Commentaire de l'Évangile de saint Jean

Ultime précision : qui sont « les Juifs »?

Au sens strict, le “ Juif ” (yehûdîen hébreu, Joudaiosen grec) est un habitant du royaume de Juda (2R 16, 6 ; 25, 25 ; Jr 32, 12 et passim), séparé du royaume d'Israël depuis le schisme des tribus du Nord, après le règne de Salomon (1R 12). Saint Jean utilise ce mot en ce sens précis, restreint parfois à désigner les autorités de Jérusalem : les “ juifs ” sont alors les sadducéens, gens de pouvoir, classe politique, et les pharisiens, gens du Livre, classe de légistes, dressés contre Jésus. En Judée et à Jérusalem, théâtre des événements que nous venons d'étudier, Jésus est constamment menacé de mort par ces deux castes associées. Aussi, le peuple est-il empêché de croire, bien que “ des juifs ” croient ou voudraient croire en Lui (12, 10-11), “ même parmi les notables ” (12, 42).

Or, Jésus est “ Juif ”, la Judée est sa patrie. C'est pourquoi il a “ témoigné lui-même qu'un prophète n'est pas honoré dans sa propre patrie ” (4, 44). “ Il est venu chez les siens et les siens ne l'ont pas reçu. ” (1, 11)

En revanche, la Galilée – méprisée par “ les juifs ” – (cf. Jn 7,52) est le lieu privilégié de la manifestation de sa “ gloire ”. Il accomplit là son premier miracle, aux noces de Cana ; puis, encore à Cana, il guérit le fils de l'officier royal, qui crut en Jésus, lui et toute sa maison (4, 46-54). Surtout, c'est en Galilée qu'il nourrit cinq mille hommes avec cinq pains d'orge et deux poissons. À ce coup, ils voulaient le faire roi !

Jésus aime son peuple de Galilée, humble, pauvre et laborieux, petit peuple d'agriculteurs et de vignerons, d'artisans et de pêcheurs. Et celui-ci le lui rend bien. Jésus aime retourner en Galilée (1, 43) où il sait qu'il sera bien accueilli (4, 43-45), et y “ demeurer ” (2,12 ; 7, 9). Tandis qu'il évite la Judée, car “ les juifs cherchaient à le faire mourir ” (7, 1).

N'en déplaise aux monteurs de la chaîne Arte, qui mentent effrontément sur le nouvel “ épisode ” qu'il nous présenteront prochainement, c'est auprès de Jean-Baptiste que Jésus récolte ses premiers disciples, et quatre d'entre eux sont de Galilée. Tout commence avec le baptême de pénitence administré par le Précurseur et la prédication qui l'accompagnait, en rupture avec le Temple et “ les juifs ” de Jérusalem. En revanche, apparenté aux baptêmes par immersion pratiqués à Qumrân.

Les Galiléens, à la différence des “ juifs ” de Jérusalem, ont la piété des humbles, des pauvres (en hébreu :'anawîm) qui est aussi la vertu par excellence des esséniens : ils mettent tout leur espoir en Dieu dont ils attendent la consolation finale, et la délivrance d'Israël.

Ce n'est pas tout : avec la souveraine liberté du “ roi d'Israël ” (1, 49) qu'il est en toute vérité, Jésus lève les barrières qui divisent son royaume depuis la mort de Salomon. Alors que “ les juifs n'ont pas de relations avec les Samaritains ” (4, 9), il se fait reconnaître par la Samaritaine comme le Messie : “ Je le suis, moi qui te parle. ” (4, 26) Il consent à demeurer au milieu des Samaritains (4,40), qui le proclament “ le Sauveur du monde ” (4,42).

Se référant à une étude du Père F.-M. Braun 19F.-M. Braun, L'arrière-fond judaïque du quatrième Évangile et la Communauté de l'Alliance, Revue Biblique 62 (1955), p. 43-44. – (2) Jean Daniélou, Les manuscrits de la mer Morte et les origines du Christianisme, éd. Orante, 1974, p. 103-104., le Père Daniélou met en relation le puits de Jacob auprès duquel Jésus s'assied, fatigué (4, 6) avec le puits comme symbole de la Loi juive, selon les esséniens. En effet, la Samaritaine dit à Jésus : “ Seriez-vous plus grand que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits ? ” (4, 12) Or, le livre de la Genèse ne fait aucune mention de ce puits.

En revanche, on lit dans l'Écrit de Damas : “ Et Dieu s'est souvenu de l'Alliance des patriarches, et il a suscité d'Aaron des hommes intelligents et d'Israël des sages, et Il leur a fait entendre (Sa voix), et ils ont foré le puits : le puits que forèrent les princes, que creusèrent les nobles du peuple avec un bâton (Nb 21, 18).Le puits, c'est la Loi. Et ceux qui le forèrent, ce sont les convertis d'Israël, ceux qui sont sortis du pays de Juda et se sont exilés au pays de Damas. ” (6, 2-5) Le thème revient à plusieurs reprises dans la suite de l'Écrit.

Daniélou conclut qu'en disant : “ Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit :Donne-moi à boire, c'est toi qui l'aurais prié et il t'aurait donné de l'eau vive ” (Jn 4, 10), Jésus « oppose à la Loi ancienne la Loi nouvelle qu'il apporte 2 », le puits de Jacob étant le symbole de la Loi ancienne religieusement conservée tant chez les Samaritains que chez les esséniens. En tout cas, la Samaritaine, délaissant son “ puits ” et sa cruche, court annoncer aux Samaritains “ la source d'eau vive ” qu'elle vient de découvrir.

Il n'en reste pas moins vrai que “ le salut vient des Juifs ” (4,22). Jérusalem, où Jésus sera rejeté et crucifié, est le lieu d'où jaillira la source d'eau vive, du côté de Celui qu'ils ont transpercé.

Étude parue dans la CRC n° 343 de février 1998
et dans Bible, Archéologie, Histoire, tome 3, p. 28