SYRIE
3. Les causes de la guerre (1997-2011)
Première partie
NOTRE premier article sur l’histoire de la Syrie nous a fait découvrir une volonté divine sur ce pays, le confiant à la France pour en recevoir le bienfait civilisateur et missionnaire. Dans le deuxième article, nous avons raconté les premières années de Bachar el-Assad et ses bonnes relations avec la France de Jacques Chirac, et nous le terminions en nous demandant comment une collaboration si fructueuse avait pu se changer en une haine mortelle.
C’est que la Syrie a été prise dans des enjeux géopolitiques mondiaux. Pour le comprendre, il faut rappeler les grandes lignes de la politique internationale à la fin des années 90 et au début des années 2000.
I. LA SYRIE DANS LA POLITIQUE INTERNATIONALE
AU MOYEN-ORIENT SOUS L’ADMINISTRATION BUSH (2000 -2008)
Pour comprendre pourquoi l’indépendance politique de dirigeants syriens a constitué un problème pour les États-Unis depuis la fin des années 90, il faut réaliser qu’il existe, malgré la fin de la guerre froide, une concurrence effrénée entre deux grands blocs.
UNE CONCURRENCE EFFRÉNÉE
ENTRE DEUX GRANDS BLOCS
Voici ces deux blocs, de façon très simplifiée. D’abord le bloc occidental ou atlantiste. Il regroupe les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l’Australie, le Canada, et la plupart des pays d’Europe de l’Ouest, avec une nette tendance à l’extension vers l’Est. Il a aussi des appuis en Amérique latine.
En face, le bloc oriental, constitué par les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) et par l’Organisation de coopération de Shangaï : la Russie, l’Inde, et la Chine déjà mentionnées, mais aussi le Pakistan, le Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan. Il faut ajouter quatre États observateurs dont l’Iran, et six partenaires de discussion dont la Turquie. Ce bloc oriental possède des appuis en Amérique du Sud dont le Venezuela, gros producteur de pétrole.
Les pays du Moyen-Orient se rattachent à ces deux blocs comme suit. Au bloc occidental se rattachent Israël et les monarchies sunnites du golfe arabo-persique, et en général les pays où dominent le sunnisme wahhabite ou les Frères musulmans. La Turquie a fait longtemps partie du bloc occidental, jusqu’au récent retournement d’alliance vers la Russie. Au bloc oriental se rattachent notamment tous les pays arabes nationalistes et socialistes, dirigés par un chef d’État à poigne : la Syrie, la Libye avant 2011, l’Algérie, l’Irak... mais aussi l’Iran chiite. Au Liban, la communauté sunnite penche logiquement du côté occidental, tandis que la communauté chiite penche du côté oriental ; les chrétiens se partagent entre les deux.
Depuis vingt ans, les relations internationales, y compris et surtout au Moyen-Orient, sont dominées par l’affrontement de plus en plus tendu de ces deux blocs. Le bloc occidental, dominé par les États-Unis, veut maintenir son hégémonie, spécialement économique, par une politique toujours plus agressive, tandis que le bloc oriental conteste cette hégémonie. La guerre sans merci que se livrent ces deux blocs n’est pas d’abord une guerre de conquête territoriale, mais une guerre économique, donc commerciale et financière. C’est dans ce cadre que la Syrie a été prise à partie par les États-Unis, nous allons le montrer.
Pour comprendre les raisons de cette hostilité, il faut considérer les grandes orientations de la politique étrangère américaine depuis les vingt dernières années, et remarquer qu’elle est structurée par au moins cinq objectifs constants, bien identifiés par Aymeric Chauprade dans son livre Chronique du choc des civilisations (2012).
LES OBJECTIFS CONSTANTS
DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE AMÉRICAINE
Premièrement : conserver la suprématie mondiale. Deuxièmement : empêcher par tous les moyens les pays du bloc oriental (Chine, Russie, Iran, etc.) de contester cette suprématie. Troisièmement : pour cela, les États-Unis doivent en premier lieu veiller à ce que Chauprade appelle « l’optimisation des intérêts de leurs oligarchies économiques dans le monde », dont l’un des piliers majeurs est le contrôle de la production et du commerce des hydrocarbures. Quatrièmement : « soutenir la géopolitique israélienne par la transformation politique d’un grand Moyen-Orient musulman démocratisé sous forme de régimes proaméricains ayant établi des relations avec Israël. » Chauprade ajoute un cinquième objectif : « la volonté, depuis l’origine, de transformer le monde à l’image des États-Unis ». Précisons que pour les « néoconservateurs » américains, cette volonté n’est qu’un habillage hypocrite des seuls objectifs qui comptent à leurs yeux : ceux mentionnés ci-dessus. Ainsi, le mémorandum Stratégie de sécurité nationale produit en 1996 par le gouvernement Clinton affirmait clairement : « Promouvoir la démocratie fait plus que satisfaire nos idéaux. Cela avance nos intérêts. » (Frédéric Pichon, Syrie : pourquoi l’Occident s’est trompé, 2014, p. 47)
Aymeric Chauprade observe : « Aucun président américain, depuis les années 1950, n’a jamais ébranlé l’un de ces fondements. » (Chronique du choc des civilisations, 2009, p. 229)
Ces différents intérêts peuvent s’entrecroiser, et parfois converger : « C’est l’effondrement de l’Urss qui a désigné les nouvelles priorités stratégiques américaines : en premier lieu, contrer la Chine qui représentera, d’ici deux décennies, le principal adversaire de Washington ; en second lieu, contrôler la totalité du principal réservoir pétrolier du monde, le Moyen-Orient, et y récupérer notamment l’Irak et l’Iran, phares des nationalismes arabe et perse. » (Chronique du choc des civilisations, 2012, p. 48-49)
Il faut absolument garder à l’esprit ces objectifs constants des décideurs américains, car ils constituent les motivations profondes de leur politique au Moyen-Orient en général, et en Syrie en particulier. Ils sont donc la clef de compréhension des événements passés mais aussi actuels et, probablement, à venir.
Toutefois, si Chauprade observe très justement la constance de ces objectifs, il ne donne pas la raison profonde de cette permanence malgré la succession d’équipes différentes à la Maison-Blanche. L’abbé de Nantes l’expliquait pourtant il y a quarante ans : « L’idée est simple : des financiers choisissent des technocrates qui fabriquent de toutes pièces des démocrates afin de gouverner le monde par ces fantoches interposés. Rockefeller a fait Kissinger qui a fait Nixon, comme ensuite Brzezinski qui a fait d’un marchand de cacahuètes le président des États-Unis, Jimmy Carter. » (CRC n° 123, novembre 1977, p. 13)
Or, à la fin des années 90, ces financiers sentant la suprématie mondiale des États-Unis quelque peu menacée, suscitèrent pour la défendre un groupe de technocrates appelés les “ néoconservateurs ”, qui ont conquis le pouvoir et ont influé sur la politique étrangère américaine et même mondiale pendant vingt ans.
LES NÉOCONSERVATEURS AU POUVOIR
Leurs noms ne doivent pas nous tromper : ces hommes professent une doctrine politique révolutionnaire, celle de Léo Strauss. D’inspiration nietzschéenne, elle se caractérise par un cynisme absolu : tous les coups sont permis pour défendre ses intérêts. Cette doctrine postule donc la violence absolue dans les relations internationales si nécessaire (cf. Pierre Hillard, La marche irrésistible du nouvel ordre mondial, 2013, p. 203-218).
QUI SONT-ILS ?
Au printemps 1997, l’historien Robert Kagan et William Kristol, deux disciples de Léo Strauss, fondèrent un nouveau think tank, ou cercle de réflexion, le Project for New American Century, Projet pour un Nouveau siècle américain (PNAC).
