Principes de l'œcuménisme catholique
ŒCUMÉNISME TRADITIONNEL
Le mot “ œcuménique ”, du grec oikouménè, désigne « l’ensemble des terres habitées », civilisées, christianisées, autrement dit : la Chrétienté. Au cours des siècles, des divisions se sont produites au sein de cette Chrétienté, des pans entiers se sont détachés de l’Église catholique romaine, sans altérer cependant son unité et sa sainteté, qui sont intimement liées, comme l’écrit l'abbé de Nantes en une admirable formule :
« L’Église est une là où elle est sainte dans la virginité de sa foi. Mais elle est sainte là seulement où elle est une, dans la communion de sa charité dont le cœur est à Rome, auprès du Vicaire du Christ. »
“ L’œcuménisme catholique ” est la reconquête des terres perdues pour les réintégrer dans cette unité. C’est le « retour » à la maison, c’est-à-dire à l’Église romaine, des séparés, hérétiques ou schismatiques, par une réelle « conversion » de leur part à sa foi et à sa discipline. Méthode simple, éprouvée, laborieuse, au moins pour l’une des deux parties, mais qui répond au désir du Cœur de Jésus lui-même :
« Que tous soient un comme Vous, mon Père, Vous êtes en moi et moi en Vous ; qu’eux aussi soient un en Nous afin que le monde croie que Vous m’avez envoyé. »
Méthode pratiquée avec fruits par d’innombrables saints de Contre-Réforme : saint Pierre Canisius, saint Thomas More, saint François de Sales, Bossuet, et tant d’autres, sans exclure les controverses publiques engagées avec la charité de la vérité, à exercer en faveur des hérésiarques et de leurs successeurs, avec une grande compassion et large ouverture au petit peuple trompé, égaré, qui souffre d’être séparé de Rome.
Telle était dans ses principes la conception de l’œcuménisme catholique qui prévalait encore en 1960. On la retrouve dans le schéma “ De Ecclesia ”, préparé par la Commission théologique du cardinal Ottaviani, dont le onzième et dernier chapitre traitait précisément de l’œcuménisme, sans aucune ambiguïté sur la définition de l’unité : « Puisque l’Église, qui est la seule organisation du salut instituée par le Christ, a été édifiée comme le seul et unique Signe élevé sur les nations, rien ne peut de l’intérieur en violer l’unité. »
Il existait néanmoins au début du Concile deux autres schémas. L’un, intitulé “ Ut omnes unum sint ”, avait été préparé par la Commission des Églises de rit oriental, appelées aussi “ Uniates ”, parce qu’elles s’étaient “ ré-unies ” à Rome. Le rapporteur de ce schéma était un religieux ukrainien remarquable, le P. Welykyj, partisan de la conception traditionnelle, dite “ unioniste ”, c’est-à-dire qui recherche l’unité par le “ retour ” à l’Église catholique romaine, les Églises “ uniates ” servant de “ pont ” entre l’Orient schismatique et l’Occident latin. Le troisième schéma en revanche, “ De Œcumenisco ”, relevait d’un tout autre esprit : il avait été rédigé par le Secrétariat pour l’unité des chrétiens, fondé en mars 1960 par le pape Jean XXIII, dirigé par l’entreprenant cardinal Béa, aidé du Hollandais Willebrands, et de plusieurs religieux français, belges, allemands, très versés dans l’œcuménisme libéral d’inspiration protestante.
Le mouvement œcuménique contemporain est en effet apparu chez les protestants, disséminés comme chacun sait en une infinité de sectes, qui ont toutes plus ou moins la nostalgie de l’unité. Ils organisèrent dans ce but des Congrès à Stockholm en 1925, à Lausanne en 1927, auxquels l’Église catholique refusa de participer, le pape Pie XI ayant condamné cet œcuménisme dans son encyclique Mortalium animos en 1928. Ce qui n’empêcha pas les protestants de créer après la guerre, en 1948, un Conseil Œcuménique des Églises (COE), – composé à l’époque de 147 membres, surtout de protestants réformés ; aujourd’hui, ils sont plus de 350 ! – l’ensemble formant une sorte de parlement où chaque Église dispose d’une voix. Il va de soi que l’Église une, sainte et catholique, ne pouvait pas y entrer, sous peine de se renier elle-même.
