Il est ressuscité !
N° 226 – Novembre 2021
Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard
LA LIGUE
Saint Augustin prêche aujourd’hui
ÉTUDIER saint Augustin, c’est un sujet en or pour une session de la Phalange : chacun des combats de notre Père fait revivre l’une ou l’autre de ses polémiques ; pas un sermon de l’évêque d’Hippone qui ne nous rappelle une page de l’abbé de Nantes. En douteriez-vous ? Les deux cents jeunes gens qui ont participé à la session de la Toussaint en sont repartis convaincus !
LE PÈRE DE L’OCCIDENT CHRÉTIEN.
Le samedi 30 octobre, à 10 h, après le Veni Creator, la session s’ouvrit par l’écoute de la conférence prononcée par notre Père en 1980 sur “ Saint Augustin, père de l’Occident chrétien ”.
Pendant une heure, et avec une allégresse évidente, le Père nous communiqua son enthousiasme pour le grand Africain. Le simple récit de sa vie est déjà riche de leçons et dresse le sommaire de nos études pendant trois jours.
Augustin est berbère de race, Romain de civilisation et chrétien de religion : quel symbole !
Tout intelligent qu’il fût, il n’a pu atteindre la vérité que par la médiation d’un maître, d’un père : saint Ambroise de Milan. L’ayant enfin embrassée, ce contemplatif s’est mué par la force des choses en polémiste redoutable, car le vrai mystique ne supporte pas l’erreur. Pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes, il n’a de cesse de la combattre et de l’abattre !
Au fil de ses batailles successives contre l’hérésie, saint Augustin récapitula toute la doctrine catholique, édifiant une “ doctrine totale ”, dirions-nous. Après les ravages des invasions barbares, lorsque les évêques et les moines entreprendront de relever les ruines de la civilisation, saint Augustin deviendra leur maître à penser, le “ docteur commun ” de la Chrétienté. Pendant mille ans, la science des théologiens et la ferveur des mystiques, la sagesse des philosophes et la clémence des princes s’enracineront dans sa sainteté et sa doctrine.
Les parallèles avec la vie du conférencier lui-même s’imposent si nombreux qu’à la fin de l’heure, nous avons le sentiment de connaître et d’aimer l’évêque d’Hippone comme s’il avait été notre propre maître.
« NÔTRE EST LE VRAI ! »
À 11 h 15, les retardataires ayant rejoint la maison Saint-Joseph, nous pouvons commencer la messe. Avoir un aumônier à domicile pendant trois jours, quel luxe ! Et le plaisir était réciproque, à en juger par son attention aux prédications de frère Bruno et ses plaisanteries avec les jeunes.
En sermon d’introduction, frère Bruno rappela la devise qui ouvre nos 150 Points : « Nôtre est le vrai. » Saint Augustin y aurait souscrit de toute son intelligence et de tout son cœur ! Car pour lui comme pour nous, seule la vérité compte, quoi qu’il en coûte.
Augustin avait cependant erré pendant trente ans avant de s’établir enfin dans « la quiétude de la vérité sûre ». Pour ne pas se tromper de combat, pour ne pas perdre de temps à poursuivre des chimères, il faut être dirigé, il faut avoir un maître.
C’est d’ailleurs en leur prêchant l’amour de la vérité que notre Père s’est attaché ses premiers disciples. Frère Bruno, par exemple, qui nous confiera plus tard que c’est la lecture de son article sur “ La recherche de la vérité ”, paru en 1955 dans Amitiés françaises universitaires, qui l’attacha définitivement à ce maître incomparable, balayant d’un coup toutes les illusions du monde.