Ils rédigèrent une première version de leur programme en 1996, dans le rapport « Une rupture nette : une nouvelle stratégie pour sécuriser le royaume [d’Israël] », destiné au Premier ministre israélien de l’époque, Benjamin Netanyahou (Pierre Hillard, ibid., p. 78). Et ils le formulèrent définitivement en septembre 2000, dans le rapport Reconstruire les défenses de l’Amérique : Stratégie, forces et ressources pour un nouveau siècle (Pierre Hillard, ibid., p. 209). Cette chronologie révèle que les objectifs stratégiques prétendument fixés en réponse au 11 septembre 2001 ont été en fait définis en 1996.
L’équipe du PNAC élabora le programme électoral de George W. Bush et mena à bien son élection en novembre 2000. Ce dernier intégra logiquement dans son administration de nombreux membres du PNAC, qu’il plaça à des postes clefs : Dick Cheney (ancien président d’Halliburton), Donald Rumsfeld, Paul Wolfowitz (élève de Strauss et trotskiste), Richard Perle, etc. Ajoutons pour faire bonne mesure Condoleeza Rice, qui avait passé neuf ans chez Chevron.
Ces très discrets néoconservateurs ont piloté la politique des États-Unis, pratiquement jusqu’à l’élection de Trump.
OBJECTIFS STRATÉGIQUES DES NÉOCONSERVATEURS.
Le 3 octobre 2007, le général Wesley Clark, qui fut commandant suprême des forces de l’Otan entre 1997 et 2000 raconta deux faits impressionnants. D’abord une réunion en 1991 avec Paul Wolfowitz, qui était à l’époque sous-secrétaire d’État à la Défense. Ce dernier lui déclara : « Nous avons cinq ou dix ans pour nettoyer tous ces régimes dévoués à l’ex-Union soviétique, la Syrie, l’Iran, l’Irak, avant que la prochaine superpuissance n’émerge pour nous défier. » Le deuxième fait se passa une dizaine de jours après le 11 septembre 2001. Clark se rendit au Pentagone et rencontra, outre Donald Rumsfeld, un officier d’état-major qui l’informa du projet « d’attaquer et détruire les gouvernements de sept pays sur cinq ans : l’Irak, puis la Syrie, le Liban, la Libye, la Somalie, le Soudan, et l’Iran. » Le général Clark conclut : « Un groupe de gens, les collaborateurs du PNAC, a pris le contrôle de notre pays par un coup d’État politique. Ils voulaient que le Moyen-Orient soit déstabilisé, qu’il soit bouleversé et placé sous notre contrôle. »
Beaucoup d’autres documents datant de cette période corroborent ce témoignage. Quatre de ces sept pays étaient mentionnés en 1996 dans le rapport “ Une rupture nette ” cité plus haut, dans lequel ces mêmes néoconservateurs présentaient déjà un plan qui permettrait à Israël de « modeler son environnement stratégique », en commençant par « retirer Saddam Hussein du pouvoir en Irak », puis en affaiblissant la Syrie et le Liban, et finalement l’Iran. Donc, pour bien comprendre la guerre de Syrie de 2011, il faut garder à l’esprit que, pour les néoconservateurs, ce pays est depuis la fin des années 90 l’un des quatre pays cibles. Ainsi, en 1996, Richard Perle et ses collaborateurs écrivaient à l’intention de Benjamin Netanyahou : « Il va de soi, et c’est le plus important, qu’Israël a intérêt à appuyer diplomatiquement, militairement et opérationnellement les actions de la Turquie et de la Jordanie contre la Syrie, comme en protégeant des alliances avec des tribus arabes à travers le territoire syrien et hostiles à l’élite dirigeante syrienne. » (Pierre Hillard, ibid., p. 78)
Le 25 février 2000, le néoconservateur David Wurmser écrivit un article dans le Wall Street Journal intitulé “ Il faut vaincre la Syrie, pas l’apaiser ”. Il appelait de ses vœux une guerre et concluait : « Bientôt la Syrie sera saignée à mort. » L’objectif était donc clairement annoncé !
Dans son livre Pièges à Bagdad (2004), Frédéric Pons rapporte que neuf jours après le 11 septembre 2001, les membres du PNAC rédigèrent « une nouvelle lettre ouverte adressée à la Maison-Blanche. Kristol et ses amis réclamaient la guerre totale à Al-Qaïda, le renversement de Saddam Hussein par une intervention militaire et des mesures actives contre l’Iran (puissance nucléaire illégale) [?], la Syrie (hôte de mouvements terroristes), le Liban (soutien des islamistes du Hezbollah) et l’Autorité palestinienne (nid du terrorisme anti-israélien). Idée centrale de l’argumentation : “ La paix à Jérusalem passe par Bagdad. ” Dans un témoignage devant la Commission des affaires étrangères du Sénat, William Kristol donnait la clef du projet de transformation du paysage politique au Moyen-Orient : “ Un Irak ami, libre et producteur de pétrole isolerait l’Iran et intimiderait la Syrie ; les Palestiniens engageraient plus volontiers des négociations sérieuses avec Israël ; et l’Arabie saoudite pèserait moins lourd sur les politiques américaine et européenne. ” » (p. 66)
Dans son livre Guerre contre les maîtres de la terreur paru en septembre 2002, Michael Ledeen, doctrinaire des néoconservateurs et trotskistes, écrivait : « D’abord nous devons en finir avec les régimes terroristes, à commencer par les trois grands : Iran, Irak et Syrie. Puis nous nous occuperons de l’Arabie saoudite... Nous ne voulons de stabilité ni en Irak, ni en Syrie, ni au Liban, ni en Iran ou en Arabie saoudite. Nous voulons que les choses changent. La question n’est pas de savoir s’il faut déstabiliser mais comment le faire. »
POURQUOI CES QUATRE PAYS ÉTAIENT-ILS CIBLÉS ?
Les quatre pays cités par le général Clark (Iran, Irak, Syrie et Liban) constituaient des cibles pour les néoconservateurs, car ils faisaient obstacle à un ou plusieurs de leurs objectifs stratégiques.
Au premier rang de ces objectifs, il faut placer la volonté de contrôler les réserves, la production et le commerce des hydrocarbures, pilier majeur de l’économie mondiale. Les États-Unis voulaient prendre de vitesse la Russie et la Chine, dans un véritable nouveau Grand Jeu énergétique que notre frère Bruno a souvent expliqué dans ses articles de l’époque. En définitive, l’enjeu était de savoir qui, du bloc occidental ou du bloc oriental, contrôlerait le commerce des hydrocarbures.
Aymeric Chauprade observe finement : « Les États-Unis ne cherchent pas à contrôler le Moyen-Orient pour leurs propres approvisionnements puisqu’ils s’approvisionneront de moins en moins au Moyen-Orient (aujourd’hui déjà le continent africain pèse plus dans leurs importations), mais ils chercheront à contrôler ce Moyen-Orient pour contrôler la dépendance de leurs compétiteurs principaux, européens et asiatiques [...]. Pour les États-Unis, contrôler le Moyen-Orient, c’est contrôler largement la dépendance de l’Asie et en particulier celle de la Chine. » (Aymeric Chauprade, Où vont la Syrie et le Moyen-Orient ? conférence donnée le 27 novembre 2012) En clair : « La Chine a besoin des hydrocarbures produits par le Moyen-Orient, où se trouvent les deux tiers des réserves mondiales. » (Aymeric Chauprade, Chronique du choc des civilisations, 2012, p. 30) Or, au sein de ce riche Moyen-Orient, l’Irak et l’Iran avaient et ont toujours d’énormes réserves d’hydrocarbures (cf. notre carte, p. 20). Mais au lieu d’être soumis aux États-Unis, ces deux pays voulaient s’en émanciper, préférant l’alliance avec la Russie et la Chine, dont ils étaient les points d’appui dans la région.
