La circumincessante charité
Communication de la charité
par le réseau des relations d’origine et de grâce
III. Notre vocation
NOTRE Père va répondre en des termes tout à fait modernes, relationnels, existentiels et savoureux à la question que chacun de nous est amené à se poser : quelle est ma vocation ? Quel état de vie vais-je choisir ? Le mariage ou la vie consacrée à Dieu ? Et plus profondément, pour aller à Dieu, dois-je quitter toute créature ?
Nous voulons entrer en Dieu, au plein cœur de la vie divine trinitaire par les deux portes successives du Cœur Immaculé de Marie et du Cœur Sacré de Jésus. Là, nous sommes déjà bénéficiaires des effluves de la Sainte Trinité, dans le Paradis restauré. C’est ce que nous appelons communément « être en état de grâce », sans nous rendre compte de la dignité, du bonheur qui est déjà le nôtre puisque c’est comme une participation anticipée à la vie éternelle du Ciel ! Notre vie de chrétien est donc une ascension bienheureuse vers le Ciel. Encore faut-il se le gagner, comme disait sainte Bernadette.
Il faut poser une première distinction capitale entre les grands saints et nous autres, chrétiens ordinaires. Les grands saints sont dans la contemplation infuse, c’est-à-dire qu’ils reçoivent tout d’en haut, de Dieu dans des états mystiques élevés. Ils vivent dans la vie de Dieu, les yeux ouverts, la conscience alertée par toutes les lumières qui leur sont données ; ces élans produisant en eux des effets merveilleux. Notre Père donnait comme exemple une mystique du XXe siècle qu’il admire beaucoup : Lucie-Christine, que Dieu comblait de grands dons dans l’oraison. C’est ce que notre Père appelle des stalactites : purs dons tombés du Ciel.
Nous autres, n’avons rien de tout cela et nous avons donc besoin de stalagmites pour monter vers le Ciel, c’est-à-dire de la contemplation acquise. Nous partons de cet ici-bas pour découvrir et peu à peu savourer les mystères divins par labeur et non par miracle. Nous prenons comme base de départ pour notre envol vers l’ordre surnaturel notre ordre naturel, nos relations, sentiments, pensées, raisonnements naturels. Dans les choses humaines qui sont permises, bien sûr, et offertes par le bon plaisir divin, nous voulons atteindre en elles et au-delà le sentiment, l’expérience, le désir, la saveur des choses divines. L’apôtre saint Jean, le “ chanceux ” ayant vécu avec Jésus homme en même temps qu’Il était le Fils de Dieu, pouvait dire : « Moi, j’ai vu, j’ai touché le Fils de Dieu, le Verbe de vie ! »
Nous aussi, nous voulons voir ! et nous irons à la grotte de Lourdes pour voir “ de nos oeils ”, comme disait sainte Bernadette, non pas la Sainte Vierge, mais l’endroit précis où Elle a posé le pied, ce sera déjà quelque chose ! ce sera déjà mon chemin vers la Sainte Vierge ! C’est notre vocation surnaturelle et c’est la volonté même de notre très chéri Père Céleste de nous voir “ entrer dans la joie de notre Maître ” !
Quand vient pour nous le moment de trouver notre vocation : mariage ou vœux religieux, ce choix de vie dépend évidemment de nos relations avec Dieu le Père. C’est Lui qui nous attire dans cette voie ou dans l’autre, comme Jésus l’a dit : « Nul ne vient à moi si le Père ne l’attire ». La voie directe va à Dieu par le Fils et l’Esprit Saint en Marie, la voie indirecte mène à Dieu par mon époux, avec mon épouse.
Il y a quatre voies possibles :
- Vivre seul, ce qui se dit en grec « monos », ermite de corps et d’esprit, dans un désert pour n’être qu’à Dieu.
- Aller à deux : époux et épouse. C’est la voie ouverte à tous.
- Vivre en communauté « monastique » où la solitude du moine est réelle et de cœur, exclusivement pour Jésus, mais épaulée, aidée par des frères ayant le même but.
- Vivre en paroisse, en tiers ordre, en association (notre communion phalangiste), nous aidant de l’expérience des autres.
La deuxième et la quatrième voie n’en font qu’une, c’est celle du mariage. La première, celle de notre vénéré Père Charles de Foucauld, et la troisième est la voie de la vie consacrée. C’est une pensée bien particulière et chère à notre Père de ne pas opposer ces deux états : mariage et virginité voyagent de conserve. « Un monastère doit avoir cet idéal de ressembler à une famille et une famille à un monastère ».
Notre Père a fait naître en grand nombre aussi bien des vocations sacerdotales et religieuses que de solides foyers chrétiens dès le début de son ministère, comme curé de campagne à Villemaur puis comme Père spirituel et prédicateur des Exercices spirituels de saint Ignace, justement recommandés par l’Église pour faire “ l’élection d’un état de vie ”.
Il nous donne donc ici toute sa science théologique et son expérience des âmes. Nous laissons ses précieux conseils de discernement de vocation et de conduite à tenir en conséquence, au style direct, comme il les a énoncés dans sa retraite de 1993, pour permettre à chacun de se les appliquer plus facilement.
