Il est ressuscité !

N° 231 – Avril 2022

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


Lettre à Mgr Alexandre Joly 
troisième partie

VICTOR QUIA VICTIMA

L’ANNÉE 1996 fut, dans la vie de notre Père, terrible. C’était le prix à payer pour produire une pièce décisive dans son combat contre la réforme de l’Église engagée lors du concile Vatican II.

Le 10 janvier 1996, la commission parlementaire formée pour enquêter sur les sectes publia un rapport rédigé par Jacques Guyard dans lequel les Communautés des Petits frères et des Petites sœurs du Sacré-Cœur étaient désignées comme “ sectes ­pseudo-catholiques ” et classées parmi les mouvements dangereux. Cette condamnation, sans jugement, sans appel, lancée dans le public donna le signal de départ à une série d’enquêtes policières et administratives déclenchées dans le dessein évident d’anéantir nos communautés. Qu’est-il advenu de toutes ces accusations de travail clandestin, de fraude fiscale, d’abus de confiance, d’abus frauduleux de situation de dépendance, de blanchiment d’argent, etc ? Rien, absolument rien ! Grâce à la prudence et la sagesse des magistrats des ordres judiciaire et administratif qui ne se contentèrent pas de vulgaires coupures de presse pour étudier les faits qui leur étaient rapportés, notre Père ainsi que tous les frères et sœurs furent lavés de toutes ces accusations infâmes et de toutes sortes lancées contre eux. Que nos communautés aient pu réchapper à une pareille tourmente tout à la fois politique, médiatique, policière et judiciaire sans faire naufrage est un vrai miracle.

Mais le pire, qui n’était pas atteint, devait venir de Mgr Gérard Daucourt, qui osa instrumentaliser le mensonge d’État dont nous étions alors victimes. Mgr Fauchet qui l’avait précédé sur le siège de Troyes de 1967 à 1992 avait toujours considéré que “ l’affaire de Nantes ” relevait de la seule Autorité romaine – ce qui au demeurant est parfaitement vrai – et manifesta, par ce fait, une certaine tolérance à notre endroit, nous laissant une grande liberté dans l’organisation de toutes nos activités pour les amis de nos communautés. Mais pour Mgr Gérard Daucourt, son successeur en 1992, rompant le modus vivendi, il en fut tout autrement.

Le 27 juillet 1996, il prenait l’initiative de diffuser par lettre personnelle, bien au-delà des frontières de sa juridiction, en France et à l’étranger, une mise en garde contre notre Père. Il ne craignait pas de laisser planer les pires insinuations concernant « des pratiques réprouvées et sanctionnées de tout temps par l’Église : des personnes en ont été justement scandalisées ». Il lui reprochait de diriger une communauté religieuse « alors que la suspense le prive de tout pouvoir de gouvernement », mais en passant sous silence que notre Père en était non seulement le fondateur avec l’accord de Mgr Le Couëdic qui l’avait accueilli dans son diocèse lui et ses frères, mais surtout le supérieur depuis l’année 1958 sans opposition explicite jusqu’alors de la part des ordinaires qui se sont succédé à la tête du diocèse de Troyes.

Mgr Daucourt reprochait en outre à notre Père de prétendues hérésies : « Monsieur l’abbé de Nantes enseigne des doctrines qui sont en contradiction avec la foi catholique, notamment au sujet de la Sainte Trinité, de la Sainte Vierge et de la Sainte Eucharistie. » Donc rien de nouveau sous le soleil... où l’on retrouve les mêmes thèses que celles développées dans l’Avertissement du 25 juin 2020. D’où cette forte tentation de penser que les membres de la Commission doctrinale se sont contentés de “ travailler ” à partir de dossiers vieux de vingt-quatre ans. Des dossiers préparés par qui et comment ?

Jugez-en vous-même !

À propos de la théologie de l’abbé de Nantes sur l’Eucharistie, voici, Monseigneur, ce que vous et vos confrères affirmez dans l’Avertissement de bien légère façon : « Il aurait dit aussi que le bruit de la fraction des hosties pendant l’Agnus Dei serait celui des côtes du Christ que casserait le prêtre ! Ces mots indignes contredisent les Écritures qui prennent soin d’indiquer que pas un de ses os ne fut brisé (cf. Jn 19, 36 ; Ps 34, 21 ; Ex 12, 46 ; Nb 9, 12), et ils confirment le dérèglement de cette piété. » Mais notre Père n’a jamais dit ni écrit pareille chose !

Si vous vous étiez donné la peine de vous reporter au no 116 de la Contre-Réforme catholique d’avril 1977, et plus précisément au deuxième paragraphe de la première colonne de la onzième page, vous auriez lu exactement le contraire de ce que vous avez écrit mensongèrement dans l’Avertissement : « Jésus rompt le pain ; certains y ont vu un geste de sacrifice, symbolisant la mort brutale du Christ en croix. Mais saint Jean rapporte, à l’encontre, cette prescription de l’Écriture concernant l’agneau pascal : “ Aucun de ses os ne sera rompu ” (19, 36). Par ailleurs, l’expression “ rompu pour vous ”, en 1 Co 11, 24, est une variante du texte, faiblement attestée. Reste que le Corps est donné, donné “ pour vous ” ; l’ambiguïté demeure. Dans le pain rompu, ne retrouvons-nous pas une réponse à la plainte des Lamentations de Jérémie (4, 4) : “ Les petits enfants demandent du pain, mais il n’y avait personne pour le leur rompre ” ? Ce pain rompu, c’est sa Parole, c’est la Présence nourrissante, bienfaisante, aimante, de Celui qui est Lui-même la Parole de Dieu. »

À propos de la théologie de l’abbé de Nantes sur la Sainte Trinité, vous avez également soutenu ceci : « Nous n’aborderons pas ici le débat sur la théologie de la Trinité et la formule malheureuse présentant le Père, le Fils et l’Esprit-Saint comme  trois êtres divins. ” » Vous ne l’abordez pas... Mais suffisamment quand même pour écrire une bêtise ! Nous avons fait une recherche sur l’ensemble de l’œuvre de notre Père y compris dans les transcriptions de ses sermons. Il se trouve qu’il n’a employé l’expression « trois êtres divins » qu’une seule fois, au cours d’un sermon prononcé le 14 juin 1992, fête de la Sainte Trinité, mais là encore pour dire exactement le contraire de ce que vous avez écrit tout aussi mensongèrement : « Quand trois personnes s’aiment bien, elles se rapprochent tellement que cela ne fait plus qu’un seul groupe, mais c’est trois personnes différentes. Tandis que les trois Personnes divines, ce n’est pas trois Êtres divins, distincts, serrés l’un contre l’autre et donc ce n’est pas l’amour qui fait l’union entre les trois Personnes sinon ce serait très compréhensible », ce ne serait plus un mystère.

