Il est ressuscité !

N° 225 – Octobre 2021

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


CAMP NOTRE-DAME DE FATIMA 2021

Géopolitique et orthodromie catholique 
Première conférence : 
De Jérusalem et d’Athènes à Rome et à Paris

INTRODUCTION PAR FRÈRE BRUNO

POURQUOI consacrer notre Camp d’été à la géopolitique ? C’est le thème que notre Père avait choisi pour la session de Pentecôte en 1991. Durant ces trois jours mémorables, il s’était employé à inculquer aux jeunes phalangistes, vos aînés, ce que, déjà, il enseignait à ses élèves de Pontoise et ensuite à ses lecteurs d’Aspects de la France ou des Lettres à mes Amis, c’est-à-dire le sens d’une géopolitique catholique, à la recherche de l’orthodromie divine dans l’histoire. Tout particulièrement dans l’histoire de sainte et douce France, fille aînée de l’Église.

« Orthodromie » est un terme de navigation, qui veut dire « course droite » en grec, et qui désigne l’itinéraire à prendre au plus droit, au plus court, pour naviguer d’un point à un autre. C’est la ligne directrice que notre Dieu a choisie et trace à travers les siècles de l’histoire humaine pour la mener à son terme. Les hommes sont libres de s’y opposer ou d’y adhérer et d’y coopérer, pour leur félicité ou leur perte éternelle, mais ce dessein s’accomplira, il s’accomplit déjà.

Cette orthodromie catholique, c’est-à-dire universelle, englobe tout : la géographie, la démographie, la politique, la diplomatie, l’économie des sociétés et, suprêmement, la vie de l’Église à travers les siècles. Elle appelle donc une science « totale », une géopolitique catholique, dont notre Père est le maître incomparable...

À LA RECHERCHE DE L’ORTHODROMIE DIVINE

(sermon de notre Père pour l’ouverture de la session, le samedi 18 mai 1991, PC 44)

« Nous prenons en main notre atlas historique, car nous allons faire de la géopolitique et même de la géostratégie, à la recherche du destin de la France dans le monde, et non seulement cela, mais une géopolitique et géostratégie chrétienne, surnaturelle, car nous voudrions bien comprendre ce monde, tel que nous l’observons sur un planisphère.

« Un planisphère, c’est une retranscription de la rotondité de la terre, de cette sphère, sur un plan. Ce sont les cinq continents, pour suivre la géographie classique. On voit dans les livres de géopolitique moderne, ou de géostratégie, toutes sortes de manières de présenter ce monde, en prenant pour centre le pôle Nord ou le pôle Sud, Moscou, New York ou San Francisco ; chacun se prend pour le centre du monde. Où est le centre du monde ? Que pourrait-on tirer de la contemplation d’un planisphère ? Qu’est-ce qui est important ? Pour qui ? Pour l’homme athée, ce qui est important, c’est lui personnellement, tout seul. Pour Dieu, qu’est-ce qui est important ?

« Nous allons chercher quel est le dessein de Dieu, parce que toute cette forme des continents qui sont apparus dans le vaste océan, toute cette forme de ces océans a été voulue par Dieu ; tout est voulu par Dieu dans cette création, et donc Dieu devait avoir son idée. Ne pourrait-on pas trouver cette idée ? Nous allons la chercher.

« Évidemment, nous avons tout de suite une solution : nous ne cherchons pas Paris ni Rome, mais nous cherchons Bethléem où le Fils de Dieu s’est fait homme, puis Nazareth et Jérusalem. On voit très bien sur le planisphère que c’est dans une zone tempérée ; et après tout, Il aurait pu naître dans bien d’autres endroits que cette zone, par exemple dans le golfe du Mexique ou bien dans le golfe Persique, pourquoi pas dans la mer de Chine... Il y avait bien d’autres solutions, pourquoi celle-là ?

« Donc, nous allons essayer de chercher cela. Vous me direz que c’est impossible ? Si, si, c’est très possible, on va y arriver ! »

LES GRANDS EMPIRES DISPARUS.

« Tout de suite, il faut dire que tout ce qui est plus vieux que deux mille ans avant Jésus-Christ ne nous intéresse absolument pas.

« Dans la zone qui nous intéresse, dans ce Proche et ce Moyen-Orient antiques, on voit très bien sur les cartes que longtemps avant que nous existions, nous, comme civilisation, déjà deux civilisations s’opposaient l’une à l’autre. C’était d’une part l’empire de Babylone – plus exactement l’empire d’Assyrie, les Assyriens ont précédé les Babyloniens – empires continentaux, empires assez féroces, empires de religions très pessimistes. Ils se sont opposés – ce qu’expliquait monsieur Jacques Pirenne, qui est un catholique mais libéral – au royaume d’Égypte qui, lui, est un royaume éminemment maritime, comme le royaume de Phénicie, dont nous parlerons plus tard.

« Ces royaumes se sont opposés les uns aux autres pendant des siècles, pendant des millénaires, jusqu’à ce que le royaume des Mèdes et des Perses – situé dans les montagnes du plateau iranien actuel et du Kurdistan – envahisse le royaume de Babylone et ne le fasse disparaître. Voilà des grands royaumes qui ont occupé le monde.

« J’ai lu dernièrement un livre sur les Assyro-Chaldéens, énorme, retraçant leur histoire, pour autant qu’on peut la reconstituer, cela faisait bien sept cents pages ; à la sept cent unième page, j’ai conclu que j’avais perdu mon temps ! Il n’y avait que quelques pages par-ci par-là, sur les mythes babyloniens, qui m’ont servi, parce que cela éclaire la Bible ; quelques pages aussi sur la manière dont ces empires ont à maintes reprises fait la guerre à l’Égypte et ont envahi en passant la Palestine. Et finalement ce sont les Mèdes qui ont délivré ces malheureux juifs en exil à Babylone et leur ont permis de reconstruire leur Temple.

« Donc, ce qui m’intéressait dans cette énorme brique, c’était les rapports de ces immenses empires disparus et à jamais disparus avec cette Terre promise, avec cette Palestine. Le royaume d’Égypte, c’est pareil. Les vingt et une dynasties n’ont d’importance que parce qu’un certain Ramsès II a eu affaire à ces Hébreux qu’il a persécutés au temps de l’invasion hittite ; il avait autre chose à faire, finalement il les a laissés partir, et voilà !

« La carte no 1 est très suggestive. Elle nous montre comment ces grands empires se sont installés dans des situations géographiques, des situations de géographie humaine favorables. C’est dans la Mésopotamie, comme le nom grec l’indique, c’est le “ pays d’entre les deux fleuves ”, entre le Tigre et l’Euphrate, on en parle encore dans les journaux en ce moment, c’est l’Irak. Entre ces deux fleuves, profitant de cette grande irrigation venant des sources très bonnes de la Turquie actuelle, ont vécu des masses de peuples. Parallèlement, dans la vallée et le delta du Nil, grâce à l’eau du Nil fécondant la terre une fois par an par ses inondations, un peuple nombreux s’est formé. Ces peuples ont grandi en force et ils se sont cherché querelle. Quand des puissances sont ainsi prospères, elles cherchent à s’étendre... Et comment faisaient-elles ? Le grand désert d’Arabie les sépare l’une de l’autre, mais c’est le “ croissant fertile ” qui va faire le lien entre les deux peuples : on remonte la vallée du Tigre puis de l’Euphrate, on va jusqu’à un petit pays qui est marqué là : Karkémish, un pays de rencontre entre les armées des deux camps à travers les siècles. À Karkémish, on reprend la vallée de l’Oronte, qui est la Syrie actuelle et le Liban, et on suit la côte vers l’Égypte, jusqu’à ce qu’on rencontre le pharaon avec ses armées, et la bataille se passe par là. Voilà comment ils se sont fait la guerre pendant deux mille ans. »

NOTRE PÈRE ABRAHAM.

