L'ÉVANGILE DE PAUL
II. Dieu, notre Père
« Notre Père qui êtes aux Cieux... »
LE premier article du Credo éternel de l’Ancien et du Nouveau Testament, c'est Dieu le Père, qui est dans les Cieux. C'est par là qu'il nous faut commencer notre étude de saint Paul. Il faudra aussi nous mettre dans la continuité du reste de l'Écriture Sainte. Ainsi, pour chaque exposé, nous commencerons par fixer brièvement la problématique de trois “ évangiles ” successifs : l’Évangile de David, constitué par les psaumes, qui sont un résumé de tout l'Ancien Testament, l’Évangile de Jésus, et ce que nous appellerons “ l’Évangile de Paul ”.
Les psaumes sont absolument théocentriques. L’Ancien Testament est évidemment monothéiste, et la révélation du Buisson ardent à Moïse a donné à l’humanité la connaissance de son Nom : YAHWEH. « JE SUIS », est le Dieu vivant et vrai. (...) L’homme, bon ou méchant, est toujours très loin de Dieu. Lui, l’invisible, le transcendant, le Très-Haut, le SAINT.
Cependant, ce n’est pas le monothéisme, ni une exclusive transcendance, qui caractérisent l’Ancien testament, mais l’ALLIANCE que ce Dieu unique va contracter, non pas avec tous les hommes, mais avec Israël. (...) Par cette Alliance, Dieu se fait connaître et aimer des justes de ce peuple et il en résulte une fréquentation, une éducation du peuple, histoire d’amour souvent laborieuse que nous racontent les livres saints et qui va connaître son apogée avec le saint roi David. Dieu aimait David et David aimait Dieu. (...) Les psaumes exprimeront cette intimité sublime et charmante par les mots de “ confiance ”, d' “ espérance ”.
Les Évangiles semblent apparemment en rupture avec ce sens de Dieu. Toute leur attention est braquée sur l’homme Jésus. Plutôt que christocentriques, ils sont christiques, car même si Jésus lui-même se rapporte en tout et pour tout à Dieu, son propre Père, il n’empêche que les hommes fascinés par son mystère le regardent, Lui, et que les Évangiles nous racontent ses actions, ses paroles, nous disent sa grâce, sa beauté, sa bonté de Fils de Dieu. (...)
Jésus s’égale à Dieu : « Qui me voit, voit le Père ! », « Le Père et moi, nous sommes un ! » Pour saint Jean, ces paroles sont si inouïes qu’elles doivent suffire à nous donner la foi, sans qu’il soit nécessaire de s’appuyer sur des miracles extérieurs. (...) « Je suis » est Jésus, Jésus est « Je Suis ». Il accomplit le grand dessein de Dieu, Il le révèle, même si, dans le même temps, il semble distraire notre curiosité de Dieu.
Saint Paul, lui, prolonge le théocentrisme juif. Lui qui a un sens si vif de Dieu, de sa transcendance, de son unité, de sa sainteté, comment peut-il intégrer le Christ à Dieu ? Le mettre dans le sein même de la gloire divine ?
La réponse est formelle : parce qu’il a vu le Christ dans la gloire de Dieu. Lui aussi a eu, comme Moïse, sa révélation du Buisson ardent. Voilà un thème de réflexion que nous allons développer pendant plusieurs conférences. (...)
Saint Paul, sur le chemin de Damas, voit une lumière qui est la gloire du Père, mais dans cette gloire, il voit Jésus. (...) Théocentrisme et christocentrisme ne font donc plus qu’un pour lui. Cela bien compris constitue déjà un grand progrès. Ne parlons pas d’anthropocentrisme, comme aujourd’hui, car pour saint Paul, ce serait de l’idolâtrie, une doctrine de Satan. (...)
LE DIEU DE SAINT PAUL
LA FOI D’UN FILS D’ISRAËL
Dieu est Dieu. C’est Yahweh, le Dieu de Moïse, Celui des Patriarches, des philosophes et des savants, celui des Grecs comme des Juifs. C’est le même Dieu qui se révèle depuis mille ans et plus à Israël. C’est celui qui agit en Israël, qui parle par les prophètes, qui est célébré par les psaumes et connu par les sages. (...)
