La circumincessante charité
Communication de la charité
par le réseau des relations d’origine et de grâce
I. L'amour de soi
FAUT-IL se mépriser et se haïr soi-même pour n’aimer que Dieu seul ou bien suis-je invité par Dieu à m’aimer moi-même, à bien m’aimer en même temps que j’aimerai Dieu et mon prochain, sans que ce soit un vice, de l’égoïsme ou de l’égocentrisme ?
Et d’abord, nous devons nous aimer nous-mêmes. Cela peut surprendre mais nous le disons dans l’acte de charité : « Mon Dieu, je vous aime de tout mon cœur (...) et j’aime mon prochain comme moi-même pour l’amour de vous. » Dieu nous commande de l’aimer Lui, et d’aimer notre prochain comme nous-mêmes. Preuve que nous devons commencer par nous aimer nous-mêmes.
Certains “ professeurs de spiritualité ” en débattent : faut-il s’aimer ou non, faut-il se haïr pour n’aimer que Dieu ? Notre Père nous donne tout de suite la solution libératrice et il l’explique : « Je suis un nouveau chaînon de la chaîne qu’est la circumincessante charité. Le Père aime le Fils, le Père et le Fils aiment l’Esprit Saint, les Trois Personnes divines aiment la Sainte Vierge, la Saint Vierge aime saint Joseph et son entourage. Cet entourage devient le noyau de l’Église. Je suis baptisé, j’entre dans cette famille. Voilà la charité. De cascade en cascade, elle devient un immense fleuve qui lave le monde et sauvera les multitudes qui auront eu foi en Dieu et se seront engagés dans ce courant de charité. Comment n’aimerais-je pas être un chaînon de cette chaîne d’amour émanée de la Fons et Origo de la Source et Origine divine de tout l’être, de notre Père Céleste très chéri ! »
LA méditation de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus explique bien cette circulation de la charité ou circumincessante charité. Si le cœur de l’Église bat, c’est parce que dans ce cœur il y a des âmes qui aiment et que cet amour est ensuite envoyé dans tous les organes du Corps mystique de l’Église.
« Je compris que si l’Église avait un corps composé de différents membres, le plus nécessaire, le plus noble de tous ne lui manquait pas, je compris que l’Église avait un cœur et que ce cœur était brûlant d’amour. Je compris que l’Amour seul faisait agir les membres de l’Église, que si l’Amour venait à s’éteindre, les apôtres n’annonceraient plus l’Évangile, les martyrs refuseraient de verser leur sang. Alors, je me suis écriée : dans le Cœur de l’Église, ma Mère, je serai l’Amour. »
À sœur Marie du Sacré-Cœur, 28 septembre 1896.
Et voici l’explication :
Quand on sait le non-dit, à savoir de quels premiers parents nous sommes nés et que la tragédie de ce péché s’est transmise à toutes les générations, les multitudes d’êtres humains idolâtres et corrompus se conduisant comme des porcs et même pires qu’eux, défiant Dieu dans une continuelle révolte, ce genre humain est absolument détestable. Puisque j’en suis, je n’ai plus qu’à aller me suicider ? Certes, non ! Mais je dois me rendre compte de mon indignité totale, nous dit notre Père qui proteste aussitôt de ce qu’on a fait un Concile plus magnifique que tous les autres pour en arriver à exalter la dignité de tout homme, quel qu’il soit, de tout fils d’Adam ! Bien sûr, on ne parle plus d’Adam, on efface les traces du péché originel, mais la réalité n’en demeure pas moins. Les hommes sont absolument indignes en eux-mêmes, indignes de tout honneur, de tout bienfait divin et de toute bénédiction.
Quand je pense que je suis fils d’Adam, continue notre Père, comment ne pas être infiniment reconnaissant au Père de tout bien de m’adopter pour fils ou fille ? Il me manifeste sa bonté et sa miséricorde infinies en me donnant son Fils à aimer, la Sainte Vierge pour Mère, comment refuserais-je un tel cadeau ? Il n’est plus question pour moi de me désespérer de mon indignité, ce qui me conduirait au refus de Dieu et au suicide. Horreur ! Par grâce, je répondrai à cette offre de salut en me faisant chrétien, en suivant le Christ pour bénéficier de l’adoption divine. Joie, reconnaissance !
Cela bien entendu, c’est alors que se pose la question : ai-je le droit de m’aimer moi-même ? La réponse se trouve dans la parabole du bon Samaritain ; encore faut-il qu’elle nous soit bien expliquée, car on la croit facile comme toutes les paraboles, mais il y a une difficulté que notre Père nous explique de façon inoubliable.
Écoutons-le nous la commenter (Lc 10, 29-37) :
« C’est une parabole admirable ! Un scribe veut tendre un piège à Jésus sur l’amour de Dieu et du prochain pour voir si Jésus oserait ajouter un culte rendu à Lui-même au culte et à l’amour de Dieu, auquel cas on aurait pu le tuer.
« Alors, pour répondre à cette question hypocrite, Jésus raconte la parabole : “ Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho... ” Il est attaqué par des brigands qui le laissent à demi-mort dans le ravin. Arrivent un prêtre, un lévite qui voient le malheureux... et passent outre, le laissant mourir tout seul !