Voilà, Monseigneur, ce qu’il en coûte de prétendre donner un avis “ éclairé ” sur l’œuvre d’un théologien, en “ travaillant ” à partir de dossiers préparés à l’avance par “ on ne sait qui ” alors que l’honnêteté intellectuelle la plus élémentaire de la part d’un évêque agissant non pas dans l’exercice de sa charge, mais en tant qu’expert pour informer et conseiller ses confrères dans l’épiscopat, vous imposait de consulter personnellement et directement les œuvres de l’abbé de Nantes telles qu’elles ont été publiées, ce que vous n’avez à l’évidence pas fait. Mais de quel droit avez-vous agi ainsi ?

Mgr Daucourt, lui, c’est clair, ne s’est embarrassé d’aucun droit. Sans la moindre preuve à l’appui, ni citation d’une proposition quelconque tirée des œuvres écrites et audiovisuelles de l’abbé de Nantes, sans aucune enquête canonique préalable, sans même que l’accusé ait été averti et autorisé à présenter sa défense, il lançait des accusations dans le public tout en enjoignant par écrit à notre Père de quitter la maison Saint-Joseph : « Je veux vous aider à chercher, dans la discrétion le lieu où vous pourrez avoir le soutien nécessaire pour votre conversion. »

« OBEDIENTIA IN DILECTIONE. »

Le 1er août 1996, notre Père put obtenir de son évêque une audience. Elle fut brève et dramatique. Sous la menace d’un scandale médiatique, il lui fut intimé de cesser toutes ses activités, de se retirer dans un monastère, sans garder la moindre relation avec ses frères, ses sœurs et tous ses amis. À l’issue de cet entretien, notre Père nous dit simplement : « Priez pour que je sache où est mon devoir. » Il connut un écartèlement tragique, jusqu’à ce que la lumière se fasse en son âme.

« Je n’ai jamais fait procès à quiconque, expliqua-t-il à ses amis avant de partir en exil par obéissance, pour la seule défense de mes intérêts (je n’en ai point !) ni de ma réputation (toujours défaillante !), suivant en toutes circonstances, avec délices, la ligne de la plus grande pente de l’abjection où l’on me jetait... Il est vrai pourtant que j’ai fait appel au Pape tous les dix ans depuis 1965, mais non pour ma défense : pour celle de son infaillibilité et pour son salut éternel. » (Lettre à la Phalange no 59 du 21 septembre 1996, p. 2)

Mgr Daucourt prétendait mettre de côté le vrai litige doctrinal, c’est-à-dire, la réforme de l’Église décrétée au concile Vatican II et menée à un train d’enfer, depuis, par les papes Paul VI et Jean-Paul II, pour sournoisement s’en prendre uniquement à la théologie mystique de l’abbé de Nantes et à ses prétendus comportements réprouvés par la Loi de l’Église, en pleine illégalité tant du point de vue de la loi civile que de la loi de l’Église. Mais qu’importe, notre Père prit le parti de ne pas se défendre, de se sacrifier pour préserver ses communautés afin qu’elles puissent poursuivre le combat de Contre-Réforme catholique.

Après le refus par son Pére général d’accueillir l’abbé de Nantes au sein du monastère de la Grande Chartreuse du fait de son opposition au Concile, Mgr Daucourt en indiqua un autre le 5 septembre, l’abbaye cistercienne d’Hauterive près de Fribourg en Suisse. Notre Père obéit avec un certain empressement. « Je pars, expliqua-t-il alors aux frères et aux sœurs, non à cause de “ racontars de bonnes femmes ”, mais parce qu’il est impossible de s’entendre sur la foi avec l’évêque. Nous allons passer par un tunnel tortueux, mais pour aboutir à la lumière. Cela va être utile à l’Église. C’est cela qui galvanise. » En conséquence de quoi, il répondit le jour même à Mgr Daucourt : « Je me remets entièrement à Votre Excellence du soin de me faire admettre dans un cloître, derrière des murs, auprès d’une communauté, ou en son sein, abandonnant tout droit à la parole, à la correspondance, aux relations extérieures, dans une exacte obéissance aux supérieurs... ne gardant que la seule liberté inaliénable de ma croyance à l’intime », c’est-à-dire celle de professer la foi catholique et de rejeter les hérésies du concile Vatican II. Pour le reste, il était prêt à tout, il acceptait tout.

TÉMOIN DE LA VERITÉ.

La réclusion de l’abbé de Nantes à Hauterive débuta le dimanche 22 septembre 1996 et fut organisée par décision du Père abbé selon un régime de solitude absolue, bien adapté à la situation qu’elle laissait entendre d’ « un prêtre scandaleux envoyé là pour purger sa peine et se repentir, ou d’un vieil homme désireux de se retirer du monde pour se préparer à une mort prochaine ». Notre Père embrassa avec exaltation cette croix qui lui était présentée par son évêque, la comprenant comme « le dernier degré de l’abjection, celui dont on ne remonte que si l’on est un saint parce que alors c’est une évidence que pareille épreuve doit être, juste avant la mort, le martyre, le sceau de l’amour embrasé de cette âme et de Jésus et de Marie, ne faisant qu’un. C’est un Bon pour le Ciel. »

Pour nous les frères et les sœurs restés seuls, plus que jamais enfants perdus de l’Église, privés de leur Père spirituel, mais bien déterminés à poursuivre en communauté son combat de Contre-Réforme catholique, nous devions comprendre plus tard que le Bon Dieu permettait cette séparation, ce régime de réclusion pour donner à notre Père « le temps, la sérénité, l’ambiance de paix, tout pour examiner le fond du problème » qui demeurait et demeure encore aujourd’hui son « accusation d’hérésie, donc de schisme et de scandale » portée « contre le Concile, donc contre les Papes du Concile et contre le Nouveau Catéchisme à l’heure du Concile ».