Ajoutons qu’Israël cherchait à obtenir la remise en service de l’oléoduc Kirkouk-Haïfa, construit en 1935, et fermé par l’Irak en 1948 (cf. Il est ressuscité n° 184, p. 24). L’État hébreu avait tenté maintes fois d’obtenir sa remise en service, en vain, du fait de l’opposition de Saddam Hussein. Ce qui renforçait le désir des Israéliens de renverser celui qu’ils considéraient comme un autocrate têtu. Lors de l’invasion américaine de 2003, l’état-major américain lança même l’opération “ Shekhinah ” pour prendre le contrôle de la partie irakienne de cet oléoduc. Mais la situation politique irakienne fit rapidement disparaître tout espoir de remise en service de cet oléoduc.
Mais le Grand jeu ne se limitait pas géographiquement au Moyen-Orient. Il s’étendait aussi, entre autres, à l’Asie Centrale. D’abord, il s’agissait pour les États-Unis de ravir à la Russie l’évacuation du pétrole de la Caspienne, en construisant leur propre oléoduc entre Bakou et le port turc de Ceyhan, mais sans choisir le chemin le plus court, qui impliquait de traverser l’Iran, pays appartenant au bloc oriental.
Ce bras de fer comportait également un volet plus à l’Est, au Turkménistan. En effet, la société Exxon exploitant le pétrole et le gaz de ce pays désirait construire un pipeline pour exporter le gaz turkmène vers le Pakistan et l’Inde. Il n’était pas question de passer par la Russie, au Nord ; ni par l’Iran, au Sud-Ouest. La seule solution était donc de passer par le voisin du Sud, l’Afghanistan. Encore fallait-il sécuriser le chemin, c’est-à-dire conquérir les bonnes grâces du gouvernement taliban, obtenir la réconciliation des différentes factions en guerre dans la région concernée (notamment l’Alliance du Nord, de Massoud), et en cas d’échec, faire la guerre pour s’imposer par la force. C’est ce qui explique les relations suivies entre les États-Unis et les talibans, relations qui allaient bientôt tourner à l’aigre et connaître une publicité mondiale.
Toutefois, les États-Unis ne désiraient pas seulement mettre la main sur l’approvisionnement en pétrole. Ils voulaient aussi contrôler les cours de l’or noir, ce qui est primordial pour les acteurs économiques, en particulier pour les Américains. En effet, depuis les années 1971-1973, la puissance du dollar n’est plus fondée sur les réserves or des États-Unis mais sur le commerce du pétrole. « Le lien entre pétrole et dollar est l’une des composantes essentielles de la puissance du dollar. Il justifie que les pays disposent de réserves en dollar considérables pour pouvoir payer leur pétrole, et par conséquent que le dollar soit une monnaie de réserve principale. Par voie de conséquence, ce lien pétrole / dollar est bien ce qui permet aux États-Unis de financer leur formidable déficit budgétaire et de se permettre une dette fédérale de plus de 15 000 milliards de dollars. Aujourd’hui tout le monde parle des dettes et crises européennes, mais les États-Unis sont, sur le plan de l’endettement (endettement fédéral, endettement des États, endettement des ménages) dans une situation bien pire que les Européens. Cependant leur bouclier s’appelle “ dollar ”. » (Aymeric Chauprade, Où vont la Syrie et le Moyen-Orient ?)
Or, en septembre 2000, Saddam Hussein annonça que l’Irak vendrait dorénavant son pétrole contre d’autres monnaies que le dollar. L’Iran s’apprêtait à suivre son voisin sur ce chemin dangereux... pour les États-Unis. C’était intolérable.
Voilà donc pourquoi les États-Unis voulaient prendre le contrôle de l’Irak et de l’Iran, de nombreux auteurs comme Chauprade, Del Valle, Pons, etc., l’ont largement prouvé.
Mais les objectifs des néoconservateurs n’étaient pas seulement liés aux hydrocarbures. Les quatre pays cibles formant l’ « arc chiite » étaient en effet perçus par Israël comme des menaces pour sa sécurité, et l’un des autres motifs principaux de l’intervention prévue contre l’Irak était de briser ce maillon faible de l’arc, menaçant pour l’État hébreu. Lors d’une conférence à l’Université de Virginie donnée le 10 septembre 2002, Philip Zelikow, le conseiller de Condoleezza Rice et directeur exécutif de la Commission sur le 11-Septembre, déclara : « Pourquoi l’Irak attaquerait-il l’Amérique ou utiliserait-il des armes nucléaires contre nous ? Je vais vous dire ce qui est, à mon avis, la véritable menace, et qui l’a été depuis 1990 : c’est la menace contre Israël. C’est la menace qui n’ose pas dire son nom, parce que les Européens ne se préoccupent pas beaucoup de cette menace, je vous le dis franchement. Et le gouvernement américain ne veut pas trop s’appuyer sur elle rhétoriquement, parce que ce n’est pas un thème vendeur. » L’administration américaine vendit cette guerre au nom du prétendu danger représenté par les “ armes de destruction massive ” jamais découvertes par les commissions d’enquête de l’Onu.
Notre frère Bruno expliqua cela dans Il est ressuscité n° 9, d’avril 2003 : « En fait, l’Irak ne menaçait personne, sauf... l’État d’Israël. Nous le disons et répétons depuis des mois (Il est ressuscité n° 3, octobre 2002, p. 28 ; n° 6, janvier 2003, p. 11). Cela commence enfin à se savoir : “ En privé, notre ministre actuel des Affaires étrangères et certains qui occupèrent cette fonction avant lui laissent entendre qu’Israël est l’enjeu véritable du conflit avec l’Irak. ” Conclusion : “ Le nœud de la crise est évidemment à Jérusalem plus qu’à Bagdad ; le président américain l’a implicitement admis en annonçant la reconnaissance d’un État palestinien dans la foulée d’un désarmement de l’Irak. ” (Le Figaro du 18 mars 2003) »
Le néoconservateur Michael Ledeen affirmait dans son livre La Guerre contre les maîtres de la terreur cité plus haut : « Si nous détruisons les maîtres de la terreur à Bagdad, Damas, Téhéran et Riyad, nous pourrions avoir une chance de négocier une paix durable en Palestine. » Où l’on voit que la Syrie était au cœur de ce grand projet.
« LA SYRIE, CLEF DE VOÛTE DU MOYEN-ORIENT. »
(Chauprade)
Après quelques mois de gouvernement, Bachar el-Assad était apparu aux puissances occidentales comme « un empêcheur de tourner en rond », tout comme son père Hafez, selon l’expression du général libanais Jamil Sayyed dans un entretien au Figaro, cité par notre frère Bruno dans sa conférence d’actualités d’octobre 2012.
Nous avons évoqué dans notre précédent article (Il est ressuscité n° 184, p. 23-24) les ancrages historiques des blocages entre la Syrie et les puissances occidentales. Premièrement, depuis les années 60 la Syrie était le principal allié de la Russie au Proche-Orient. Cette alliance incluait une coopération économique, agricole, mais aussi énergétique, des fournitures d’armes, et la jouissance des installations portuaires de Tartous. Ce dernier point allait devenir crucial dans les années qui précéderaient la guerre de 2011, dans la mesure où la marine russe allait faire son grand retour en Méditerranée.