« “ Or, un Samaritain qui était en voyage, vint près de lui. ” Le style de saint Luc (qui est bien l’écho des paroles de Jésus) devient admirable : Jésus parle de ce Samaritain avec beaucoup d’émotion pour que cela s’imprime dans nos esprits et nos coeurs... jusqu’à aujourd’hui ! Notre cœur va au Samaritain, évidemment, dès le premier mot ! Le samaritain descend auprès du malheureux, dans le fossé où il gisait. “ À cette vue, il fut ému. Et s’étant approché, il banda ses plaies, y versant de l’huile et du vin. Puis, l’ayant hissé sur sa propre monture [que n’a-t-il pas fait ?], il le conduisit à l’hôtellerie et il prit soin de lui. ”
« Alors, Jésus pose la question de façon un peu inattendue, nous fait remarquer notre Père : “ Lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de celui qui est tombé aux mains des brigands ? - Celui qui a exercé la charité envers lui. ”
« Le prochain du malheureux fut le bon Samaritain. »
Appliquons la parabole à notre problème : dois-je m’aimer moi-même ?
Cette charité fondamentale qui donne à chacun d’aimer sa propre vie est inscrite dans notre nature : c’est l’instinct de conservation, mais c’est déjà un don de Dieu. Détester sa vie est une maladie. Il faut aimer cet instinct de survie, don précieux de Dieu, qui nous préserve, dans les moments de déception, de nous jeter du haut du pont dans la rivière.
Mais pour l’homme qui connaît sa terrible hérédité (le double crime sexuel de nos premiers parents), qui peut le sauver du désespoir ? Nous sommes, même bien portants, vivants et heureux, ce pauvre homme de la parabole, tombé entre les mains des brigands et à demi-mort. Cet étranger de passage, qui sans aucune obligation de se déranger, de se gêner, a eu pitié de ce malheureux, c’est Jésus ! Lui seul est descendu du Ciel, s’est penché vers moi et a offert sa vie pour me sauver. Jésus s’est montré mon prochain, en toute vérité, Jésus est mon bon Samaritain, voilà ce que chacun de nous peut dire !
Notre Père en tire deux conséquences, l’une de fait, l’autre de droit :
1 - Je suis sauvé, guéri, bien content de moi ainsi reparti dans la vie et dans l’amour de Dieu. C’est le baptême qui me rend heureux ! Car c’est lui qui m’a fait entrer dans la grâce de Dieu et m’a rendu son adoption, voilà le fait ! L’eau du baptême m’a réellement lavé, mon cœur est désormais un vase pur, nettoyé de ses horreurs et rempli d’un onguent précieux d’agréable odeur. Je suis réhabilité ! Quel état merveilleux ! dont la robe blanche de mon baptême est le symbole : je veux la garder toute ma vie.
2 - Je dois une reconnaissance infinie et éternelle à Jésus qui m’a sauvé par sa Croix et par son Baptême. C’est dans le Sang Précieux qui a coulé du Cœur transpercé de Jésus sur la Croix que j’ai été baptisé. Mon cœur bondit d’amour pour Jésus-Christ ! Je suis heureux dans la mesure où je reconnais le don que Jésus-Christ m’a fait. Le bien qui est en moi vient de Jésus. Il a été si bon de me sauver et Il remplit mon cœur d’amour pour Lui. Ma première joie dans la vie, ma première dignité, c’est d’aimer Jésus, d’avoir reçu le baptême, de m’être inscrit dans l’Église et de vouloir participer à tous ses sacrements. Ce bonheur ne vient pas de moi, mais de mon Père Céleste en moi. Certes, il reste encore des côtés vils en moi, mais ce n’est plus une possession du diable en moi, ce ne sont que de petites branchettes qu’il faudra élaguer.
Le chrétien peut, doit et veut s’aimer lui-même en tant qu’enfant de Dieu, comme étant un privilégié qui, en s’aimant lui-même, n’aime en fait que l’œuvre de Dieu en lui. Cette parole de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus le fait bien comprendre : « On me félicite de ma patience dans les souffrances, mais on se trompe toujours, ce n’est pas moi, c’est Jésus en moi. »
Le dernier point de notre méditation sur la parabole du bon Samaritain est de nous conduire à l’amour du prochain. Quand je suis éperdu de reconnaissance envers mon Père Céleste de m’avoir sorti du bourbier de perdition, alors que tant d’autres y sont encore enfoncés, je me dis : pourquoi moi et pas eux ? Quelle chance j’ai ! Car c’est sans aucun mérite de ma part. J’étais un ignoble et ce n’est pas moi qui me suis purifié. C’est Jésus ! Alors, tout bon baptisé ne peut pas rester froid envers tous les autres qui ne sont pas encore chrétiens. Il est évident, s’il aime Jésus qui a tant fait pour lui et s’il s’aime lui-même maintenant, tout heureux de ce qu’il est devenu, qu’il va chercher à faire passer ce message de salut et de bonheur à tous ceux qu’il va rencontrer. Comme mon bon Samaritain, je vais aller au secours des pauvres, des âmes perdues pour les faire échapper à leur fausse religion et les faire adhérer à la vraie charité. Je vais aimer mon prochain, comme Jésus : cela entre dans le torrent d’amour de Jésus, passant en moi et que je dois passer au suivant.
C’est dans cet élan de charité que notre Père nous recommande de dire cette admirable prière enseignée par Notre-Dame de Fatima : « Ô mon Jésus, pardonnez-nous nos péchés, préservez-nous du feu de l’enfer et conduisez au Ciel toutes les âmes, surtout celles qui ont le plus besoin de votre miséricorde. »