Le traité de Versailles ?
Bon pour cent ans de guerre ! (II)
LE 14 juillet 1919, trois semaines après la signature du traité, ce fut le défilé de la victoire aux Champs-Élysées. Ce fut magnifique !
Foch était en tête. Il voulait défiler tout seul sur son cheval blanc, mais Poincaré, qui était assommé par son orgueil délirant – tout comme Clemenceau d’ailleurs –, lui imposa Joffre. On les voit sur les images : Foch sur un canasson de moindre valeur – c’est fait exprès –, et le gros Joffre qui caracolait comme Sancho Panza à côté de Don Quichotte. Ils étaient en tête des armées alliées, c’était l’honneur que la France leur faisait.
Pétain arriva ensuite, commandant les troupes françaises ; moment d’émotion intense. Castelnau le suivait, il n’avait pas été maréchal, à cause de ses idées et de sa religion. Puis l’artillerie française, avec le général Herr, qui était un ami de Pétain, et les chars d’assaut avec le général Étienne, c’était l’avenir. Pétain fut acclamé par la foule avec un enthousiasme, une chaleur prodigieuse !
Mon père était là – il travaillait alors au ministère de la Marine –, il était là et il a pleuré. À Noël précédent, mon grand-père lui avait dit, sur son lit de mort : « Marc, c’est l’Action française qui avait raison. » Mon père était donc instruit par Maurras et Bainville, il a pleuré parce qu’il se disait : « Avant une génération, tout sera à recommencer. » [...]
C’était bien de gagner la guerre. Il aurait fallu gagner aussi la paix !
Les batailles de la paix, nous les avons vues la dernière fois, nous ont opposés non plus aux seuls Allemands, mais aux Anglo-Saxons qui venaient à leur secours. L’Angleterre et les États-Unis se sentaient beaucoup plus proche des Allemands que de nous. Ils ont tout fait pour nous priver d’une victoire militaire éclatante qui nous aurait donné la suprématie en Europe. Ils ne pensaient alors qu’à une chose : rebâtir l’Allemagne, lui prêter de l’argent, pour qu’elle se redresse et contrebalance à nouveau la puissance française.
L’EUROPE ALLEMANDE
Il y a plus. C’est tout l’équilibre européen séculaire qui volait en éclat par le principe des nationalités prôné par Wilson. Maurras le déplorait dans son style éblouissant :
Tout s’est passé comme si l’État républicain avait dit : « Maintenant, travaillons à ce que tant de maux ne servent de rien. Cette Autriche est inoffensive, elle pourrait être utile, coupons-la en quatre morceaux. Cette Allemagne pourrait recommencer des dégâts immenses, respectons-la religieusement dans sa jeune et fragile unité. »
Bainville, de son côté, analysait froidement la situation :
Plus d’Autriche-Hongrie. Une Russie pour le moment barbare et hostile, et dont l’avenir est inquiétant. Entre cette Russie et l’Allemagne, et depuis les bords de la Baltique jusqu’à ceux de la mer Noire, un éparpillement de nations, dont la plus nombreuse, la nation polonaise, est prise entre deux feux. Il n’existe plus sur le continent européen de grandes puissances pour nous aider à établir un équilibre que la présence de la masse germanique rend nécessaire. [...]
L’AUTRICHE
En octobre 1918, constatant l’inutilité de toutes ses offres de paix, Charles Ier a compris qu’il lui fallait passer par les exigences de ce fou de Wilson, il fallait qu’il consente aux 14 points. D’une manière très intelligente, il décida de transformer lui-même son Empire en fédéralisme.
Mais Wilson – comme les Anglais et comme Clemenceau – n’en avait cure. Il voulait la destruction de cet empire catholique. Le 20 octobre, il pose comme exigence que tous les peuples de l’Autriche-Hongrie acquièrent leur indépendance. Déjà, le colonel House a fait des avances auprès des Tchèques et des Magyars, et les cadres francs-maçons des futurs États de l’après-guerre commencent à s’organiser en cachette du pouvoir. C’était l’anarchie.
Masaryk et Benès, qui étaient en Amérique, signent le décret d’indépendance de la Tchécoslovaquie à Washington, de telle manière que ces rebelles, qui avaient été nos ennemis pendant la guerre, devenaient nos alliés contre l’Autriche. Incroyable mais vrai ! Masaryk dira : « Si la victoire des Alliés avait été rapide, nous n’aurions pas obtenu notre indépendance ; sous une forme ou sous une autre, l’Autriche se serait maintenue. » Et il ajoutait : « C’est la démocratie américaine et la démocratie tout court qui a enterré l’Autriche-Hongrie et, avec elle, les Habsbourg. » [...]