« Le premier homme qui nous intéresse dans cette histoire s’appelle Abraham. Tous ces noms – les Aménophis, les Akhenaton et autres, d’Égypte, ou bien les Assurbanipal et Nabuchodonosor d’Assyrie, nous sont complètement indifférents, mais Abraham c’est notre père.

« Notre père Abraham est parti de Ur. Voyez sur votre carte, Ur est à l’est, sur les bords de l’Euphrate, presque à son embouchure. Il y a écrit Sumer : c’est la vieille civilisation sumérienne. Il était de cette famille ; cet Abram était païen et il avait oublié Dieu depuis longtemps.

« Puis il est parti de là et il est remonté sur l’Euphrate, et à un certain moment, avant d’atteindre Karkémish, il a pris un fleuve secondaire pour remonter à Harân. Il s’est fixé à Harân avec sa famille, probablement parce que, nomade, il avait envie de plus grands espaces, au-delà de la vallée basse très sédentarisée.

« Lorsqu’il était à Harân, il a entendu l’appel de Dieu. Dieu lui a dit : “ Va dans un pays que je te montrerai. ” Et il est descendu d’Harân, guidé par Dieu, poussé par l’Esprit-Saint. Il a suivi la trace des caravanes évidemment, sur le pourtour d’un désert inhabitable, il a pris la vallée de l’Oronte qu’il a remontée. Il a pris, non pas la voie de la mer, mais la voie de terre. Ensuite, en dessous de la Phénicie, on peut prendre ce qu’on appelle la Araba, qui est la voie de l’intérieur, une grande faille qui à ce moment-là était luxuriante, à l’endroit où la mer Morte va surgir plus tard. Il a descendu cette voie, il s’est seulement arrêté sur l’ordre de Dieu à un pays qui s’appelle Sichem. Poussé par la faim, bien que Dieu lui ait promis ce pays, comme la famine sévissait dans le pays, il est descendu en Égypte. On le retrouve dans le delta du Nil, à Tanis. Un peu plus tard, il revint dans ce pays, poussé toujours par Dieu, et il s’installa à Sichem. Voilà notre Abraham qui a commencé cette pérégrination que son peuple connaîtra plusieurs fois, et que Jésus lui-même connaîtra quand il sera obligé de fuir en Égypte.

« Par Abraham, nous comprenons bien que ce lieu avait été prédestiné par Dieu. Abraham a vécu en 2950 avant Jésus-Christ. Il s’est installé dans ce petit pays, à Béthel, dans le pays de Juda, dans la montagne. C’est là qu’il s’est fixé, et sa descendance aussi, jusqu’à son exode en Égypte.

« Moïse reprendra tout ce peuple esclave du Pharaon, le libérera et il reviendra dans ce pays, à mains fortes et à bras étendus ; ils sont allés au Sinaï et ils sont revenus par l’intérieur des terres, par les plaines de Moab et même les montagnes de Moab à l’est, jusqu’au mont Nébo.

« C’est de là que Josué a occupé le pays. Lorsqu’ils ont été dans ce pays, ils se sont partagés, et les uns, les tribus les plus prospères, les plus puissantes, se sont installées dans le nord du pays ; Juda et Benjamin se sont contentés des montagnes, où il y a maintenant Jérusalem, mais Jérusalem n’existait pas encore, ou plus exactement c’était une cité cananéenne, située dans les montagnes ; ce seront les “ montagnes de Juda ”. Tandis que les autres, les dix autres tribus étaient en Samarie et jusqu’en Galilée, et dans des plaines beaucoup plus prospères.

« Lorsque David fonde Jérusalem en l’an 950, c’est sur l’ordre de Dieu et c’est sur le plateau, c’est-à-dire dans les montagnes mêmes, à part des grands courants de civilisation. Et ensuite, c’est Juda qui va recevoir les promesses d’être l’ancêtre du Christ, et c’est là que cette monarchie va être gardée par Dieu contre tous les périls, que ce soit le péril égyptien – les Égyptiens qui montent le long de la côte –, ou que ce soit le péril des gens de Ninive, des Assyriens qui, dans de furieuses batailles, s’opposeront aux Égyptiens. Tous ces gens-là déferleront sur la côte, et en 720 par exemple, ces Assyriens descendront, ils prendront Samarie, Samarie qui est la capitale des dix tribus rebelles à la tribu de Juda, et Samarie disparaîtra. Et dans son nid, là, cachée comme la colombe dans le creux du rocher, cette tribu de Juda restera à l’écart.

« Cent ans après, ce sont les terribles Chaldéens, dont la capitale est Babylone, qui viendront déferler à leur tour, et ils mettront même le siège devant Jérusalem, parce que les descendants de David n’ont pas observé la volonté des prophètes, à savoir qu’ils restent à part de ces conflits, qu’ils ne fassent pas de diplomatie comme les idolâtres, qu’ils croient en leur Dieu capable de les protéger, et donc qu’ils ne fassent pas alliance avec l’Égyptien, pas plus avec l’Assyrien, pas plus avec le Chaldéen ; c’est Dieu qui doit les protéger. Or, les rois, Josias le premier, et ensuite ses descendants, son fils Joakîn et son frère Sédécias, cherchèrent à faire des alliances, ce qui fait que, au passage, les Chaldéens vinrent mettre le siège une fois, puis une seconde fois, devant Jérusalem. Jérusalem tomba, ce fut le châtiment de ces rois, parce que, avec leur géostratégie purement païenne, ils avaient manqué de confiance en leur Dieu qui les aurait sauvés. Jérusalem a été détruite, ils sont repartis en esclavage, ils ont traversé le désert, mais ils l’ont traversé en suivant le croissant fertile, ils sont revenus à Babylone et ils y sont restés soixante-dix ans, esclaves. Dieu eut pitié d’eux.

« Nous évoquons de très grands empires et en deux mots, nous disons quel empire a été vainqueur, par exemple que Babylone a été vainqueur d’Assur, des Assyriens, a détruit Ninive et que l’empire de Babylone des Chaldéens a succédé aux Assyriens. C’est tout ce que nous en savons et c’est tout ce qu’il y a à en savoir. Ils ont fait la guerre à l’Égypte et, au passage, l’important est de savoir qu’ils ont pris Jérusalem, qu’ils ont emmené le roi Sédécias, les yeux crevés, à Babylone, ainsi que le petit roi Joakîn ; et pendant soixante-dix ans, nos Hébreux sont restés à Babylone en soupirant après Jérusalem.

« Nous allons accumuler des réflexions comme celles-là dans les prochaines conférences. Mais enfin, ce roi, ce petit Joakîn, au bout de quarante ans de prison à Babylone, avait tout pour désespérer. Jérusalem était détruite, les Samaritains s’étaient emparés de tout, des ruines des maisons, et des gens, il n’y avait plus d’espoir pour le peuple. Si ! Les prophètes disaient qu’ils y retourneraient. Isaïe, l’Inconnu de l’exil, Ézéchiel, disaient qu’ils y retourneraient, et ils attendaient.