Lors de la période de questions du dimanche soir, il ajoutera ce beau témoignage :
« Nous avons suivi le Père, frère Gérard et moi, avec enthousiasme. Nous étions jeunes, comme vous, irréfléchis, et les grandes personnes sérieuses pensaient que cela nous passerait. Leur grand argument était qu’il était seul contre tous les évêques : il était impensable qu’il ait raison ! J’aimais bien mes parents, j’avais une grande confiance en eux, je ne voulais pas me révolter. Mais que voulez-vous, le Père avait raison, cela crevait les yeux ! Et cela ne m’a pas passé avec l’âge. Voyez, j’ai maintenant plus de quatre-vingts ans et je pense toujours qu’il avait raison. Je n’ai aucune raison de changer d’idée, parce que personne n’a jamais pu me montrer qu’il avait tort. Je n’ai pas perdu une miette de ses enseignements depuis l’âge de quinze ans et je suis sûr que tout est d’une limpidité formidable. Je vous le dis pour que vous fassiez pareil. C’est du béton ! Même si nous sommes seuls.
« Quand les choses redeviendront normales, nous aurons de nouveau des séminaristes, des religieux à former. Nous avons tout ce qu’il faut pour restaurer l’Église si nous tenons bon. »
Après la messe, nous nous rendons à la salle communale pour le repas. Sans perdre une minute, car l’horaire est tyrannique ! Heureusement, nos sœurs forment à la cuisine une équipe de choc compétente et dévouée. Une heure plus tard, plus de deux cent cinquante repas ont été servis, la vaisselle est faite et le réfectoire converti en salle de conférence par quelques bonnes volontés.
L’ENFANTEMENT À LA FOI DANS L’AMOUR.
Tel fut le titre qu’annonça frère Thomas en prenant place sur l’estrade, à 14 h 30 précises.
Le drame intime de la conversion de saint Augustin est un événement majeur dans l’histoire de l’Église, qui porte du fruit aujourd’hui encore en prêchant que la religion est un cœur à cœur, où l’amour est souverain. Saint Augustin est le docteur de la Charité !
C’est en effet par l’amour que le Christ a attiré ce cœur inquiet, ce cœur insatiable d’aimer et d’être aimé. En trois actes, racontés avec psychologie et éloquence dans les Confessions, à la louange de la miséricorde de Dieu.
L’amour de l’amour, d’abord, impérieux, qui le laissait insatisfait au milieu des voluptés charnelles, jusqu’à ce qu’à la lecture de Cicéron, un nouvel amour s’éveille en lui, tout aussi dévorant : l’amour de la sagesse. Las ! hors de la Foi, Augustin, jeune rhéteur, s’égarera dans le manichéisme et même l’astrologie... Quand enfin il sera revenu de ces folies et aura découvert un maître en la personne de saint Ambroise, il commencera à comprendre que la vérité ne peut se trouver toute seule, qu’elle doit être demandée à l’autorité divine dont l’Église est dépositaire. Il faut croire d’abord pour comprendre : « Crede ut intelligas ».
De plus en plus admiratif de l’Église, Augustin était enfin prêt à être saisi par le Christ dont l’amour le libéra alors des pesanteurs de sa chair. Le récit qu’il rédigea de cette conversion décisive est si vrai, si puissant, que nul ne peut l’entendre sans se sentir empoigné et pressé de l’imiter.
La leçon qu’en tira frère Thomas, à la suite de notre Père, est que la foi est une semence de vie divine que nous recevons de l’Église notre Mère, qui nous enfante véritablement à la vie surnaturelle.
« Comme la naissance d’un vivant à partir de ses générateurs, d’un autre vivant dans la similitude de nature, est un mystère, dit le Père, de la même manière, la foi passe d’un croyant, de l’Église croyante aux catéchumènes, comme par une adhésion intuitive et spontanée à la vérité dans l’amour, avant toute justification.
« Quand Ambroise prêche, que saint Augustin se fait baptiser par Ambroise, il reçoit de lui cette semence spirituelle, comme dit saint Jean dans son Épître, ce germe qui va grandir en lui. La foi surnaturelle, selon l’expérience de saint Augustin, est une grâce existentielle reçue de l’Église avant d’être un objet de raisonnements et de décisions individuelles. »
Attention à ne pas faire pour autant de saint Augustin un anti-intellectualiste. S’il affirme qu’il faut d’abord croire, c’est pour comprendre ensuite. Il recommande d’aimer beaucoup l’intelligence : « intellectum valde ama ». De la foi, en effet, la raison théologique fera jaillir mille intelligences. C’était là l’objet de la seconde conférence de l’après-midi.