Après ce premier accroc à l’Empire, le 21 octobre, une révolution à Vienne créé une assemblée autrichienne allemande qui se déclare indépendante.
Dans la foulée, la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie, puis la Hongrie font sécession.
La Yougoslavie, réunissait les provinces autrichiennes de Slovaquie, Croatie, Bosnie, et d’Herzégovine sous la domination de la Serbie, formant un ensemble dépourvu d’unité.
L’armistice sur le front italien contraint l’Autriche à la paix, lui arrachant encore le Trentin. La République est proclamée. Cette pauvre Autriche n’a plus rien, ses frontières sont fermées, elle n’a plus d’accès à la mer, et se trouve réduite au cinquième de son territoire et de sa population. Elle demande son rattachement à l’Allemagne le 1er janvier 1919. En allemand, cela porte un nom : Anschluss. Elle le fait par la voix du socialiste Renner, élu démocratiquement, et en vertu du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. L’empereur Charles s’y oppose de tout son pouvoir, il est exilé le 24 mars 1919 en Suisse. [...]
L’Action française, pendant ce temps, inscrit à répétition sur sa manchette : « tout ministre qui tolérerait l’hypothèse d’une réunion de l’Autriche à l’Allemagne mériterait ses douze balles dans le corps. »
C’était quand même un peu fort : servir sur un plateau à l’Allemagne vaincue cette Autriche qu’elle convoitait depuis 1866 ! Wilson n’y consentit pas, mais il justifiait son refus par motif de liberté des peuples ! À quoi les Autrichiens répondaient : mais si nous le voulons, pourquoi vous opposer à notre liberté ? C’est Clemenceau qui opposa un blocage absolu : qu’on réduise l’Autriche, d’accord ; mais qu’on l’apporte en dot à l’Allemagne, impossible. Il fallait que l’Autriche renonce à se livrer à l’Allemagne, “ perpétuellement ”. Mais ce “ perpétuellement ” posa problème aux Alliés qui le renvoyèrent à une décision ultérieure de la S.D.N.
Là-dessus, je me rappelle l’Anschluss, ces images télévisées des armées d’Hitler entrant à Vienne, et les Autrichiens, pâles comme la mort, qui les regardaient passer sous la pluie... Souvenirs d’enfance ! Je me disais : voilà, c’est l’ignoble Hitler qui a des plans de domination de l’Europe. Mais non, avant Hitler c’était déjà Hindenburg et Ludendorff, c’était inscrit dans la carte, le jour même de la signature du traité (Saint-Germain en Laye, 10 septembre 1919), et Bainville nous en prévenait !
LA HONGRIE
La Hongrie, appartenant à la couronne des Habsbourg, était cependant très différente de civilisation de l’Autriche et aspirait à l’indépendance. Ils l’ont obtenue dès la signature d’armistice à Belgrade avec le maréchal Franchet d’Espèrey, le 13 novembre 1918.
Le comte Károlyi, trahissant son serment, devient Président. Pas pour longtemps ! Un certain Béla Kun, communiste russe, rameutant le peuple, s’empare du pouvoir. S’ensuivent des scènes absolument horribles, véritable génocide, mort cruelle de tout un pays, programmée par les Soviétiques, laissant présager les immenses purges des bolchéviques en Russie. Les Hongrois ont bien regretté leur indépendance du coup.
Bela Kun disparaît avec ses bolcheviques juifs, emporté par la contre-révolution des paysans, le 6 août 1919. Pendant ce temps, le sort de la Hongrie se résout à Versailles. Mais Clemenceau qui sait ce désordre ne veut pas intervenir, on ne peut pas intervenir partout, on est dépassé par la vitesse des choses. Bref, la Hongrie est étouffée, c’est une grande terre à blé dont tous les débouchés sont obstrués par de nouvelles nations. [...]
En 1920, l’empereur Charles I er, chassé d’Autriche, songera à remonter sur le trône de Budapest. Il était aimé du peuple hongrois, il recevait des appels en ce sens ; il fit deux tentatives de restauration, le 27 mars 1921, jour de Pâques, et le 20 octobre suivant. Mais il fut trahi par l’amiral Horthy, le régent, qui a refusé de lui remettre la couronne. Charles ira mourir à Madère, entouré de sa nombreuse famille et de l’impératrice Zita, en odeur de sainteté.