1 – Vais-je contracter les liens du mariage ?
Je vais prendre appui sur la nature si bien créée par Dieu, et qui est à la portée de tout le monde. Je vais me marier. Je me connais, il vaut mieux que je m’assure cette base ferme de départ pour m’élever à plus haut, dans ce désir mystique d’embrasser le Seigneur. Je vivrai dans ces relations humaines divinement instituées – le mariage sacramentel – et de là, je m’élancerai dans la contemplation pleine d’amour des perfections sublimes de la circumincessante charité.
Ainsi, je sais que s’il y a un homme et une femme remplis d’amour l’un pour l’autre c’est parce qu’il y a en Dieu un Fils du Père et un Esprit Saint du Père et du Fils ; par notre amour, mon époux et moi, nous expérimentons d’une certaine manière cette vie divine à laquelle nous aspirons en définitive plus qu’à tout.
Comment cela se fera-t-il ? De la manière la plus simple :
- Je demeurerai soumis à mes parents de la terre, c’est la base du perfectionnement, le principe et fondement de la famille et de la fondation d’un foyer.
- Puis, je choisirai une femme qui deviendra par le mariage sacramentel, mon épouse – c’est la grande affaire d’Adam et Ève qui doit se répéter de génération en génération – , et je deviendrai le seigneur et maître de mon foyer. Ce n’est pas du tout, n’en déplaise à certains esprits chagrins, choisir la terre, la nature, la chair, et par là-même tourner le dos à la vie spirituelle, à la vie céleste, à l’ordre surnaturel ! L’Église a toujours condamné ce dualisme manichéen, sans cesse renaissant, comme au temps des Albigeois. Ce n’est pas parce qu’il est galvaudé, malheureusement mal vécu, qu’il faut douter de l’excellence du mariage, œuvre divine de la première création, sanctifié par le Christ et transformé en sacrement. Car dans toutes ces relations, je penserai sans cesse à Marie, à Jésus, au Père Céleste.
Le jeune homme se dira : « En cette jeune fille que j’admire beaucoup et vais choisir en mariage, j’ai un trésor qui me vient de Dieu : elle sera chaque jour pour moi l’image de la Vierge Marie, de ses vertus. Je serai déjà sur le terrain de la vie mystique, en chemin vers le Ciel ; avec elle, je serai comme saint Joseph était avec la Vierge Marie. C’est la Vierge Marie que j’aimerai, honorerai et servirai dans mon épouse. C’est ce que saint Paul explique aux Philippiens : l’homme doit honorer dans son épouse l’image de l’Église. Or, la Vierge Marie est la personnification de l’Église.
Je traiterai mon épouse comme Jésus Lui-même le fit auprès de Marie, sa propre Mère et son Épouse mystique. Je serai rempli d’égards et de sollicitude pour mes parents et les parents de mon épouse, comme Jésus et Marie le furent vis-à-vis de leur Père Céleste et de saint Joseph, son tenant-lieu sur la terre.
Pour la jeune fille, ce serait la même résolution d’entrer dans la circumincessante charité de Dieu avec l’appui d’un époux : « J’ai besoin, dira-t-elle, d’un époux qui me soutienne, qui soit mon bâton, mon assurance dans la vie. Je l’admirerai et je l’aimerai, le servirai, le regardant comme Jésus-Christ pour moi. » C’est en toute vérité ce qu’il sera par le sacrement de mariage comme saint Paul le dit aux Éphésiens (Ép 5, 32) : L’époux est à son épouse comme le Christ est à l’Église. « Ce sacrement est grand » parce qu’il est porteur du mariage du Christ et de l’Église. Mari et femme s’appliquent à éprouver les mêmes sentiments qui furent dans le Christ Jésus et dans la Vierge Marie. Dans cette imitation et assimilation, ils se voudront de plus en plus proches, intimes, cœur à cœur avec eux. C’est possible parce que Jésus et Marie ont achevé leur mission de révélateurs des mystères de Dieu ici-bas et nous en ont légué les effets, la grâce perpétuelle. Le sacrement de mariage est un moyen de s’aboucher à cette fontaine de grâce, à cette source d’eau vive qui jaillit du Cœur Sacré de Jésus et du Cœur Immaculé de Marie. Ce programme n’est pas inaccessible, avec la grâce de Dieu, car le mariage est une œuvre surnaturelle, tellement solide que la mort même ne la détruira pas. Cela passera à travers la mort ; ces liens tiendront en entrant dans la vie éternelle sans rupture de continuité, parfaitement assumés au sein même des Trois Personnes, constituant l’exacte réplique de leur circumincessante charité. Le Ciel est déjà commencé !
2 – Les vœux religieux sont-ils ma vocation ?
Pourquoi et comment renoncer aux liens si doux et si forts du mariage, puisqu’ils dureront toujours, toujours, toujours ? Pour nous mettre en chemin vers le Père par une voie meilleure, plus directe. Si j’en ai reçu la vocation, l’appel de Dieu, j’aurai l’audace de ne vouloir vivre les relations de la circumincessante charité qu’entre Jésus et Marie, ne voulant d’amour et d’union d’être qu'avec Eux, par Eux, en Eux et pour Eux.