Ainsi “ bien enfermé à Hauterive ” dans une grande solitude, muni du seul texte des Actes du concile Vatican II, notre Père en entreprit, jour après jour, une attentive relecture. Pour mieux en pénétrer le sens, il en recopia les écrits, en notant à mesure ses réflexions critiques ou laudatives, mais toujours d’un cœur équanime. « Dès le discours inaugural de Jean XXIII, je fus pris d’un intérêt fascinant pour ce travail [...]. Fastidieux à chaque reprise, ce labeur devenait en peu de temps passionnant, et des textes ainsi copiés, analysés, fouillés, je crois pouvoir dire que je connais leur fond, leur forme, leurs intentions affichées et jusqu’aux plus secrètes arrière-pensées de leurs auteurs [...].

« Mes critiques de jadis me revenaient, mais tant et si gravement renforcées que, de jour en jour, m’apparaissait comme un devoir pour le salut des âmes, pour la sainteté indéfectible de l’Église, mais encore pour la Vérité de Dieu, et ne serait-ce que pour le seul honneur et crédit de l’intelligence humaine et chrétienne, que ces textes soient révisés, corrigés, et pour la plupart, j’ose le dire... pour l’ensemble, rétractés par les mêmes Pères qui les ont promulgués, ou leurs successeurs, tant ils sont humainement aberrants et dogmatiquement hérétiques, subversifs, à en crier. La cause de la ruine de l’Église est là, sous mon scalpel, qu’il faut éradiquer. » (La Contre-­Réforme catholique no 329, janvier 1997, p. 1)

Une iniquité parmi tant d’autres commise par les Pères du Concile, à réparer pour le salut des âmes, pour la sainteté indéfectible de l’Église ? Ce déshonneur infligé à la bienheureuse Vierge Marie, reléguée au chapitre huitième, c’est-à-dire le dernier, de la constitution Lumen gentium. À propos des paragraphes 60 et 61, notre Père fait ce commentaire : « Admirables textes d’anthologie, où tout serait parfait si de belles circonlocutions n’évoquaient le rôle de “ médiatrice de toutes grâces ” dévolu à la Vierge par un pur décret du Père, fondé sur la surabondance des mérites de Jésus, Fils de Dieu, Fils de Marie, sans accepter d’en prononcer les mots ! Alors qu’il y a cent cinquante ans, l’évêque de Grenoble déjà saluait la Vierge de La Salette, réconciliatrice des pécheurs, du nom de “ médiatrice seconde de l’humanité rachetée ”. C’est même avec réticences que le Concile admet “ les titres d’avocate, d’auxiliatrice, de secourable, de médiatrice ”, sans omettre de bien mettre en garde contre l’abus (62). Il est amusant, en 62 / b, de justifier ces titres, en comparant cette “ coopération ” de Marie à l’œuvre de Jésus, à celle de ses “ ministres ”, au sacerdoce du Christ !!! Rien de moins !

« Pour en venir à cette goujaterie (pour nous, inadmissible), eux qui pensent sans cesse à s’égaler au Christ, sous prétexte d’être son corps, mais oui ! et allez donc ! cette goujaterie d’écrire : “ Ce rôle subordonné (sic !) de Marie (tout court, sans ses titres ni ses couronnes !), l’Église le professe sans hésitation ; elle ne cesse d’en faire l’expérience ; elle le recommande au cœur des fidèles », etc. Dites ce que vous voudrez, mais ceux qui parlent en ces termes, se donnant comme l’Église, ont envers la Très Sainte Vierge Marie une absence de tact, de vénération, de respect, d’amour qui est, ici, scandaleuse. » (Vatican II autodafé, éditions de la Contre-Réforme catholique, p. 128 et 129)

Durant les cent jours de cet immense labeur quotidien, « mon secours était d’interrompre cette étude, expliqua par la suite l’abbé de Nantes, pour revenir à la chapelle, et demander à notre Père Céleste comment il était possible que tous aient participé à ce vent de folie, même un Albino Luciani, le futur Jean-Paul Ier... et par quelle aberration ou “ désorientation diabolique ”, tous encore aujourd’hui et jusqu’à ces saints moines que je côtoyais, adhéraient à ce néochristianisme, cette gnose moderniste déjà condamnée par saint Pie X et par toute la tradition millénaire ? C’est alors que marchant le long de la rivière proche, me frôla comme un vertige l’idée, la tentation d’un suicide qui résoudrait l’insoluble problème ignacien “ quid agendum ? ” Que dois-je faire maintenant ?

« La réponse était : prier, travailler sans relâche, puis publier cette critique littérale, sans aucun autre souci que de la Vérité, en un livre au titre flamboyant comme d’un pamphlet : Vatican II, l’Autodafé... et laisser l’Église à son devoir, le mien étant à ce dernier essai achevé. » (La Contre-Réforme catholique no 329, janvier 1997, p. 2)

Non, le devoir de notre Père n’était pas tout à fait achevé, ainsi que le Bon Dieu le lui signifia par Mgr Daucourt, à l’issue de ces cent jours d’exil au cours desquels il était parvenu à unifier dans sa propre vie « la douceur de l’oraison, la saveur de la sagesse surnaturelle avec la polémique telle que les Pères de l’Église en ont toujours donné l’exemple ». Après s’être laissé conduire avec une entière docilité à un anéantissement total, sans un cri, sans une plainte, sans le moindre regard jeté en arrière... pour porter témoignage à la Vérité de la foi catholique, notre Père comprit que Hauterive n’était qu’une station d’un douloureux chemin de croix qu’il devait poursuivre, à nouveau à la tête de ses communautés, pour mener la Contre-Réforme sur laquelle Mgr Daucourt était sur le point de porter un coup fatal.

ANÉANTIR LA CRC.

Durant cet exil forcé à Hauterive, nos communautés appliquaient à la lettre ce que notre Père avait prévu pour elles dans un sermon d’adieu : « Je leur ai enseigné la doctrine de Jésus. Je leur ai donné l’amour de la Très Sainte Vierge. Je peux partir. Ils continueront sans moi. Et, en continuant sans moi, ils fermeront la bouche à tous mes calomniateurs. »

Mais Mgr Daucourt, une fois notre Père parti, se fit fort de “ mettre la main sur ses communautés ” qu’il lui avait pourtant confiées pour veiller sur elles, mais pas pour les disperser !

Première tentative, en septembre. Il intima l’ordre à chacun des frères et des sœurs soit de retourner dans le monde, soit d’entrer dans une autre communauté, soit de rester en communauté au titre d’une association de laïcs de fait, mais sous sa « vigilance », avec « enquête canonique » et tout ce qui s’ensuivrait. Le 12 septembre, tous les frères de la maison Saint-­Joseph et toutes les sœurs de la maison Sainte-Marie répondirent personnellement à leur évêque qu’ils voulaient continuer à vivre en communauté, mais dans les mêmes conditions. Pour ce qui me concerne, je l’avertissais que nous nous en tiendrions au statu quo observé jusqu’à présent par Mgr Le Couëdic, Mgr Fauchet et par lui-même durant les quatre premières années de son épiscopat sur le siège de Troyes.

