Il est ressuscité !

N° 220 – Avril 2021

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


LA LIGUE

La Ligue

Compassion

PAR ce mot sublime, la République sacrilège prétend couvrir un meurtre abject. Il nous est bon de purifier nos esprits de cette désorientation diabolique dans l’océan de la Compassion de Marie au Cœur douloureux et Immaculé.

À Pontmain, il y a cent cinquante ans, Notre-Dame ne se contenta pas d’appeler ses enfants à la prière, mais elle en donna l’exemple : Elle leur représenta le mystère de sa compassion et de sa toute puissante intercession lorsque, accompagnant des lèvres le Parce Domine de la foule pénitente, elle lui présenta un crucifix sanglant avec une tristesse, une douleur indicible.

Pendant cette Semaine sainte, frère Bruno avait décidé de répondre à ce muet appel de notre Mère en nous faisant contempler à travers son Cœur douloureux et Immaculé le mystère de notre Rédemption. Veiller et prier avec Notre-Dame compatissante, tel fut le titre de la retraite qu’il prêcha durant les Jours saints (publiée sous le sigle : S 168).

Malgré l’impossibilité de nous réunir comme de coutume à la maison Saint-Joseph, frère Bruno tenait à ce que nous consacrions tous nos soins à célébrer avec dévotion le triduum pascal, pour consoler Jésus et Marie de l’indifférence, de l’apostasie des masses. Ses conférences furent donc diffusées en direct sur notre site de VOD, complétées par le commentaire de la liturgie de la Semaine sainte que notre Père prononça en 1984. Finalement, la grâce aidant, jamais nous n’avons été si nombreux à suivre simultanément une retraite ! Certains amis canadiens ont même tenu à assister en direct aux prédications de notre frère prieur, malgré les six heures de décalage horaire.

Ô SAINTE CROIX, NOTRE UNIQUE ESPÉRANCE

Le soir du Mercredi saint, frère Bruno ouvrit les exercices de la Semaine sainte par la lecture de l’émouvante invitation lancée par notre Père “ à ses amis ” de contempler le mystère de la Croix :

« Pour ces grands Jours saints, l’Église entre dans la chambre nuptiale où son Époux l’attend. Poussant la porte de cette étroite cellule, elle n’a plus devant elle que Jésus, et Jésus crucifié. Elle se prosterne en un geste d’adoration et d’amour, elle s’abîme dans la méditation de ce mystère de la Passion et de la Mort de son Seigneur et Sauveur. Un colloque émouvant s’engage entre Lui et Elle, semblable aux impropères du Vendredi saint. Plus rien n’existe pour l’un et l’autre, une nouvelle fois, que ce grand drame du péché et de la misère immense qu’Elle confesse au nom des multitudes, des souffrances et de l’amour qu’Il lui montre en retour. Il ne lui fait point de reproches, pour tant d’ingratitudes et de révoltes, mais ses plaies et ses larmes, ses cris de douleur et de détresse sont plus terribles à entendre, à voir, que ne serait même la divine Colère. Elle demeure cependant, avec confiance, au pied de cette Croix où paraît, comme un arc dans la nue, la miséricorde infinie de Dieu pour les cœurs repentants.

« Entrons, mes frères, mes sœurs, entrons avec l’Église, avec le Cœur Immaculé de Marie, notre Mère, dans ce sanctuaire qu’envahissent les Ténèbres du Calvaire et, saisis par la vision du Christ en agonie, ressentons le tourment de ne pas aimer l’Amour ! » (Lettre à mes amis no 201, avril 1965)

Pendant trois jours, frère Bruno choisira parmi les trésors que nous a légués notre Père de tels joyaux, pour entrer dans le Mystère avec la tendresse et la dévotion d’un docteur et d’un saint !

La silhouette de la Croix, dominant invinciblement le monde, nous révèle notre péché, nous appelle au repentir et nous montre le chemin du Ciel : « Per angusta ad augusta. » C’est un signe de contradiction, opérant la révélation des cœurs. Renoncerons-nous au monde et à notre péché pour porter notre croix ?