Deuxièmement, dans les années 80, la Syrie avait contracté une véritable alliance stratégique avec l’Iran, renforcée par Bachar el-Assad au point de donner finalement naissance à “ l’arc chiite ” qui unit aujourd’hui l’Iran, l’Irak, la Syrie et les chiites libanais. Depuis lors, cet arc stratégique, qui se rattache au bloc oriental, est devenu la phobie des pays du bloc occidental, en particulier des Israéliens, qui ne pensent qu’à le briser. Cet arc chiite a pris une importance majeure peu avant 2011, avec le désir de l’Iran de créer une véritable route stratégique entre les pays de l’arc chiite, comprenant oléoduc et gazoduc. La Chine qui investissait beaucoup en Syrie, avait même le projet de rétablir l’une des antiques routes de la soie en construisant un chemin de fer à travers l’Iran, débouchant par la Syrie sur la Méditerranée.
D’autant plus que la Syrie occupe depuis le milieu du vingtième siècle une position clef pour le transit des hydrocarbures, entre les lieux de production (l’Iran, l’Irak, l’Arabie saoudite, mais aussi des pays du Proche-Orient) et les débouchés que sont la Méditerranée et la Turquie comme porte vers l’Europe. Il y a là depuis longtemps des enjeux géopolitiques considérables. Quatrièmement, l’État syrien n’a jamais voulu se plier aux diktats des étrangers, même pas à ceux des Américains. Hafez el-Assad et son fils Bachar étaient décidément « des empêcheurs de tourner en rond ! » Et puis, le contentieux avec Israël ne s’arrêtait pas à ce que nous avons dit. La Syrie soutenait les revendications des Palestiniens et le mouvement Hamas, ainsi que le Hezbollah libanais. Il y avait aussi la question du Golan. Le courant des faucons israéliens voulait l’annexer purement et simplement. Or, jusqu’ici, Bachar el-Assad n’était pas prêt à reconnaître cette annexion.
Enfin, certains Israéliens étaient et sont toujours animés du désir de Théodore Herzl de rétablir un État s’étendant « du Nil à l’Euphrate ». En attendant de réaliser cette conquête, ils ont un plan de balkanisation du Proche et du Moyen-Orient, Israël restant le seul pays puissant de la région. Ce plan a été formalisé notamment en 1982 par Oded Yinon, au sein du ministère des Affaires étrangères. Or, ce plan de redécoupage prévoyait notamment d’amputer la Syrie de toute une partie de son territoire :
« La désintégration de la Syrie et de l’Irak en provinces ethniquement ou religieusement homogènes, comme au Liban, est l’objectif prioritaire d’Israël, à long terme, sur son front Est ; à court terme, l’objectif est la dissolution militaire de ces États. La Syrie va se diviser [sic !] en plusieurs États, suivant les communautés ethniques, de telle sorte que la côte deviendra un État alaouite chi’ite ; la région d’Alep, un État sunnite ; à Damas, un autre État sunnite hostile à son voisin du nord verra le jour ; les Druzes constitueront leur propre État, qui s’étendra sur notre [sic !] Golan peut-être, et en tout cas dans le Haurân et en Jordanie du Nord. Cet État garantira la paix et la sécurité dans la région, à long terme : c’est un objectif qui est, dès à présent, à notre portée. » (Pierre Hillard, ibid., p. 78-81). Force est de constater la convergence de ces directives vieilles de plus de trente-cinq ans avec les objectifs stratégiques récents de la coalition occidentale en Syrie. Une analyse approfondie de la véritable stratégie israélienne dans les années qui ont précédé le déclenchement de la révolte en Syrie serait extrêmement féconde pour la compréhension des ressorts de la géopolitique du Moyen-Orient.
LES ISRAÉLIENS ET LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE AMÉRICAINE.
Pour faire avancer leurs idées, les Israéliens ont développé depuis les années 70 une formidable activité de lobbying dans le monde entier, mais principalement aux États-Unis. C’est l’origine de toute une partie des objectifs stratégiques des néoconservateurs, comme l’ont montré de nombreux auteurs, notamment le général (2 S) Dominique Delawarde. Et de fait, il y a une étonnante filiation entre les idées stratégiques israéliennes et le Projet américain de remodelage du Moyen-Orient.
LE PROJET DU GRAND MOYEN-ORIENT.
Toutes les raisons que nous venons d’évoquer déterminèrent les néoconservateurs à concevoir dès la fin des années 90 un plan stratégique d’ensemble pour éliminer les obstacles à leurs ambitions. L’un des points clés de ce plan consistait à briser “ l’arc chiite ” dont la Syrie était un élément.
Le 20 septembre 2002, George Bush révéla ce plan. Notre frère Bruno en rendit compte aussitôt dans ses actualités de novembre 2002 : Le « Project for the New American Century (PNAC) “ projet pour le nouveau siècle américain ”, vise à la reprise en main non seulement de l’Irak, mais aussi de l’Iran et de toute l’Asie centrale. Le but est, grâce à la suprématie spatiale et cybernétique, de changer le régime en Chine. » (Il est ressuscité n° 2, septembre 2002, p. 34) Ce plan est donc très large, et rentre bien dans le cadre de l’affrontement des deux blocs.
C’est ce projet de remodelage du Moyen-Orient que Bush a appelé Projet du Grand Moyen-Orient, dont notre frère Bruno prévint qu’il serait une source d’instabilité pour la région (conférence d’Actualités de juin 2004). Ce projet n’a cessé d’être mis à jour depuis, nous y reviendrons plus loin.
MISE EN ŒUVRE DE CE PROGRAMME
Dès le mois de janvier 2001, l’administration Bush prépara la mise en œuvre du programme du PNAC, en particulier par la création, le 29 janvier 2001 (soit trois jours après son arrivée à la Maison-Blanche !), de la commission Energy Policy Task Force, présidée par Dick Cheney et Condoleezza Rice (cf. J.-C. Brisard et G. Dasquié, Ben Laden, la vérité interdite, 2002, p. 76). Les deux objectifs prioritaires de cette commission très secrète étaient logiquement l’Afghanistan et l’Irak.
« Dès l’arrivée de George W. Bush à la Maison- Blanche, en janvier 2001, le nouveau président des États-Unis prend Bagdad pour cible. » (Aymeric Chauprade, Chronique du choc des civilisations, p. 21) Seulement dix jours après l’intronisation de Bush, le changement de régime en Irak était un sujet prioritaire. Le Secrétaire au Trésor, Paul O’Neill, déclara que le principal sujet du premier conseil du Président était de savoir comment réaliser une invasion préventive de l’Irak. Le principal sujet du deuxième conseil fut l’occupation future de l’Irak.
La première étape de la réalisation du plan des néoconservateurs fut bien sûr la guerre d’Afghanistan. La deuxième étape fut l’invasion de l’Irak. Mais avant même la réalisation de cette deuxième étape, le 6 mai 2002, John Bolton, néoconservateur et directeur du Désarmement au département d’État américain désigna la Syrie comme l’une des prochaines cibles de la Longue Guerre, après l’Irak.
L’INVASION AMÉRICAINE EN IRAK.
Cette guerre d’Irak déclenchée par les États-Unis au printemps 2003, à laquelle Bachar el-Assad s’opposa tout comme la France, eut de très nombreuses conséquences pour la Syrie. Pas moins de 1, 5 million d’Irakiens trouvèrent refuge chez leur voisin de l’Ouest. S’ajoutant aux 435 000 réfugiés palestiniens et aux 305 000 Syriens déplacés du Golan depuis 1967, les réfugiés irakiens créèrent de graves difficultés économiques pour leur pays d’accueil. Bachar el-Assad dut aussi sécuriser la frontière avec son voisin de l’Est afin que les troubles ne se répandent pas dans son pays.
Un seul fait nous donnera à comprendre les conséquences du chaos irakien sur la Syrie. En 2010, un certain Abou Bakr al-Baghdadi prit la tête d’un groupe terroriste sunnite créé vers 2003 et renommé en 2006 “ l’État islamique en Irak ”. En 2013, ce groupe terroriste entrera en Syrie et fusionnera (pour un temps) avec des groupes djihadistes locaux. Il changera alors son nom en État islamique en Irak et au Levant, dont l’acronyme arabe forme le nom Da’ech.
