Les sacrements
Le sacerdoce catholique
La vraie tradition chrétienne, qui est catholique romaine, nous situe spontanément à l’unisson de tous les siècles et de notre source, Jésus-Christ et au-delà même, en communion avec Moïse, avec Abraham. (...)
Sous l’universalité de l’INSTITUTION hiérarchique, sous la continuité du SACERDOCE, depuis Aaron et la tribu de Lévi jusqu’à Jésus-Christ et à ses Apôtres, puis durant les siècles chrétiens, nous constatons cependant une profonde différence. Le Sacerdoce chrétien apparaît en rupture avec les Pouvoirs et fonctions de la caste sacerdotale juive. Le Sacerdoce chrétien, d’une certaine manière, c’est le Christ, seul Médiateur entre Dieu et les hommes, Unique et Souverain Prêtre de la Nouvelle et Éternelle Alliance. C’est aussi, uni à lui, son Corps Mystique, tout le peuple fidèle hiérarchiquement constitué, convoqué et rassemblé pour la louange et l’imploration. Comment est-ce donc encore un ordre à part, d’une essence toute nouvelle, constitué selon des rites propres et diversifié dans une hiérarchie aux degrés nombreux, voilà ce que nous devons étudier, voilà ce qui doit nous conduire aux profondeurs mêmes du Mystère du Christ et de l’Église, Sacrement-source de notre salut. (...)
LES ORDRES SACRÉS
Le Christ s’est choisi douze apôtres, « les douze », qui constituèrent le groupe permanent de ses hommes de confiance, devenus ses amis et non plus ses serviteurs (Jn 15, 15), pour être après lui les témoins de ses signes et de sa résurrection, les dépositaires de son enseignement et de ses volontés. (...) C’est seulement aux derniers jours de sa vie terrestre que Jésus se manifeste comme le Prêtre de la Nouvelle Alliance, à la Cène où il adopte un symbolisme essénien, celui du repas de pain et de vin, et sur la Croix où il accomplit la liturgie rituelle du sacrifice d’expiation. Il est alors l’unique Médiateur et le Prêtre Souverain, comme le démontrera L’Épître aux Hébreux. Lui seul chassait les démons, pardonnait les péchés, lui seul donne sa vie en rançon pour la multitude, lui seul intercède efficacement auprès de Dieu son Père et préside déjà le repas messianique.
Toutefois, en ces derniers moments, il partage son Pouvoir sacerdotal avec ses Apôtres, il veut qu’ils en héritent et en perpétuent la tradition dans l’Église qu’il doit fonder, par la force de l’Esprit-Saint qui leur sera donné. L’apostolat prend alors figure et nature de sacerdoce, en discontinuité absolue avec celui des prêtres et des lévites du Temple mais en continuité avec le Sacerdoce parfait du Christ, lui-même héritier du lointain et mystérieux sacerdoce de Melchisédech, roi de Salem...
Ainsi s’est constituée la Hiérarchie nouvelle, indiscernable du peuple pendant le temps de la prédication du Seigneur, mais élevée au-dessus de Lui dès la Pentecôte. Pasteur d’un nouveau peuple qu’il conduit, tel Moïse, sur l’autre rive de la Mer Rouge et introduit dans le Royaume définitif, Jésus a institué ses Apôtres ministres de sa Parole, prêtres de son sacrifice, chefs et juges de l’Israël nouveau. Tel est, dès le jour de la Pentecôte, l’ORDRE DE L’ÉGLISE.
LA SUCCESSION APOSTOLIQUE
Avant même la Pentecôte et l’effusion de l’Esprit-Saint, nous voyons saint Pierre décider de donner un remplaçant à Judas. Le choix entre deux disciples possibles se fait par la prière et le tirage au sort qui doit manifester l’élection divine pour ce ministère apostolique (Ac 1, 24-25). L’autorité de Pierre sur le petit groupe des cent vingt chrétiens réunis là paraît souveraine et déjà reconnue sans conteste.