DOCTEURS DE LA FOI.
Après le chapelet, frère Bruno nous raconta comment notre Père fut prévenu dès le séminaire des causes du naufrage de la théologie et de l’apologétique modernes. Sous le beau prétexte de remédier au dessèchement de l’apologétique classique et de la scolastique par trop rationnelles, Monsieur Enne, en 1943, enseignait une méthode nouvelle d’apologétique. Il prétendait révéler à l’homme moderne l’aspiration secrète de son cœur au christianisme : méthode d’immanence, hardie, délicate, qu’il entendait bien distinguer de la doctrine d’immanence condamnée par saint Pie X comme la quintessence du modernisme, selon laquelle toute religion jaillit de la conscience de l’homme.
Lors de la période de questions du lendemain soir, frère Bruno précisera que cette distinction entre méthode et doctrine d’immanence n’est que rhétorique. Avec le recul que nous avons maintenant, nous voyons que la méthode d’immanence a tourné inéluctablement en doctrine, enfermant toute l’Église dans le modernisme depuis Vatican II.
À dix-neuf ans, s’il ne s’égara pas dans cette impasse, notre Père conserva néanmoins de Monsieur Enne l’intuition majeure : « On va au vrai de toute son âme et non point par pur raisonnement. Il faut aimer pour croire, et il faut aimer plus encore pour donner aux autres de croire. »
Fort de son intuition de l’être, d’une part, qui révèle l’intime présence de Dieu créateur à la source de tout être ; sûr, d’autre part, de l’objectivité de la Révélation, l’abbé de Nantes a édifié une apologétique et une théologie totales, salvatrices, sous le patronage de saint Augustin.
Arrivé à ce point, frère Bruno céda la parole à notre Père, introduisant son cours de Théologie totale, en 1986, par le commentaire de la théophanie du Buisson ardent, au mont Sinaï. Les stylos suspendent leur course sur les cahiers de notes, les visages se redressent et s’attachent à l’écran sur lequel le Père donne un magistral cours de théologie métaphysique. Matière difficile s’il en est, mais avec un tel pédagogue, quel spectacle ! Le Père tient l’existence au bout de ses doigts ! Il semble la malaxer, en dessiner les contours, nous la donner à saisir à notre tour, éveillant notre esprit à cette primordiale intuition de l’Être !
Ouvrant le livre de l’Exode, notre Père, comme saint Augustin, y lit la révélation du Nom de Dieu à Moïse : « Je suis : Je suis. » (Ex 3, 14). Révélation ineffable, que notre esprit infirme peut appréhender, mais non point comprendre. Heureusement, Dieu, dans sa condescendance, adopte aussitôt après un langage humain pour se faire connaître de nous : « le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. » (Ex 3, 15) Après le « Nom de sa substance », voici le « Nom de sa miséricorde », s’écrie saint Augustin ! C’est de la théologie re-la-tion-nelle, renchérit notre Père !
Dès lors, conclut-il, plutôt que d’édifier une théologie ratiocinante qui dépiaute les attributs divins, mieux vaut parler de Dieu avec le langage même qu’il a choisi pour se révéler à nous. Notre théologie totale, biblique et historique, retrouve et renouvelle les intuitions de saint Augustin et court même à la rencontre de la révélation de Fatima !
UN VRAI SERMON DE SAINT AUGUSTIN !
Après le chant des premières vêpres de la fête du Christ-Roi, le sermon fut un exemple éblouissant de cette doctrine tellement cordiale et d’une intelligence royale. Le programme annonçait : “ Un vrai sermon de saint Augustin dans sa cathédrale d’Hippone ”.