« Pendant ce temps-là, vous aviez l’empire perse et l’empire des Mèdes, qui occupaient les montagnes de l’Iran actuel. Les batailles entre l’Iran et l’Irak actuels nous laissent complètement froids, cela n’a aucune importance pour nous, ça peut changer, et quel que soit le vainqueur, ça n’a aucune importance pour notre histoire.

« Mais là, ce qui était important, c’est que Cyrus le Perse, vainquit les Mèdes, reconstitua un immense empire dans ces montagnes et, un beau jour, descendit dans la plaine, prit Babylone. Babylone tomba, et Cyrus qui était un roi pratiquant la religion, ou la philosophie perse du mazdéisme, était un roi qui croyait en un Dieu spirituel et il fit grâce aux juifs à cause de cela. Il fraternisa avec eux dans le culte du Dieu invisible. Les juifs étaient les seuls, au milieu de tous ces idolâtres, à croire en un Dieu unique et vrai, vivant et créateur du monde. Alors Cyrus, frappé de cela, leur permit de revenir à Jérusalem et de rebâtir leur Temple, de reprendre toutes les fonctions liturgiques, et encore avec beaucoup plus de faste et beaucoup plus de fidélité à la Loi qu’ils n’avaient eue. C’était en 535 avant Jésus-Christ. Et ainsi ils vécurent sous la domination assez favorable des Perses. »

LE MIRACLE GREC.

« Si les Perses avaient continué comme cela, on ne parlerait plus de toute cette histoire. Mais nous voyons à ce moment-là succéder à ces empires barbares qui vont disparaître dans le sable – aussi bien l’égyptien que le babylonien et le néo-babylonien – un petit peuple, un tout petit peuple, c’est le peuple grec qui est dans l’Achaïe et dans l’Attique. Dans ce pays s’est produit un miracle. Ce n’est pas un miracle de prophétie, mais les Pères de l’Église ont toujours pensé que si les Juifs ont été véritablement inspirés par Dieu, les Grecs eux ont eu l’illumination de la raison qui n’a pu leur être donnée à ce point, c’est- à-dire d’une manière si spéciale dans ce monde inculte et barbare, que par une volonté divine. C’est-à-dire que de la même manière que cette Terre promise avait été prédestinée par Dieu, au milieu de ces grands empires, mais un peu à l’écart, pour être le berceau de la religion et voir naître dans cette terre le Fils de Dieu fait homme, le Sauveur du monde, de la même manière, quoique un cran en dessous, Dieu avait choisi cet admirable pays de l’Attique pour être le berceau de la civilisation, car il fallait que la foi biblique soit adossée à la raison grecque.

« Bien vite cette Grèce s’est développée dans l’Ionie, c’est-à-dire dans notre Turquie, dans l’Asie Mineure actuelle, et dans ce qu’on a appelé la grande Grèce, en Sicile et dans la botte de l’Italie ; c’est un nouveau centre de l’histoire du monde. Ceux qui n’ont pas été influencés par la culture grecque restent des sauvages.

« Il faut dire que cette Grèce est toute proche de Samarie et de Jérusalem, et que, en 330, Alexandre le Grand, qui va pousser ses expéditions à l’est jusqu’à l’Indus, en passant, va cueillir Jérusalem ; pour lui, avec sa formidable armée, c’est une affaire de rien du tout. Jérusalem se rend tout de suite, elle passe de la domination perse à la domination des Grecs. Mais les Grecs persécuteront les juifs d’une manière véritablement très sévère, par exemple sous Antiochus Épiphane. Les juifs résisteront dans leur monothéisme à l’idolâtrie grecque, cependant la raison grecque va passer dans la Bible.

« Nous en parlions avec les frères hier : l’influence de la Chaldée et de l’Assyrie, dans la Bible, est très légère. Quelques mythes ont inspiré la forme littéraire de présentation de la tour de Babel, du déluge, de la création et du péché originel. Que Moïse ait fait son éducation chez les pharaons, il est certes vrai que la conséquence en a été que les livres de la Loi juive sont imprégnés de certaines organisations, de certaines connaissances techniques de la vie administrative des sociétés, qui viennent de l’Égypte. Et donc notre Bible, le patrimoine religieux de l’humanité, est légèrement imprégnée de ces cultures qui maintenant ont disparu. Mais quand on en arrive aux livres les plus récents, le livre de la Sagesse par excellence, on observe que la culture grecque, la pensée grecque a été recueillie par les auteurs inspirés avec une immense satisfaction. Les choses les plus extraordinaires, c’est-à-dire la connaissance de l’immortalité de l’âme, c’est-à-dire la connaissance de la sagesse comme étant une sorte de production divine servant d’exemple et d’instrument à la création, tout cela nous vient de la Grèce. Donc cette Grèce ne va cesser d’être liée par la volonté de Dieu à l’histoire du christianisme. Et dans la mesure où la Bible n’est plus entendue avec comme soubassement la raison grecque, celle d’Aristote et de Platon qui deviendra celle de saint Thomas et de saint Bonaventure, notre Bible devient l’objet d’une culture anglo-saxonne, protestante et destructrice. Immense respect pour la Grèce !

« Cette Grèce s’étend de telle manière que, pour un peu, elle deviendrait maîtresse du bassin méditerranéen. À ce moment-là, nous sommes en 330, Alexandre conquiert tout le Moyen-Orient et même jusqu’à l’Indus, mais il a vu trop grand et il doit abandonner tout ça à ses généraux.

« La Grèce va se disloquer, et il y a deux possibilités pour l’orthodromie, deux solutions pour l’avenir, la Grèce disparaissant de la scène du monde. Première possibilité : les Phéniciens – la Phénicie, tout à fait à l’est, jouxte la Terre sainte au nord, c’est l’actuel Liban et l’actuelle Syrie –, de grands navigateurs, ont répandu leurs comptoirs commerciaux, et aussi leurs armées, sur la rive sud de la Méditerranée. Notamment à Carthage qui est devenue le centre d’une importante colonie phénicienne. Carthage va bloquer les détroits et va essayer de conquérir la Sicile. Entre la civilisation grecque, mal armée pour se défendre contre ces terribles militaires, et Carthage, un duel commence.

« Mais ce duel va être dépassé, parce qu’au même moment les Étrusques, dans l’Italie du nord ou l’Italie moyenne, sont en train de prendre une grande expansion, et en 753 avant Jésus-Christ, Rome se fonde. C’est la deuxième possibilité pour notre orthodromie. Rome existe déjà au moment où Carthage entre dans sa période d’expansion la plus grande : le choc va être terrible.

« Nous allons rencontrer ces données évidemment jusqu’à notre vingtième siècle. Si aujourd’hui ce ne sont pas les Carthaginois, c’est tout comme. Et quand on nous dit que demain, l’Algérie va peut-être avoir la bombe atomique, il faut nous dire : c’est Carthage contre Rome ; et à Rome, les plus sages répétaient : “ Delenda Carthago ”, il faut détruire Carthage. Tant que Carthage ne sera pas détruite, nous ne pourrons pas respirer ! Carthage occupait la Sicile, Carthage occupait la Sardaigne, elle avait déjà pris Tanger, interdisant le passage de Tanger aux bateaux romains et grecs, et elle occupait le sud de l’Espagne, elle était jusqu’entre Nice et Monaco, à menacer directement Rome. Il y avait là un bras de fer.

« Rome, en trois guerres puniques reprit la Sicile en l’an 241 avant Jésus-Christ, reprit la Sardaigne en 231, reprit l’Espagne en 197 et enfin détruisit Carthage, en 146 avant Jésus-Christ. Rome devint la grande conquérante, devint l’empire du monde. »

L’ADMIRABLE ORDRE ROMAIN.