Parce qu’il est l’unique espérance des pécheurs, ce bois infâme fut l’objet de la convoitise de Notre-­Seigneur dès son enfance à Nazareth. Des sentiments d’un Fils de Dieu fait homme se heurtant à la malice du monde, notre Père tira une page bouleversante.

« On vous imagine toujours enfant, à Nazareth,... mais de vingt à trente ans, de quoi nourrissiez-vous votre pensée et votre cœur ? Non de futilités certes, mais toujours de cette Croix, de ce martyre, de cette immolation dont l’Heure était marquée. Avant d’entrer dans le mouvement accéléré de votre vie publique, qui allait vous emporter vers le But comme dans une montée du Calvaire de trois années, n’avez-vous pas connu trente ans cet offertoire douloureux et puissant, aux intentions sans cesse renouvelées et multiples, comme d’une préface à votre agonie ? » (Lettre à mes amis no 84, mars 1961)

Quand viendra le temps d’entrer dans sa vie publique, Notre-Seigneur révélera par ses paraboles et par ses miracles qu’il n’est pas venu pour ceux qui se croient justes, mais pour les malades et les miséreux. Racontant la parabole du Bon Samaritain, c’est son œuvre de salut qu’il évoquait par avance et savourait en son Cœur. Il avait hâte, il désirait ardemment que sonne l’Heure de sa Passion !

Pourtant, Jésus n’y entra pas sans tremblement et angoisse en raison d’un terrible secret qui demeurera toujours entre Lui et chacun d’entre nous :

« Nous comprenons que les bontés d’hier, les grâces de guérison, les aides providentielles, les pardons faciles de nos confessions presque tièdes, tous ces bienfaits salutaires qui font de nous pécheurs les enfants gâtés du Bon Dieu, tout a coûté à Celui qui nous comble avec mansuétude et simplicité, tout cela a coûté la Croix...

« C’est ainsi qu’il nous a aimés ! Nos plaies ne s’effaçaient qu’autant que s’ouvraient, sous les coups des bourreaux, des plaies semblables dans le Corps adorable du Sauveur. Nos péchés n’étaient pardonnés d’un mot, sans qu’il nous en coûte rien – ô femme adultère, l’as-tu pressenti ? – qu’en alourdissant chaque fois le poids de la Croix. » (Lettre à mes amis no 32, Semaine sainte 1958)

Or jusqu’au dernier soir, jusqu’au jardin de l’agonie, les Apôtres de Jésus, insensibles aux paraboles, insouciants de ses avertissements, ne le consolent pas mais ajoutent à son angoisse. Une seule Personne est à l’unisson de sa détresse : sa Très Sainte Mère au Cœur Immaculé. Dès le Cénacle, elle a tout compris et, durant l’agonie et la Passion de son Fils, elle communiera à tous ses tourments intimes, l’aidant autant qu’une créature peut aider son Créateur, autant qu’une mère peut aider son enfant abattu par le chagrin. Tandis que Jésus se charge de nos péchés, elle se fait péché avec Lui. L’Immaculée ! Comprenons donc ce qu’a été le brisement de ce Cœur très unique de Jésus-Marie-Immaculée, pour ne plus l’offenser.

Le lendemain matin, l’office des Ténèbres du Jeudi saint nous fera entrer dans les sentiments douloureux du Cœur de Jésus en agonie, tant par les longs psaumes qui exhalent la plainte du juste persécuté, que par les répons grégoriens ciselés par la piété de l’Église. Il faut avoir entendu notre Père les commenter et les chanter pour en goûter toute la richesse !

Cet office s’achève au troisième nocturne avec le récit par saint Paul de l’institution de l’Eucharistie, « dans la nuit où il fut livré » (1 Co 11, 23). C’est le suprême gage d’Amour donné par Jésus à ses Apôtres, sur lesquels il ne se faisait pourtant aucune illusion, mais pour qui il multiplia tout au long de ce dernier repas les témoignages confondants de douceur, d’affection, de confiance même.

DIEU EST AMOUR

Jeudi matin, à neuf heures, frère Bruno fit résonner dans notre chapelle le cri d’amour silencieux de Jésus-Hostie. Le symbole de cet Amour est le Cœur Sacré de Jésus, Cœur transpercé, surmonté de sa Croix, Cœur saignant et brûlant d’amour.