C’est cependant la voix de notre Père, si chaleureuse, qui s’éleva dans notre chapelle : « Carissimi Christi fideles, fidèles du Christ, mes très chers frères, prenez place dans la basilique. Asseyez-vous sur la paille, mettez-vous à votre aise, car j’ai à vous faire ce matin un long discours. »
Non, notre Père ne récitait pas un sermon appris par cœur. Pétri de la pensée du grand docteur d’Occident, il avait improvisé, au soir de la Pentecôte 1980, un sermon à la manière de saint Augustin. Rassemblant les figuratifs de l’Ancien Testament et de la mythologie grecque, convoquant le patriarche Joseph et Orphée, Antigone et la fille de Jephté, il nous fit pénétrer dans le mystère de la Rédemption chrétienne. À la voix du Père se dévoile le dessein divin, d’une admirable beauté et sagesse : comme l’eau de Cana fut changée en vin par le Christ, les figures antiques s’accomplissent dans l’Évangile.
Au cratère, l’oratorio de frère Henry sur la mission jésuite au pays des Hurons fit résonner une harmonique nouvelle du mystère de la Croix, saisissante. Cette Rédemption par le Christ, entrevue par les scribes inspirés et dont l’espérance hantait les tragiques grecs, les martyrs l’ont renouvelée avec une pleine conscience, par amour !
JE SUIS LE FILS DE VOTRE SERVANTE.
Après quelques heures de repos, frère Bruno ouvrit la deuxième journée de la session en méditant de nouveau le mystère de l’enfantement à la foi.
Saint Augustin et notre Père sont enfants de l’Église qui prit pour eux le visage de leur sainte mère. « Toute maternité chrétienne est médiatrice », écrivait notre Père dans une page mystique dédiée à Mamine (septembre 1968). Saint Augustin le savait bien, lui qui devait sa conversion aux prières et aux larmes de sainte Monique, « la mère de ma chair, dont le chaste cœur enfantait avec plus d’amour encore mon salut éternel en votre foi » (Confessions, livre IX).
Quelle merveille qu’une intime communion d’âme avec une mère vénérée et très aimée ! Saint Augustin et notre Père expriment leur action de grâce par les mêmes paroles du psaume 115 :
« Ô Seigneur, je suis votre serviteur, votre serviteur et le fils de votre servante. »
FONDATEURS DE CHRÉTIENTE.
“ Fondateurs ” au pluriel, car notre Père a accompli au vingtième siècle la même œuvre de charité politique que l’évêque d’Hippone au cinquième siècle.
Ce dimanche matin, frère Louis-Gonzague devait nous initier à la délicate question de l’augustinisme politique sur laquelle se sont affrontés tant de juristes et de théologiens, de princes et d’évêques, d’empereurs et même de papes à travers les siècles.
Rassurez-vous, à l’école de notre Père, notre frère s’est bien gardé de nous infliger un traité de droit public ou de théologie scolastique. D’ailleurs, saint Augustin lui-même n’a rien écrit de tel. Sa pensée politique n’est pas un système, mais le fruit d’une expérience des relations entre l’Empire et l’Église, vécue dans le contexte dramatique de l’effondrement de l’Empire romain d’Occident.
En 410, en effet, Rome est saccagée par les Wisigoths. Dans cette catastrophe, saint Augustin va donner toute la mesure de son génie, et relever l’espérance de ses concitoyens.
Sa première réaction est d’élever les cœurs vers le Ciel : « Vienne la grâce et que ce monde passe ! »
Et notre frère de faire remarquer que c’est précisément sur ce principe – à ne pas oublier en temps de “ pré-campagne ” électorale ! – que notre Père a bâti nos cinquante Points de politique :
« Le phalangiste a pour unique pensée de reconnaître sur lui et sur les siens l’empire souverain et tout aimable de Jésus-Christ et du Cœur Immaculé de Marie, et de leur plaire en tout service (...). Il n’a aucun préjugé politique, aucune ambition, aucune revendication. La passion de la politique est pour lui impure (...). Cette allégeance aux volontés du ciel est de source évangélique et de tradition immémoriale dans l’Église, selon la parole du Seigneur : “ Mon Royaume n’est pas de ce monde. ” » (Point n° 51)
Mais saint Augustin ne s’en tient pas là. En effet, au-delà du châtiment de la Rome païenne, il discerne, dans l’entremêlement et la confrontation de la Cité de Dieu et de la Cité de Satan ici-bas, la réalisation du dessein de Dieu dans l’histoire. « Il n’y a pas de philosophie de l’histoire, commente notre Père. Avec La Cité de Dieu, saint Augustin écrit la première théologie de l’histoire ».