« Dieu a voulu associer à la Bible, qui vient de Jérusalem, dit-on – nous en dirons quelques mots – la sagesse grecque. Tant qu’il y aura une civilisation, la sagesse grecque en sera évidemment le soutien, le fondement obligatoire.

« Mais cette sagesse grecque et la Bible juive, et même la Bible chrétienne, manquaient d’une assise pratique, pragmatique, c’est-à-dire politique, et c’est Rome qui va être chargée de la lui donner.

« Dieu a donné à Rome, c’est un autre miracle dont on parle beaucoup moins, le sens de l’ordre, le sens de la loi. On voit Pilate, jugeant Jésus, voulant respecter la loi. Pour un Romain, la loi, c’est la condition de l’ordre. L’ordre est la condition de la prospérité des sociétés, et l’ordre se maintient par la force. Les légions romaines n’ont fait une grande œuvre dans cette conquête de tout le bassin méditerranéen et de bien plus loin encore, que parce qu’ils étaient convaincus que la force était nécessaire à l’établissement et au maintien de l’ordre, et que l’ordre ne pouvait exister qu’en vertu des lois, et que les lois étaient faites pour assurer à tous les citoyens d’une même cité ou d’un même empire la plus grande liberté, la plus grande dignité, la plus grande prospérité qu’il était possible, chacun étant évidemment contraint de se ranger à la loi commune.

« Voilà cette grandeur de Rome. Rome conquiert la Palestine en l’an 63 avant Jésus-Christ. Rome chasse les derniers des Grecs – il y a longtemps que cette civilisation est épuisée – et elle établit son ordre à Jérusalem, de telle manière que, quand le Christ va naître, les Romains sont là qui assurent l’ordre. C’est sous l’Empire d’Auguste. Auguste meurt en 14 après Jésus-Christ. »

LE VERBE S’EST FAIT CHAIR.

« L’Empire d’Auguste prépare la venue du Christ au monde, les portes du temple de Mars sont fermées, la guerre cesse dans tout l’univers et c’est dans une paix universelle que le Fils de Dieu se fait homme. Il se fait homme à Bethléem. Bientôt, dans l’influence de Rome, ses Apôtres vont pouvoir répandre le message évangélique partout dans le monde. Saint Pierre, puisque Jérusalem va être détruite selon les prophéties, veut gagner le centre de l’univers et il fonde sa chaire, la chaire du Pape, du Vicaire de Jésus-Christ, à Rome. Rome devient le centre de l’univers et l’Église catholique se fonde sur l’ordre romain, s’inspire de la sagesse grecque.

« Voilà comment, en deux temps trois mouvements, nous sommes passés d’une première centration géopolitique quelque part entre l’Égypte et la Mésopotamie, à une deuxième centration : Rome. Nous aurons à nous demander si, dans les deux mille ans qui viennent, le centre va se déplacer encore, vers Paris, et pourquoi pas Londres, pourquoi pas New York ou Washington, et Tokyo finalement. L’histoire est passionnante, mais ce n’est pas nous qui la gouvernons, c’est Celui qui est le Créateur et la Providence universelle [...]. »

TRANSITION PAR FRÈRE BRUNO.

Avec l’Empire romain, il y a un changement de plan dans l’orthodromie divine. Aussi bien du plan politique que du plan géographique. C’est très nouveau. Par contraste, l’épopée d’Alexandre, pourtant fulgurante, resta sans lendemain. Son immense empire fut divisé aussitôt après sa mort entre ses généraux, les diadoques, qui vont reconstituer les empires orientaux. Les Séleucides sur la Syrie et la Mésopotamie ; les Lagides en Égypte. Bref, ce sont les empires anciens qui reviennent, comme une mauvaise peinture ressort toujours sous la nouvelle. Il faut bien se rendre compte que la tradition des peuples l’emporte sur les intérêts et sur les idéologies... Du moins, tant que le Bon Dieu n’en décide pas autrement... Car avec la formation et l’expansion sans précédent de la civilisation romaine, en particulier sous le règne de César Auguste – contemporain de la naissance de Notre-Seigneur à Bethléem – une nouvelle étape de l’histoire universelle commence, ainsi que nous l’explique notre Père...

L’APOGÉE DE L’EMPIRE ROMAIN

(Extrait de la conférence du samedi 18 mai 1991).

« Prenez votre carte de l’Empire romain à son apogée, au deuxième siècle après Jésus-Christ. Elle est admirable pour ceux qui connaissent un peu la géographie de l’Europe et le développement de notre civilisation. Il y a quelque chose de très notable, c’est que la frontière de cet Empire coïncidera avec la frontière de la civilisation. On peut dire que tous ceux qui ont été civilisés par les Romains, conquis par les Romains ont acquis un sens de l’État – un sens que je dirais maurrassien pour faire court – de la politique conçue comme la recherche du bien commun par une autorité souveraine, en-dehors des luttes des partis. Ce n’est pas pour rien que la République romaine a fait place à l’Empire. C’était un bien. Les empereurs ont eu beau être de grands persécuteurs de l’Église, souvent des gens féroces et quelquefois des fous, comme Caligula, il n’empêche que ces empereurs avaient le sens de leur métier, le sens du bien commun à sauvegarder et, même renversés les uns par les autres, ils seront presque tous des hommes absolument remarquables.

« Ils ont entretenu cet Empire, et pendant longtemps, dans ses frontières naturelles. Ce sera une telle victoire, ils auront tellement imprégné ces populations, que lorsque les barbares déborderont ces frontières, les barbares eux-mêmes se feront assimiler.

« Déjà dans cette Rome impériale, on trouve les grandes caractéristiques qui font la gloire de la France colonisatrice. Nous sommes capables d’assimiler des populations entières, d’ouvrir un marché le lendemain d’un combat et d’établir un accord de vie commune avec des indigènes, exactement sur le même mode que les Romains employaient, que ce soit en Asie, à Jérusalem même, ou bien à Carthage, en Espagne, en France, en Angleterre et dans toutes les parties de l’Empire.

« Regardez donc cet Empire, tel que vous l’avez sur votre carte. Il a reconquis, après la chute de Carthage, toute l’Afrique bordant la Méditerranée. Évidemment, la Palestine est conquise définitivement. Après la destruction de Jérusalem en 70, les Juifs se révolteront de nouveau en 150-160 et seront exterminés. La province de Syrie borde l’Euphrate et prend le haut de ce fleuve comme frontière. Dans les hauts plateaux de Cappadoce, la frontière est un peu plus indistincte. Mais enfin, toute l’Ionie est aux mains des Romains. Constantin, en 325, a fondé Constantinople, de son nom tout simplement grécisé, et toute la Grèce est conquise. Ils ont même la mer Noire, avec la mer d’Azov, comme une colonie lointaine, comme un poste avancé au-devant des barbares. Ensuite la frontière suit le Danube ; le Danube restera pendant mille ans une frontière entre la civilisation et la barbarie, entre les peuples fixés dans des institutions inspirées de Rome, et les peuples barbares qui vont et viennent dans la plaine du nord de l’Europe. Suivons, et là nous avons de nouveau ce qu’on appelle le “ limes ”, c’est-à-dire une frontière construite de main d’homme, comme une ligne Maginot, qui fait le lien entre Ratisbonne sur le Danube et Bonn sur le Rhin, et ensuite la frontière suit le Rhin jusqu’à la mer du Nord. Les fleuves du Danube et du Rhin paraissent avoir été voulus par Dieu, prédestinés à être une frontière, puisqu’ils se donnent comme une suite. Il y a un hiatus, ce sont les champs Décumates. C’est ce petit triangle qui est comme un poignard enfoncé dans la romanité, qui correspond à l’heure actuelle à la forêt Noire et au duché de Bade. Les Romains ont construit ce “ limes ”, qui a trois cents kilomètres de long et qui va résister aux invasions pendant trois siècles. Voilà l’Empire romain dans toute sa beauté, la Gaule est toute entière conquise. »

LA CONQUÊTE DE LA GAULE.