PREMIÈRES MESURES CONTRE LA SYRIE.
Dans le plan des néoconservateurs, après l’Irak, l’étape suivante était la Syrie. Le 11 novembre 2003, le Congrès américain vota la Loi pour que la Syrie rende des comptes et pour que la souveraineté libanaise soit restaurée, imposant des sanctions économiques « pour que la Syrie cesse de soutenir le terrorisme, mette fin à son occupation du Liban, et arrête le développement d’armes de destruction massive ».
Il était donc reproché à la Syrie premièrement d’occuper le Liban. Singulier reproche quand on se souvient de l’attitude des gouvernements occidentaux en 1990 lorsqu’ils abandonnèrent le Liban à la Syrie ! Notre Père, lui, écrivait ce texte pathétique :
« J’aurais voulu aussi pleurer sur le Liban où les chrétiens livrent leur dernier combat derrière le général Aoun, tandis que déjà toutes les puissances mondiales l’ont promis à la Syrie, en échange de la paix à Israël où s’implantent des milliers de juifs soviétiques aux dépens des chrétiens asphyxiés, persécutés. “ Pleure, ô pays bien-aimé... ” » (CRC n° 265, juin 1990 p. 28) Raison de plus pour qu’en 2003 l’armée syrienne évacue le Liban ? Oui, mais sans oublier qu’à l’été 2001 Bachar el-Assad avait fait preuve de bonne volonté en retirant 7 000 des 10 000 soldats encore stationnés dans la capitale libanaise. Et en étant conscients que cette demande des Occidentaux n’était pas motivée par le souci de la défense des chrétiens, dont ils ne se préoccupaient pas plus en 2003 qu’en 1990.
Il était ensuite reproché à la Syrie son soutien au terrorisme. En particulier, les États-Unis prétendaient qu’elle soutenait le djihad contre eux en Irak. Il est vrai que des Syriens avaient passé la frontière pour participer au djihad contre l’envahisseur. Mais cette accusation, sans cesse ressassée depuis le déclenchement de la guerre de Syrie de 2011, suppose de la part des États-Unis une incroyable hypocrisie. En effet, ils reprochent à Bachar el-Assad ce qu’eux-mêmes pratiquent habituellement depuis les années 80, et spécialement en Syrie depuis 2011. De plus, ils taisent savamment la collaboration de la Syrie avec les Occidentaux dans la lutte contre le terrorisme, commencée dès l’automne 2001, collaboration qui a duré au moins jusqu’en 2011. « Les Américains n’ont pas hésité [après le 11 septembre 2001] à transférer secrètement dans les prisons syriennes des islamistes liés aux réseaux Al-Qaïda qu’ils avaient enlevés en Europe et au Moyen-Orient. » (Chesnot et Malbrunot, Les chemins de Damas, ibid., p. 99)
Malgré l’opposition de la Syrie à l’invasion américaine en Irak, une fois la guerre déclenchée, « les services de Damas arrêtent sous la pression des Américains des combattants étrangers qui transitent par la Syrie [...]. Des centaines d’entre eux se retrouvent dans les geôles de Damas. Les Syriens fournissent aussi des listes de ces djihadistes aux services américains. Les États-Unis réclament en outre les noms des leaders de la guérilla irakienne. » (Chesnot et Malbrunot, ibid., p. 101) Voilà comment les “ fameuses ” prisons syriennes se sont remplies. À ne pas oublier en ces temps où il est de bon ton de reprocher au président syrien de détenir un nombre considérable de prisonniers dans ses geôles, comme celle de Saïdnaya près de Damas.
« Entre 2005 et 2006, les services syriens ont arrêté quelque 2 000 Occidentaux, toutes nationalités confondues, avant leur passage en Irak pour y mener la guerre sainte ou leur radicalisation dans des écoles religieuses à Damas ou à Alep, la seconde ville du pays. » (Chesnot et Malbrunot, ibid., p. 177) La vraie question est donc celle-ci : pourquoi les pays occidentaux ont-ils laissé leurs ressortissants quitter leur pays pour s’adonner à une telle activité ? Et pourquoi la justice française a-t-elle libéré Boubaker al-Hakim, livré par les autorités syriennes à la France en 2005, en fuite en Tunisie, considéré comme le plus dangereux djihadiste dans ce pays (Chesnot et Malbrunot, ibid., p. 175) ? Finalement, qui doit donner des leçons à qui ?
Il était enfin reproché à la Syrie de développer des armes de destruction massive. Les experts les plus sérieux savent que la Syrie n’a pas et n’aura jamais l’arme nucléaire, contrairement à Israël qui possède entre soixante et deux cents ogives (Alain Chouet, Au cœur des services spéciaux, 2011, p. 193-194).
Mais la Syrie a des armes chimiques ! Oui, car elle n’a pas signé la convention internationale contre l’utilisation d’armes chimiques. Israël a signé la convention, mais n’a jamais ratifié le traité.
La guerre contre Damas fut donc votée, puis ratifiée par le président Bush le 12 décembre 2003 par le Syrian Accountability Act, rédigé sur le modèle de l’Iraq Liberation Act de 1998. Des sanctions internationales furent décidées à l’encontre de la Syrie, qui pèsent lourdement sur ce pays depuis 2003.
PREMIÈRES OPÉRATIONS CONTRE LA SYRIE AU LIBAN.
Certains auteurs affirment que le plan les États-Unis consistait à provoquer Bachar el-Assad au Liban pour le pousser à réagir violemment, ce qui aurait permis d’obtenir le feu vert de l’Onu pour mener une intervention punitive, occuper le Liban et la Syrie, renverser Bachar el-Assad, et à partir de là, remodeler toute la région.
Ce qui est sûr, c’est que dès le début de l’année 2004, les États-Unis lancèrent la préparation d’une révolution populaire, la “ Révolution du Cèdre ”. Le chef d’orchestre en fut Jeffrey Feltman, l’ambassadeur américain à Beyrouth. Aidé par son équipe diplomatique, il contacta des militants libanais anti-syriens et distribua des financements via l’agence jordanienne de Freedom House, une organisation de “ promotion de la démocratie ”. Sur les conseils de cette ONG, les activistes libanais firent venir à Beyrouth l’organisation CANVAS (Center for Applied Non Violent Action and Strategies), animée par le Serbe Srdja Popovic, celui qui fit tomber Slobodan Milosevic à Belgrade en 2000 lors de la “ Révolution des Bulldozers ”. L’organisation de cette révolution est aujourd’hui connue dans ses moindres détails.
Parallèlement, durant l’année 2004, les États-Unis et la France (réconciliés !) multiplièrent les pressions diplomatiques pour que la Syrie retire toutes ses troupes du Liban. Contrairement à ce qu’il avait fait en 2001, Bachar el-Assad n’obtempéra pas.
Or, le 14 février 2005, un attentat spectaculaire pulvérisa la voiture de Rafic Hariri, le Premier ministre libanais, dans le centre de Beyrouth. Dans les minutes qui suivirent, les chancelleries et les médias occidentaux et arabes accusèrent la Syrie d’avoir commandité l’attentat. Étant donné le contexte, organiser un tel attentat aurait été, pour Bachar el-Assad, la dernière chose à faire. Les nombreuses anomalies qui entourent cet attentat et l’enquête qui suivit, très bien exposées par Chesnot et Malbrunot (op. cit., p. 130-158), nous inclinent à accorder foi à l’affirmation de certains auteurs selon laquelle cet attentat aurait été commis conjointement par les services secrets israéliens, américains et allemands.