LA RUPTURE
Mais au sein de l’Église catholique, certains esprits chagrins, tels l’abbé Willebrands, grand ami du pasteur Visser Hooft, président du COE, les Pères Congar et Dumont, dom Baudouin de l’abbaye de Chèvetogne, souhaitaient se rapprocher du mouvement œcuménique protestant pour faire cause commune. Ainsi naquit l’œcuménisme libéral ou pluraliste, selon lequel l’unité voulue par le Christ ne sera réalisée que lorsque toutes les Églises et communions chrétiennes séparées se seront rapprochées les unes des autres, pour recomposer le Corps mystique brisé, par un effort de conversion et de réconciliation de tous avec tous, à égalité.
Le Père Congar avait publié en ce sens en 1937 un livre intitulé “ Chrétiens désunis ”, que Rome avait condamné. En 1952, Willebrands fonda la Conférence catholique pour les questions œcuméniques, composée de théologiens et de liturgistes, réclamant que l’Église envoie au COE des observateurs, mais Rome s’y opposait. Et voilà que Jean XXIII, à peine élu, annonce la convocation d’un Concile dont l’un des buts prioritaires sera le rapprochement avec les autres chrétiens, laissant entendre qu’il est acquis à l’œcuménisme congarien. Il lance « une invitation aimable et renouvelée aux fidèles des Églises séparées à participer avec nousà ce banquet de grâce et de fraternité » (discours du 25 janvier 1959). La version officielle corrigera le mot « Églises » par celui de « communautés », et le verbe « participer » par celui de « nous suivre ». Malgré l’atténuation, quelle aubaine pour nos œcuménistes !
Le Secrétariat pour l’unité des chrétiens s’est donc mis en branle, sous la haute main de Béa, avec les encouragements de Jean XXIII, et sous le regard satisfait et complice des “ observateurs ” non catholiques invités à participer aux travaux du Concile.
L’œcuménisme selon Vatican II est l’histoire d’un complot réussi, destiné à faire admettre à l’Église catholique la nouvelle conception de l’unité des chrétiens, en rupture complète avec la conception traditionnelle.
Dès le discours d’ouverture du Concile, le 11 octobre 1962, le ton est donné : « L’unité visible dans la vérité, la famille des chrétiens tout entière ne l’a encore malheureusement pas atteinte pleinement et complètement. » L’unité n’est plus un fait, une “ note ” de l’Église catholique romaine, mais un but à atteindre. Et par quels moyens ?
« L’Église catholique estime de son devoir de faire tous ses efforts pour que s’accomplisse le grand mystère de cette unité, unité que Jésus-Christ à l’approche de son sacrifice a demandée à son Père dans une ardente prière... »
En faisant sortir de la bergerie judaïque son troupeau fidèle pour le mener paître dans de verts pâturages, Jésus annonçait que son Église serait une, dès le début, et qu’elle le resterait toujours, sous sa conduite à Lui, l’unique et bon Pasteur. Prier pour qu’elle demeure dans cette Unité afin que les hommes de bonne volonté s’y agrègent (au sens littéral : entrent dans le troupeau), ou y reviennent s’ils en sont sortis, est une bonne prière, qui touche le Cœur de Jésus. Mais prier pour que l’unité se fasse avec ceux qui ont quitté le bercail, qui se prétendent toujours « du Christ », alors qu’ils trahissent sa foi ou sont rebelles à l’autorité de celui qui représente le bon Pasteur, est une prière détestable aux relents d’hérésie.
Dans son livre L’Union des Églises, paru en 1927, l’abbé Journet écrivait : « Il est une unité qui écœure Dieu ; il en est une pour laquelle il a donné son Sang. Il s’agit seulement de les bien définir. » Jean XXIII s’en est bien gardé en ouvrant le Concile... Le 19 octobre 1962, le Secrétariat pour l’unité prenait rang de Commission conciliaire, ce qui lui permettra de rédiger des textes en s’émancipant du contrôle de la Commission doctrinale du cardinal Ottaviani. Il en résulta un “ Décret ” qui passa le 21 novembre 1964 par 2148 voix contre 11…
Extrait de Il est ressuscité ! n° 67, mars 2008, p. 1-2