Or, puisque l’affrontement des deux Cités se déroule sur la terre, Augustin ne peut se désintéresser des affaires temporelles, au grand dam des modernes qui aimeraient voir en lui un spirituel pur. C’est oublier que l’évêque d’Hippone est un citoyen romain ! Il a le sens de l’État et travaille de concert avec les autorités légitimes en vue du bien commun et de la destruction des ennemis de l’Église. La doctrine de l’augustinisme politique et philosophique, qui ordonnera tous les savoirs et pouvoirs à l’instauration du Royaume de Dieu pendant plus de mille ans, découle de l’orthodromie divine discernée par saint Augustin. Il a véritablement enfanté la Chrétienté !
JÉSUS-CHRIST NOTRE ROI ET NOTRE MAÎTRE.
« Pourvu qu’il ne parle pas de Rome », murmuraient les paroissiens timorés d’Hippone en 411. « Pourvu qu’il ne parle pas de Rome », susurraient à leur tour maints auditeurs de l’abbé de Nantes. Eh bien, si ! Hanté comme saint Augustin par l’angoisse de l’Église et de la Patrie, notre Père n’a cessé de dénoncer la cause de leur malheur.
Frère Bruno nous lut ainsi au sermon la pathétique Lettre à mes amis n° 121 :
« Seigneur Jésus, mon Roi, mon Maître, vous m’invitez avec insistance à travailler encore, en ce sinistre dimanche du Christ-Roi 1962, pour votre royauté terrestre et la proclamer, la défendre, avec les armes de lumière, contre ceux qui, même chrétiens, s’en font les ennemis ou les destructeurs inconscients. La contemplation religieuse, ce sera pour demain ou plus tard, après les prisons, après la mort, dans la béatitude de votre triomphe. Aujourd’hui, c’est l’œuvre de charité qui prévaut, de la charité politique. »
Notre Père s’en prend aux démocrates chrétiens qui répètent par leur idolâtrie démocratique et leur culte de l’homme le cri des juifs et des païens de jadis : « Nous ne voulons pas que le Christ règne sur nous ! » Hier comme aujourd’hui, la ruine de Rome est le salaire de cette impiété, selon la vision du Secret de Notre-Dame de Fatima, méprisé par les papes.
PÉLAGIANISME D’HIER ET D’AUJOURD’HUI.
L’après-midi de ce dimanche fut consacré à étudier le dernier grand combat de saint Augustin, sur le mystère de la grâce divine.
À la suite du sac de Rome en 410, la Numidie vit affluer de nombreux réfugiés. Parmi eux, les disciples d’un moine anglais, Pélage, dont la doctrine nouvelle alarma bientôt l’évêque d’Hippone. Ils affirmaient la capacité, le devoir de tout homme de devenir parfait et de conquérir son salut par la seule force de sa volonté autonome ! Ils niaient par conséquent la grâce divine, le péché originel et la Rédemption. C’était la ruine de toute l’économie du salut et de toute vie chrétienne !
Émanciper la liberté de la grâce divine est une tentation constante de la raison orgueilleuse. Et le pélagianisme n’est qu’un rhume des foins, comparé à l’humanisme athée du concile Vatican II contre lequel s’est dressé notre Père. Avide de plaire au monde, le Concile a prétendu reconnaître et même adopter par sa constitution Gaudium et spes l’orgueil formidable de l’homme moderne ! Notre Père, dans son Autodafé, a pulvérisé l’idole avec une verve digne des grandes polémiques de saint Augustin ! Écrit dans la déréliction de son exil à Hauterive, ce pamphlet révèle toute sa stature de docteur mystique de la foi catholique.