Or, explique frère Bruno, l’amour veut la présence sensible. Il a besoin de gages véritables, de dons visibles. C’est pourquoi le Cœur de Jésus s’est fait eucharistique, c’est-à-dire présent, victime et nourriture ; le Cœur de Jésus nous donne l’Hostie.

Dans une page mystique intitulée La Crèche, la Croix, le Tabernacle, notre Père, en digne émule du bienheureux Père Chevrier, décrit admirablement cette triple manifestation de l’amour de Jésus pour nous :

« Vous êtes ici, ô mon Dieu, tout aussi bien qu’à la crèche, dans votre Incarnation continuée, et vous renouvelez pour nous tout le mystère de votre Rédemption, encore aujourd’hui (...). La crèche me raconte en figures ce qui est en réalité au tabernacle : votre présence réelle, ô Jésus, parmi nous. Le crucifix qui domine l’autel est ici l’image de ce que vous renouvelez réellement par le ministère du prêtre, après l’avoir vécu premièrement au Calvaire : votre Sacrifice sacramentel, ô Jésus, qui nous fait communier à votre Père et notre Père, à votre Dieu et notre Dieu, dans le mystère de votre immolation en victime d’amour miséricordieux. » (Page mystique no 19, janvier 1970)

Jamais homme ne nous a aimés comme Jésus, trouvant dans son Cœur cette invention merveilleuse de l’Eucharistie, cette présence familière, intime, humble, accessible, fraternelle, à travers tous les temps et tous les espaces. Présence bien réelle, bien plus réelle que ne le pensent les théologiens de la CEF !

Notre Père en eut la révélation au séminaire, dans une vision intellectuelle qu’il rapporta dans ses Mémoires et Récits (tome II, p. 249-251). Au-delà des apparences de pain et de vin, au-delà même du changement substantiel qui s’opère lors de la consécration à la parole sacramentelle du prêtre, demeure la réalité métaphysique primordiale : la relation constitutive de l’être, Parole créatrice du Verbe. Or ces apparences de pain et de vin qu’Il choisit de se donner nous révèlent son intention : « Paraître ce qu’en l’occasion il veut être pour nous, comme notre pain par sa chair, comme notre vin par son sang, dans une manducation et une fusion d’êtres ineffable, pleine d’amour. »

Jésus au tabernacle, c’est une présence offerte, un appel. L’Hostie, c’est un cri ! si bien entendu par notre vénéré Père Charles de Jésus à Nazareth.

« Oh ! la douceur de ce baiser que vous donnez chaque matin dans la Sainte Communion à ce pauvre petit être, qui la dira, mon Dieu ? (...) Ô doux Jésus ! Vous me comblez de douceurs dès cette vie et vous m’en comblerez plus encore durant l’éternité entière, mais quel prix ne les paierez-vous pas ? »

La réponse à cette interrogation est le mystère caché de la Sainte Eucharistie : Jésus a commencé par livrer son corps à la mort en victime dans un sacrifice rédempteur afin de pouvoir nous le distribuer en nourriture par la communion, distribuer cette vie qu’il avait acquise si chèrement.

Rien de tel pour prendre la mesure de cette immolation que d’écouter frère Bruno nous lire la page mystique : Mon David, vainqueur des Philistins. On dirait cette page conservée dans le Cœur Immaculé de Marie et passée dans le cœur de notre Père !

« Changement pathétique ! Mon David, vainqueur des Philistins, dépose sa cuirasse et se revêt de la blanche tunique sans couture que lui a tissée sa Mère. Il n’est plus que douceur et résignation. Mon Jésus à l’âme tendre s’en va vers le sacrifice que lui a demandé son Père. Il avance sans armes, sans imprécations, vers ceux qui le haïssent. Il se livre à eux... Tous vous ont abandonné, ô mon Maître ? Non ! voyez votre Épouse à vos côtés. Son cœur maternel et filial entre à votre suite dans ce mystère d’amour et de douleur ; sa compassion est vaste comme la grande mer. » (Page mystique no 3, avril 1968)

Ainsi, dans sa Passion, sur la Croix et lors de chacune de nos messes qui en sont le mémorial, le Cœur de Jésus est d’abord tourné vers son Père. Et avec Lui, inséparable, le Cœur de Marie, Corédemptrice, prêtre et victime avec son Fils. Leur prière nous est connue, c’est le Pater noster qui précède la communion. Frère Bruno nous en commenta les demandes, qui se conjuguent aux paroles de l’Ave Maria pour faire grandir en nous les sept Dons du Saint-Esprit.