Ce Dieu est unique, vivant et vrai, à la différence des idoles. Cela encore continue l’enseignement de l’Ancien Testament. Nous trouvons cela dans la prédication des Actes des Apôtres, quand saint Paul, Barnabé et Marc, après avoir prêché aux Juifs, se tournent vers les païens, et se heurtent à l’idolâtrie : ils réagissent vigoureusement, à la manière juive. (Ac 14, 15-17 ; Ac 17) Le discours de Paul à l’aréopage d’Athènes est une démonstration de l’existence de Dieu, de ce Dieu unique et Créateur en qui nous sommes, Dieu Providence, dans lequel nous nous mouvons et nous vivons. (...)
Cet enseignement sur Dieu est bien juif d’inspiration, il dépend de l’Ancien Testament, il est tout à fait dans la ligne des prophètes, beaucoup plus que dans celle de l’Évangile. Dieu est donc l’origine de toutes choses :
« ... pour nous, entout cas, il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui tout vient et pour qui nous sommes... » (I Co 8, 4-6)
En fait, dans le grec, cela doit se traduire : « Il n’y a qu’un seul Dieu le Père de qui tout et vers qui nous ». Il n’y a pas de verbe.
Cette préposition « de qui » extrêmement rigoureuse, saint Paul la réserve exclusivement au Père. Jamais saint Paul ne dira que nous venons de Jésus-Christ ! Ce monothéisme juif est extrêmement impressionnant. Le Père est au début, c’est Lui le Principe absolu de tout. Et Il est à la fin, « eis auton », c’est vers Lui que allons, c’est en Lui que l’humanité doit s’achever. (...)
« ... et un seul Seigneur, Jésus-Christ [ce Jésus-Christ qu’il a vu au centre même, au sein même de Dieu dans sa vision] par qui tout et par qui nous. » (...)
Cela veut dire que le Père a créé, a enfanté, et que tout procède du Père ; par Jésus-Christ : l’univers, les hommes au milieu de l’univers. (...) Il est au commencement et à la fin de tout, comme la cause et la fin. Le Verbe, le Fils, le Seigneur Jésus-Christ, est le moyen de la création, c’est Lui par qui le Père nous a créés et Il est le moyen de notre aboutissement, de notre salut. C’est aussi Lui par qui nous sommes sauvés. C’est Lui, par qui nous allons tous vers (eis auton), vers le Père. (...)
Dieu est Créateur Tout-Puissant, Sage et Fort. Par la création, notre raison accède à la connaissance de Dieu, créateur Tout-Puissant de l’univers. C’est pourquoi tous les hommes peuvent et devraient connaître, aimer et servir Dieu. Saint Paul nous l'explique d’une manière inébranlable que l’Église a, pour ainsi dire, canonisée lors du concile Vatican I. Ces textes sont très connus et condamnent tout athéisme comme tout agnosticisme. (Rm 1, 20-23 ; I Co 1, 21-22)
Dieu, Créateur de tous les hommes, les aime et veut tous les sauver. Par exemple, dans ce passage très touchant :
« Paul, apôtre duChristJésus, selon l’ordre de Dieu notre Sauveur et du Christ Jésus, notre espérance. » (I Tim 1, 1)
Pour saint Paul, c’est Dieu qui est le Goël, le Rédempteur, le Sauveur. Mais au sein même de Dieu, le Christ :
« Voilà ce qui est bon et qui plaît à Dieu notre Sauveur, lui qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. Car Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même, qui s’est livré en rançon pour tous. » (I Tm 2, 3-6)
Cela caractérise vraiment la spiritualité des pastorales. Dieu est le Sauveur et, au sein même de ce Dieu, le Christ est aussi, avec Dieu le Père, Sauveur. (...)
Dans l’épître aux Hébreux saint Paul précise :
« Sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu, car celui qui s’approche de Dieu doit croire qu’il existe et qu’il se fait le rémunérateur de ceux qu’il cherche. » (He 11, 6) (...)
Ce sont vraiment les conditions minimes du salut, c’est vraiment dire que Dieu se laisse toucher, qu’Il veut vraiment sauver tous les hommes. (...)
DIEU DE MISÉRICORDE ET DE PARDON
Dans Rm 4, 17, saint Paul parle du « Dieu qui donne la vie aux morts et appelle le néant à l’existence ». Il faudra bien nous habituer à ce langage spirituel. Cela ne veut pas dire qu’Il rend la vie aux morts par la résurrection de la chair ; si ce n’était que cela ! Mais c’est bien plus : Dieu qui, par la grâce, rend la vie divine à sa créature perdue.
Tout cela était déjà connu dans l’Ancien Testament. Saint Paul en parle seulement avec une vivacité accrue par sa propre vision, sa révélation.