Seconde tentative de ralliement de nos communautés, le 27 décembre. Mgr Gérard Daucourt nous écri­vit : « Frères et sœurs dans le Christ [...] je reste préoccupé par votre situation. Celle-ci ne saurait durer [...]. Pour ce faire, je dois continuer de remplir ma tâche d’évêque non pour détruire, mais pour vous aider. » Et de nous proposer la rencontre d’un moine ayant « une longue expérience de responsabilité au service des communautés monastiques ».

« Non pour détruire »... Le mot était révélateur d’intentions à peine voilées ce que je fis aussitôt remarquer à Mgr Daucourt dans une lettre datée du 2 janvier 1997. Je lui rappelais qu’un dimanche – c’était le 8 décembre 1996 – l’église de Saint-Parres-lès-Vaudes se révélant trop petite pour nous contenir, nous avions dû “ envahir ” sa cathédrale que lui avait désertée pour participer à une “ célébration œcuménique de la réconciliation ”, en l’église de Saint-Jean-de-Valence avec un orthodoxe, donc un schismatique, et un protestant, donc un hérétique.

Et j’enchaînais : « Voilà précisément le motif de notre défiance, Monseigneur. Il nous interdit de donner une “ confiante réponse positive ” à votre appel. Pendant que nous étions à pratiquer notre sainte religion catholique, en assistant à la messe de 11 heures dans votre cathédrale, vous étiez à célébrer ailleurs un autre culte qui n’est pas catholique. Voilà ce qui crée entre nous un dissentiment, “ une situation préoccupante ”. “ Elle ne saurait durer ”. C’est vrai. Pour notre bien et celui de l’Église, elle doit absolument être clarifiée. »

Puis je poursuivais ainsi : « Mais c’est une question qui dépasse de toute manière la compétence du moine que vous avez chargé de nous rencontrer. Il s’agit de savoir si nous sommes encore catholiques en refusant la religion du concile Vatican II que vous pratiquez, vous, non seulement sans aucune réticence, mais avec enthousiasme. Telle est la question qui doit être tranchée avant d’  entreprendre les démarches nécessaires pour nous soumettre aux normes canoniques ”. » Je lui avouais néanmoins mon incertitude quant à mon devoir et le prévenais que je me rendrai dès le lendemain à Hauterive, accompagné de notre frère Gérard, pour demander à notre Père si « notre obéissance devait aller jusqu’à laisser anéantir la Contre-Réforme catholique et à chanter avec tout le monde : “ Je crois en Dieu qui croit en l’Homme. ” » Sa réponse fut évidemment négative.

Mis au courant des desseins de Mgr Daucourt sur nos communautés, notre Père comprit qu’il ne pouvait plus persévérer, même au prix des plus glorieux sacrifices, dans son obéissance aux injonctions de son évêque sans se rendre complice de l’erreur qu’il avait si hardiment dénoncée dans sa nouvelle analyse des Actes de Vatican II. Son devoir lui apparut clairement : sortir de son exil et reprendre la tête des communautés et de la Contre-Réforme catholique. Le soir même de son retour à la maison Saint-Joseph, le 3 janvier 1997, il expliqua aux frères et aux sœurs réunis en chapitre : « Je reviens pour un dur chemin de croix que nous aurons à parcourir ensemble. Je suis rentré parce que je ne veux pas que leur bulldozer (Pape et évêques) écrase le dernier bastion de la foi. Tout leur est soumis, ils ne rencontrent plus aucun obstacle. Mais ici, nous disons : “ Stop, on ne passe pas ! ” »

LES MALADRESSES DE MGR DAUCOURT.

L’avertissement de notre Père visait au premier chef Mgr Dau­court qui ne manqua pas, en mars, d’ouvrir les hostilités et lâcher les “ bulldozers ” de la Réforme de l’Église à l’assaut de nos Maisons.... Mais un an plus tard, force fut de constater que les Petits frères et les Petits sœurs du Sacré-Cœur demeuraient plus que jamais unis, dans leurs maisons, par leur commune vocation d’un service supérieur de l’Église, autour de leur Père fondateur. Tandis que la Sacrée Congrégation pour la doctrine de la foi, sous les apparences d’une austère et sévère décision, rattrapait en fait les maladresses d’un zélé Mgr Daucourt prié, lui, de quitter le siège de Troyes pour prendre possession de celui d’Orléans, à défaut d’avoir mesuré la “ complexité ” de l’affaire “ de Nantes ”, la question bien délicate et fort embarrassante qu’elle soulève à Rome !

En effet, le 5 mars 1997, Mgr Daucourt adressa une première lettre à notre Père lui reprochant principalement « des doctrines demi-secrètes qui portent atteinte aux dogmes catholiques » ainsi que « des pratiques secrètes ou demi-secrètes contraires à la morale catholique ».

Puis le 10 mars, une seconde lettre dans laquelle votre prédécesseur livra le fond de sa pensée, sans détour, en toute sincérité, persuadé de disposer de la matière nécessaire pour enfin régler cette affaire. Se livrant à une recension du numéro 329 de La Contre-Réforme catholique publié en janvier 1997, il écrivit : « Je constate que vous maintenez les positions doctrinales que vous avez affirmées à maintes reprises dans vos écrits publics : les textes promulgués par le second concile du Vatican sont  humainement aberrants et dogmatiquement hérétiques  et vous en demandez la révision, la correction et la rétractation. Vous parlez d’une  gnose moderniste ”. Vous accusez la  Secte conciliaire voulant faire table rase de la foi catholique pour instaurer dans trois ans la nouvelle religion de Jean-Paul II ”. Vous réitérez l’accusation d’hérésie, de schisme et de scandale que dès 1965 vous avez portée contre concile, papes et auteurs de catéchismes. Vous proclamez que la religion catholique est incompatible avec la foi conciliaire. Et dans les dernières pages,  frère Gérard de la Vierge  dénonce  l’affrontement engagé depuis trente ans entre l’unique et vraie religion de l’Église une, sainte, catholique, apostolique et romaine et la religion de l’homme qui se fait Dieu proclamée par le funeste concile Vatican II ”. »

Sous menace d’interdit, Mgr Daucourt enjoignait notre Père à rétracter toutes ces accusations, à reconnaître « dans la doctrine du Concile l’expression de la vraie foi catholique », d’abandonner la direction des communautés, de résider en un autre lieu que Saint-Parres-lès-Vaudes et de cesser toutes ses activités en particulier la publication du bulletin La Contre-Réforme catholique.