DOCTEURS DE LA GRÂCE.
Face aux pélagiens, saint Augustin formula la doctrine catholique de la grâce, puisée dans la Bible et dans son expérience intime de pécheur converti par miséricorde. Notre Père nous l’exposa magistralement, affirmant la primauté de la grâce divine, à la source de tout notre être et de notre liberté même. Dieu est « plus intime à moi-même que moi », s’exclamait saint Augustin ! Ce qu’il veut ? Obtenir de nous de l’amour.
Cette doctrine peut sembler redoutable, qui met l’homme en présence du mystère insondable de la prédestination divine. Elle est surtout salutaire, poussant le pécheur dans les bras de son Père céleste, en suppliant, le jetant aux pieds de la Sainte Vierge, Médiatrice de toute grâce.
C’est en effet par le Cœur Immaculé de Marie que Dieu veut attirer les âmes : cette révélation du Ciel à Fatima, en 1917, a complètement renouvelé le “ problème ” de la prédestination, sur lequel tant d’hérétiques ont achoppé. Désormais, enseignait notre Père, « Croire au fait et aux dits de Fatima est un gage de prédestination ; tandis que repousser Fatima est un épouvantable signe de réprobation. »
En réponse aux questions posées lors du cratère, frère Bruno tirera une résolution pratique de ce mystère de la grâce et de la prédestination :
« Plutôt que de s’échiner à chercher des explications intellectuelles, abstraites, la solution est pratique. Moi, où est-ce que je vais ? C’est cela l’important. Tu veux savoir ? Tu n’as qu’à compter les grâces que Dieu t’a faites pour te conduire jusqu’à présent, jusqu’à la CRC : cela fait un certain nombre de grâces qui montrent bien que Dieu veut te sauver, toi, particulièrement.
« Quand on a compris cela, on s’applique à faire le nécessaire pour manifester qu’on est prédestiné. Dire le chapelet, par exemple, obéir à la Sainte Vierge, c’est un billet pour le Ciel ! »
« AIME ET FAIS CE QUE VEUX. »
Le soir, après les premières vêpres de la Toussaint, c’est de nouveau notre Père qui prêcha. Au début de la session de la Pentecôte 1986, recherchant une morale qui repose sur notre expérience et attire notre cœur, il avait posé en principe de notre morale phalangiste la maxime fameuse de saint Augustin : « Aime et fais ce que veux. » Vrai ? Oui ! En commençant par l’amour de soi, qui nous fait passer à l’amour de Dieu notre Créateur, puis des autres, les bons comme les “ méchants ” que nous n’aimons pas... encore !
L’amour : tel est le ressort mystique de notre morale, admirablement chanté par Marie Noël : « Le remède d’aimer est d’aimer davantage. » (À Tierce)
Lors du salut du Saint-Sacrement qui suivit, les cantiques résonnant dans une chapelle comble nous transportèrent au Ciel. Nos jeunes ont l’habitude de chanter ensemble, et ils aiment cela. Notre Père tenait à ce qu’ils viennent aux sessions non seulement pour s’instruire de la doctrine CRC et pour forger de solides et saintes amitiés, mais aussi pour prier avec les communautés et grandir dans la piété.
Entre le dîner et les complies, frère Bruno prit une petite heure pour répondre aux questions. Elles étaient nombreuses, signe que ces deux jours d’enseignement intensif avaient été suivis avec intérêt. On mesure là les bons fruits des stages dans nos ermitages auxquels la plupart des jeunes ont participé. Ce fut l’occasion pour notre frère de préciser notre position CRC, de dissiper quelques illusions – Zemmour ! – et surtout de renouveler son témoignage filial sur notre Père.
AUGUSTIN SUR LA CHAIRE DE PIERRE.
