22 MAI 2022
Béatification de Pauline Jaricot
Extraits de la retraite de communauté La religion de nos pères.
COMMENT prendre cette retraite ? Je n’en savais rien et j’étais gêné. Puis, un jour, dans mon bréviaire, une image de prise de voile d’une de nos sœurs, me tombe sous les yeux et je dis : cette image, c’est précisément ce que je cherche, c’est toute la religion de nos pères ! C’est l’image d’une croix qu’on a posée sur une chaise de paille (la paille nous parle bien de ce siècle-là) et cette croix a des inscriptions. C’est la croix que le curé d’Ars a offerte à Pauline Jaricot. Ce n’est pas rare, mais c’est tout de même une double relique. Ce qui est inscrit là, l’a été sur des croix à des milliers d’exemplaires. C’est la piété de l’époque.
Que voit-on sur cette croix ? Cela a été pour moi les titres des chapitres de notre retraite.
Tout en haut, on voit l’œil caractéristique, un œil qui est pris dans un triangle équilatéral, entouré de lumière, symbole très ancien de Dieu. Dieu, dans la nue, voit les hommes. Le triangle signifie la Sainte Trinité. Tout en haut de la croix : Dieu seul. Et en-dessous pour témoin. Dieu seul pour témoin sera le titre de notre première conférence.
Et puis, il y a une plaque de fer collée en bas de cette croix où se distinguent ces mots, en grandes lettres : Le Ciel en est le prix, c’est le titre d’un cantique du XIXe siècle. Et si on lit les petites lettres qui précèdent : L’amour-propre en murmure, mais tout bas, je lui dis : le Ciel en est le prix. Ce sera le deuxième titre d’une conférence. Et ainsi de suite, je vous lis le reste.
En haut : Dieu seul pour témoin, en dessous : Jésus-Christ pour modèle. C’est la vraie religion. On voit le Cœur du Christ transpercé, d’où coule du Sang, et la flamme de ce Cœur prêchant son amour, entourée de gloire et des instruments de la Passion.
Au-dessous : Marie pour soutien. On voit le Cœur de Marie, une couronne de roses l’entoure, mais un poignard le transperce. De lui aussi jaillissent des flammes en même temps qu’un lis. Le lis de son Immaculée Conception, de sa virginité.
Alors : Dieu, Jésus-Christ pour modèle, Marie pour soutien (nous en aurons un grand chapitre) et puis Rien, rien qu’amour et sacrifice et on voit un cœur qui est notre cœur, qui est lui-même transpercé d’une épée parce que cela ne va pas sans mourir, avec des flammes qui sortent de lui : rien, rien qu’amour et sacrifice. C’est encore la devise de ce siècle.
C’est alors qu’on revient à notre point de départ, là où la croix s’enfonce dans le sol et menace de pourrir : L’amour-propre en murmure. Ah oui, quand on dit que notre vie ne sera rien, rien qu’amour et sacrifice, l’amour-propre en murmure et le monde moderne s’en rebelle, mais tout bas, je lui dis : le Ciel en est le prix. Donc, je ne le prends pas de force, je ne lui crie pas le contraire, ce n’est pas un combat, c’est une douce persuasion que je me fais à moi-même : mais pense donc que le Ciel est le prix de tous ces sacrifices à cause de tout l’amour que tu y auras mis. (...)
On m’a raconté dans quelle occasion le curé d’Ars a donné cette croix à Pauline Jaricot. C’est touchant. Les saints sont dans leurs moindres paroles, les moindres circonstances de leur vie, comme inspirés directement de l’Esprit-Saint.
Cette Pauline Jaricot, née à peu près avec le siècle (1799), a rencontré le curé d’Ars la première fois en 1819, alors qu’elle était fille de bourgeois riches de Lyon. À ce moment-là, le curé d’Ars, vicaire à Écully, est venu chez elle et elle lui a parlé de son projet de fondation de la Propagation de la Foi et le curé d’Ars en a été très touché. Puis, chacun a eu sa vie de son côté. Notre Pauline Jaricot a aussi fondé le Rosaire vivant en 1825 et ayant fait les œuvres que Dieu voulait tirer d’elle, Dieu l’a jetée dans le malheur.
