Il est ressuscité !

N° 226 – Novembre 2021

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


Église Sainte

« Infirmitas hæc non est ad mortem, sed pro gloria Dei, ut glorificetur Filium Dei per eam. » (Jn 11, 4)

Ô Verbe fait chair, divin Époux de l’Église, je ne sais
 qui de vous deux j’aime le plus mais qu’importe, puisque vous ne faites qu’un ! C’est elle qui m’a appris, enfant, votre Nom délicieux et vos mystères, mais plus tard c’est par vous que j’ai connu son Esprit et son cœur. Elle est née de votre flanc ouvert, cette nouvelle Ève, comme l’invention de votre amour. Mais à travers les siècles son dévouement, sa fidélité, sa tendresse ont répondu éloquemment aux vôtres.

Quel privilège d’avoir été dès ma jeunesse confié à elle seule ! Elle était belle, en ce temps-là, ma sainte et vierge Mère. J’étais enchanté de ses enseignements, de ses prières et de ses chants. Mon âme jubilait dans les torrents lumineux de son immense sagesse. Si j’évoque l’âme de l’Église, je suis intarissable ; si j’énumère les beautés de son corps, je n’en finirai plus. Je vous ai chéri, ô Jésus, dans les paroles enflammées de vos prédicateurs, dans la vie des saints qui furent vos confidents, et sur les visages resplendissants de tant d’amis merveilleux ne vivant que pour vous dans l’Église. En ce temps-là j’aimais tous vos prêtres d’un égal amour, je vénérais les vierges consacrées, je me sentais en famille parmi vos fidèles. Les sanctuaires, les statues, les ornements et les vases précieux sont les bijoux et le vêtement et la demeure de cette Mère spirituelle dont la sagesse m’a nourri jusque par la splendeur et l’ordre imprimés dans les marbres et l’or. J’ai grandi, nourri de ses bontés. Et je vous bénis d’avoir connu l’Église dans ce printemps de ma jeunesse et de la sienne, quand se lisaient en tout son être la gloire sereine et le bonheur d’une épouse comblée. Je devinais quel amour unique était son secret.

Le malheur est venu. D’abord cachée, la maladie que nous craignions s’est emparée de ce corps, inexorablement. Voilà dix ans que nos craintes augmentent avec notre affliction. D’abord sa beauté en reçut un éclat pathétique et l’énergie qu’elle montrait nous la faisait admirer davantage. Mais l’épreuve est devenue trop lourde. Son corps marbré de taches sombres, ses membres déformés la rendaient pitoyable. Bientôt la peau tendue à l’extrême se fendit. De grands jets de pus, de sang et de chair l’inondaient, d’une effroyable odeur. Nous la soignons de notre mieux, avec les mêmes gestes que nous lui avons vu faire autrefois pour nous, et nos larmes se mêlent à son sang. Nous n’aurions pu imaginer le pire, qu’elle en vînt à perdre l’esprit. Quand dans son délire elle nous lança les mots les plus pénibles, nous eûmes beau nous répéter qu’elle n’était pas dans son sens, un trouble affreux s’empara de nous. Plusieurs de ceux qui avaient supporté les veilles, la fatigue des soins incessants, la puanteur des plaies se laissèrent envahir par le doute et le découragement. Ils abandonnèrent le chevet d’une mère qui, dans son inconscience, appelait des amants imaginaires et déchirait la main caressante de ses fils, ne les voulant plus reconnaître pour siens.

Par quelle grâce suis-je resté, moi le plus indigne, qui supporte si mal la peine, les dévouements obscurs, l’ingratitude ? Ce n’est pas le souvenir de sa beauté passée, de ses bontés révolues qui me tient près d’elle, la défendant contre ses ennemis, mettant dehors les charlatans, suppliant les vrais médecins, encourageant ses derniers enfants fidèles. Parfois passe dans son regard un rai de lumière, quelque chose du cher sourire, de la tendresse immense de jadis. Un instant je la retrouve, puis l’ombre revient et tout n’est plus que laideur et horreur, gémissements, malédictions. J’ai peur d’y sombrer à mon tour. Mais je sais que je resterai auprès d’elle, vénérant, aimant, servant cette Église dégoûtante de pourriture, en décomposition, parce qu’elle est, aujourd’hui comme hier et pour l’éternité, l’Épouse unique et bien-aimée de mon Seigneur. Je regarde la Croix et je vous y vois, semblable à elle maintenant. Comment l’abandonnerais-je ? Je suis sûr qu’au plus profond de cette putréfaction, par-delà ce délire, son Cœur voilé est le même, virginal et ardent, l’Esprit reste Saint, la Vie, la vie divine lutte invinciblement contre le terrible assaut du Mal. Demain, oui demain, la guérison se fera. C’est pour elle aujourd’hui que nous entendons votre prophétie : « Cette maladie ne va pas à la mort ; elle est pour la gloire de Dieu : par elle le Fils de l’Homme doit être glorifié »... L’Église se relèvera ! Du long cauchemar ne lui resteront plus que les stigmates de ses plaies glorieuses à la ressemblance des vôtres, et dans son regard un feu plus profond d’indicible tendresse pour son Époux qui l’aura sauvée de la mort.

Et je crois que nous la chérirons davantage encore après ce calvaire. Vous son Époux, et nous ses enfants. C’est en rêvant de ce jour que nous demeurons près d’elle dans la nuit (Page mystique, juin 1969).

Abbé Georges de Nantes