En tous cas, la Syrie fut immédiatement mise au ban de la communauté internationale, et des manifestations monstres eurent lieu au Liban, appelant à un changement de régime à Damas. La “ Révolution du Cèdre ” était en marche, non pas spontanée, mais savamment orchestrée par les ONG américaines selon les procédés utilisés au même moment dans les révolutions colorées d’Europe de l’Est.
Le but était très probablement que Bachar el-Assad réprime violemment ces manifestations. Mais il n’est pas tombé dans le piège qui lui était tendu. Il a ordonné le retrait immédiat de tous les soldats syriens du Liban. Conclusion : Bachar el-Assad n’est pas du tout le fou que l’on dit.
Et donc, normalement, la Syrie ayant évacué le Liban il n’y avait plus de raison de lui chercher noise. Pourtant les puissances occidentales ont poursuivi leurs menées contre la Syrie, ce qui prouve la volonté sous-jacente de nuire à ce pays, pour les raisons que nous avons expliquées.
PRÉPARATION D’UNE DÉSTABILISATION.
En mars 2005, Robert Satloff, un stratège du Washington Institue for Near East Policy, expliquait : les Américains « n’ont pas intérêt à la survie du régime Assad ». Et il précisait : « Les craquements dans l’édifice du régime peuvent rapidement se transformer en fissures et ensuite en tremblements de terre. » Pour augmenter ces fissures, il définissait trois priorités : collecter un maximum d’informations sur les dynamiques politiques, sociales, économiques et “ ethniques ” internes à la Syrie ; mener une campagne autour de thèmes comme la démocratie, les droits de la personne et l’État de droit ; ne pas offrir d’issue de secours au régime syrien, sauf si le président Bachar el-Assad est prêt à se rendre en Israël dans le cadre d’une initiative de paix ; ou s’il expulse du territoire syrien toutes les organisations anti-israéliennes et qu’il renonce publiquement à la violence (Richard Labévière, Éric Denécé, Syrie : Une libanisation fabriquée, janvier 2012, p. 41).
Cela en dit long sur les vraies raisons de l’hostilité des États-Unis à l’égard de Bachar el-Assad.
En clair, Satloff indiquait la méthode pour préparer une révolution qui amènerait le président syrien à paniquer et à réagir violemment, ce qui justifierait son renversement aux yeux des pays occidentaux. Nous avons là l’exacte description des causes et du déroulement de la révolte de 2011.
À l’automne 2005, les États-Unis mirent la Syrie en accusation à l’Onu, ainsi que l’Iran. Parallèlement, le département d’État américain mit en place huit programmes de soutien à des groupes d’opposition syriens, en particulier le programme de Freedom House et celui de l’International Republican Institute de John McCain, deux organisations dites « non gouvernementales » (sic !), qui œuvraient au même moment au renversement des régimes favorables à Moscou en Europe de l’Est. La CIA obtint aussi la défection de plusieurs personnalités du gouvernement syrien, dont le vice-président, Abdel Halim Khaddam. Le 17 mars 2006, celui-ci patronna la création du Front de Salut national syrien, une coalition de groupes d’opposition, constituée d’une faction dirigée par lui-même, et des Frères musulmans, organisation strictement interdite en Syrie. Ce Front du Salut national reçut un soutien politique et financier massif des États-Unis (cf. Time, 19 décembre 2006). Aussitôt, Khaddam en « appelle – sans rire – à une démocratisation du régime » (Frédéric Pichon, ibid., p. 37).
En juin 2006, un réseau d’exilés syriens basés à Londres fonda le Mouvement pour la justice et le développement (MJD), financé par Washington et chargé de produire une propagande anti-syrienne. Ce mouvement servit notamment à distribuer discrètement des aides financières américaines à l’opposition syrienne, à hauteur de six millions de dollars. Six autres millions de dollars furent affectés par le département d’État à la création de la chaîne de télévision satellitaire Al-Barada TV, du nom du fleuve Barada qui traverse le cœur de Damas. Le rédacteur en chef de cette chaîne était le cofondateur du MDJ.
Il semble que Washington ait également soutenu un mystérieux Observatoire syrien des Droits de l’Homme (OSDH), qui aurait été créé à Londres en 2006. « C’est en fait une émanation de l’Association des Frères Musulmans et il est dirigé par des militants islamistes dont certains ont été autrefois condamnés pour activisme violent, en particulier son fondateur et premier Président, Monsieur Ryadh el-Maleh », affirme Alain Chouet, ancien numéro 2 de la DGSE (La Syrie dans la tourmente des “ printemps arabes ”, 10 août 2012). Cet organisme dirigé ensuite par Rami Abdel Rahman (de son vrai nom, Oussama Suleiman) était sous la protection des services britanniques et américains, et recevait des fonds de l’Arabie saoudite et, plus récemment, du Qatar. L’OSDH sera l’unique source d’information des agences de presse occidentales pendant toute la guerre de Syrie.
Les dirigeants de ces différents mouvements deviendront, en 2011, les cadres du Conseil national syrien.
LE PROJET « FRONTIÈRES SANGLANTES ».
En juillet 2006, le stratège américain Ralph Peters, publia un projet très précis de remodelage du Moyen-Orient. S’inspirant largement des objectifs du plan d’Oded Yinon, ce stratège très lié à Israël envisageait de mettre fin aux États multiethniques et multiconfessionnels, et de créer à la place des États ethniquement et confessionnellement purs. La sécurisation de l’accès aux hydrocarbures était également un objectif prioritaire de ce plan.
Peters prévoyait de dépecer l’Iran et son alliée la Syrie. Celle-ci perdait en effet à l’Ouest, toute la région alaouite, rattachée au Liban, et toute sa partie Nord-Est destinée à entrer dans la formation d’un grand Kurdistan. Celui-ci était destiné entre autres à servir de tampon stratégique pour empêcher les échanges entre l’Iran et la Syrie, facilités par l’accession récente des chiites au pouvoir en Irak. De façon surprenante, Israël soutint la création de ce Kurdistan autonome, pour au moins deux raisons : comme source d’approvisionnement en eau douce, mais aussi, bien sûr, en hydrocarbures (gisements de la région de Kirkouk et de Mossoul).
Dans son article Kurdistan : L’oléoduc kurde, publié le 26 janvier 2006, Gilles Munier expliquait que le projet de remise en service de l’oléoduc Kirkouk-Haïfa ayant échoué, « deux projets sortent des tiroirs : celui de l’oléoduc Mossoul-Haïfa [à construire à travers la Syrie], et celui de la bretelle [à construire] reliant le terminal [de Haïfa à l’oléoduc] Kirkouk-Bāniyās [existant]. Elle serait branchée juste après la frontière syrienne ou au niveau de Homs. »
Et notre auteur ajoutait : « Les Israéliens [...] misent désormais sur “ l’option syrienne ”, c’est-à-dire le changement de régime à Damas. Motif : la Syrie est sur le passage des oléoducs kurdes destinés à faire de Haïfa la Rotterdam de la Méditerranée, et ses dirigeants ne sont pas disposés à reconnaître Israël. »
Gilles Munier concluait, toujours en janvier 2006 :
« La campagne de déstabilisation de la Syrie s’explique mieux quand on prend en considération les plans américano-israéliens d’acheminement du pétrole irakien.
« La position de la France aussi.
« Comme en Afghanistan, où l’enjeu réel de la guerre était le passage d’un pipeline, les États-Unis veulent installer au pouvoir à Damas un régime allié, c’est-à-dire permettant l’alimentation du terminal de Haïfa en pétrole “ kurde ”. »
« CHANGEMENT DE CAP ».