Quelque temps plus tard, innovation d’autant plus remarquable qu’on n’en trouve aucune préparation explicite dans les récits évangéliques, les Apôtres créent l’Ordre des diacres pour les soulager dans leurs besognes secondaires. « Il ne sied pas que nous délaissions la Parole de Dieu pour servir aux tables. Cherchez plutôt parmi, vous, frères, sept hommes de bonne réputation et remplis de l’Esprit et de sagesse, et nous les préposerons à cet office ; quant à nous, nous resterons assidus à la prière et au service de la Parole » (Ac 6, 3-4). Là encore, on constate la parfaite liberté dont jouissent les Apôtres pour donner à l’Église naissante ses institutions nécessaires, sans qu’ils invoquent même quelque ordre particulier du Christ. (...)
Parmi leurs coopérateurs soit itinérants soit fixes, les Apôtres choisiront plus tard des successeurs, mais là encore de manière très spontanée, selon les opportunités. Dans sa Lettre aux Corinthiens, qui date de 95-96, saint Clément de Rome donne la première information sérieuse que nous ayons sur cette succession apostolique : « Ayant reçu une parfaite prescience, ils établirent une disposition selon laquelle d’autres hommes éprouvés devaient, au cas où ils s’endormiraient dans le Seigneur, leur succéder dans leur ministère » (cp. 44). (...)
DIVERSIFICATION DES ORDRES
La Tradition Apostolique d’Hippolyte de Rome atteste l’existence au début du IIIe siècle de trois ordres sacrés : l’épiscopat, le presbytérat, le diaconat ; la mention des ministères secondaires de lecteur et de sous-diacre semble due à un remaniement postérieur (Ott, 35-36). Cependant les autres ordres apparaissent bientôt après puisqu’une Épître du pape Corneille, en 251, « donne une énumération du clergé romain : 1 évêque, 46 presbytres, 7 diacres, 7 sous-diacres, 42 acolytes, 52 exorcistes, lecteurs et portiers ».
On note l’existence d’autres ministères, tel celui des fossores,fossoyeurs, ou en Orient les psalmistes,les chantres. C’est dire avec quelle liberté les fonctions liturgiques et caritatives donnaient lieu à la création d’Ordres divers. Et pourtant l’historien doit constater leur prompte stabilisation et, dès le Ve siècle, leur régression puis leur dépérissement. (...)
LES SEPT DEGRÉS DE L’ORDRE
Les théologiens du Moyen Âge introduiront dans ce domaine aussi leur esprit de système, leur goût de la clarté et leur amour du symbolisme universel. (...) Yves de Chartres s’arrêta au chiffre sept,nombre parfait, mais il exclut donc des ordres sacrés l’épiscopat. Le sacerdoce lui parut l’ultime degré du sacrement de l’Ordre auquel le sacre des évêques n’ajoute qu’une dignité et une autorité nouvelles. Il sera suivi par le plus grand nombre des théologiens scolastiques, Pierre Lombard, Hugues de Saint-Victor, saint Thomas d’Aquin. (...)
RÉACTION PROTESTANTE ET LA CONTRE-RÉFORME CATHOLIQUE
Après Wiclef et Luther, Calvin accablera le sacerdoce catholique avec une mordante et constante ironie qui n’est pas sans rappeler celle d’Érasme... Les prêtres sont, à ses yeux, des magiciens. Même si par la suite le Protestantisme restaure des fonctions cultuelles dans ses diverses communautés, ce ne seront plus jamais des Ordres constitués par un don définitif de grâce et de pouvoirs, sans caractère inamissible, et ne situant pas les ministres dans une dignité supérieure. La députation par l’assemblée de l’un de ses membres à un service de présidence ou de prédication ne lui confère aucun pouvoir sacramentel.
LE CONCILE DE TRENTE sauvera l’identité du Sacerdoce catholique en définissant infailliblement que le Sacrement de l’Ordre est d’institution divine, fondé par le Christ tout au moins dans ses degrés supérieurs. Qu’il octroie à ceux qui le reçoivent le don du Saint-Esprit accompagné d’un caractère ineffaçable, et cela par des rites dignes et convenables. Que le sacerdoce comprend le pouvoir de consacrer ainsi que celui de remettre les péchés, que d’autres rites majeurs ou mineurs y conduisent par degrés.
Le Concile ajoutait, mais sans précisions, que la hiérarchie sacrée comprenait trois degrés, des évêques, des prêtres et des ministres ; les Évêques étant supérieurs aux prêtres en particulier par leurs pouvoirs d’ordonner et de confirmer (affirmation notable). Enfin, que les Évêques choisis par le Souverain Pontife, sont vrais et légitimes.