LA POLOGNE
Les affaires de Pologne sont l’illustration parfaite de la folie de ce traité de Versailles, mais qui s’inscrit dans la continuité d’un dessein que je ne soupçonnais pas étant enfant.
Maintenant, je vois au contraire la guerre de 1914 se prolonger dans l’entre-deux guerres par l’hypocrisie allemande, se donnant des airs de pacifisme pour mieux se militariser ; Hitler faisant sa révolution en 1922, échouant, recommençant en 1932-33, écrivant son Mein Kampf. J’ai lu son Mein Kampf avant la guerre, l’Action française voulait absolument que les gens d’Action française le lisent, le livre était interdit de publication par le gouvernement français ! Dans Mein Kampf, c’était en 1938, j’avais quatorze ans, Hitler disait qu’il ferait ceci et cela, qu’il occuperait la Rhénanie, puis les Sudètes ; il le disait, et toute l’Allemagne était d’accord, avant même qu’il ait bougé le petit doigt !
L’année même du traité de Versailles, l’Allemagne s’entendait avec la Russie bolchevique pour cacher ses productions militaires en Russie où personne ne pénétrait, et pour aller faire chez eux des manœuvres militaires. En 1919 ! C’était donc réglé d’avance ! [...]
La Pologne a subi un sort qu’elle a bien mérité, il faut le dire. J’en parle en connaissance de cause, parce que j’ai le témoignage personnel de Polonais réfugiés qui ont voulu me transmettre toute leur science de leur patrie, voyant que je partageais leurs idées.
Il y avait en Pologne deux clans : le clan socialiste de Pilsudski, et le clan des nationaux-démocrates de Dmowski (démocrate étant synonyme de communautaire).
Dmowski était catholique, une sorte de Maurras polonais. Obligé de fuir devant la puissance allemande, il s’était d’abord réfugié auprès du tsar à Petrograd, puis, fuyant le bolchevisme, il était passé en France où il avait créé un Comité national polonais à Paris. En 1918, il constituait une armée polonaise sous les ordres du général Halle, pour se battre à nos côtés, et nous lui promettions en échange de reconnaître l’indépendance de la Pologne après la guerre. [...]
Donc en 1919, les Alliés ne connaissaient que Dmowski, et c’est lui qui, normalement, devait prendre la tête de la nouvelle Pologne et y constituer un élément de paix.
Mais Pilsudski va le prendre de vitesse. Il a d’abord commencé par se mettre au service des Allemands, et c’est alors que la Pologne a commencé à s’affirmer. Mais les Allemands le font prisonnier et le remplacent par un conseil de régence. Libéré opportunément le 8 novembre et envoyé à Varsovie par wagon plombé, il peut se donner des airs de héros et de libérateur. Il est acclamé chef d’État provisoire.
En avril 1920, il engage son armée polonaise dans les plaines de Russie et va jusqu’aux portes de Kiev, capitale de l’Ukraine. Grande victoire pour ce mégalomane, mais à peine était-il là, absolument éloigné de ses bases de départ, que le prestigieux Toukhatchevski, reprend en main l’Armée rouge et refoule les troupes de Pilsudski de 450 kilomètres, jusqu’aux abords de Varsovie, en clamant : « La route de l’incendie mondial passe sur le cadavre de la Pologne. » [...] L’Europe est prise de panique.
L’Angleterre est d’avis de négocier avec Lénine. L’Allemagne commence à penser que si elle s’alliait avec les Russes, elle se retrouverait de nouveau en position de force. La France envoie Weygand et deux cents conseillers militaires. C’est le “ miracle de la Vistule ” [...]
À mon avis, pour ce que j’ai lu de l’histoire de cette affaire dans différents livres militaires, Weygand n’a rien fait, mais il est rentré en France comme un grand vainqueur et, comme le nonce Ratti à Varsovie, futur Pie XI, déjà démocrate et germanophile, avait parlé de miracle, on a salué Weygand à son retour en bâtissant cette légende.
C’est donc la Pologne de Pilsudski que nous avons sauvée. Mal nous en a pris. Celui-ci, rêvant d’impérialisme, envahit la Lituanie et impose la paix à l’URSS au traité de Riga, le 12 octobre 1920. Il se taille un immense territoire, indéfendable, avec 3 000 kilomètres de frontières à l’est et 1 000 kilomètres à l’ouest, coincé entre la Russie, l’Allemagne et les montagnes de Galicie. Et c’est avec cette Pologne-là que nous nous sommes allié, pour garantir son indépendance et son intégrité. C’était fou.