« Comment la Gaule a-t-elle été conquise ? César, ayant obtenu l’autorité sur la Narbonnaise – ainsi d’ailleurs que sur la Gaule cisalpine, qui est de l’autre côté des Alpes et qui correspond à la Savoie et à la vallée du Pô – part de la Provence actuelle et va remonter le Rhône. Déjà les Grecs connaissaient ce passage. Deux siècles avant, lorsque les Carthaginois avaient pris Tanger, ils s’étaient emparés des colonnes d’Hercule et avaient barré le passage du détroit de Gibraltar. Or, les Grecs franchissaient les colonnes d’Hercule pour aller en Écosse chercher de l’étain, figurez-vous, et d’autres métaux rares. Lorsque les Colonnes d’Hercule ont été barrées, il a fallu qu’ils trouvent un autre passage. C’est à partir de ce moment-là qu’ils ont mis leur cargaison à terre en arrivant à Massilia – notre Marseille, ou Phocée anciennement – et qu’ils se sont mis à remonter la vallée du Rhône, puis la vallée de la Saône, et de là ils déchargeaient pour passer à la vallée de la Seine. Ils passaient sur la route devant notre maison – je me rappelle quand j’étais jeune, je les voyais passer ! C’était au troisième siècle avant Jésus-Christ !

« Près des sources de la Seine, on a découvert le sépulcre d’une prêtresse, à Vix, la “ Dame de Vix ”, et des objets d’orfèvrerie, un diadème, une amphore, un vase grec de deux mètres de haut pesant une tonne, c’est quelque chose d’extraordinaire. Depuis deux siècles et demi, trois siècles déjà, les Grecs passaient sans s’arrêter, et tout de même initiaient les Gaulois à la civilisation. Les Gaulois n’étaient pas absolument des barbares, mais ils étaient anarchiques. Les Romains vont mettre de l’ordre.

« Comment va s’y prendre César ? Il va lui-même remonter le Rhône, sur lequel des villes gauloises étaient déjà fondées, où les Grecs avaient droit de citoyenneté – Arles, Vienne, Lyon – puis remontant la vallée de la Saône, notre César va prendre la Gaule comme d’un tour de main, ce qui montre que la Gaule était prédestinée à être un pays bien rassemblé. Il y a un château d’eau au centre de la Gaule, c’est l’Auvergne. Il y a une ouverture vers le nord qui va jusqu’à Reims ; évidemment, César au passage prend Reims, et cette tribu gauloise lui sera absolument fidèle. Lorsqu’il est à Reims, il fait une incursion contre les Germains pour essayer de les repousser au-delà du Rhin. Le Rhin est la frontière naturelle de la Gaule, c’est la première fois qu’on le voit, mais on le verra tout au long de notre histoire.

« Ayant refoulé les Germains au-delà du Rhin, il mate les autres barbares qui peuvent mettre en péril l’occupation romaine de la Gaule. Il fait deux incursions en l’an 55 d’abord et l’année suivante en 54. Chaque année, il refaisait son tour et il allait plus loin pour administrer une sévère claque à ceux qu’on appelait alors les Bretons, qui occupaient l’Angleterre actuelle.

« C’est tout à fait remarquable, c’est le De Bello Gallico, c’est une œuvre d’une prodigieuse intelligence. Évidemment, César se flatte ! – ses secrétaires, qui ont écrit la chose en partie pour lui, lui ont donné les bons documents – mais il se montre un homme extraordinairement intelligent. Il faut déjà être assez intelligent pour se montrer un homme intelligent ! Là où il durcit un peu le trait, c’est qu’il représente les Gaulois comme des imbéciles, en particulier Vercingétorix, au point qu’il y a une thèse qui a été faite il y a peu de temps pour nous démontrer que Vercingétorix, en fait, trahissait les Gaulois, tellement toutes ses décisions étaient stupides. La vérité doit être entre les deux.

« Toujours est-il que notre César ayant ramassé toute la Gaule dans son tour de main, se retrouve à attaquer les Gaulois dans leurs citadelles. Il faut être passé à Clermont et au pied de Gergovie pour voir que c’était véritablement les arrières de la Gaule, et qu’en attaquant d’une part l’Auvergne, ensuite le Morvan à Bibracte, César était en train de chasser les Gaulois de leurs repaires pour les amener dans une plaine plus facile pour le combat ; cette plaine où tout se terminera, c’est à Alésia, en 52, où Vercingétorix est contraint de se rendre. Voilà, cette admirable conquête de la Gaule par César. C’est un triomphe. Malheureusement, César, peu de temps après, se fait assassiner, le 15 mars 44 avant Jésus-Christ.

« L’empereur Auguste va réorganiser la Gaule et l’Espagne, de telle manière que cette organisation va durer pendant des siècles. Il meurt le 19 août 14 après Jésus-Christ.

« Tibère, avant de devenir empereur, se porte jusqu’en Germanie en 9 après Jésus-Christ et remporte la victoire de Teutobourg. Nous voyons que l’empire a un ennemi sur terre : ce sont les Germains, qu’il faut perpétuellement repousser.

« Si Rome n’eût connu la décadence païenne, elle aurait constitué un ensemble méditerranéen englobant tout notre Midi français. Il n’y a qu’à voir la carte pour comprendre que cette Mare nostrum, la mer Méditerranée, avec ses marées peu amples, son climat très tempéré, ses côtes très propices aux installations portuaires, toute cette Méditerranée – la petite Méditerranée occidentale – ne demandait pas grand soin pour devenir le lac intérieur d’un royaume ou d’un empire extrêmement bien protégé. »

LA DÉCADENCE DE ROME.

« Mais Rome tombe dans une décadence profonde. Pourquoi ? Parce que Rome n’a pas voulu se convertir, les Romains sont restés païens, le Sénat est resté païen jusqu’à la destruction de Rome sous les coups des barbares. Ce paganisme entraînait la dénatalité, l’avortement, la révolte des esclaves – Spartacus – et une sorte de socialisme, d’asphyxie de l’économie sous des réglementations tout à fait conformes à ce que nous vivons actuellement. Tout cela devait mener Rome à fléchir dans sa discipline, à recruter des soldats, principalement des mercenaires d’autres nations, beaucoup de Gaulois qui étaient courageux – les Galates, que saint Paul a rencontrés lors de ses prédications en Macédoine –, mais ces mercenaires ont commencé à prendre l’habitude de porter leur général en triomphe pour qu’il devienne l’empereur, et cela a été le commencement de la fin.

« Je ne parle pas davantage de Rome, mais enfin cet Empire romain est une splendeur qui connaît son apogée sous Trajan, en l’an 117. Et, de fait, c’est absolument la carte de l’empire de Trajan que nous avons ici.