Parallèlement, les Israéliens misaient aussi sur le nouvel oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan, dit “ BTC ”, dont l’inauguration eut lieu en juillet 2006, le jour même de l’opération israélienne “ changement de cap ”. Une patrouille israélienne ayant été faite prisonnière par le Hezbollah au Liban, Tsahal y entra et y fit 12 milliards de dollars de destructions en un mois. Le Hezbollah répliqua en lançant 3 917 roquettes sur Israël. Le 26 juillet 2006, Michel Chossudovsky observait dans son article la guerre au Liban et la bataille pour le pétrole : « Le bombardement du Liban fait partie d’un vaste plan militaire soigneusement élaboré car l’extension de la guerre à la Syrie et à l’Iran a déjà été envisagée par les stratèges militaires US et israéliens. Ce calendrier militaire colle intimement au pétrole et aux oléoducs et reçoit le soutien des grandes compagnies pétrolières, détentrices de ces oléoducs. Dans le contexte de la guerre au Liban, il vise au contrôle par Israël des côtes de la Méditerranée orientale. En avril 2006, Israël et la Turquie ont annoncé des projets de construction d’oléoducs sous-marins qui éviteraient [de traverser] la Syrie et le Liban ainsi qu’un pipeline pour approvisionner Israël en eau à partir de sources en amont du bassin fluvial du Tigre et de l’Euphrate en Anatolie... au détriment de la Syrie et de l’Irak... » Ces pipelines sous-marins devaient relier le port turc de Ceyhan à la ville israélienne d’Ashkelon (voir notre carte).
Mais en 2010 les relations avec la Turquie devinrent plus difficiles, de sorte que le projet n’a jamais abouti. On peut légitimement supposer que la sécurisation de l’approvisionnement en hydrocarbures et en eau douce redevint un sujet de préoccupation pour Israël. L’option kurde reprit alors probablement toute son actualité. Force est de constater que la guerre de Syrie déclenchée en 2011 offrira l’opportunité de réaliser la condition sine qua non pour établir une connexion entre le Kurdistan et Haïfa, condition mentionnée par Gilles Munier dès 2006 : renverser le régime syrien si peu coopératif. Un peu plus d’un an après le déclenchement de la guerre de 2011, l’éditorialiste Pepe Escobar écrivait :
« Les Kurdes syriens considèrent déjà [...] qu’ils offrent une voie directe pour les exportations de pétrole du Kurdistan irakien, en théorie en contournant Bagdad et Ankara. » (La guerre du pipelineistan en Syrie, 6 août 2012)
À la lumière de cette analyse, il devient intéressant d’observer l’évolution géographique du plan de partition de la Syrie, entre la version de Ralph Peters (2006) et une nouvelle version présentée par Robin Wright le 28 septembre 2013 dans le New York Times, décrite cette même année par l’Institut (américain) de recherche sur la politique étrangère, et à nouveau en 2017 par Michel Duclos, ancien ambassadeur de France à Damas (voir notre carte).
Dans cette nouvelle version, que les États-Unis semblent vouloir réaliser actuellement, la forme du Kurdistan a changé. Il s’étend cette fois beaucoup plus vers l’Ouest, pour aboutir tout près de la côte méditerranéenne. Cette modification est-elle innocente ? Ce projet de Kurdistan en territoire syrien ne répondait-il pas à la volonté de sécuriser un territoire pour le passage de pipelines venant du Kurdistan irakien, malgré le maintien au pouvoir de Bachar el-Assad en Syrie ?
On serait tenté de le penser si l’on observe que ce territoire borde à l’Ouest un Alawitestan s’étendant du Nord au Sud, jusqu’à rejoindre Israël au niveau du Golan, région dans laquelle courent déjà oléoducs et gazoducs...
Ce Kurdistan est aussi souhaité par Israël pour y implanter des bases aériennes et y entraîner ses pilotes en remplacement de l’espace aérien turc.
MAINTIEN DE CAP.
Fin 2006, suite aux élections américaines de mi-mandat qu’elle perdit, l’administration Bush fut mise en difficulté au sujet de la situation en Irak. Une commission d’enquête parlementaire déclara qu’il fallait renoncer au projet de guerres successives contre tous les États qui résistaient à Washington dans la région. Ce rapport proposait même de réintégrer Damas dans la communauté internationale.
Au mois d’avril suivant, la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, se rendit à Damas et eut une rencontre cordiale avec Bachar el-Assad. Des Syriens nous ont raconté que le numéro trois des États-Unis ne fut pas peu surprise lorsque, après une journée de travail le président syrien lui demanda où elle souhaitait dîner. « Mais, là où vous avez prévu, Monsieur le président ! – Je n’ai rien prévu, c’est à vous de choisir. » Et comme Nancy Pelosi répondait : « Dans le vieux Damas », le président prit lui-même son téléphone pour prévenir un restaurateur. La cordialité de cette rencontre provoqua la fureur de Washington ! La palme de la colère revint au franco-israélien Laurent Murawiec, vieux routier de la Rand Corporation (le think tank de la CIA) et de l’Hudson Institute, qui déclara entre autres : « Qu’elle aille faire la touriste politique en Syrie et raconter n’importe quoi sur la bonne volonté du boucher de Damas, c’est ajouter le crétinisme à l’usurpation. » L’initiative de madame Pelosi allait à l’encontre de la stratégie du néoconservateur Murawiec, qui travaillait au même moment à gagner un maximum de partisans à ses projets de remodelage du Moyen-Orient et de partition de la Syrie, ce qui impliquait de diaboliser le président syrien.
D’autant que celui-ci s’offrit le luxe, le mois de mai suivant, de remporter haut la main l’élection présidentielle, malgré les efforts déployés par le Département d’État pour susciter toutes sortes d’opposants et de critiques. On parlera d’élections truquées ; mais un Français ayant vécu à Damas de 2006 à 2010 après de nombreuses années passées dans d’autres pays du Moyen-Orient, m’a affirmé :
« Toute la population de Damas est descendue dans la rue pour acclamer son président. »
Une autre initiative nous surprend encore aujourd’hui, celle de Nicolas Sarkozy qui, à peine élu président de la République française en ce même mois de mai 2007, travailla à renouer les liens diplomatiques avec Damas : une première depuis la rupture complète du printemps 2005. Cette reprise de contact se fit dans le cadre du lancement de l’Union pour la Méditerranée, conçue par le président français pour échapper aux directives du Processus de Barcelone.
Il semble que cette reprise de relation avec la Syrie n’ait pas été du goût d’Israël. Dans la nuit du 5 au 6 septembre 2007, des chasseurs israéliens bombardèrent un site de recherche scientifique syrien près de Deir ez-Zor. La Syrie se contenta de dénoncer la violation de son espace aérien.
Alain Chouet explique :
« Pour eux [les Israéliens] comme pour l’administration Bush, il s’agissait d’accréditer l’idée qu’il existait une réelle menace de prolifération nucléaire dans la région, que l’assistance politique, économique et militaire occidentale à Israël était plus que jamais indispensable, et que la politique d’éradication des régimes problématiques entreprise par les États-Unis dans la zone était plus que jamais justifiée. Et, pour les Israéliens, instruits par l’exemple de la Libye [avant 2007], il s’agissait aussi d’éviter que le président syrien, lancé dans une entreprise de charme en direction de l’Occident, joue la même partition que Kadhafi en essayant de négocier ce qu’il n’avait pas [des armes nucléaires]. Une fois cassées, ses prétendues infrastructures nucléaires devenaient invendables. Enfin, par leur raid éclair, les Israéliens rappelaient que leur capacité d’action préventive était intacte et, en agitant le spectre du nucléaire, ils revigoraient les craintes occidentales sur une possible dangerosité des Syriens. » (Alain Chouet, Au cœur des services spéciaux, p. 194)
Bien que mis en difficulté, les néoconservateurs n’avaient pas renoncé à leur projet sur la Syrie. Dans sa conférence du 3 octobre 2007 citée plus haut, le général Clark expliquait que les faucons de l’administration Bush « avaient hâte d’en finir avec l’Irak pour pouvoir aller en Syrie. » Ils travaillèrent plus activement à susciter une déstabilisation interne, conformément aux préconisations de Robert Satloff de mars 2005.