Sans aucun doute, la critique protestante avait incité le Magistère de l’Église à une grande retenue. (...)
NOUVELLE THÉOLOGIE DE L’ÉPISCOPAT
Au Concile de Trente, pour contrecarrer les négations protestantes touchant l’épiscopat, Français, Espagnols et nombre d’Italiens réclamèrent que l’Épiscopat soit déclaré d’institution divine : jure divinoou tout au moins fondé en vertu d’une disposition divine : divina ordinatione institutus (Ott, 298-308). Cela impliquait évidemment que l’Épiscopat n’est pas une simple dignité mais constitue un degré distinct et supérieur, et même l’ultime degré de la Hiérarchie, qu’il est donc un sacrement, conféré par une véritable ordination et doué d’un caractère comme d’un pouvoir spirituel propres. Ainsi les Évêques auraient vu leur autorité reconnue comme reçue de Dieu, héritée du Christ par la succession apostolique, quant à l’Ordre et même quant à la Juridiction sur tout le peuple de Dieu ! Quoi de plus beau, de plus évangélique, de plus légitime ?
Cette réclamation se heurta pourtant à l’opposition véhémente et irréductible de la Curie romaine. (...) On dut laisser la question dans l’indécision. (...) Cependant rien n’arrêtera, à travers d’énormes controverses théologiques, une évolution positive, irrésistible, depuis le grand Cardinal Bellarmin (Ott, 333-335) jusqu’à notre Concile Vatican II. Cette fois, ce sera le parti opposé, le parti français et germanique qui triomphera. On ne peut s’empêcher de noter que ce sera au milieu des mêmes difficultés, envenimées encore par l’introduction de l’idée plus que discutable de collégialité. L’affirmation de la sacramentalité de l’Épiscopat aurait abouti sans encombre, comme de toutes manières il devait arriver, mais la grande dispute pour ou contre la collégialité n’aurait pas porté ombrage aux nouvelles définitions dogmatiques. (...)
LE MINISTÈRE APOSTOLIQUE
Au lieu de nous abandonner au système ascendant des Ordres sacrés, allant du portier et du lecteur au prêtre, et s’arrêtant là comme au point ultime de perfection, nous sommes conduits par la théologie nouvelle, et la plus profondément traditionnelle, à choisir délibérément le schéma descendant, si bien exposé au chapitre III de Lumen Gentium. C’est rejoindre la perspective immédiate, simple et évidente du Nouveau Testament.
Il y a d’abord LE MINISTÈRE APOSTOLIQUE, seul Ordre à proprement parler institué par le Christ et doué par lui de tous les Pouvoirs. (...) Le Christ en effet a choisi des Apôtres. Indiscutablement, après les obscurités des tout premiers débuts, nous trouvons partout des Évêques choisis par ceux-ci pour leur succéder et auxquels ils ont imposé les mains en signe des Pouvoirs qu’ils entendaient leur conférer. Et c’est de ces Évêques que des prêtres recevront ordination et pouvoirs, c’est-à-dire délégation et participation de leur autorité et de leur don spirituel. Prêcher, sacrifier, gouverner sont partout dès le IIIe siècle le propre de l’Évêque comme chef de l’Église, et les prêtres ne sont dans ce ministère que les aides de leur Évêque, tandis que des diacres les déchargent les uns et les autres de l’administration temporelle et des œuvres caritatives.
Si l’on parle donc du « SACERDOCE » comme d’un Ordre Sacré ultime, le terme s’applique d’abord et pleinement aux Évêques, et indirectement, par eux, aux prêtres constituant un sacerdoce dérivé, de second ordre, qui ne l’exercent qu’au nom de leur Évêque et par délégation du soin d’une part de leur troupeau. (...)
Le Pape Pie XII, en précisant les rites de la Consécration épiscopale, puis en décrivant ceux de l’Ordination des Évêques, des prêtres et des diacres, comme nous le verrons plus loin, avait déjà restauré dans la pratique cette perspective descendante et en avait suggéré les implications vraiment libératrices. Le Concile Vatican II en a recueilli les fruits et a porté cette théologie de l’épiscopat à son point de plus grand développement. (...)