Durant ces Jours saints, nous allions pouvoir vivre de cet enseignement, car le Ciel nous avait providentiellement parachuté un bon prêtre grâce auquel nous pûmes célébrer messes et offices avec toute la solennité voulue. La Messe vespérale du Jeudi saint est particulièrement importante pour nos communautés de Petits frères du Sacré-Cœur, car c’est alors que nous renouvelons nos vœux.

Notre fidélité religieuse est notre première manière de poursuivre le combat de notre Père et d’encourager ceux qui nous approchent. Tel ce bon prêtre qui a découvert nos communautés de Magé :

       Mercredi 24 mars 2021

Chers frères,

« J’ai combattu jusqu’au bout le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi. » (2 Tm 4, 7) Ce combat, monsieur l’abbé de Nantes l’a mené avec force et courage et sens de l’Église. Merci à ce bon Père au-delà de la terre, qui est toujours vivant, nous le savons, dans la Communion des saints. Chers frères je vis seul du matin au soir et je me réjouis d’avoir rencontré un jour ce bon prêtre, immense théologien et l’honneur du clergé de France, Royaume de Marie Reine de notre beau pays.

J’ai pu constater les fruits humains et spirituels du fondateur de vos communautés par la foi et la piété des religieux et religieuses de Magé.

Que Dieu bénisse et garde dans la Foi et l’Espérance les communautés du Sacré-Cœur, ainsi que dans l’amour et la fidélité à l’Église. Je vous confie à Marie-Immaculée,

       + abbé L.

À l’issue de la messe, pendant le chant du psaume 21, le plus clairement prophétique de la Passion du Christ, l’autel est dépouillé. Jésus-­Hostie est retiré du Tabernacle qui reste béant. Nous entrons abruptement dans le drame.

Au cours de l’Heure sainte, à 21 h, auprès du reposoir, nous écoutâmes notre Père commenter les quatre poèmes du Serviteur de Yahweh (Is 42-53), ou plutôt s’entretenir familièrement et pieusement avec Notre-Seigneur de ces prophéties qui révèlent cinq cents ans à l’avance le mystère de la Rédemption qu’Il viendrait accomplir, avec une précision et une profondeur que n’atteindront pas même les écrits du Nouveau Testament !

Tout au long du Vendredi saint, ni la garde incessante autour du reposoir, ni les fleurs, ni les lumières ne peuvent occulter ce mystère redoutable, ce terrible secret dont la troisième conférence de frère Bruno nous révéla les abîmes de sagesse.

LE MYSTÈRE DE LA RÉDEMPTION

« La messe est un regard sur la Croix, commença frère Bruno, avant d’insister : La Messe est le mémorial de la Croix, elle en est le sacrement. L’Eucha­ristie tout entière répand les rayons de la gloire et les ruisseaux de vie qui partent de la Croix. Jésus agit donc dans l’Hostie, mais cette action est celle même de la Croix, toute rédemptrice. »

Bien peu nombreux, hélas, sont les chrétiens animés par l’esprit de la Croix, selon lequel tout crime mérite son châtiment. Cela va contre l’esprit moderne, mais c’est la grande leçon de l’office des Ténèbres et spécialement des Lamentations de Jérémie, chantées chaque matin au premier nocturne.

Mais comment et par qui ce péché sera-t-il réparé ? Par un “ marché d’amour ”, répond notre frère : « Entre le Père et le Fils, dans l’amour du Saint-Esprit, colombe de la Vierge Marie, est instituée une rédemption par paiement d’une rançon, Dieu disant : ma justice s’inclinera devant ma miséricorde, à condition que le prix soit payé. »

Le Fils de Dieu s’est donc offert, pour Adam et sa lignée et, avec Lui, d’un même mouvement, la Fille de Dieu, l’Immaculée.

