 1981, « cet avertissement de la Vierge Marie à ne pas devoir la mépriser, mais déjà à la craindre », il n’était pas entré dans son dessein de grâces et de miséricorde.
Frère Bruno écrit : « Eh bien ! samedi 2 avril 2005, “ premier samedi du mois ”, dont le Pape n’a jamais consenti à faire le moindre cas, c’est Elle-même qui l’a cité à comparaître au tribunal de Dieu... ». (...)
frère François de Marie des Anges
Extraits de Fatima, Salut du monde, p. 339-364