Telle est l’admirable remise en ordre, c’est le cas de le dire, effectuée en notre temps. L’Évêque est de nouveau le vrai MINISTRE DE L’APOSTOLAT et tous les Ordres découlent de sa Paternité. Lui-même est revêtu d’une plénitude de Pouvoirs qui en font comme le Christ dans son diocèse, l’Époux de son Église. (...)
LES RITES D’ORDINATION
Le Christ a choisi douze apôtres ; il les a envoyés comme prédicateurs de l’Évangile, prêtres et pasteurs du Royaume qu’il avait dessein d’étendre à toute la terre. Les a-t-il investis pour cela de pouvoirs surnaturels ? et par quels gestes et paroles ? On en discute. Non qu’on puisse douter de leur investiture, mais du moment, du geste symbolique et des paroles de cette première ordination.
Est-ce à la Cène, quand il leur donna ce commandement : « faites ceci en mémoire de moi » (Lc 22, 19), qu’on devrait plutôt traduire : « Sacrifiez désormais comme vous vous rappellerez m’avoir vu faire » ? Est-ce le soir de Pâques, lorsqu’il leur donna le pouvoir de lier et de délier en soufflant sur eux : « Recevez le Saint-Esprit, les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez » (Jn 20, 22) ? Est-ce au moment de leur envoi en mission (Mt 28, 19) ? Ou au jour de la Pentecôte quand l’Esprit-Saint descendit sur eux avec puissance (Ac 2, 4) ? Toutes ces hypothèses ont été soutenues et elles contiennent toutes une part de vérité (cf. Lécuyer, RJ 175-176).
Il vaut mieux laisser cela dans l’indétermination, pour ne pas réduire le pouvoir des Apôtres soit à la seule réitération du Saint-Sacrifice, soit à la rémission des péchés, soit à la prédication de l’Évangile. Bellarmin nous tire d’embarras en remarquant que Jésus-Christ n’était lié à aucune forme rituelle, à aucune matière sacramentelle, et qu’il conférait la grâce et les pouvoirs qu’il décidait selon sa pure volonté, étant lui-même la source de toutes grâces et de tout pouvoir. (...)
LES RITES D’ORDINATION AU COURS DE L’HISTOIRE
Dans la Tradition Apostolique, qui est le premier cérémonial d’ordinations que nous connaissions, nous voyons que pour toute ordination de diacres, de prêtres ou d’évêques il devait y avoir élection, imposition des mains et ensuite prière consécratoire en rapport avec le degré de l’ordre conféré. Ensuite innombrables sont les preuves d’un usage universel et obligatoire de ce seul rite. (...)
UN FOISONNEMENT DE RITES PARASITES
Les siècles suivants vont ajouter à ce rite primitif une profusion de rites qui étoufferont le rite essentiel de l’imposition des mains, et fixeront l’attention sur des symboles qui déforment la réalité du sacrement. Tant de cérémonies aux gestes tout matériels imposent l’idée d’un pouvoir venu par des choses, s’exerçant sur des choses. (...)
CRITIQUE DÉCAPANTE DES RÉFORMATEURS
Évidemment, la critique de Luther et de Calvin, tombant sur tout ce ritualisme, allait avoir ample matière à dénigrer. Il n’est pas du tout interdit de constater la justesse de cette critique portant sur bien des apports médiévaux. En démolissant le vrai, l’essentiel, les réformateurs firent aussi tomber les superfétations inutiles et parfois dérisoires ; ils firent tomber la poussière.
Quant à eux, ils ne voulaient reconnaître que l’imposition des mains, telle que les Actes des Apôtres la montraient en usage dans l’Église primitive pour l’envoi en mission des Ministres de la Parole... Comment sur ce point leur donner tort ?
RETOUR À L’ESSENTIEL
Abordant les temps modernes, l’Église devait nécessairement retrouver, avec la science historique et le sens du développement, le culte de l’essentiel. Ce sera l’œuvre de très grands esprits, un précurseur Huguccio (Ott, 137-138), puis à l’ère de la Contre-Réforme le Cardinal Bellarmin, Gonet, et enfin au XVIIe siècle, Jean Morin, le plus remarquable initiateur et fondateur de la liturgie scientifique, historique, moderne (Ott, 360-361 ; 369).
