Il est ressuscité !

N° 221 – Mai 2021

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


La dévotion du pape Pie IX pour saint Joseph

Homélie de frère Georges de Jésus-Marie du 19 mars 2000.

C’EST aujourd’hui la fête patronale de notre  Maison où chacun sait qu’il doit recourir à saint Joseph pour lui confier tous ses soucis personnels, mais surtout le souci de l’Église et de la France. C’est le moment de tout demander à ce glorieux patriarche et de tout obtenir de lui, car il ne demande que cela et il y a peu de gens qui le prient. Pourtant, il ne se laisse pas vaincre en générosité. Tous les saints nous l’apprennent. Sainte Thérèse de l’Enfant-­Jésus obtenait tout de lui. Elle le raconte dans ses lettres d’une manière amusante. Et tant de saints, surtout des saints modernes.

Pie IX, que nous devrions pouvoir invoquer comme saint Pie IX (il sera un jour canonisé) a joué un rôle central dans le mystère de saint Joseph. Il est mort pacifié, comme il l’a dit lui-même, parce qu’il avait réussi à mieux faire connaître ce secret de Dieu le Père.

C’était il y a cent ans. Pie IX, tout le monde le sait, a proclamé le dogme de l’Immaculée Conception le 8 décembre 1854. Quatre ans après, comme une confirmation de cette décision pontificale, le 25 mars 1858, la Sainte Vierge s’est nommée : Je suis l’Immaculée Conception.

Mais on parle beaucoup moins de ce que fit Pie IX pour saint Joseph. C’est à lui qu’il revient d’avoir commencé à promouvoir officiellement le culte de ce grand saint, car le cœur de ce Pontife était tout tourné vers lui. Cela se comprend. Il portait le poids de la charge de l’Église et il savait bien trouver dans le cœur de saint Joseph un cœur compatissant. Saint Joseph a porté dans sa vie tout le poids du dessein de Dieu vis-à-vis de la Sainte Vierge et de son Enfant chéri, dont il avait la charge.

En 1823, jeune prêtre, il avait prêché à Rome en son honneur, dans l’église Saint-Ignace, une neuvaine et un très beau panégyrique que nous possédons encore. À peine élevé sur le siège pontifical, il étendit à toute l’Église, le 10 septembre 1847, la fête et l’office en l’honneur du patronage de saint Joseph. Un peu plus tard, en 1854, dans une allocution, il indiqua saint Joseph comme la plus pure espérance de l’Église après la Sainte Vierge. Or, c’est à ce moment que les attaques redoublèrent contre l’indépendance de la Sainte Église. Le 20 septembre 1870, c’est la prise de Rome par les armées piémontaises. Le Concile du Vatican est suspendu, le Pape est prisonnier en son palais. Il doit en plus faire face à l’assaut de toutes les forces hostiles en Italie et ailleurs : le libéralisme anticlérical, la franc-maçonnerie, la révolution jusqu’au sein de l’Église même.

Pie IX réagit fortement avec la bulle Quanta Cura et le Syllabus (1864) condamnant quatre-vingts erreurs. Soutenu par un fort mouvement de dévotion et par de nombreuses pétitions, il proclama alors officiellement le patronage de saint Joseph sur l’Église universelle, le 8 décembre 1870. Ainsi donc, seize ans exactement après son épouse, saint Joseph recevait la première consécration officielle de l’Église. Les premiers fruits d’une telle faveur ne se firent pas attendre. On demeure frappé de voir naître au dix- neuvième siècle toutes sortes de confréries, congrégations, fraternités, dévotions, conciles provinciaux consacrés à saint Joseph, qui témoignent tous d’un véritable culte spirituel. Dans son décret Urbi et Orbi adressé à la ville de Rome et au monde entier, le 8 décembre 1870, proclamant officiellement saint Joseph patron de l’Église universelle, Pie IX fait allusion aux si tristes temps que traverse l’Église, ce qui justifie encore davantage le recours à un tel protecteur.