« Le christianisme se répand lentement. Il est très notable que c’est dans les villes, en s’adressant aux élites, peut-être aux esclaves, mais les esclaves souvent étaient plus intelligents que leurs maîtres parce que c’étaient des Grecs, qui étaient pédagogues dans les maisons aristocratiques romaines. Bref, c’est par la prédication aux gens des villes romaines que le christianisme, encore en langue grecque d’ailleurs, s’est propagé en Espagne, et en Gaule en particulier. On le suit, de trace en trace, d’une ville à l’autre.

« Constantin se convertit après la bataille du pont Milvius et donne la liberté aux chrétiens. Alors les masses des villes se convertissent. Ensuite c’est saint Martin en France qui s’adressera aux campagnes restées très idolâtres. Mais le christianisme, pas plus que la romanité, n’a rencontré d’obstacle en Gaule. C’est absolument stupide de faire le procès de César, de dire que c’est très regrettable que la Gaule ait été occupée ; et dans la foulée, les mêmes gens de la prétendue “ Nouvelle Droite ” disent aussi bien que cela a été un malheur double : d’abord l’occupation romaine, ensuite l’occupation chrétienne, la conversion chrétienne. En fait, ce sont les deux grands honneurs de notre Gaule qui aurait végété comme les autres peuples barbares si elle n’avait pas connu l’ordre romain, et dans le cadre de cet ordre romain la civilisation chrétienne. Nous sommes gallo-romains et catholiques [...]. »

CONCLUSION PAR FRÈRE BRUNO

Après Jérusalem, Athènes et l’Empire romain, c’est l’universalisme chrétien, c’est l’Église, qui devient la nouvelle « force axiale » de l’histoire, selon l’expression qu’aimait notre Père. Jésus-Christ est venu instaurer son Royaume dans l’histoire et cette réalisation temporelle, politique, s’appelle la Chrétienté. Il s’agit cette fois d’une instauration définitive, dans le cadre de l’Alliance nouvelle et éternelle scellée par le Sacrifice de la Croix. La Chrétienté, c’est le salut offert à toute l’humanité.

Ce que nous voulons c’est entrer dans ce dessein historique de Dieu, que notre Père appelle l’orthodromie. C’est donc l’histoire qui est la reine des sciences !

« Notre théologie chrétienne n’est pas une idéo­logie déduite d’une intelligence pure, de grands principes, elle n’est pas une illusion, un ensemble de mythes satisfaisants pour le cœur : notre théologie chrétienne est une vérité révélée dans l’histoire. Le dessein de Dieu se révèle dans la réalisation des prophéties. Quand Yahweh promet à Abraham, en 2950 avant Jésus-Christ, que sa race sera une race innombrable, qu’il occupera cette terre sur laquelle il pose les pieds et que ses descendants la posséderont, c’est une prophétie ; ensuite, 2950 ans vont vérifier cette prophétie. » (sermon du 19 mai 1991) Il en sera de même des promesses faites à David et de toutes les prophéties venues du Ciel qui suivront, particulièrement de celles qui jalonnent notre histoire de France.

Par son application continuelle et adorante à la Révélation divine, notre Père nous a enseigné une manière nouvelle de faire de l’histoire, à la fois existentielle et relationnelle. L’approche existentielle, positive, c’est l’attention portée au seul réel, c’est-à-dire à des événements historiques scientifiquement établis, dégagés de toute idéologie. L’approche relationnelle, quant à elle, implique de considérer les événements historiques à la lumière de l’ensemble des relations qui constituent les individus et les peuples. Pour cela, il ne faut négliger aucune discipline. C’est justement le croisement des disciplines qui fait toute la richesse de l’analyse géopolitique de notre Père, puisque, par là, elle aboutit à « une science ou connaissance approfondie, totale, de chaque élément social, de chaque nation, de sa vie, de son présent, de son passé, et de sa situation particulière dans le monde, enfin de sa place dans le dessein de Dieu » (CRC no 196, janvier 1984, Politique totale, p. 14). Et cette science vise à l’action, elle doit servir à tirer des conclusions pour l’avenir de la Chrétienté. Notre Père pendant trente ans s’est livré à ce travail de prospective devant le public de la Mutualité, et les prévisions qu’il faisait se sont invariablement réalisées. Et ça continue !

Parce qu’il avait cette ouverture d’esprit et cette foi ardente, notre Père a compris toute la portée pour notre temps de la Révélation de Notre-Dame à Fatima. Comme autrefois Yahweh avait révélé l’avenir à Abraham ; comme autrefois Notre-Seigneur avait annoncé la chute de Jérusalem et l’instauration de son Royaume sur le fondement de l’Empire romain ; de même, à Fatima, le 13 juillet 1917, Notre-Dame a annoncé prophétiquement toute l’histoire du vingtième siècle. La volonté de Dieu d’instaurer dans le monde la dévotion au Cœur Immaculé de Marie, tel est le fait majeur, le seul vraiment important, à la lumière duquel toute notre histoire contemporaine prend son sens. Voilà pourquoi notre Père avouait en 1991 « ne plus pouvoir faire de géopolitique et de géostratégie sans faire appel à la Vierge Marie, à ses révélations pour le vingtième siècle ».

Ce que la Sainte Vierge nous a rappelé à Fatima, c’est que la « force axiale » de l’histoire passe encore et toujours par Rome : c’est l’Église et c’est la Chrétienté.

En 1917, au moment où Notre-Dame descend sur la terre, l’Église affronte depuis plus d’un siècle, dans un terrible combat, les idées de 1789 et les hommes impies qui prétendent les imposer au monde entier. Or, avec le funeste pontificat de Léon XIII, les erreurs modernes ont pénétré dans le sein même de l’Église. Nous écouterons frère Pascal nous montrer le travail de démolition de la Chrétienté entrepris par ce pontife déjà « vacillant ». En 1917, en dépit du pontificat réparateur de saint Pie X, la Grande Guerre, Il Guerrone, qu’il voyait venir avec effroi, est en train de ravager toute la civilisation chrétienne. Déjà se prépare cette fausse paix de 1918-1919 par laquelle les francs- maçons et les démocrates vont prétendre effacer les dernières traces de cette civilisation chrétienne pour remodeler l’Europe à leur idée, selon leur désir.

Dans ce grand bouleversement, est-ce que l’Église n’est pas en train de s’effacer de la scène de l’histoire ? Est-ce que la force axiale ne va pas passer ailleurs ? Par exemple, dans ce communisme léniniste qui triomphe à Moscou au mois d’octobre de la même année ? Ou dans le démocratisme d’une “ Société des nations ” ? Ou dans les fascismes païens ? Y a-t-il seulement encore une force axiale à l’œuvre dans le monde ? Heureusement, Notre-Dame est descendue à la Cova da Iria pour nous confirmer dans la foi, en nous annonçant : « À la fin mon Cœur Immaculé triomphera. Le Saint-Père me consacrera la Russie qui se convertira, et il sera donné au monde un certain temps de paix. Au Portugal se conservera toujours le dogme de la foi. »

Voilà l’axe directeur de tous nos travaux.

Concluons donc cette première conférence par un bilan orthodromique de ces premiers millénaires, de cette « préhistoire du salut », comme dit notre Père :

« Que reste-t-il des grands empires mésopotamiens, assyriens, babyloniens, mèdes et perses ? Ces grands empires qui ont occupé le devant de la scène, qui ont occupé l’histoire pendant plusieurs millénaires ? Rien ! Il ne reste qu’un folklore impressionnant, quelques matériaux pour la Bible, et le souvenir d’un orgueil monstrueux d’hommes somme toute cruels et barbares. Babel, c’est Babylone. La tour de Babel en est la figuration éternelle, reprise dans la Bible. Et les Égyptiens ? Il en va à peu près de même. Ce n’est plus le devant de la scène, ce n’est pas là que se jouent les destinées du monde. » Aussi, gardons-nous bien de prendre parti dans les querelles entre Arabes, entre musulmans, entre Perses et Arabes, entre juifs et musulmans, etc.