Le premier principe de ces très grands réformateurs catholiques fut celui-ci, libérateur : le Christ a laissé les rites des sacrements, si ce n’est ceux du baptême et de l’eucharistie, dans une grande indétermination, donnant autorité à son Église d’en décider souverainement et en particulier d’en déterminer la matière et la forme. C’est donc au Magistère à décider de ce qui est essentiel à la validité de chaque sacrement, ce qui en est la substance, en le distinguant de ce qui est secondaire et ne relève que de la solennité, cérémonies ou rites explicatifs venant doubler le geste et la parole proprement sacramentels. (...)
Leur deuxième principe, touchant la méthode des recherches liturgiques, fut de considérer non plus la somme des traditions léguées par les siècles, indistinctement, mais en distinguant les nouveautés ou les curiosités locales, du fonds universel des traditions les plus anciennes, de source apostolique, pour atteindre la vraie tradition et y discerner les rites essentiels des sacrements.
Ainsi traités, les livres liturgiques faisaient bien voir ce qui était, dans toutes les Ordinations, d’usage constant, important, universel, sous le fatras des rites ajoutés : c’était L’IMPOSITION DES MAINS ! (...) Elle définit une autre essence du sacerdoce, et combien plus large, plus profonde, que la porrection des instruments et les onctions d’huile ! (...)
LA RESTAURATION DES RITES D’ORDINATION
C’est Pie XII qui a magnifiquement décidé, tranché dans le vif, en déterminant avec autorité par sa Constitution apostolique Sacramentum Ordinis du 30 novembre 1947, les données essentielles, anciennes et définitives, de la Tradition. Le Sacrement de l’Ordre institué par le Christ est un seul sacrement qui comporte trois degrés, de l’épiscopat, du presbytérat, du diaconat, eux seuls constituant les Ordres sacrés, et ce sacrement est conféré par l’imposition des mains, silencieuse, suivie d’une prière consécratoire. (...)
Vatican II souscrit pleinement à cette doctrine et considère l’Évêque comme le détenteur de la plénitude du sacerdoce et le presbytérat puis le diaconat comme des participations à son pouvoir. Cette réforme doctrinale devait être suivie par une restauration de la pure liturgie la plus traditionnelle et catholique. C’est à quoi s’est appliquée la Commission postconciliaire, et le fruit de ce travail est le nouveau Pontifical Romain, présenté par Paul VI le 18 juin 1968 dans sa Constitution Apostolique Pontificalis Romani Recognitio. Le retour à l’essentiel et à la simplicité est considérable, révolutionnaire, il n’exclut pas absolument les cérémonies que les siècles y ont ajoutées, mais les situe chacune à leur rang convenable. (...) La structure simple et parlante du nouveau Pontifical romain est, pour chaque ordination, tripartite comme dans leur forme antique. (...) Une innovation considérable mérite d’être signalée. La Prière consécratoire de l’ordination épiscopale a été entièrement rénovée. C’est la vénérable formule de la Tradition Apostolique d’Hippolyte qui a servi de modèle, parce qu’elle est encore en usage en Orient, et parce qu’elle est d’une grande beauté et d’une grande richesse scripturaire. C’est une réussite, digne d’un avenir millénaire.
L’IRRECEVABLE CONTESTATION INTÉGRISTE
Sur cette rénovation du Pontifical aussi s’est fait jour une opposition totale, allant jusqu’à la dénonciation des nouveaux rites comme frappés d’invalidité. Nous voyons à ce fait navrant deux motifs.
Le premier est à la charge d’une certaine tradition intégriste que je dénonçai déjà dans ma Lettre à mes Amis 151 de septembre 1963, sur l’intégrisme et ses trois défauts : l’ignorance voulue, concertée, des sciences et en particulier des sciences historiques. Déjà Bossuet, déjà Pie IX, Pie X, Pie XII, enfin tout ce que l’Église a de plus solide, de plus ferme, de plus saint et de plus intelligent, ont mis en garde contre cette confusion paresseuse entre moderne et modernisme, science et scientisme, raison et rationalisme, développement et évolution, progrès et subversion. Les opposants au nouveau Pontifical y dénoncent une intrusion victorieuse du protestantisme dans l’Église romaine. (...) Cette accusation, pourtant, ne tient pas ! Son mélange de malhonnêteté, d’ignorance et de dogmatisme décourage l’analyse. (...)