D’une “ simple ” monition, Mgr Daucourt en vint à un précepte pénal daté du 9 mai qu’il confirma par décret le 1er juillet 1997 pour renouveler la suspense a divinis infligée par Mgr Le Couëdic le 25 août 1966 et interdire à notre Père, dans le diocèse de Troyes, l’accès aux sacrements d’eucharistie et de pénitence pour avoir « provoqué les fidèles à la contestation ou à la haine contre le Siège apostolique et l’autorité des évêques et, ainsi, suscité un grave scandale parmi les fidèles, tant par son attitude que par des écrits dans lesquels il dénonce obstinément comme entachés d’hérésie certains textes promulgués par le pape Paul VI et les Pères du second concile du Vatican, en reprochant à ceux-ci d’avoir introduit la religion de l’homme qui se fait Dieu à la place de l’authentique foi catholique, et dans lesquels il accuse d’hérésie, de schisme et d’apostasie le concile, le Pape et les évêques en communion avec lui jusqu’à déposer des libelles à l’encontre des papes Paul VI et Jean-Paul II. »

Notre Père se retrouvait exactement, ou presque, dans la même situation qui fut la sienne en 1966 vis-à-vis de Mgr Le Couëdic qui lui demandait de cesser toutes ses activités et de quitter le diocèse de Troyes. Mais avec cette différence que Mgr Daucourt donnait les vraies raisons de sa “ condamnation ” : son opposition à la réforme de l’Église engagée par le concile Vatican II.

NOUVEAU RECOURS À ROME.

Aussi notre Père prit-il la décision d’exercer des recours hiérarchiques contre le précepte pénal du 9 mai et le décret du 1er juillet 1997 de Mgr Daucourt. Condamné en définitive exclusivement pour son opposition au concile Vatican II et aux enseignements subséquents des papes Paul VI et Jean-Paul II, il en allait, non pas de la défense de sa personne, mais de la liberté au sein de l’Église de professer la foi catholique.

Comme la requête adressée le 16 juillet 1966 au cardinal Ottaviani, les recours exercés par notre Père en 1997 constituèrent la voie tout à la fois providentielle et canonique que lui offrait l’Église pour déférer à l’Autorité romaine l’examen doctrinal de l’ensemble de ses critiques des Actes du concile Vatican II, la Sacrée Congrégation pour la doctrine de la foi, dans le cadre de la communication officielle des pièces du dossier, se voyant remettre les trois livres d’accusation en hérésie, schisme et scandale de 1973, 1983 et 1993. Par ailleurs l’effet suspensif attaché à ces recours, outre la dispense des peines qui lui étaient infligées, donnait à notre Père la liberté de demeurer à la tête de ses communautés et de poursuivre toutes ses activités, c’est-à-dire la Contre-Réforme catholique, au milieu de l’Église.

La Sacrée Congrégation pour la doctrine de la foi refusa catégoriquement de se livrer à cet examen doctrinal que lui imposaient pourtant les sanctions canoniques édictées par Mgr Daucourt et surtout les motifs avancés par ce dernier pour les justifier. Il s’agissait simplement pour elle de replacer l’abbé de Nantes dans la situation dans laquelle il se trouvait avant que Mgr Daucourt ne se mêle “ maladroitement ” de cette affaire. Rien de plus, rien de moins ! Comme s’il ne s’était rien passé !

Par une lettre datée du 24 mars 1998 adressée à l’évêque de Troyes, le cardinal Bertone, au nom du dicastère romain, confirma « pour un temps indéterminé, la mesure de suspense a divinis adoptée par vous vis-à-vis de ce prêtre ». Exit donc l’interdiction d’accès « au sacrement de l’eucharistie et de la pénitence dans le diocèse de Troyes ».

Et à ceux adoptés par Mgr Daucourt pour fulminer les sanctions canoniques à l’encontre de notre Père, le même cardinal substitua de tout autres motifs. Non plus son opposition au concile Vatican II, mais : « Récemment il a été signalé à cette Congrégation que l’Abbé de Nantes – après être retourné dans le diocèse de Troyes désobéissant aux dispositions de son ordinaire – continue à diffuser, à travers sa prédication, des doctrines erronées consistant en une conception sensualiste de l’eucharistie et en la notion d’un présumé  mariage mystique entre le Christ et Marie . Il est en outre accusé d’avoir pris le risque de traduire de telles théories en comportements moraux inadmissibles de la part d’un prêtre. » Exit donc les critiques de notre Père à propos des Actes du Concile et de ses accusations en hérésie, schisme et scandale contre les papes Paul VI et Jean-Paul II. De tout cela, il ne fut plus question.

Restait à la Sacrée Congrégation pour la doctrine de la foi un ultime mensonge pour définitivement sceller sa forfaiture et se défaire d’un dossier dont elle ne voulait rien connaître, et ce à aucun prix.

En effet, elle en viendra à soutenir que dans cette affaire elle serait intervenue en tant que défenseur de la vérité de la foi et de l’intégrité des mœurs et non pas en tant que juge des délits contre la foi et des délits les plus graves en matière de mœurs et de célébration des sacrements pour en déduire que dans sa lettre du 24 mars 1998, elle se serait bornée à confirmer Mgr Daucourt, pour son information et sa gouverne personnelle, exclusivement dans son jugement négatif à propos des écrits et des activités de l’abbé de Nantes.... L’argument est insoutenable.

Les recours formés par notre Père avaient nécessairement saisi la Sacrée Congrégation pour la doctrine de la foi de l’ensemble des dispositions, y compris pénales, prises à son encontre par Mgr Daucourt. Et loin de se limiter à donner un simple avis sur ses écrits et ses activités, le dicastère romain a confirmé avec autorité et pour un temps indéterminé, la suspense “ a divinis ” qui frappait notre Père depuis l’année 1966 et que Mgr Daucourt avait renouvelée.

Mais enfin, pourquoi soutenir contre vents et marées n’avoir rendu qu’un simple avis ? Tout simplement pour neutraliser le recours que l’abbé de Nantes forma devant le Tribunal suprême de la Signature apostolique, compétent pour se prononcer sur les décisions, au sens canonique du terme, rendues par les différents dicastères romains, mais pas sur ce qui pourrait être assimilé à de simples avis. Et voilà le tour était joué... sauf que...