PAIX BOLCHEVIQUE À L’EST
Voyons les choses du côté russe.
Après le traité de Brest-Litovsk (3 mars 1918), pour venger la Russie de cette humiliation et vaincre la révolution bolchevique, se lèvent les “ volontaires blancs ” : Miller, Koltchak, Kornilov, Denikine, Wrangel. Noms illustres mais qui auront une fin tragique, fin misérable... Trotsky, nommé par Lénine, lève seize armées régies par une discipline de fer : « La mort possible en avant ou la mort certaine à l’arrière ! » Lénine, dès août 1918, a fait appel aux Allemands pour occuper l’Ukraine et le Caucase : premier pacte germano-soviétique !
C’est alors que les Alliés sont intervenus... en paroles seulement ! Clemenceau envisage « l’encerclement économique du bolchevisme ». Foch voudrait « un cordon sanitaire » destiné à préserver l’Europe de l’épidémie ! Wilson déclare que « le seul moyen de tuer le bolchevisme, c’est de fixer les frontières et d’ouvrir toutes les portes au commerce ». Aussitôt l’argent afflue, mais quand il s’agit d’envoyer des troupes, les quatre grands se dérobent. Une mission commerciale de trois cents Américains s’établit à Omsk, siège du gouvernement provisoire de Koltchak, où les rejoint le général Janin, chargé de former avec la Légion tchèque une Armée de Sibérie.
Quant aux Français, on leur laisse les immenses plaines d’Ukraine à conquérir ; ils débarquent à Odessa, en plein décembre 1918. Franchet d’Espèrey refuse de mener cette aventure sans moyens et sans directives : « Elle a été décidée par l’État-major Foch, qui ne connaît rien aux questions extérieures, et aboutit à la confusion la plus extraordinaire. » On désigne alors Berthelot, l’homme de Foch et de Clemenceau, qui s’en acquitte follement, dirigeant les opérations depuis son bureau de Bucarest ! C’est une misère effroyable, honteuse, qui se termine par de trop compréhensibles mutineries, comme au chemin des Dames.
La différence, c’est qu’il y a parmi les mutins un communiste qui est au contact avec les armées soviétiques et qui va rentrer au pays : Marty. Toute mon enfance, j’ai entendu l’Action française hurler contre “ le mutin de la mer Noire ” ! C’était un type effroyable, un déserteur passé du côté communiste et qui avait fait une horrible mutinerie dans le bateau qui le ramenait en France. Il est devenu député communiste ! Un autre de ces mutins était un auxiliaire Indochinois, le futur Ho Chi Min qui prendra la tête des armées vietminh contre nous vingt ans après. Tout se retrouve !
Berthelot, le courageux, se fait porter malade en France, où il raconte sa version des faits, et c’est Franchet d’Espèrey qui est chargé de liquider la faillite en rembarquant ce qui reste, pleurant plus que son honneur, celui de la France perdu. Car nous avions jusque-là, grâce à lui un prestige immense dans toute l’Europe de l’Est. [...]
De son centre d’opérations capital, Constantinople, dont il est militairement le maître, il se propose de mater l’insurrection atroce de Bela Kun en Hongrie. Il n’en aurait fait qu’une bouchée, mais Clemenceau le lui interdit ! Pendant ce temps, « protégés par nos baïonnettes, les Anglais et les Américains font des affaires » (cf. P. Azan, Franchet d’Espèrey).
En Russie, l’été 1919 faillit être fatal aux bolcheviques, les Armées rouges étaient encerclées, Petrograd et Moscou menacées. Mais les Armées blanches, éloignées de leurs bases, perdent pied, et la conquête se change en retraite puis en déroute.
Koltchak est fusillé à Irkoutsk en février 1920. Denikine, traqué, doit s’embarquer en avril sur un bâtiment de guerre anglais, tandis que les troupes du général Wrangel se battent en Crimée jusqu’en novembre. Terribles mois de combats incertains, dans un chaos économique et politique indescriptible. [...]
Les Anglais portent une lourde responsabilité dans ce gâchis. Lloyd George a personnellement interdit à ses généraux de s’emparer des stocks d’armes laissés par les Allemands pour les donner aux Russes blancs. Il leur a dit en substance : « Vous ne comprenez rien à la politique anglaise, nous avons fait cette guerre pour que la Russie soit abaissée, soit démembrée. La Russie est une menace pour nos colonies, pour nos protectorats du Pakistan, de l’Iran et des Indes, il faut que la Russie soit vaincue ! » Ils ont fait semblant d’aller aider les Russes blancs, mais ils ne pensaient qu’à contrôler le pétrole du Caucase.