Mais le second motif de cette dénonciation des rites nouveaux est à la charge de l’Église postconciliaire. C’est l’incroyable obscurcissement dogmatique et pratique organisé, toléré par la Hiérarchie, sur la nature du sacerdoce, sur ses pouvoirs et très précisément ceux de consacrer le pain et le vin, d’offrir le saint-sacrifice et de remettre les péchés. Les deux cérémonies, très parlantes, qui mettaient en plein relief dans notre liturgie millénaire la collation de ces deux pouvoirs ont été, l’une atténuée, l’autre supprimée parce qu’elles faisaient double emploi avec le rite essentiel et semblaient l’éclipser. Admettons...
Car enfin, la question se pose, c’est la seconde que nous laissons encore en suspens : comment une si intelligente restauration des rites des ordinations, dans leur pleine vérité et leur symbolisme le plus expressif, a-t-elle coïncidé avec la plus grave crise que le clergé ait connue dans son histoire, crise d’identité du sacerdoce catholique, crise des vocations catastrophique, sans les enrayer le moins du monde ? (...)
LE MINISTÈRE SACERDOTAL
Allons au plus profond mystère du Sacerdoce catholique, en déterminant la nature exacte des Pouvoirs divins qui font toute sa grandeur en même temps que son humble mérite.
Le mal est venu d’une conception, à tendance magique, de ce Pouvoir comme d’une puissance transmise d’homme à homme sur les choses, et sur les choses comme instruments d’action sur les esprits et de possession des âmes. (...) Or cela n’est qu’une caricature du Sacerdoce chrétien. On sait qu’il n’est pas un illuminisme irrationnel, mais un magistère doctrinal ; ni un despotisme théocratique, mais un ministère pastoral. Il n’est pas davantage une sorcellerie, un printemps des magiciens, mais une coopération mystérieuse de l’homme avec Dieu. Qu’est cela ?
Ceci : l’Évêque principalement, et les prêtres sous ses ordres, n’ont pas un pouvoir sur les choses pour les transformer et agir par elles sur les âmes, mais un POUVOIR FILIAL, AMICAL, sur la Volonté de Dieu qui s’est lié à eux, à leur œuvre, qui s’est engagé avec eux. Ainsi Dieu veut ce qu’ils veulent, il parle par leurs paroles mêmes, il fait ce qu’ils disent. Selon les rites qu’ils accomplissent, c’est Dieu qui justifie les infidèles, c’est le Christ qui se saisit du pain et du vin pour les faire son Corps et son Sang, c’est Lui qui pardonne les péchés et bénit les mariages, envoie son Esprit-Saint selon les dons que demande et donne la Prière consécratoire. Le serviteur de Dieu, au moment de son élévation sublime au rôle de coopérateur de Dieu, s’efface et disparaît. Ce qu’il est alors ? Un médiateur, le déclencheur infaillible de l’œuvre divine et son instrument. Il est nécessaire. Cette œuvre se fait bien à son geste et à sa parole puissante, par sa parole et dans son geste, mais c’est le Christ qui opère et non plus Pierre, Paul ou Apollos.
Ainsi conçu, le Sacerdoce est, sans contradiction, tout à la fois Pouvoir et Ministère, Service et Autorité, Don de l’Esprit et Caractère de l’homme consacré, l’établissant au-dessus des hommes et le plus petit d’entre eux. Et ce Sacerdoce, c’est en plénitude celui des Évêques ; éminemment celui du Souverain Pontife, Premier parmi eux, notre doux Christ en terre. (...)
PÈRE ET PASTEUR
L’Évêque, AUTRE CHRIST, est d’abord dans son Sacerdoce plénier le Médiateur entre Dieu et son peuple particulier, et il l’est par le Sacrifice eucharistique qu’il lui appartient de célébrer, pour renouveler l’Alliance et sanctifier son Église. C’est l’Acte où la plénitude de son Sacerdoce brille du plus vif éclat parce qu’il renouvelle, dans la Personne du Christ, en son Nom, cette Alliance de l’Église locale, son épouse, dont il est le Pasteur unique et le chef, époux unique et légitime, avec le Dieu trois fois Saint.
Ainsi identifié au Christ par sa consécration épiscopale, et noué à son peuple par la désignation et le don particulier que le Pape lui en a fait, l’Évêque exerce en suite de ce SACREMENT DE L’ALLIANCE tous les pouvoirs que requiert le soin du troupeau.