Pendant dix ans, elle a vécu dans les plus grandes difficultés, des infirmités, plaies aux jambes, une faillite. Elle avait essayé de faire une entreprise industrielle, l’Œuvre des ouvriers qui était une entreprise sans bénéfice capitaliste pour aider les ouvriers, pour acheminer la société vers une meilleure conception des rapports entre ouvriers et patrons, donnant un juste salaire et évidemment, cette entreprise a peut-être été torpillée. Toujours est-il qu’elle a échoué et elle y a perdu sa fortune. Non seulement cela, mais elle a été endettée, elle s’est trouvée abandonnée de tous. Ses parents sont morts, elle est restée seule au monde, moquée, calomniée et à toutes ses peines physiques, morales, financières, s’est ajoutée la peine extrême de l’absence totale de consolation, comme si le Ciel était fermé. Le curé d’Ars avait avec elle des relations soit épistolaires, soit qu’elle soit venue le voir, se confesser à lui. On connaît cette parole du curé d’Ars : « Ah ! mes frères, je connais, moi, une personne qui sait bien accepter les croix, des croix très lourdes et qui les porte avec amour, c’est mademoiselle Jaricot. » Elle était connue à Lyon et plus qu’à Lyon, par l’extension stupéfiante de son œuvre de la Propagation de la Foi.
Donc, en 1858 ou 59, dans l’hiver, elle se rend à Ars pour voir son saint curé. Elle est dans la désolation spirituelle, il fait très froid, un jour de bise et de neige, elle arrive grelottante chez le curé d’Ars qui la reçoit dans son humble presbytère. Et c’est très touchant, on ne l’imagine pas : la voyant ainsi grelottante, le curé d’Ars va chercher dans un appentis un peu de paille, quelques branches, quelques ramilles, pour faire un peu de feu et la réchauffer. Preuve qu’il vivait sans feu en plein hiver. Et il essaye d’allumer, mais tout cela est humide, preuve qu’il ne faisait pas souvent du feu chez lui. Il n’arrive pas à faire flamber, cela ne fait que de la fumée. « Ça ne fait rien, dit Pauline Jaricot, je suis habituée au froid. Donnez-moi plutôt un peu d’espérance. »
Il l’avait rencontrée la première fois dans un salon de riches bourgeois lyonnais ; cela l’avait un peu gêné d’être reçu dans une si belle demeure par une si belle jeune fille, alors qu’il était un pauvre vicaire à Écully, ils se retrouvent au bout de leur course, tous les deux bien pauvres, tous les deux bien gelés, tous les deux bien accablés, bien las de la vie. Le curé d’Ars va mourir quelques mois plus tard et c’est là qu’il lui donne cette petite croix parce qu’elle lui demande un peu d’espérance. Il lui donna cette petite croix et quelques paroles de consolation. Ce fut leur dernière entrevue ici-bas. En repartant, elle avait cette croix dans la main. C’est tout ce qu’elle avait reçu du curé d’Ars en fait de consolation.
Donc, sur cette croix, il était écrit : Dieu seul pour témoin. Au milieu de la croix, le Cœur de Jésus rayonnant de gloire, mais entouré des signes de sa Passion, l’échelle, les clous, le marteau, les tenailles, la lance, le roseau au bout duquel il y a l’éponge qui a permis au soldat de donner à Jésus un peu de vinaigre. Ce Cœur est couronné d’épines, mais il flambe. Une grande flamme en jaillit : Jésus-Christ pour modèle. C’est ce que nous devons étudier. En-dessous, Marie pour soutien avec l’image du Cœur Immaculé et en bas : Rien, rien qu’amour et sacrifice. De fait, elle savait ce que c’était que rien, elle qui s’était dépouillée de tout pour le Christ et le salut des âmes.
Marie pour soutien, c’était son œuvre du Rosaire perpétuel : Quinze personnes s’engageant à dire une dizaine de chapelet tous les jours de telle manière que ce groupe à lui seul récapitule tous les mystères du Rosaire ; et ces groupes, faisant des zélatrices et zélateurs, se multiplient jusqu’à des centaines de milliers de son vivant à elle. Et pendant ce temps, perte de la santé physique, perte de la fortune, perte de l’honneur. Rien, rien qu’amour et sacrifice. Elle les avait.
Et L’amour-propre en murmure et quand Dieu se cache, il ne reste plus rien. L’amour-propre en murmure Mais tout bas, je lui dis : le Ciel en est le prix. C’est ainsi qu’elle vécut avec cette petite croix jusqu’en 1862 où elle rendit sa belle âme à Dieu.
Abbé Georges de Nantes
Extraits de la retraite de communauté La religion de nos pères, septembre 1988