L’Histoire sainte nous offre des figures de ce que sera ce sacrifice. Tel celui d’Isaac par le vieil Abraham. Notre Père ne pouvait lire ce récit sans que sa voix s’étrangle d’émotion. Et frère Bruno non plus !

Telle aussi l’agonie de la douce Ruth, grand-mère de David, de saint Joseph et donc de Jésus, tandis que Booz, loin d’elle, affronte l’Adversaire pour la lui arracher. Les sentiments qui tenaillent alors le cœur de Ruth nous révèlent ceux de la Vierge Marie durant la Passion de son Fils et nous sont un modèle.

Écartelée entre la terreur et l’amour, Ruth s’unit au combat de son fiancé : la crainte d’une victoire de l’Adversaire lui donne la haine du péché et une compassion infinie pour les pécheurs, ses captifs ; le désir passionné du retour triomphant de Booz lui fait choisir la confiance en son Seigneur et Maître plutôt que le désespoir. Et déjà, dans la nuit, elle célèbre héroïquement sa gloire ! Elle est le modèle de l’Église militante qui, dans la même nuit, chante son Dieu comme un vaillant guerrier.

Frère Bruno nous rappela l’office de ce matin-là :

« On est fatigué par le chant des matines, on a pleuré sur le Christ mourant, on arrive aux laudes et on chante le Cantique d’Habaquq. C’est l’Église, parvenue au comble de l’affliction, au paroxysme de sa compassion, qui trouve, en annonçant la terreur, le châtiment du monde, ces paroles extraordinaires :

« “ Ego autem, in Domino gaudebo et exultabo in Deo Jesu meo. Moi, n’empêche, je me réjouirai dans le Seigneur, et j’exulterai en Dieu, mon Jésus, mon Sauveur, mon Rédempteur. 

« Vous comprenez que cette journée du Vendredi saint, journée d’angoisse et de sacrifice, est la journée où l’Église manifeste le plus vivement la perfection de son amour. »

Plus profondément, le second fruit de cette épreuve est la compassion de l’Épouse qui ne souffre plus pour elle-même, mais des peines de son Époux : elle est en Lui, elle revit les peines de sa Passion, elle devient martyre avec Lui. Cette union dans la souffrance est un mariage de sang, sur la Croix ! C’est le secret du Cœur Immaculé de Marie.

Surtout, Jésus se plaît à faire ressentir à ses épouses l’incertitude de sa Passion, à l’exemple de Ruth, ignorant si Booz parviendrait à prévaloir contre l’Adversaire. Découvrant qu’elle était vouée à l’enfer, l’âme mesure la gratuité absolue de la grâce.

Nous ayant fait prendre la mesure de l’enjeu de la Passion, frère Bruno nous découvrit en conclusion dans quels sentiments notre Sauveur y entra, grâce à ses nombreuses confidences du discours après la Cène. Les Apôtres ne comprirent rien sur le moment, mais la Vierge Marie, quant à elle, retint toutes ces paroles en son Cœur et en livra plus tard la signification à saint Jean. Elles nous font pressentir les abîmes du Cœur de Jésus tout tourné vers son Père et soucieux d’accomplir sa volonté. Ne l’avait-il pas révélé vingt ans plus tôt à ses parents, lors de son recouvrement au Temple ?

De ce sacrifice plus parfait que celui d’Isaac, qui sera une lutte et une victoire sur Satan plus décisive que celle de Booz, Notre-Seigneur prévoit déjà les fruits : ce sera la renaissance de tout un peuple, en accomplissement des antiques prophéties. Jésus avance vers sa Passion en Chef, avec une sérénité et une majesté royales : « Courage, j’ai vaincu le monde ! » (Jn 16, 33)

LE MYSTÈRE DE LA CROIX

Après ces trois premières conférences pour entrer dans l’épaisseur du mystère de la Rédemption, du Calvaire à chacune de nos messes, frère Bruno nous raconta la Passion du Christ en suivant pas à pas le récit de saint Jean.