Effectivement, l’administration Bush a suivi ces préconisations et elle les a mises en œuvre. Dans un télégramme diplomatique du 13 décembre 2006, William Roebuck, le chargé d’affaires à l’ambassade américaine à Damas, proposa un plan d’action contre la Syrie pour déstabiliser Bachar el-Assad. Il visait à créer la paranoïa au sein du gouvernement syrien pour le conduire à paniquer et à réagir de façon excessive. Il suggérait par exemple de lui faire craindre la préparation d’un coup d’État. Mais la partie la plus importante du plan consistait à « encourager les tensions entre les sunnites et les chiites. En particulier propager des fausses rumeurs [...] en disant par exemple que l’Iran essaie de convertir des sunnites pauvres ; et de travailler avec les Saoudiens et les Égyptiens pour encourager cette perception, afin de réduire l’influence de l’Iran. »
MESURES PRÉPARANT LA DÉSTABILISATION DE BACHAR EL-ASSAD.
Durant les années 2007 et 2008, les États-Unis ont poursuivi le soutien financier aux différents programmes de promotion de la démocratie en Syrie et de soutien aux opposants. En outre, deux nouveaux programmes ont été créés. Ces opposants, dont certains étaient soutenus depuis 2005, avaient pour mission de contester le président syrien par tous les moyens.
L’Arabie saoudite participa dès ce moment au financement des opposants du Front du Salut national et des actions d’Abdel Halim Khaddam, pour le compte des États-Unis (Seymour Hersh, “ The redirection ”, The New Yorker, 5 mars 2007) et organisa une propagande subversive dans les franges les plus pauvres de la population, massées dans les banlieues des grandes villes, en prétendant que tous leurs malheurs seraient résolus en changeant le pouvoir à Damas et en instaurant en Syrie un régime islamique. En 2009, Asma Kaftaro, animatrice du forum islamique des femmes et personnalités de la communauté sunnite, publia un article pour signaler la présence de groupes salafistes à Douma (banlieue nord-est de Damas) et à Deraa. « Il y a encore trois ou quatre ans, les barbes et tenues salafistes (niqab) n’existaient pas en Syrie. Ces comportements ont été importés d’Arabie saoudite et du Qatar, par des hommes d’affaires et des ONG », expliquait-elle (Richard Labévière, Éric Denécée, ibid., p. 17). Le programme américain comportait un volet libanais de soutien à de petits groupes sunnites radicaux, avec fourniture d’armes. Ces groupes entreront en Syrie en 2011 pour faire le djihad.
En 2008, le Conseil pour la Démocratie et le Mouvement pour la Justice et le Développement furent reçus à Washington pour une Conférence sur la transition en Syrie afin d’assurer “ l’émergence d’une opposition organisée ”. Le 24 juillet 2008, le Bureau de la Démocratie, des droits de l’Homme et du Travail organisa la rencontre “ Prisoners of Conscience Event Summary ”, en présence de Georges Bush, de son épouse et de Condoleezza Rice, la secrétaire d’État. L’un des invités triés sur le volet était le Syrien Ausama Monajed, du Mouvement pour la Justice et le Développement. Du 22 au 24 août 2008, le think tank allemand « Heinrich Böll Stiftung » qui est en relation avec la National Endowment Democracy américaine (NED), organisa le premier « Arab Bloggers Meeting » à Beyrouth qui réunit vingt-neuf blogueurs provenant de neuf pays arabes (Liban, Égypte, Tunisie, Maroc, Arabie saoudite, Bahreïn, Palestine, Irak et Syrie). Ces blogueurs deviendront les meneurs des Printemps arabes.
Ce soutien des États-Unis aux Frères musulmans au moment où ils étaient censés combattre Al-Qaïda peut surprendre. Pourtant, cette méthode de collaboration des Anglo-Saxons avec les islamistes remonte à la fin des années 70 (Il est ressuscité n° 184, p. 24) ; et elle s’inscrit dans une tradition qui remonte aux Britanniques (Il est ressuscité n° 181, p. 20-29). Enfin, elle est longuement expliquée dans un rapport de la Rand Corporation, en 2008 : « Les dirigeants américains pourraient aussi choisir de profiter du conflit durable entre sunnites et chiites, en prenant le parti des régimes sunnites conservateurs contre les mouvements d’autonomisation chiites dans le monde musulman [...], éventuellement soutenir les gouvernements sunnites autoritaires contre un Iran continuellement hostile. » C’est dans cet esprit que les puissances occidentales organiseront les Printemps arabes.
Alain Chouet a dénoncé le rôle « de certains think tanks américains, comme le très néoconservateur International Republican Institute [de John McCain] et surtout Freedom House, qui préconisent depuis longtemps un encadrement des sociétés musulmanes par l’association des Frères musulmans, présentés comme “ modérés ” et susceptibles d’assurer par leur conservatisme la stabilité pacifique de ces sociétés. » (Alain Chouet, ibid., p. 285)
Il semble que dans cette affaire, les États-Unis et Israël soient les acteurs décisifs ; les monarchies sunnites du Golfe arabo-persique sont des collaborateurs.
À ce moment-là, Bachar el-Assad était toujours ostracisé par la communauté internationale. De façon surprenante, c’est de France qu’allait venir sa réhabilitation.
NICOLAS SARKOZY RÉINTÈGRE BACHAR EL-ASSAD
SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE.
Le président français poursuivant le lancement de son Union pour la Méditerranée, décida d’inviter le président syrien au premier sommet de cette UPM, à Paris le 14 juillet 2008. Ce fut un véritable coup de théâtre, et le début d’une relation très intense entre la France et la Syrie, qui dura jusqu’au déclenchement de la révolte, au printemps 2011. Nicolas Sarkozy voulait essayer de régler les problèmes du Proche-Orient par la négociation, notamment en attirant Bachar el-Assad vers l’Occident pour le détacher de l’Iran sans conflit... Les analystes n’ont pas encore livré les dessous de ces grandes manœuvres diplomatiques, mais il semble que les États-Unis n’aient pas vu d’un très bon œil les initiatives du président français. Reste que durant ces trois années de quasi-lune de miel avec la Syrie, les Français obtinrent quelques contrats commerciaux, notamment dans le domaine des hydrocarbures.
CONCLUSION
Notre étude de la politique américaine sous l’administration Bush nous a convaincus de la volonté des néoconservateurs américains de briser l’alliance stratégique qui unissait l’Iran, l’Irak, la Syrie et les chiites libanais, alliance incompatible, selon eux, avec leurs objectifs stratégiques. Pour contrecarrer cette menace, les États-Unis ont savamment préparé la déstabilisation du gouvernement syrien, sachant parfaitement que le renversement de Bachar el-Assad risquait de conduire les islamistes au pouvoir. Ils ont assumé ce risque et ont travaillé dans ce sens.
Toutefois, les élections présidentielles de novembre 2008 ont conduit un démocrate à la Maison-Blanche. Qui plus est, pour la première fois un Noir devenait président des États-Unis. Cette nouveauté sembla en annoncer bien d’autres, y compris en politique étrangère. Qu’allait-il advenir de la politique américaine à l’égard de la Syrie ? Le président Obama poursuivrait-il dans la même voie que le républicain Bush, ou bien changerait-il de cap ? En définitive, le déclenchement de la révolte de 2011 en Syrie serait-il fortuit ou bien l’aboutissement de la politique américaine dans ce pays ? C’est ce que nous verrons dans un prochain article.
frère Jean-Duns de Sainte-Anne.
Il est ressuscité n° 185, mars 2018, p. 15-27