J’ai déjà analysé les causes internes de ce désastre dans mon article « l’Apocalypse du désespoir » (cf. CRC n° 256). On y voit que, en face des rouges qui sont unis parce qu’ils marchent par la terreur, les Blancs sont vaniteux, ils veulent tous être chef, tous faire mieux que le voisin. Koltchak n’a jamais eu que des rivaux qui voulaient lui passer devant, Denikine et Koltchak n’ont pas pu s’entendre, on ne peut jamais s’entendre à droite parce que tout le monde veut faire mieux que le voisin, il n’y a pas de discipline, il n’y a pas de grade qui tienne parce qu’on est tous uni par une sorte de pacte démocratique. J’en ai eu le cafard en me disant : ce sera toujours la même chose, en France comme partout... [...]
Lénine appesantit alors sa dictature bolchevique, avec son cortège de guerres, de famines et de persécutions : 7 millions de victimes en l’espace de cinq ans ! Mais en 1921, un accord anglo-russe sur les pétroles vaudra à l’URSS sa reconnaissance de facto par l’Angleterre. Puis, l’année suivante, pendant la conférence internationale de Gênes, que le pape Pie XI saluait comme « un premier pas vers la pacification universelle », ce sera au tour de l’Allemagne : le chancelier Wirth signe avec Tchitcherine un accord au terme duquel il reconnait le gouvernement soviétique et renonce à toutes les réclamations touchant les biens allemands confisqués par les bolcheviques, mais avec la clause secrète de pouvoir fabriquer en territoire russe les armements interdits par le traité de Versailles !
Le Saint-Siège entre lui-même en pourparlers avec la délégation russe pour échanger des vivres, contre des icônes et des vases sacrés confisqués. Ainsi commence cette monstrueuse “ connivence ” de l’Occident capitaliste et pacifiste, de l’Église elle-même avec la tyrannie communiste, au mépris des avertissements de Notre-Dame de Fatima, (lire Vatican – Kremlin, les secrets d’un face-à-face, S. Trasatti, Payot 1995).
PAIX ANGLO-MUSULMANE EN ORIENT
Il nous faut terminer par le Moyen-Orient, et voir comment, pendant que les Français étaient pris avec les Allemands sur les questions de réparations, d’indemnisations et d’occupation du Rhin, les Anglais, eux, fricotaient là-bas avec leurs milliers de soldats et 500 000 administrateurs, ils occupant tout le Moyen-Orient, pour ne plus le lâcher jusqu’à aujourd’hui. [...]
Au début de la guerre, l’Empire ottoman contrôlait encore tout le “ Croissant fertile ”. Comme il avait lié sa cause à celle des Empires centraux, chacun, dans le camp des Alliés, savait que les dépouilles de « l’homme malade » appartiendraient au plus entreprenant d’entre eux. C’était une des régions les plus convoitées du monde pour sa situation géographique et ses immenses champs pétrolifères inexploités.
Maurras, toujours lui, s’indignait dès avant le conflit de l’incurie de notre République en tout ce qui touchait au Levant : « Les nations actives, nos voisines du Midi, nos rivales du Nord, peut-être l’Amérique, seront toutes là sous les armes. Il faudra que nous y soyons, non seulement en force, mais avec les signes de la force. De quel poids nous sera alors un gouvernement faible, inactif, divisé ? À quels résultats négatifs ne risque-t-il point de nous faire tomber ? » Propos d’avant-guerre que l’avenir justifiera, hélas.
En mai 1916, les accords Sykes-Picot fixent en théorie les zones d’influence promises à chacun des Alliés. Mais les Anglais accumulent des troupes de plus en plus nombreuses, en Égypte, sur les rives du canal de Suez et dans le Chott-el-Arab, à l’embouchure du Tigre et de l’Euphrate. Ces troupes qui auraient dû se porter directement sur Constantinople si le passage par les Dardanelles n’avait pas par deux fois échoué.
En mars 1917, ils prennent Bagdad et ensuite, d’octobre 1917 à octobre 1918, le général Allenby mène une grande et coûteuse offensive à partir du Sinaï, à travers la Palestine, jusqu’en Syrie. L’Angleterre, grâce à l’habileté de son célèbre agent, le “ colonel ” Lawrence, exploite sans vergogne l’ambition de l’émir Hussein et de ses fils Abdullah et Fayçal, souverains du Hedjaz.