Disciple bien-aimé du Maître et le seul Apôtre à lui être demeuré fidèle en ces heures sombres, saint Jean l’avait suivi partout, s’introduisant jusque dans le palais du grand-prêtre, jusque dans le prétoire du procurateur romain ; confident intime de la Sainte Vierge que Jésus lui avait confiée du haut de la Croix, c’est elle qui lui a révélé dans ces événements effroyables une ascension triomphale : la gloire de Jésus resplendit à la mesure de ses abaissements.

Le prologue de cette Passion, c’est l’Agonie de Jésus. Saint Jean ne raconte pas celle de Gethsémani, car il nous a déjà montré Jésus en agonie en plein triomphe des Rameaux. Juste après avoir révélé qu’il faut mourir pour porter du fruit, il est soudain mystérieusement bouleversé. C’est que cette mort recèle un secret terrifiant.

Quelques jours plus tard, après la Cène, au jardin des Oliviers, alors qu’il vient d’annoncer sa victoire sur le monde, Jésus est de nouveau terrassé par l’horreur de la mort qui l’attend. Le récit de saint Luc porte la marque de saint Jean – qui ne dormait pas ! – et nous fait le mieux compatir à la détresse insondable du Cœur de Jésus, abandonné par ses Apôtres endormis et se revêtant de notre péché devant son Père. Néanmoins, Jésus trouve au fond de sa volonté humaine, une acceptation filiale qui répare la désobéissance du premier Adam.

Le dernier Évangéliste ne s’attarde pas sur le procès juif, dont la matière est déjà toute contenue dans son Évangile et la sentence de mort déjà prononcée depuis plusieurs jours. Il ne nous raconte pas non plus les scènes d’outrages, car il s’attache à nous montrer que jusque dans les épreuves les plus ignominieuses de sa Passion, Jésus est glorieux, Jésus est Dieu, Jésus est un être transfiguré par sa mission, vainqueur !

En revanche, saint Jean retrace en détail le procès romain, car il aboutit à la manifestation publique de cette gloire de Jésus. La comparution devant Pilate constitue le premier acte de l’unique tragédie de notre histoire, avant la mise à mort et la Résurrection.

L’Évangéliste se plaît à mettre en scène le Procurateur romain, écœuré par la cautèle des juifs, subjugué au contraire par le mystère de Jésus. En sept tableaux, l’action dramatique progresse jusqu’à la proclamation par Pilate de la royauté de Jésus, qu’il fait siéger à sa place sur le tribunal : « Voici votre Roi ! » (Jn 19, 14) Il ne prononcera pas d’autre sentence, avant d’abandonner lâchement l’Innocent à la fureur des grands prêtres. Mais c’est précisément ce que Jésus voulait de lui, afin d’accomplir la volonté de son Père.

L’évocation de ce drame grandiose préparait nos cœurs à la cérémonie de l’adoration de la Croix, chef-d’œuvre d’esthétique dramatique. Notre Père nous la présenta comme la manifestation incomparable de l’amour de l’Église pour son Époux crucifié et la célébration efficace de sa mort. C’est le rite le plus poignant de la liturgie catholique !

Le lendemain matin, nous chanterions enfin au complet l’antienne du triduum pascal, répétée à la fin de chaque Heure de l’office pour en imprimer en nos âmes la leçon, résumé de toute notre religion : « Le Christ s’est fait pour nous obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la Croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté et lui a donné le Nom qui est au-dessus de tout nom. » (Ph 2, 8-9)

« Dans une communauté qui a bien fait son carême, nous disait notre Père, qui a bien fait ses exercices de la Semaine sainte, qui est quand même accablée par la pénitence et la compassion, quand arrive ce “ Propter quod et Deus exaltavit illum ”, c’est un chant de triomphe, c’est une ivresse ! »

JÉSUS CRUCIFIÉ ATTIRE TOUT A LUI

Le samedi matin, poursuivant son commentaire de saint Jean, frère Bruno nous présenta le deuxième acte de la tragédie pascale qu’il intitula : “ La victoire du Roi des juifs ”.