« Que reste-t-il de l’installation des Hébreux en Terre sainte ? Rien ! Il y a quelque chose de frappant, c’est l’absence de vestiges de cette civilisation de l’Ancien Testament. Les palais de Samarie ont été détruits à jamais par les hordes de Sennachérib. Jérusalem a été détruite, à jamais. Son Temple a été reconstruit au retour de Babylone, il sera encore amélioré, embelli par la nouvelle construction d’Hérode au temps même du Christ... Et il n’en reste plus pierre sur pierre ! Et quand on va en Palestine, on ne trouve point de civilisation juive. Tout ce que l’on trouve de beaux monuments, ce sont les restes d’une brillante civilisation qui est la civilisation française des Croisades, des royaumes de Jérusalem, d’Édesse et autres, nous en reparlerons. De la Bible, il ne reste rien que ce livre. C’est un livre écrit, c’est une écriture qui a besoin d’un esprit, et c’est l’Église qui l’a ressaisi. Voilà pourquoi il faut dire qu’il ne reste rien du peuple juif : une épopée, qui nous dicte bien des leçons surnaturelles, celles des prophètes, mais ce peuple juif a rompu l’alliance en crucifiant son Sauveur et, en châtiment, Dieu l’a dépouillé de sa terre et l’a dispersé. La main de Dieu pèsera sur eux jusqu’à ce qu’ils se convertissent. Voilà pourquoi en face des revendications des juifs, nous restons froids. La force axiale de l’histoire ne passe plus par eux. »

« Que reste-t-il de la Grèce ? La Grèce elle-même est momifiée, elle ne présente plus que de belles ruines, et un peuple abâtardi, parce qu’il s’est laissé conquérir par le schisme, parce qu’il s’est endormi. La Grèce n’est plus vivante pour nous, mais c’est un héritage, un héritage qui est passé dans la Bible. Son corps est mort, enseveli, mais son esprit vit en nous, et c’est le principal. Et donc, la Grèce nous est chère, à cause de ce que Rome et l’Église en ont conservé. »

« Que reste-t-il de Carthage ? Il y a encore quelques ruines de Carthage, que les touristes visitent dans leur séjour en Tunisie. Mais ce qui reste de Carthage, c’est un avertissement, c’est la menace qu’il y a des peuples mauvais, qu’il y a des peuples ennemis, dont toute la préoccupation est de détruire pour régner. C’est l’avertissement qu’il faut se méfier lorsqu’une puissance maritime s’installe dans le sud de la Méditerranée. C’est le moyen de prendre à revers la Chrétienté. » C’est un fait géopolitique constant depuis Carthage jusqu’au FLN allié à l’URSS hier et jusqu’à l’expansionnisme du « sultan » Erdogan aujourd’hui. Le crime c’est encore et toujours d’avoir abandonné l’Algérie, la Tunisie, le Maroc, et d’avoir chassé les Italiens de Libye...

Que reste-t-il, enfin, de ce peuple gallo-romain qui s’est si facilement ouvert aux évangélisateurs des premiers siècles ?

Il reste l’attachement profond, vital de notre peuple français à l’Église catholique. « Dans le désarroi produit par l’affaiblissement de Rome et l’occupation progressive de la Gaule par les Barbares au cinquième siècle, l’Église fut le soutien des populations romaines abandonnées par l’Empire, et on a pu dire qu’elle leur fut comme une patrie », écrit Ferdinand Lot (La Naissance de la France, p. 231, cité dans la CRC no 198, mars 1984).

C’est l’Église catholique romaine qui a fait cette unité et cette continuité si caractéristiques de notre histoire nationale.

Notre Père écrivait : « Orphelins de Rome, les Gallo-Romains découvraient dans l’Église paternelle et maternelle, épiscopale et monastique, vraiment une cité permanente, la patrie où se réfugiait toute leur espérance. Quand on se demandera où et quand, et sous quelle poussée est né le sentiment national, il faudra se souvenir des propos de Ferdinand Lot. Dès avant les quarante rois qui en mille ans firent la France ”, l’amour de la patrie était né de l’Église et nous pourrions nous vanter, avant d’être français, de cette lointaine et noble appartenance : Nous sommes gallo-romains et chrétiens catholiques ! Et lorsque les Francs conquerront la Gaule chrétienne, ils seront eux-mêmes conquis et convertis à leur tour. Gallia capta ferum coepit victorem ! La Gaule conquise a conquis son vainqueur ! » Ce sera l’objet de la prochaine conférence, si Dieu le veut.

Frère Bruno de Jésus-Marie


La première soirée de notre Camp de la Phalange 2021, prolongeant la première conférence de géopolitique, était consacrée aux articles publiés par notre Père dans les années 1950 sous le pseudonyme d’Amicus. Dès les premières années de son combat de contre-révolution française et de contre-réforme catholique, les analyses géopolitiques de notre Père frappent par leur appréhension globale, totale, des événements. Nous publions ici un résumé de la présentation accompagné, en exemple, de l’un des cinq articles lus par nos frères au cours de la soirée (voir PC 84.2).

LA GÉOPOLITIQUE CATHOLIQUE D’AMICUS

«COMMENT garder l’espérance, ô mon Dieu, quand le monde est emporté vers l’abîme de l’erreur et du mal absolu, dans le chaos de la sottise orgueilleuse où il est : Russie, Amérique, misérables libéraux et démocrates français ?... Ô Jésus, votre seule présence nous garde de l’acte du désespoir et de sa démesure. Cette guerre est sainte et voilà pourquoi notre espérance survit à l’attente. »

Ces lignes ardentes ont jailli d’un cœur de vingt-cinq ans, épris de Jésus seul, d’un cœur de prêtre anxieux de servir sa Patrie : celui du jeune abbé de Nantes, notre bien-aimé Père. Écrites le 21 avril 1949, elles révèlent dans quels sentiments il avait entrepris, depuis le début de l’année, de collaborer à la rédaction du journal de l’Action française, Aspects de la France. Sous le nom d’Amicus, il y tint jusqu’en 1952 la chronique de politique religieuse.

« Politique religieuse », pourquoi ? Parce que s’il est vrai que ce sont les idées qui mènent le monde, celles qui suscitent les plus grands enthousiasmes et soulèvent le plus puissamment les masses sont les idées religieuses. Précisément, dans ces années 1950, Amicus va se trouver au nœud de la dénonciation d’un des événements géopolitiques majeurs du vingtième siècle : le ralliement doctrinal de l’Église institutionnelle à la Révolution. Désormais, plus aucune force ne s’oppose à l’expansion destructrice de la Révolution française dans le monde entier.

En lisant quelques-uns des articles du jeune abbé de Nantes, nous constatons une nouvelle fois que, chez lui, la sagesse « n’attendit pas le nombre des années ». Ses analyses d’alors étayent encore notre compréhension des grands enjeux stratégiques d’aujourd’hui. Son intelligence géopolitique est d’abord historique, car « le riche passé d’où nous venons donne sa force à l’avenir que nous faisons » (Lettre à mes amis no 37). Notre Père découvre dans l’histoire du monde une force axiale qui la guide, à savoir l’instauration du royaume de Dieu. Mais ce merveilleux plan divin est tragiquement combattu et, en bon disciple de l’école de pensée d’Action française, Amicus s’efforce de savoir, c’est-à-dire de comprendre les grandes cassures, les grands obstacles, identifier les ennemis de ce plan divin, mettre en lumière les clefs du monde actuel, pour prévoir où il va, afin de pourvoir aux meilleures solutions.