Voici ce qu’il dit :

« De même que Dieu établit le patriarche Joseph, fils de Jacob, gouverneur de toute l’Égypte pour assurer au peuple le froment nécessaire à la vie, ainsi, quand furent accomplis les temps où l’Éternel allait envoyer sur la terre un autre Joseph dont le premier était la figure, il l’établit Seigneur et prince de sa maison et de ses biens. Il commit à sa garde ses plus riches trésors. En effet, Joseph épousa l’Immaculée Vierge Marie de laquelle, par la vertu du Saint-Esprit, est né Jésus-Christ qui voulut aux yeux de tous passer pour le fils de Joseph et daigna lui être soumis.

« Celui que tant de prophètes et de rois avaient souhaité de voir, non seulement Joseph le vit, mais il conversa avec lui. Il le pressa dans ses bras d’une paternelle tendresse, il le couvrit de baisers. Avec un soin jaloux et une sollicitude sans égale, il nourrit celui que les fidèles devaient manger comme le Pain de l’éternelle vie. En raison de cette dignité sublime à laquelle Dieu éleva son très fidèle serviteur, toujours l’Église a honoré saint Joseph d’un culte fervent et exceptionnel, quoique inférieur à celui qu’elle rend à la Mère de Dieu. Toujours dans les heures critiques, elle a imploré son assistance. Or, dans les temps si tristes que nous traversons, quand l’Église elle-même, poursuivie de tout côté par ses ennemis, est accablée de si grandes calamités que les impies se persuadent qu’il est enfin venu le temps où les portes de l’enfer prévaudront contre elle, les vénérables pasteurs catholiques, en leur nom et au nom des fidèles confiés à leur sollicitude, ont humblement prié le Souverain Pontife qu’il daignât déclarer saint Joseph Patron de l’Église universelle. »

De nombreux évêques, il y a cent cinquante ans, étaient conscients des dangers qui menaçaient l’Église et suppliaient Pie IX de proclamer le patronage de saint Joseph sur l’Église universelle.

« Ces prières ayant été renouvelées plus vives et plus instantes durant le Saint Concile du Vatican, notre Saint-Père Pie IX, profondément ému par l’état lamentable des choses présentes et voulant se mettre lui et tous les fidèles sous le puissant patronage du puissant patriarche Joseph, a daigné se rendre aux vœux de tant de vénérables Pontifes. C’est pourquoi il déclare solennellement saint Joseph patron de l’Église catholique. Sa Sainteté ordonne en même temps que la fête du saint, fixée ordinairement au 19 mars, soit désormais célébrée sous le rite double de première classe, sans octave à cause du Carême. »

Tout le pontificat de Pie IX fut comme accompagné invisiblement par la présence grandissante de saint Joseph. Rien d’étonnant si le Souverain Pontife affirmait le 2 février 1878, lors de sa dernière audience, cinq jours avant sa mort, à un religieux qui s’émerveillait de sa sérénité : « Cela tient à ce que, aujourd’hui, saint Joseph est plus connu. J’exprime ma confiance ; si ce n’est pas moi, mon successeur assistera au triomphe de cette Église dont je l’ai officiellement constitué le patron. »

Comment ont réagi les évêques ? Si vous voulez aller chercher le meilleur, il faut aller à Angers. À la suite de cette proclamation par Pie IX, Mgr Freppel voulut célébrer l’événement (il ne se l’est pas laissé dire deux fois). Il prononça un discours en l’église Saint-Joseph de sa ville épiscopale à l’occasion de sa première visite dans cette paroisse.

« L’Église ne se décide jamais à de pareils actes sans des motifs élevés, qu’elle emprunte d’ordinaire à la situation de nos âmes. Si, de nos jours, elle a entouré la mémoire de saint Joseph d’une vénération plus grande qu’à toute autre époque, elle a voulu sans doute l’intéresser davantage aux besoins de notre cause. Plus les dangers se multiplient autour de nous, plus il importe que ce puissant patronage s’étende sur la société chrétienne pour la défendre contre les ennemis qui l’assiègent de toutes parts. (C’est du Bossuet, mieux encore peut-être ?)