Si aucune décision n’a vraiment été rendue sur les recours exercés par l’abbé de Nantes contre les décrets pris à son encontre par Mgr Daucourt et ainsi qu’en a jugé la Signature apostolique, il faut alors être logique jusqu’au bout et en conclure que notre Père a bénéficié, et jusqu’au dernier souffle de sa vie, de l’effet suspensif desdits recours. Il s’est donc éteint sous les effets d’aucune sanction canonique régulière, ainsi que je l’ai d’ailleurs écrit dès les premières lignes de cette lettre.

Mais surtout – et c’est cela en fait qui est important – à l’issue de toutes ces procédures canoniques, force est de constater qu’aucune décision, aucune erreur doctrinale, aucune sanction canonique n’a été rendue, relevée, prononcée vis-à-vis de notre Père à propos de ses critiques des actes du concile Vatican II et de ses accusations en hérésie, schisme et scandale à l’encontre des papes Paul VI et Jean-Paul II. Comme en 1969, ce silence, signe de l’indécision de la Sacrée Congrégation pour la doctrine de la foi, est la preuve négative de la vérité des accusations de notre Père et de l’indéfectibilité de l’Église.

SERVITEUR SOUFFRANT.

Les dernières années de la vie de notre Père furent d’une grande fécondité mystique. En particulier, du fait d’une dévotion redoublée, d’un amour embrasé pour l’Immaculée Conception. « Il est pour moi, pour nous, dès maintenant certain et d’une vérité qui ne passera pas, que tous ceux qui brûlent d’amour pour l’Immaculée, de dévouement eucharistique et marial et de service de toutes les causes qu’Elle patronne, sont déjà par grâce inouïe de la très Sainte Trinité, prédestinés, élus et promis par sa médiation à la Vie éternelle du Ciel. » (20 août 1997) Une nouvelle retraite sur la “ circumincessante charité ” toute biblique et relationnelle, à la recherche de la Geste divine révélée dans les Saintes Écritures pour y découvrir le secret du Cœur de Dieu, qui est de l’avoir conçue, Elle ! la première, depuis toujours... est l’occasion pour notre Père de nous préparer à nous consacrer à l’Immaculée Conception, comme de purs instruments entre ses mains.

C’est l’amour de l’Immaculée qui donnera à notre Père les forces spirituelles nécessaires pour faire face aux dernières grandes épreuves, en particulier celle d’assister à l’aggravation de la maladie de sa sainte Mère l’Église dont l’effondrement se poursuit de façon “ prodigieuse ”, sans perception du moindre signe et donc d’espoir d’une guérison, d’un redressement et même d’une résurrection. Néanmoins notre Père ne manquera jamais à la vertu d’espérance, puissamment soutenu à partir de l’année 2000, grâce à la publication par le pape Jean-Paul II de la troisième partie du grand secret que Notre-Dame confia à Fatima le 13 juillet 1917 à Lucie, François et Jacinthe.

Message sous forme de révélation symbolique, par laquelle la Sainte Vierge fit notamment apercevoir le Saint-Père qui, gravissant une montagne escarpée, traversait « une grande ville à moitié en ruine et, à moitié tremblant, d’un pas vacillant, affligé de douleur et de peine, il priait pour les âmes des cadavres qu’il trouvait sur son chemin ; parvenu au sommet de la montagne, prosterné à genoux au pied de la grande Croix, il fut tué par un groupe de soldats qui lui tirèrent plusieurs coups et des flèches [...]. »

Notre Père avait travaillé toute sa vie et de toutes ses forces au renouveau de l’Église, sans le moindre résultat, du moins apparemment... et avait décidé de s’en remettre totalement à l’Immaculée ! Et voilà qu’Elle révélait par qui Elle accomplirait la résurrection de l’Église. Notre Père eut, en effet, l’intuition que le saint pape Jean-Paul Ier, au si bref pontificat, était un figuratif du “ Saint-Père ” dont Lucie, François et Jacinthe furent les témoins privilégiés du destin tragique. Il en ressentit un grand et puissant réconfort. « Par son beau Secret, Notre-Dame a véritablement rendu à notre affection, à notre admiration, à notre culte, ce bon Pasteur si sage, si sage, débordant de sollicitude pour son troupeau, attirant déjà tout à lui pour guérir le monde de ses folies, avec humour et délicatesse... »

Enfin l’ultime épreuve de notre Père fut le “ martyre ” d’une longue et pénible maladie, celle de Parkinson, diagnostiquée le 20 décembre 2001. Il accepta sereinement le verdict : « Je sais maintenant ce qui m’attend », dira-t-il sur le moment. Et l’année suivante il expliquera : « C’est vraiment une mort ! Petit à petit, les frères me remplacent pour tout. Mais aussi, quelle grâce que cette intime collaboration entre nous. » Il se rend compte que “ sa tête s’en va ”. Il a de plus en plus de mal à s’exprimer... et va devoir progressivement abandonner toutes ses innombrables et prodigieuses activités intellectuelles pour tenir dans sa chapelle de malade ce bien utile office tout fait de sacrifices et de renoncements pour le seul amour du Bon Dieu et de sa très Sainte Mère. « Le Bon Dieu veut cette maladie dont l’évolution sera inexorable. Ce sera une grande épreuve. Mais cette épreuve est une grâce... »

Son âme semble plongée dans la nuit. « Je cherche mes lumières », me dit-il un jour, c’était le 15 mars 2003. En effet, toute sa vie, nous l’avons entendu dire qu’il était assisté par des lumières particulières pour parler et écrire, et nous en avons été les témoins. Mais puisqu’il nous avait tout donné, il n’avait plus besoin de ses lumières. Mais il demeurait présent parmi nous, avec toute sa résignation. Ce fut le plus beau ! Et il regardait la Sainte Vierge ! Comme toujours elle lui redonnait courage. « En disant : “ maintenant et à l’heure de notre mort... ”, je médite sur ma mort ; ma mort, c’est une seule chose, un seul acte de ma vie, mais un acte d’une importance écrasante. Pour moi, j’aime bien ces derniers mots de l’Ave Maria, parce qu’ils terminent d’avance le dernier Ave Maria que je veux être ma dernière prière... »

C’est dans ces dispositions spirituelles que notre Père rendit sa belle âme à Dieu, le 15 février 2010 à l’issue de six longues années au cours desquelles la maladie l’avait privé de toutes ses facultés d’expression. Il ne pouvait plus parler, plus bouger à l’exception de ses yeux, permettant ainsi que la beauté, la bonté et l’intelligence de son visage, de son regard ne soient jamais altérées. Notre Père vécut sur son lit de malade ce qu’il avait prêché toute sa vie : malgré son état de déréliction, de grande humiliation et souffrance, il fit preuve d’une patience, d’une sérénité inaltérables, et ce jusqu’à son dernier souffle pour le salut des âmes auquel il a consacré et sacrifié toute sa vie, se conformant ainsi parfaitement aux demandes de Notre-Dame de Fatima.