Mais ce n’est pas tout : au fil de ses articles, Amicus instille à son lecteur d’Action française le « petit » élément qui manquait à la doctrine maurrassienne d’empirisme organisateur... Le Maître de l’Histoire c’est le Bon Dieu et son action est tangible, ô combien, à l’homme qui ne s’aveugle pas volontairement.

Voici donc, en exemple, un article daté du 4 janvier 1950. Plutôt que la repentance et la fausse honte, Amicus prêche au civilisé quel devoir est le sien vis-à-vis de ceux qui n’ont pas reçu autant que lui. Certaines nations sont privilégiées par Dieu, c’est évident, mais c’est afin de transmettre cet héritage aux peuples qui en attendent le bienfait... Tel fut l’idéal de la Chrétienté. Les nations chrétiennes sont parties au-delà des mers, en pays barbares, pour les soumettre, les convertir et leur apporter la lumière du Christ avec leur civilisation. Œuvre admirable, orthodromique, que l’on ne peut qu’aspirer à recommencer, à l’heure de Dieu.

L’article commence par une allusion aux événements dramatiques d’Indonésie où, à la fin de l’année 1949, les Pays-Bas furent contraints, sous la pression de l’ONU et des USA, de reconnaître une jeune République indonésienne indépendante. Amicus prévoyait le drame qui allait venir, et l’avenir lui a donné raison. Depuis soixante ans, les guerres civiles n’ont cessé d’ensanglanter l’archipel, le plus souvent suscitées par les islamistes s’en prenant avec férocité aux populations catholiques. On se souvient du génocide à Timor en 1999... C’est l’occasion pour Amicus de rappeler les fondements évangéliques et traditionnels de l’œuvre colonisatrice des pays chrétiens.

« LE BILAN DES FOLLES CONQUÊTES »

LES États-Unis d’Indonésie proclamés. » Ces grands mots marquent la triste annonce d’un nouveau recul : la Hollande a dû abandonner un Empire, une nouvelle portion du monde est arrachée à la civilisation et les indigènes sont laissés à leur propre gouvernement ; le sang indonésien va couler et ces pays vont se dissoudre dans des guerres civiles interminables.

Les vieux peuples étaient-ils “ colonialistes ” ? Nous nous serions volontiers employés à leur demander plus de bienveillance et d’humanité. L’immédiat, le certain, c’est le retour à la barbarie des peuples que les Occidentaux abandonnent. Barbarie savante, mais barbarie de refus et de révolte contre le meilleur qui avait été implanté, anarchie que sanctionne la volonté perverse et la raison orgueilleuse

Nous accepterions ces ruptures comme la triste volonté de peuples qui ont résisté à l’Évangile ; nous reprendrions l’œuvre de civilisation courageusement, à partir des anciens remparts, Mayence, Prague et Vienne, Constantinople et Alger, si nous ne savions qu’ils sont perdus pour la civilisation et pour le christianisme par la faute d’hommes de notre sang qui voulurent la révolte, qui rêvèrent cette rupture nouvelle de la Chrétienté universelle. Ils ont persuadé les gens de chez nous que leur rôle de tuteurs et de chefs, leur mission d’apôtres et de protecteurs étaient finis parce que la “ lumière ” de l’Égalité humaine avait lui sur notre siècle.

UN MONDE LIBRE, ÉGAL, FRATERNEL.

Après la Révolution, ce que la France avait de meilleur, de plus courageux et de plus dévoué, s’en alla par le monde, avide de recréer des communautés où se donner librement, protéger et éduquer ; marins et missionnaires ont légué aux jeunes Français un Empire à évangéliser et pacifier, perfectionner...

La Démocratie ne pouvait tolérer une œuvre aussi contrariante : on trouva des clercs, des “ journalistes chrétiens ”, des aristocrates ou fils de bourgeois pervertis pour faire renier à la caste fermée de ces rois du monde, la grandeur de leur sang et de leur mission. Il fallut qu’une conjuration, une Église utopique, s’avisât de faire rendre par certains jeunes chrétiens un culte à l’Idée d’Humanité. Ce nouveau “ dévouement ” les déracinerait de Rome et de la patrie. Il parut plus beau que le devoir.

L’Europe a perdu le monde, la France a mené son Empire au malheur le jour où les fils de soldats, les futurs missionnaires et les jeunes filles appelées à la vocation religieuse apprirent à rêver d’un monde libre, égal et fraternel. Ils en oublièrent le legs paternel, le devoir pressant imposé par l’histoire de leur nation, ils renoncèrent à une souveraineté qui ne leur était pas offerte mais imposée. La faute des idéalistes chrétiens fut de prêcher un idéal opposé à l’œuvre historique entreprise ; aucune volonté individuelle ne pouvait refuser la garde et le dévouement à l’Empire, ni le rôle civilisateur. Le mythe de l’égalité évangélique des peuples, de l’émancipation des sujets et de la fraternité des nations n’est que le couvert odieux d’une trahison du devoir national... Fallait-il brandir l’Évangile pour réussir une telle perversion des esprits ? À mesure que s’étend le champ de la guerre et de la barbarie sur notre globe, la faute de ces faux témoins de Dieu apparaît dans son immensité.

LE DEVOIR PATERNEL DES CIVILISÉS.

Cette figure abstraite d’un monde libre, égal et fraternel ne correspondait à rien ; elle a dirigé les peuples, commandé les décisions internationales mais elle trahit aujourd’hui son irréalité, sa fausseté première, par l’ère de terreur qu’elle ouvre.

La Syrie et la Palestine s’épuisent en guerres civiles, l’Indochine peut disparaître sous la vague de la barbarie russe, le petit bourgeois ou le clerc idéaliste se réjouissent du triomphe de leurs idées... Ils oublient hypocritement que leur vie et leurs biens sont protégés à cette heure même par un ordre, des institutions et une police fort peu démocratiques dont ils voudraient priver tous les autres hommes. Apprenons vite à leurs enfants la belle mission du privilégié de la civilisation, celle de faire participer les peuples lointains à ces bienfaits politiques et religieux.

L’utopie de la démocratie chrétienne ne peut pas être enseignée à la jeunesse chrétienne, les barbares nous serrent de trop près. Il faut reprendre conscience de notre supériorité, de la sagesse souveraine qui nous a été léguée. Que les jeunes Français connaissent la détresse profonde des peuples qui n’ont pas mille ans de tradition chrétienne et qui en attendent le bienfait de nous seuls. Ils apprendront que la civilisation n’a jamais connu l’égalité démocratique mais la tradition paternelle ; nos vieux peuples ont une paternité à exercer vis-à-vis des peuples neufs, et ce devoir est sacré, venu de Dieu qui fonde et développe son Église par des peuples choisis. Nous contraindre à la plus sotte “ humilité ”, exalter chez les barbares le plus fou des orgueils, voilà ce que la démocratie chrétienne s’est permis depuis un demi-siècle ; nous y avons appris au moins les menaces qui pèsent sur une civilisation et une Église qui reposent toutes deux sur cette transmission hiérarchique.

(AMICUS, 4 janvier 1950)