L’analyse exégétique de notre frère est très fine et minutieuse, mais nullement desséchante, car tout ordonnée à la contemplation religieuse du Mystère. L’Évangéliste a choisi avec soin chacun de ses mots pour ses riches harmoniques bibliques, théologiques et mystiques. Bien compris, ils révèlent des trésors de sagesse.

Écoutant frère Bruno, nous découvrons ainsi que Jésus s’est emparé de sa croix avec ferveur, comme de son étendard royal, Vexilla Regis. Sa royauté est d’ailleurs proclamée par le titulus apposé par Pilate, à la fureur des grands prêtres : « Jésus le Nazôréen, le roi des juifs ». Au Golgotha, Jean contemplait la gloire du Crucifié.

Notre Père touche au sublime lorsqu’il explique la parole de Notre-Seigneur à sa Mère : « Femme, voici ton fils. » Ce terme inusité nous révèle que Marie est la nouvelle Ève de ce nouvel Adam, sa coopératrice, sa corédemptrice, médiatrice avec Lui. Elle adopte tous ceux que Jésus est en train de sauver. C’est en Elle que s’accomplissent les prophéties annonçant la fécondité miraculeuse de Sion, mère de tous les peuples. Cette démonstration exégétique rigoureuse répare le blasphème du pape François déniant obstinément à Notre-Dame son privilège de Corédemptrice.

La relation que Jésus ne fait que consacrer est mutuelle : « Fils, voici ta mère. » Cette divine parole inspira à notre Père l’une de ses plus belles pages :

« Donnant votre vie, vous nous donnez encore le reste, vos biens, et de tous vos biens le plus précieux, le plus cher, l’Unique, il faut le dire : le plus propre à vous, celui que vous possédiez sans partage et dont vous vous dépossédez – ah ! les larmes me jaillissent – dont vous vous détachez avant de mourir pour l’attacher à nous, pour nous l’abandonner et nous le consacrer : le Cœur de votre Mère. » (Page mystique no 33, avril 1971)

Tout étant alors accompli, Jésus exprime sa soif : soif de nous donner à boire, comme autrefois à la Samaritaine, soif de mourir pour remettre l’Esprit.

« Jésus, pourquoi êtes-vous mort ? » se demandait notre Père dans sa Lettre à mes amis du Vendredi saint 1962. Les théologiens ont répandu des flots d’encre pour essayer d’élucider le mystère d’un Père écrasant son Fils de tout le poids de sa justice vindicative. La réponse de l’abbé de Nantes nous en libère par sa précision théologique, jointe à une grande finesse psychologique, l’une et l’autre éclairées par le sentiment d’une tendre compassion. Cette lettre est un chef-d’œuvre et frère Bruno ne put faire mieux que de nous la lire intégralement. Et voici en une phrase la clef du drame de la Passion, révélée par Notre-­Seigneur : « Mon âme envahie par le Péché aspirait à tous les abaissements et tous les châtiments qu’il mérite. »

Jésus est mort. Le soldat lui perce le côté, conformément à la prophétie de Zacharie, en faisant jaillir le sang et l’eau. Saint Jean l’atteste solennellement, car cet ultime témoignage doit transpercer nos cœurs à leur tour, pour que nous croyions.

La conclusion de cette conférence était propice à nous placer dans les sentiments que l’Église veut nous inspirer le Samedi saint, d’une anticipation de la Résurrection dans une attente pleine d’amour, selon les termes de l’oraison du jour. Le récit de la Passion selon saint Jean s’achève en effet dans une douce lumière qui commence à poindre, comme un prélude à la Résurrection. Et si les Apôtres ont perdu la foi, Marie la conserve, elle seule. Elle seule est l’Église en ce jour.

JÉSUS VAINQUEUR DES ENFERS

La dernière conférence de cette retraite nous mit en présence du Saint Suaire, trophée de la victoire de Jésus sur les enfers et preuve irréfragable de sa Résurrection. Sa découverte dans le tombeau vide, au matin de Pâques, fut pour saint Jean le choc sacré qui lui manquait pour croire.