« MORT, IL PARLE ENCORE ! »

Même silencieux, même mort, l’abbé Georges de Nantes, notre Père, parle encore. Dès l’année 2009, nous avons publié ses écrits rapportés de son exil forcé à Hauterive, sous le titre Vatican II Autodafé pour livrer à nos amis, à notre petit public, à tous ceux qui veulent bien s’enquérir de la vérité, cette lecture cursive des Actes du Concile servie par une plume très libre, très vive, très acérée pour lever le voile de cette mystification que constitua ce synode aux allures d’assemblée parlementaire au sein duquel souffla un esprit, c’est trop certain, mais lequel ?

C’est parce que l’Église est notre Mère que nous ne voulons, et sous aucun prétexte, nous en séparer et encore moins prétendre à la sauver ; que nous voulons, au contraire, embrasser toute sa doctrine, nous confier à sa prière, à ses sacrements, nous soumettre à sa discipline, sainte, juste et bonne dans sa tradition sûre et séculaire ; c’est parce qu’elle est notre Mère que nous dénonçons et refusons, à notre tour à la suite de notre Père, le principe même d’une prétendue réforme permanente de l’Église engagée, en son sein, à marches forcées dès l’année 1965, lui imposant outrageusement son “ ouverture au monde ” avec, à la clef, la falsification des dogmes, le bouleversement de la liturgie sacrée et l’anéantissement de la morale et du droit catholiques, en rupture avec le Magistère traditionnel, qu’il soit ordinaire ou extraordinaire, mais toujours infaillible.

Faisant le constat de ce que les critiques publiques de l’abbé de Nantes contre les Actes du concile Vatican II, ses accusations en hérésie, schisme et scandale à l’encontre des enseignements subséquents des papes Paul VI et Jean-Paul II, n’ont, en définitive et en tant que telles, donné lieu à aucune réponse, aucune condamnation doctrinale et encore moins canonique, nous sommes fondés à nous maintenir en état de suspicion légitime et en soustraction d’obédience vis-à-vis des auteurs et de leurs complices de cette réforme de l’Église jusqu’à ce que vérité et justice soient rendues, dans la charité et selon Dieu, par définitions dogmatiques accompagnées de peines, prononcées par le Souverain Pontife en personne ou par un concile Vatican III réparateur que nous appelons de nos vœux, se prononçant avec l’autorité de leur magistère solennel, et jugeant selon les coutumes et les lois de l’Église, sur ce culte de l’homme misérablement associé au culte de Dieu, et sur cette révolution permanente destructrice de la sainte, de l’unique Tradition catholique et apostolique.

« Est-ce à dire que nous préconisons un simple retour en arrière ? » comme l’écrivait notre Père en introduction d’une préparation systématique d’un concile Va­tican III, un concile de réconciliation ca­tholique (La Contre-Réforme catholique no 51, décembre 1971, p. 7).

Question à laquelle il répondait ainsi : « Retrouver à l’aiguillage de 1962 la vraie direction, oui, mais pour foncer et rattraper le temps perdu. Les questions débattues sont nouvelles, en partie du moins, et elles nous contraignent à résoudre des difficultés que les anciens ne connurent pas. Notre catholicisme aura ainsi des progrès théologiques et institutionnels à faire ; il y trouvera son caractère, sa forme bien à lui, pour le vingtième siècle [et le vingt et unième...], mais dans la continuité des époques et des générations. Nous ne voulons pas “ revenir ” à Vatican I, ni au concile de Trente ni à celui de Nicée ! Nous voulons que Vatican III décante Vatican II, isole et élimine son poison. Nous voulons sauver la Tradition et la plupart des traditions dont l’Église a si bien vécu, des siècles durant. Mais il marquera ainsi un progrès et définira les formes du catholicisme d’aujourd’hui. L’Église sortira de cette formidable épreuve, comme toujours, plus forte et plus belle, plus sainte et plus conquérante que jamais. » (ibid.)

C’est dans cette perspective que notre Père a ouvert les voies d’une “ réforme de la réforme ”, sage et prodigieuse, savante et enthousiasmante, et ce dans toutes les disciplines de notre sainte, unique et vraie religion, qu’elles soient théologiques, exégétiques, mystiques, métaphysiques, philosophiques, morales et même politiques et historiques.

Pour ne donner qu’une idée sur leur étendue : une étude sur une théologie kérygmatique revenant à l’annonce franche de la Parole de Dieu sur laquelle les Apôtres ont fondé l’Église le lendemain de la Pentecôte pour préparer une esthétique mystique dont le point de mire est « la recherche d’une voie ouverte, praticable, vers Dieu, d’union à Dieu possible, parlante et sûre ». Pour une compréhension plus élevée de ce que notre Père appelait notre “ ligne de crête ”, il entreprit le récit historique des grandes crises de l’Église dont il sut tirer les leçons d’un « traditionalisme intelligent » qu’il sut aussitôt mettre en pratique dans une étude des sacrements. Donnée au moment où faisait rage la controverse qui enflammait les cœurs et surtout les passions à propos de la “ nouvelle messe ”, le Père Congar loua publiquement la valeur de cette étude tandis que les membres de la Commission doctrinale ne surent apparemment en tirer aucun profit... tant pis pour eux !

Une lumière reçue en entrant en théologie dogmatique au séminaire à propos de la notion de personne illumina toute la vie de notre Père et le conduira à réorganiser tout le savoir humain en définissant l’être privilégié qu’est la personne humaine par ses relations d’origine. Il s’agit de démontrer à l’homme qu’il n’est pas le centre de l’univers ni son terme, qu’il n’est pas à lui-même sa propre fin. Mais qu’étant créature de Je suis, il est appelé par lui à s’accomplir et à se sauver en faisant corps avec ses frères humains, dans le corps du Christ, à la louange de la gloire de Dieu. Ce sera tout l’enjeu de cette métaphysique relationnelle de notre Père qui se prolongera en une démonstration apologétique qui décrit l’ordre de l’univers sous la lumière de cette certitude de la présence de Dieu sans cesse agissante dans sa création pour la poser dans l’être et en orienter le développement selon une “ orthodromie ” divine. Notre Père scruta ainsi l’histoire universelle pour en découvrir la force axiale : du big-bang originel à la révélation de Jésus-Christ où Dieu déclare son amour, à la fondation de l’Église et au retour de toute la création à Dieu, en Elle et par Elle, dans l’amour.