« Mais il y a quelque chose de plus caractéristique dans ce redoublement de dévotion et d’honneur envers le chef de la Sainte Famille, l’époux de la Vierge. Dieu, donc, voulant régénérer l’humanité déchue, commença ce grand œuvre de la restauration de la famille. Il prit à cet effet ce qu’il y avait de plus saint dans le Ciel : son propre Verbe, et ce qu’il y avait de plus pur sur la terre : la Vierge prédestinée avant tous les siècles. Et, les rattachant entre eux par le plus auguste et le plus mystérieux de tous les liens, il fit apparaître entre l’un et l’autre l’image de sa paternité. Il en résulta la Sainte Famille, ce type immortel et unique des familles chrétiennes. Sous l’empire du paganisme, le pouvoir paternel était devenu synonyme d’indifférence, de dureté. La bonté active et vigilante est reparue au sommet de la famille sous les traits de saint Joseph.

« Il ne faut pas se le dissimuler, c’est du chef que découle sur le reste de la société domestique ce qui en assure la force ou en prépare la décadence. Or, quand je regarde au sommet de la famille, telle que l’a fait trop souvent l’éducation moderne, j’y découvre assurément des qualités morales. Le sens du juste et de l’honnête, une certaine honnêteté de conduite, toutes choses qui, certes, méritent l’estime et la considération.

« Mais ce qu’il est regrettable de ne pas y trouver toujours, c’est la foi, ou du moins cette foi vivante et pratique qui montre à l’enfant le chemin du devoir et l’y précède. Cette foi qui sait comprendre qu’il y a des devoirs envers Dieu comme il en est envers le prochain et envers soi-même, et qu’il ne suffit pas d’être un honnête homme de bien, mais qu’il faut être, de plus, un homme religieux et craignant Dieu. Cette foi qui se traduit en actes publics et qui empêche le jeune homme de se dire à quinze ou dix-huit ans : mon père ne se confesse point, pourquoi me confesserais-je ? Mon père ne communie pas, pourquoi communierais-je ? Voilà le grand mal, l’absence de foi pratique chez beaucoup de pères de famille.

« N’étant plus contenus par l’exemple de celui qui devrait les guider sur les chemins de la vie, les enfants secouent de bonne heure le frein qui les gêne et se jettent dans le vice et dans l’inconduite. Ah ! Que les chefs de famille sachent donc comprendre la terrible responsabilité qui pèse sur eux, qu’ils se considèrent à l’exemple de saint Joseph comme les pères nourriciers de leurs enfants, non seulement pour le corps mais encore quant à l’âme et à l’intelligence. À ceux qui leur doivent la vie, ils doivent la vérité et la justice qui sont le pain de l’âme. Hérode menaçait les jours du Divin Enfant et saint Joseph était là pour détourner les coups du tyran. »

C’est magnifique et actuel. Nous sommes boule­versés avec une éducation laïque et républicaine qui a complètement échoué. Voici la réponse : saint Joseph.

« Il était donc bien inspiré, il comprenait à merveille la situation des âmes, le Père Souverain, quand, voulant rappeler aux pères de famille le plus important de leurs devoirs, il leur proposait en saint Joseph le modèle et la règle de leur conduite avec cette clairvoyance qui ne l’a jamais quitté dans son glorieux ministère. L’héroïque vieillard qui gouverne l’Église a répandu la lumière là même où règne l’erreur, et porté le remède là où gît le mal. »

De fait, l’erreur et le mal dont nous voyons les conséquences catastrophiques étaient déjà à l’œuvre quand Mgr Freppel écrivait cela. Il luttait déjà contre cela.

« En couronnant d’un nouveau titre de gloire le chef de la Sainte Famille, en le déclarant par un acte solennel le Patron et Protecteur de l’Église, le Pasteur Suprême a voulu rappeler aux familles chrétiennes les vertus et les exemples qui doivent briller à leur sommet. »

Imaginez ce que c’était d’entendre ainsi prêcher ; quand les pères de famille rentraient chez eux, ils devaient être pleins de résolutions pour imiter saint Joseph.

Le pouvoir de saint Joseph est grand auprès de Jésus et de Marie. Allons donc à Joseph, prions-le pour le triomphe de la Sainte Église, la conversion des pécheurs, la sanctification de nos âmes, et tâchons de mériter pendant ce mois de mars qui lui est consacré la protection spéciale de nos familles, lui confiant notre vie et l’heure de notre mort. Ainsi soit-il !