Après la divulgation de la troisième partie du Secret de Fatima, le 26 juin 2000, notre Père résolut de s’effacer derrière saint Jean-Paul Ier, que Notre-Dame ressuscitait, en quelque sorte, en le montrant comme le personnage clef de son Secret.
Frère Bruno se réjouit de sa canonisation prochaine car, quels que soient les prétextes allégués par les promoteurs de sa cause, nous savons quant à nous que Jean-Paul Ier fut avant tout le pape qui avait décidé d’obéir à Notre-Dame de Fatima et de consacrer la Russie à son Cœur Immaculé. Le canoniser pourrait être pour François, et malgré sa mauvaise volonté actuelle, un premier pas sur la voie de l’obéissance aux demandes du Ciel.
À l’oraison matinale de la Toussaint, frère Bruno survola les quatre audiences générales de son pontificat, consacrées à l’humilité, la foi, l’espérance et la charité. En effet, cette prédication si simple, si chaleureuse, révèle un disciple fervent de saint Augustin ! En un mois, le Pape du sourire rappela à l’Église sa religion catholique, qui est augustinienne.
CATÉCHÈSE AUGUSTINIENNE.
Frère Bruno ne voulait pas laisser repartir son monde sans l’avoir mis en contact plus directement avec la prédication du plus grand des docteurs de l’Église. Lundi matin, pendant une heure, il feuilleta donc le volume des sermons édités par François Dolbeau, les commentant très spontanément. Ces notes prises à la volée par quelques copistes nous permettent de nous représenter très concrètement ce spectacle.
Augustin s’adresse très simplement à un public qui, manifestement, réagit vivement à tout ce qu’il comprend... ou ne comprend pas. L’évêque s’adapte, insiste sur les points difficiles, demande les prières de son auditoire en abordant les questions délicates, se lance dans des démonstrations subtiles, s’arrête soudain pour ressaisir l’attention des fidèles, avant de se laisse emporter par son enthousiasme dans une période majestueuse. Souvent il met en scène un contradicteur, toujours soucieux d’armer son troupeau contre les ennemis de la foi. Tenez par exemple :
« Je lui pose la question : “ D’où sais-tu qu’Alexandrie existe ? ” Il va dire : “ Par ce que j’ai cru. ” Je répliquerai : “ Qui as-tu cru ? ” Que peut-il dire d’autre que : “ J’ai cru des hommes. ”
« Toi donc, à propos d’Alexandrie, tu as cru des gens qui ont vu ; moi, au sujet de Dieu, des gens qui ont prophétisé. Si tu pouvais raisonner juste, si tu soupèses la valeur des témoignages, j’ai cru des garants plus idoines que les tiens. Car, à propos d’Alexandrie, tu as cru des gens qui ont pu, sur place, la voir de leurs yeux, tandis que moi, j’ai cru des gens qui ont annoncé les événements actuels, avant qu’ils ne se fussent produits. »
Toujours pleins de finesse, les arguments de l’évêque traversent les siècles !
D’UN DOCTEUR DE L’ÉGLISE À L’AUTRE.
Le sommet de la session devait être la grand-messe de la Toussaint, avec l’acte d’allégeance d’une vingtaine de jeunes gens à la Communion phalangiste, catholique, royale et communière. Leurs lettres de motivation attestent leur pleine conscience de la gravité de cet acte religieux : à la suite de l’abbé de Nantes et sous la protection du Cœur Immaculé de Marie, ils veulent être aidés à aller au Ciel et aider, à leur petite mesure, au relèvement de l’Église.
Avant de recevoir leur promesse de fidélité, frère Bruno leur expliqua qu’entrer dans la Phalange de l’Immaculée, c’est entrer dans « une famille dont la vocation est de ne rien mettre plus haut que le service de la Vérité et de l’Église » ; une famille dont l’abbé de Nantes est le père, notre Père.