DIEU EST LE CHEF
Dieu est la tête, Il est le “ Chef ”, en ce sens qu’Il est avant tout et qu’Il est Principe de tout. Il est “ le premier ”, “ avant ”, c’est ce que veut dire le mot “ chef ”, qu’exprime mal le mot “ tête ”. Mais non seulement Il est avant tout, mais Il n’est Chef que parce que tout vient de Lui :
« Tout est à vous ; maisvous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu. » (...) (I Co 3, 22-23)
Dieu est le Chef de l’univers et de l’homme. Il est le Chef de tout. Ainsi le Christ est introduit au cœur de Dieu, sans que cela fasse de dualité. Telle est la nouveauté de saint Paul, qui n'affaiblit en rien le théocentrisme de l’Ancien Testament. (...)
Dans I Co 10, rappelant les événements de l’Exode, il nous montre comment Dieu est à la tête de son peuple pour le conduire. Jadis Israël, aujourd'hui, l’humanité tout entière. Il est le gouverneur du monde et Il le juge avec sévérité. (...)
L’épître aux Hébreux, rappelle avec vigueur cette justice de Dieu. Il utilise à fond le psaume 94e (...) « aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs ». Parole adressée aux prêtres de Jérusalem, convertis et tentés de revenir en arrière. Exhortation grave et insistante, magnifiquement exprimée et d’une manière touchante. (He 3, 27 à 4, 13 ; 10, 26 à 31)
Dieu, juste Juge, est toujours le Dieu de colère. On dit souvent que le Dieu du Nouveau Testament, c’est le Dieu d’Amour et que le Dieu de l’Ancien Testament, c’est le Dieu de colère. Dans saint Paul, son Dieu reste le Dieu de colère, colère contre toute impiété et toute injustice des hommes. Cela est développé surtout dans l’épître aux Romains où saint Paul dit que tout est perdu parce que les hommes sont mauvais et que la colère de Dieu est là. (Rm 1-3) (...)
Il dit aussi que Dieu juge chacun selon sa loi : loi de la conscience pour le païen, qui n’en a pas d’autre, et Loi mosaïque pour le Juif. (...) Mais l’important est de démontrer ici que tout être sauvé ne l’est pas par sa propre force, mais par grâce, pour que chacun ne tienne sa louange, non des hommes, mais de Dieu. Il y a donc, dans cette épître, une dramatisation volontaire, destinée à mettre en lumière cette impuissance de l'homme à faire son Salut.
Dieu est un Dieu moral. La nature profonde du Dieu de saint Paul est celle même que nous faisaient connaître les psaumes. On ne peut donc pas dire qu’il y ait eu évolution. C’est un Dieu moral. C’est un Dieu terrible, terrible Juge parce que Dieu a en Lui une sainteté, qui surpasse tout autre attribut. Quand on dit que l’amour ou que la miséricorde en Dieu est le premier attribut de Dieu, qu’Il est au-dessus de tout, c’est faux. Cela nous mène aux pires désordres et aux relâchements que nous connaissons aujourd’hui.
Dieu est SAINT, et il a en horreur tout ce qui est impie, souillé, criminel. Nous avons chez saint Paul, des expressions de cette vérité plus fortes encore que dans l’Ancien Testament :
« On ne se moque pas de Dieu. » (Ga 6, 7)
« Il est terrible de tomber entre les mains du Dieu vivant. » (He 10, 31) L’auteur de l’épître aux Hébreux (qui, s'il n'est saint Paul en personne, est au moins de son esprit) dit cela aux prêtres de Jérusalem, tentés d’apostasie.
Aux Thessaloniciens, Paul annonce la flamme brûlante, la vengeance de Dieu, la damnation pour ceux qui persécutent les chrétiens. (...) (2 Th 1, 6-10)
1 Co 6, 9-10 ; Ep 5, 3-6 ; Col 3, 5-9, sont les trois grands textes qui fixent bien le fondement de la morale. Il y a le bien et le mal ; les vertus et les vices. Dieu ne supportera pas dans son Royaume les vicieux, ceux qui se souillent, etc... Saint Paul énumère toute une collection de vices, dont il dit qu'il n’y a pas de salut pour ceux qui les commettent ! Au contraire, le bien, fruit du Saint-Esprit, conduit au salut. (...)