Frère Bruno intitule ce dernier acte de la Passion : “ Adoration ”. En effet, Jésus n’a pas quitté son Suaire sans l’imprégner de son Précieux Sang reviviscent au moment de la Résurrection, et le marquer de l’empreinte de son Corps reprenant vie, objets de notre adoration encore aujourd’hui, après l’avoir été de Jean.

Les Évangélistes nous ont raconté la Passion avec un laconisme qu’explique peut-être l’ignominie des traitements endurés par le Fils de Dieu. Dès lors, le Saint Suaire constitue un cinquième Évangile qui nous renseigne sur les souffrances atroces de Jésus, insoupçonnées jusqu’à nos jours. Cette empreinte de son Corps entièrement nu est une invitation pressante à compter et surtout à contempler ses Plaies. Elles sont innombrables : plaies de la flagellation, du couronnement d’épines, de tous les coups, outrages et sévices du “ procès ”, du portement de croix ; plaies enfin de la crucifixion, aux mains et aux pieds, jusqu’à ce coup de lance qui a laissé une blessure béante par où le Corps s’est vidé de son Sang. L’endurance de Jésus fut surhumaine : toute sa Passion est un miracle, qui culmine dans sa mort, dans un grand cri.

Le docteur Barbet et bien d’autres à sa suite ont scruté ces empreintes avec toute leur science et n’ont jamais surpris la moindre contradiction avec les lois de l’anatomie. Chacune de ces traces de sang, toutes si criantes de vérité, constitue une preuve apologétique qui précipite le médecin à genoux !

Surtout, le Saint Suaire nous a conservé un visage détendu et serein, qu’illumine malgré tant d’affreux stigmates, la majesté très douce du Dieu de miséricorde, vainqueur des enfers déchaînés. La Sainte Face est un silencieux appel à l’amour, adressé d’abord à sa Mère qui reçut le Corps de son Fils à la descente de Croix. Notre Père a décrit son « baiser pathétique » avec une poésie et une piété inoubliables. La Vierge Marie provoque Jésus, pour ainsi dire, à hâter sa Résurrection.

Nous la célébrâmes par la Veillée pascale, que le Père nous décrivait comme une perfection liturgique inégalable. Toutes les réalités de la nature qui signifiaient dans l’Ancien Testament les grands sentiments, les grands drames humains, sont devenus avec Jésus-Christ les symboles des mystères que nous célébrons : drame de la lumière et des ténèbres, de la mort et de la vie.

Et de fait, nos sens spirituels furent comblés ! La vigueur du feu nouveau projeta de somptueuses gerbes d’étincelles, défiant le clergé de s’en approcher pour allumer le cierge pascal. L’encens remplit l’air de son parfum pénétrant, bientôt concurrencé par celui des lys disposés par nos sœurs sur l’autel pendant les litanies. La procession du Vidi aquam permit au célébrant de nous asperger généreusement d’eau bénite. Enfin, durant le Gloria, ce fut le retour assourdissant des cloches, sonnant la joie de Pâques.

À l’exemple de Notre-Seigneur ressuscité, c’est d’abord vers Notre-Dame que notre Père tourna nos cœurs à l’oraison du lendemain, après le Regina Cæli, en rappelant leurs retrouvailles, au matin de Pâques. Joie + souffrance = gloire : l’équation est facile à retenir, c’est celle du bonheur plénier de notre Mère, et du nôtre, car : « L’achèvement de la perfection de la Vierge Marie fait l’achèvement de notre joie, l’achèvement de notre gloire d’enfants de Marie ! »

Notre Père rejoignait ainsi la conclusion des prédications de frère Bruno. Tout auteur sérieux ne doit-il pas citer ses sources ? Eh bien ! l’acquis de cette retraite est que l’Évangile de saint Jean s’explique tout entier par son colloque incessant avec Notre-Dame, porte-parole du Paraclet dont elle est le Temple.

« Le fruit désirable de cette retraite qui s’achève est de nous faire entrer dans ce colloque afin de vivre en enfants de Marie tous les jours de notre vie. »

frère Guy de la Miséricorde.