Et quel Père ! Frère Bruno rappela le portrait de saint Augustin brossé par notre Père en introduction de la session. Au bout de trois jours d’étude, force est de constater que ce portrait est autobiographique ! Si saint Augustin prêche aujourd’hui, c’est par la voix de l’abbé de Nantes qui a tracé comme lui sa route “ in medio Ecclesiæ ” : non pas dans la voie large de tous les compromis, mais sur l’étroite ligne de crête qui relie les sommets de la doctrine et de la sainteté catholiques. Foi et intelligence, mystique et politique, spéculation, contemplation, prédication, etc. Les idées-forces énoncées au fil des conférences et sermons s’ordonnent pour dessiner la figure du docteur mystique de la foi catholique. Quel beau bouquet final pour cette session !
Les enregistrements en seront publiés au fil de l’année dans les conférences mensuelles et sur la VOD.
CONTROVERSE À LA PERMANENCE
C’est maintenant entré dans les habitudes de nos amis : le 11 novembre, c’est la date de la controverse publique organisée par la Permanence de Paris. Cette année encore, parisiens et provinciaux s’y sont rendus nombreux, souvent en familles constituées, attirés par le titre : Les Évangiles, historiques ou non ?
« Notre controverse, annonçait frère François, aura le grand avantage de mettre en pleine lumière des vérités capitales et de détruire de graves erreurs propagées par des exégètes comme le Père Vénard, de l’École biblique de Jérusalem : “ Les Évangiles ne sont pas les retranscriptions serviles de la prédication orale des Apôtres, mais ils en ont conservé un peu de la saveur. ” Quant à Mgr Joseph Doré, il écrit dans son encyclopédie Jésus : “ L’Évangile de saint Jean n’a aucunement pour but de rapporter des faits, mais de donner aux lecteurs une leçon de théologie, d’ailleurs de haute volée. ” » Que leur répondre ?
Notre frère avait conçu cette controverse comme un arsenal de preuves et d’arguments scientifiques et mystiques pour fortifier la foi de nos amis contre toutes les objections, négations et mensonges des rationalistes et des modernistes.
Deux jeunes gens de la Permanence tinrent le rôle ingrat de ces ennemis de la foi, agressifs ou sournois, qui répandent avec morgue leur apostasie dans toute l’Église. Frère François et quelques phalangistes leur opposèrent les démonstrations exégétiques de notre Père, complétées par les savantes études de frère Bruno : un vrai feu d’artifice qui fit éprouver aux assistants la joie de la vérité sûre !
« Vous avez su faire une belle synthèse pour répondre au modernisme, remercient des parents de famille nombreuse. Auparavant, les enfants savaient des bribes, sur la piscine aux cinq portiques, sur le calendrier de Pâques, etc., mais ils ne saisissaient pas la portée des recherches historiques et archéologiques. À leur retour, l’on voyait qu’ils comprenaient l’importance de la réponse au modernisme. Merci beaucoup de vous faire le canal de la grâce, pour que nous choisissions l’amour de Jésus et non la voie de la trahison. »
Frère François put conclure ces deux heures de discussion : « Nous avons vu l’Évangile revivre, s’animer sous nos yeux par la science, par toutes sortes de sciences : l’archéologie, la papyrologie, l’épigraphie, l’exégèse, l’histoire, la linguistique. La science triomphe du rationalisme et du modernisme ! »
Les si nombreuses découvertes archéologiques, qui ont providentiellement jalonné le vingtième siècle, proclament de nouveau le message évangélique aux oreilles de notre génération apostate et rendent à notre contemplation les traits historiques du « Verbe de Vie », tels que nous les ont transmis ceux qui l’ont entendu, qui l’ont vu de leurs yeux, qui l’ont contemplé et touché de leurs mains.
Nous renouons avec la sagesse vénérable de saint Augustin qui répondait déjà aux ennemis de l’Évangile : « Credo Evangelistam. »
Et pour finir sur une grande joie, afin de vous y unir par vos prières : le 21 novembre, fête de la Présentation de la Sainte Vierge, notre frère Claude de l’Enfant-Jésus, petit frère missionnaire au Canada, prononcera ses vœux perpétuels à la maison Saint-Joseph.
frère Guy de la Miséricorde.