Le Dieu de saint Paul est celui de l’Ancien Testament, le Dieu saint, le Dieu juste. S’Il est miséricordieux, cette miséricorde ne fait que rendre les hommes, par grâce, conformes à sa sainteté, mais cette miséricorde ne fera jamais imputer au pécheur une sainteté qu’il n’a pas. Il n’y a eu que Luther pour soutenir que la grâce de Dieu recouvrait l’homme mauvais d’un manteau éclatant, afin que Dieu puisse prendre ses complaisances dans un homme qui restait dans son péché. Cette prétendue justice, c’est la contradiction même de l’Ancien Testament, c’est surtout la contradiction de saint Paul, au nom duquel Luther a détruit la religion !
Mais saint Paul ajoute quelque chose, qui se trouvait déjà, discrètement en attente, dans l’Ancien Testament...
LE SECRET RÉVÉLÉ À SAINT PAUL
DIEU CACHE EN SON CŒUR UN DESSEIN DE MISÉRICORDE
Déjà dans les psaumes, apparaît une sorte de secret de Dieu, secret de faiblesse. Dieu a un penchant pour les petits, les pauvres, les méprisés. Cela est incompréhensible aux orgueilleux, aux méchants, aux impies, mais cela touche le cœur des hommes de bonne volonté. Dans l’Évangile, Jésus s’est montré doux et humble, miséricordieux pour les pécheurs. Il n’est pas venu pour les condamner mais pour sauver ce qui était perdu. (...)
Qu’est-ce que saint Paul a vu de plus sur le chemin de Damas ?
Il a relaté cette révélation nouvelle dans la première aux Corinthiens (1 Co 1, 17 à 2, 16), saint Paul Va l’appeler « la Sagesse ». (...)
Le Dieu de saint Paul est bien le même que le Dieu des philosophes grecs, c’est le même que le Dieu de Moïse, Celui de l’Alliance, le Libérateur d’Israël, Créateur de son histoire privilégiée. Ce Dieu, maintenant, révèle quelque chose de nouveau sur lui-même. Une nouvelle économie qui commence. C’est le mystère de sa grâce. Le mystère de son Amour. C’est le mystère – si j’ose dire – de sa transformation à Lui pour atteindre les hommes. (...)
Dieu, voyant que les hommes, qu’ils soient juifs ou païens, ne sont pas accessibles à sa Sagesse ordinaire, va faire paraître une Sagesse extraordinaire, qui va sembler aux hommes non seulement le contraire de la Sagesse, mais une folie. Au contraire de sa Puissance ordinaire, Dieu va se montrer faible et fou aux yeux des hommes. Ce sera la manifestation de son être le plus profond, sa Sagesse mystérieuse et cachée. Cette faiblesse sera la grande force de Dieu pour conquérir et sauver les hommes, même ceux qui ne veulent pas l’être. De telle manière que la raison et l’arrogance des hommes soient confondues, mais aussi que par une Foi pleine d’humilité les hommes soient attirés, charmés, sauvés. (...)
« Le Christ ne m’a pas envoyé baptiser, mais annoncer l’Évangile… » (1 Co 1, 17)
L’Évangile dont il s’agit n’est pas l’Évangile de Luc, comme on l’a dit, sous prétexte que Luc voyageait avec saint Paul. (...) Quand saint Paul parle de “ l’Évangile ”, c’est la Bonne Nouvelle qu’il a apprise directement de Dieu et qu’il a mission d'enseigner avec autorité. Voici donc l'Évangile de Paul :
« ...et cela, sans la sagesse du langage, pour que ne soit pas réduite à néant la croix du Christ. Le langage de la croix est en effet folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui se sauvent, pour nous, il est puissance de Dieu. »
Voilà l’antinomie qui commence.
« Car il est écrit : “ Je détruirai la sagesse des sages, et l’intelligence des intelligents, je la rejetterai. ” Où est-il, le sage ? Où est-il, l’homme cultivé ? Où est-il, le raisonneur de ce siècle ? Dieu n’a-t-il pas frappé de folie la sagesse du monde ? »
Voici maintenant le mot important, au verset 21 :
« Puisque en effet le monde, par le moyen de la sagesse, n’a pas reconnu Dieu dans la sagesse de Dieu, c’est par la folie du message qu’il a plu à Dieu de sauver les croyants. [nous allons expliquer cela]Alors que les Juifs demandent des signes et que les Grecs sont en quête de sagesse ; nous proclamons, nous, un Christ crucifié, scandale pour les juifs et folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs, c’est le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes. » (...)
Abbé Georges de Nantes
Extraits de S 63 :L'Évangile de Paul
Conférence du lundi matin, 12 septembre 1983