Quand enfin la Turquie demande un armistice, les Anglais s’emparent des plénipotentiaires turcs et, sans en référer à Franchet d’Espèrey, qui commande pourtant l’ensemble des Armées alliées d’Orient, leur imposent l’armistice de Moudros, par lequel ils s’adjugent la possession des immenses territoires conquis – en y ajoutant même Bakou et Mossoul que Clemenceau a l’inconscience de leur abandonner ! – et une mainmise impudente sur l’administration turque en Asie Mineure.
Le traité de Sèvres (août 1920) consomme la disparition de l’Empire ottoman. Mais sur place, tout ne se passe pas comme prévu. Mustapha Kemal, un soldat de pauvre extrace mais qui avait la fierté turque dans le sang, rejette le traité, massacre les Grecs envoyés par les Anglais contre lui – comme il avait massacré les Arméniens en 1915 – chasse pêle-mêle le vieux Sultan, les Arabes, les Anglais, et fonde la jeune République turque dont il deviendra Président sous le nom d’Atatürk. Le traité de Lausanne (juillet 1923) en reconnaît les nouvelles frontières ; comme quoi, la force paye ! Mais c’est la France qui y perd au change et qui sera ennuyée pendant vingt ans par cette rectification de frontière. [...]
Les Anglais n’en renforcent que davantage la puissance arabe qui leur sert de couverture. En Palestine, ils conservent le régime du mandat à cause de la tension grandissante entre Juifs et Arabes.
En 1923, ils créent la Jordanie qu’ils confient à Abdullah.
En Irak, Ils sont solidement implantés à l’ombre du roi Fayçal, tandis que le Koweit est sous leur administration directe.
L’Égypte reste sous leur influence (canal de Suez oblige).
La Perse qui devient l’Iran après la prise de pouvoir de Reza Châh Pahlavi, échappe à leur contrôle politique, mais ils y conservent leurs concessions pétrolières acquises avant la guerre.
L’Arabie, enfin, devenue royaume indépendant sous l’autorité d’Ibn Séoud, est le champ clos d’une lutte serrée entre la Standard Oil américaine et la Shell anglaise. Le pétrole est désormais maître de tout au Proche-Orient, sous le signe du Croissant, pour les intérêts de Londres et de New York. Quelle pitié !
Pour couronner le tout, la France sera trahie par l’Église. Elle assurait depuis des siècles un protectorat catholique sur tous les pays du Levant. Au moment des accords de San Remo, le cardinal Gasparri est intervenu pour empêcher les Français de rappeler leurs droits, il soutenait que le principe des capitulations était valable pour l’Empire turc, mais qu’à présent, avec le changement de pouvoir, elles n’avaient plus d’objet. Ce Gasparri avait été l’homme-lige de Léon XIII à Paris dans sa politique de ralliement, il était maintenant le conseiller de Pie XI, il voulait que la France débarrasse le Moyen-Orient. [...]
Après la terrible retraite de Cilicie en 1919, nous avons dû nous contenter de notre “ mandat ” sur la Syrie. Il fallut y réprimer les Druzes révoltés, soudoyés par les Anglais, en 1925. C’était tout de même quelque chose, même si notre œuvre de civilisation y fut sans cesse contrariée par les directives laïques de la métropole. Jusqu’à ce que, en 1941, les Anglais et les gaullistes de Catroux nous en chassent... Trahison, perfidies ne paient pas ! L’Islam se vengera d’avoir été joué et nous en serons tous, pêle-mêle, éclaboussés de sang !
Ah ! si on avait écouté Franchet d’Espèrey, si on l’avait laissé faire en Orient comme on aurait dû laisser faire Pétain en Lorraine... C’est lui qui dominait de sa stature toute le jeu de cette « guerre après la guerre », en Europe de l’Est et au Proche-Orient. Pour son malheur et le nôtre, il a été écarté, redouté, lui aussi et haï de Clemenceau et de Foch... et des Anglais. C’est de sa mise à l’écart que résulte l’Orient actuel, bolchevique à l’Est, anglo-musulman au Sud-Est où se joue encore, autour des puits de pétrole, le sort du monde.
Et la République française est demeurée la “ femme sans tête ”, courtisane aux ordres des Anglo-Saxons...
Abbé Georges de Nantes
D’après les conférences de l’abbé de Nantes : F 50 et F 51 :
Le traité de Versailles, bon pour cent ans de guerre. février et mars 1995