LÀ OÙ EST L’ÉVÊQUE, LÀ EST LE CHRIST
En premier lieu la prédication, où il se fera aider de laïcs dévoués, confirmés,choisis pour portiers et lecteurs, chantres, animateurs, afin de convoquer en son nom l’Assemblée pour lire et pour célébrer la Parole de Dieu. Il ordonnera des diacres et des catéchistes pour enseigner et prêcher avec lui la doctrine, sous son contrôle.
En second lieu la distribution des sacrements,pour édifier l’Église vivante, la fortifier, la sanctifier ; par le Baptême et la Confirmation, auxquels il ne suffirait pas sans l’aide des prêtres qu’il ordonnera à partager son ministère et auxquels il communiquera pour cela largement ses pouvoirs. (...)
En troisième lieu, le gouvernement de la Communauté chrétienne catholique, avec l’aide des curés de paroisse et de son presbyterium, en édictant des lois, arrêtant des sanctions, infligeant des peines, mais plus encore en secourant, consolant, encourageant tout le peuple saint selon le besoin surnaturel de chacun, comme pasteur et père de tous. (...)
NAISSANCE D’UN ORDRE NOUVEAU
Il est certain que depuis Vatican II, les sept degrés de l’Ordre sont démembrés ; ils l’étaient en doctrine depuis quatre siècles, et depuis quinze siècles, dans la pratique réelle de l’Église. C’est dire que ce chiffre symbolique n’est pas à regretter. Que sera la disposition nouvelle ? (...)
LES FONCTIONS MINEURES
Ce qu’on appelait les Ordres mineurs pourrait être restauré non plus comme des degrés inférieurs du Sacerdoce mais des développements supérieurs de la Confirmation. Pour leur donner une valeur pratique, il suffirait de les tenir pour des fonctions accordées par l’Évêque à titre local et temporaire, mettant en exercice la puissance de la Confirmation et accompagnés d’un rite, sacramental, de reconnaissance officielle et de simple bénédiction.
Ces ministères inférieurs constitueraient les cadres de SOUS OFFICIERS de l’Église. Ainsi rétablis, on verrait refleurir les charismes, selon le souhait universel aujourd’hui, de catéchiste, de garde-malades, aumônier, quêteur, sacristes, éducateurs, sonneurs, pourquoi pas ? fossoyeurs, etc. aussi divers que sont diverses les fonctions subalternes d’une grande Cité, de notre Cité Sainte Jérusalem nouvelle !
LES FONCTIONS SACRÉES
Quant au Sacerdoce, sa restauration est en bonne voie sur le triple terrain que nous venons d’étudier, de la redistribution des Ordres Sacrés, de leurs rites de consécration, de la définition de leurs Pouvoirs. Ils constituent les OFFICIERS SUPÉRIEURS ET GÉNÉRAUX de l’Église. Quand l’hérésie moderniste sera mise dehors et les billevesées progressistes du Culte de l’Homme, du service du Peuple, de la représentation démocratique qui ont jeté leurs poisons dans la Constitution Lumen Gentium de Vatican II (CRC n° 52), par un Vatican III restaurateur, le renouveau pratique se fera aisément par la force de vie qui est en l’indéfectible Hiérarchie de l’Église romaine. Comment ? en quelles directions ? (...)
Vatican III fera entrer les prêtres dans cette sphère des OFFICIERS de l’Église, membres par Ordre de l’Église enseignante, sanctifiante, gouvernante. Au lieu de les tenir, en droit, dans la passivité et soumission de l’Église enseignée mais de les faire œuvrer comme leurs collaborateurs dans le ministère sacerdotal, les Évêques les considéreront non plus comme des serviteurs à gages mais comme des amis. Ainsi sera retrouvée l’idée et restaurée la réalité du « presbyterium » qui est aussi ancienne que l’Église, mais lui aussi exorcisé de tout venin de démocratie et de lutte des classes.
Tel est le Sacrement de l’Ordre, tel il sera demain pour l’extension de l’Église à l’humanité entière, il faudrait seulement que la « pyramide sacerdotale » se sache et se veuille toujours au service de Dieu pour le salut des âmes et non au service de l’homme dans son projet de révolte contre Dieu.
Abbé Georges de Nantes
Extraits de la CRC n° 117, mai 1977, p. 3-14