Si je suis une jeune fille, évidemment, ces relations vont se présenter à moi comme celles de la Vierge Marie à Jésus et au Père à travers Lui. C’est l’idéal de la Vierge Marie qui sera ma règle de vie, ma perfection, mon atmosphère surnaturelle.
Jeune homme, j’imiterai Jésus. Aimant en Marie la Femme de l’Apocalypse, voulant connaître l’Esprit Saint brûlant d’amour dans le Cœur de la Vierge Marie, par mon union, ma dévotion intime et exclusive (Ap 12, 1), je n’aurai de regard pour aucune femme, préférant m’éloigner des filles d’Ève. Ne me seront amicales, intimes, compagnes même, que les enfants de Marie parce qu’elles sont elles-mêmes embrasées du même culte pour la Vierge Marie, et qu’elles me donnent quelque idée de sa splendeur. En elles, mes sœurs, je verrai Celle que j’aime plus que tout, la seule qui soit mon Épouse, à vrai dire, ou ma Mère, la Vierge Marie. Je ne m’occuperai d’elles – si cela me regarde – que pour les porter elles-mêmes à un plus grand amour et une plus grande conformité à la Vierge Marie.
D’autre part, que je sois jeune homme ou que je sois jeune fille, j’aime Jésus-Christ, l’“ Homme ” parfait, le Maître et le Sauveur du Corps qu’est l’Église, et je ne veux rien que Lui. Je suis pris dans cette circumincession de la charité, par l’amour du Christ. Il est mon Maître, mon Seigneur et mon Tout devant lequel je fonds, auquel je me soumets entièrement et à qui je veux me conformer, me configurer.
La jeune fille qui a choisi d’être au Christ L’aimera comme son Époux et à partir de ce moment-là, jettera un regard très différent sur les hommes : les uns pour les éloigner parce qu’ils sont des rivaux du Christ, telle Pénélope repoussant les prétendants pour rester l’épouse d’Ulysse ; elle trouvera dans les autres, les fidèles serviteurs du Christ, qui lui viendront de Lui, son bien, son assurance. Ils lui parleront de Lui, la nourriront de ses sacrements, de ses vérités et de ses commandements, la réconforteront de leurs conseils, direction, affection. Pensons à sainte Marguerite-Marie à qui Notre-Seigneur avait promis d’envoyer « un sien serviteur » pour « la rassurer » dans ses voies extraordinaires et qui lui dit intérieurement lorsque le Père de la Colombière vint à la Visitation de Paray : « Voilà celui que je t’envoie. »
À travers toute l’histoire de l’Église, nous avons ainsi des exemples merveilleux de saints et saintes que Dieu a unis dans des amitiés spirituelles très fortes et très fécondes : saint Benoît et sainte Scholastique, saint François d’Assise et sainte Claire. Arrêtons-nous un instant sur le “ couple mystique ” de saint François de Sales et sainte Jeanne de Chantal, tellement aimable.
Notre-Seigneur fit voir à cette sainte, en songe, « le guide bien-aimé de Dieu et des hommes entre les mains duquel tu dois reposer ta conscience », lui dit-il. Prévenu par le Ciel, de son côté aussi, saint François déclara après l’avoir confessée pour la première fois : « En cette confession, Dieu logea cette bonne âme bien intimement en mon cœur et d’une façon extraordinaire et je sentis comment il fallait soulever cette âme simple à la sainteté. »
Cette union mystique était voulue par le bon Dieu. Saint François de Sales l’écrit à sa fille spirituelle : « Mon Dieu m’a donné à vous. (...) Je suis vôtre, Jésus le veut et je le suis. » De l’union de leurs deux cœurs sortira la Visitation Sainte Marie, ordre qui enrichira l’Église de grands trésors, en particulier, la dévotion au Sacré-Cœur.
Notre Père aime aussi beaucoup pénétrer le mystère de l’amour du Père de Foucauld pour sa chère cousine Marie de Bondy. Orphelin ayant perdu la foi, Charles de Foucauld trouva le salut dans l’affection merveilleuse de sa cousine qui avec son autre cousine et sa tante vont le recevoir dans leur intimité familiale avec une simplicité d’accueil et une grande charité : par le rayonnement de leur piété, de leur vertu, il trouve en elles des mères spirituelles. C’est la circumincession de la charité qui le ramènera à la foi. Marie de Bondy, la plus proche de lui, le conduit à l’abbé Huvelin qui le confesse et le communie. Toute sa vie, il y aura une union admirable entre eux deux. Il l’appelait toujours “ ma mère ”, mais au fil des années, c’était lui qui était devenu son père spirituel, la consolant, la guidant. La dernière lettre qu’il écrivit le jour de son martyre fut pour sa chère cousine et il signa ainsi : « Vous savez que votre vieux fils aîné vous est dévoué de tout cœur dans le Cœur de Jésus ».