Bref, un enseignement tiré des trésors de l’Église et entièrement dévolu à son service et même à sa disposition lorsque l’heure de la Contre-Réforme, de la Renaissance catholique sonnera à l’horloge de Saint-Pierre. D’ici là, cette œuvre prodigieuse que notre Père nous a laissée en dépôt, à nous Petits frères et Petites sœurs du Sacré-Cœur, et qu’il nous faut faire fructifier, nous engage à aimer plus que tout le Bon Dieu, Notre-Seigneur Jésus-Christ, sa Très Sainte Mère, la Vierge Marie et l’Église.

Mais il vous faut réaliser, Monseigneur, que nos communautés, même délaissées à la dernière place, même dépourvues de tout statut canonique et vivant simplement sous l’autorité d’une règle provisoire rédigée en 1957, ne font jamais perdre la foi en l’Église à ceux qui veulent bien nous suivre dans notre combat de Contre-Réforme. Au contraire, elles fortifient leur amour, leur admiration de l’Église, et pas seulement celle d’autrefois, et les dissuadent de désespérer de cette Réforme qui les tente d’abandonner toute pratique religieuse ou de se retrancher dans des chapelles intégristes. Nos communautés, par la régularité de leur vie religieuse, par la prière et l’enseignement de notre Père les aident à garder une confiance surnaturelle en l’Église et en ses légitimes pasteurs. En toute occasion et malgré notre différend doctrinal, nous prenons part à tout service liturgique ou paroissial célébré par les ministres du Culte en communion avec l’ordinaire du lieu et nous demandons à nos amis de faire de même en restant “ fidèles ” à leurs paroisses, à leurs curés auprès desquels beaucoup d’entre eux n’hésitent pas à se dévouer dans le seul souci de servir l’Église.

Monseigneur, il me semble vous avoir écrit l’essen­tiel à propos de “ l’affaire de Nantes ” et de la meilleure place, c’est-à-dire la dernière, qu’entendent tenir les communautés des Petits frères et des Petites sœurs du Sacré-Cœur et la Communion phalangiste formant leur tiers ordre, au milieu de l’Église. Je voudrais achever cette lettre en partageant avec vous la joie d’apprendre les trois signes prophétiques donnés par l’Église et qui procureront une pluie de grâces et de miséricordes pour les âmes voulant s’approcher de Dieu.

VERS LE TRIOMPHE 
DU CŒUR IMMACULÉ DE MARIE

Premier signe : la canonisation du Père Charles de Foucauld à propos duquel notre Père expliquait à ses premiers frères dans une lettre datée du 11 novembre 1961 : « Son cœur brûlait d’un amour de Jésus neuf et passionné. Amour qui n’est pas de l’homme, mais de l’ange, par sa simplicité, par sa force et par sa pureté, car il ne se nourrira de rien de terrestre. Le mystère de cette âme est là. Réalisant en un instant les plus hautes exigences de la sainteté chrétienne, elle n’a qu’un Bien-Aimé, un Modèle Unique, à qui se livrer sans autre recherche. Pas de spéculations curieuses, pas de travaux intellectuels remarquables où d’autres se divertissent de l’aride contemplation ! Nulle pente imaginative vers des formes de vie enthousiasmantes ou des actions d’éclat... Rien que Jésus dont l’humble et douce présence dans l’Hostie est toute la raison d’être de son pauvre serviteur, l’esclave racheté au prix du sang, Charles de Foucauld ! »

Deuxième signe : la béatification du pape Jean-Paul Ier. Dès le lendemain de sa mort survenue tragiquement dans la nuit du 28 au 29 septembre 1978, notre Père écrivait : « Personne ne conteste que tout fut saint durant les trente-trois jours de son pontificat ; édifiant, consolant, et doux à méditer aujourd’hui. Depuis ce dessin de Chemin de Croix que lui offre le cardinal Felici, le vendredi 26 août au soir, quand déjà la majorité des voix est atteinte, jusqu’à cette nuit du 28 septembre où, l’heure venue, ses mains reposent le livre de chevet désormais inutile, son Imitation de Jésus-Christ. Entre l’une et l’autre journée, la charité d’un don de soi continuel à l’Église, car “ en elle seule se trouve le salut : sine illa peritur ! sans elle, on périt ! ” (discours du 27 août), dans le sourire du visage et l’agonie du cœur, celle qu’il avouait deux jours plus tôt à des enfants qui rêvaient d’être Pape comme lui ! “ Mes enfants, la croix du Christ est vraiment trop lourde [...]. 

« Pour moi j’interprète la mort de Jean-Paul Ier comme un holocauste accepté par Dieu pour le salut de son Église et la paix du monde. Comme l’autre mort mystérieuse, celle du patriarche de Leningrad [Mgr Nikodim], dans le bureau, dans les bras mêmes du Pape, absous par lui, me paraît le signe prophétique de la conversion de la Russie par le retour des communistes à la foi véritable et la réunion des Orientaux schismatiques à l’Église romaine. Car Nikodim était communiste, agent du KGB, devenu par grâce fervent orthodoxe, pris par le jeu de ses fonctions internationales à désirer ardemment cette unité chrétienne que Dieu lui a donné de vivre dans sa mort, venue mettre un sceau d’authenticité à ses dernières paroles, paroles d’amour pour l’Église.

« De telles morts n’ont rien qui doive épouvanter. Au contraire, elles parlent de divine miséricorde, et de ce temps de paix qu’à la prière du Cœur Immaculé notre Père du Ciel donnera au monde, par la conversion de la Russie et par la reconnaissance et l’expansion universelle de la foi catholique romaine au grand labeur du Soleil. » (La Contre-Réforme catholique no 134, octobre 1978, p. 2)

Enfin, troisième et dernier signe : la consécration de la Russie au Cœur Immaculé de Marie, le 25 mars dernier, par le pape François en union avec les évêques du monde entier, comme Notre-Dame, le 13 juillet 1917 à Fatima, avait annoncé qu’elle la demanderait et ce qu’elle fit ensuite le 13 juin 1929 à Tuy auprès de sa confidente, sœur Lucie. « À la fin mon Cœur Immaculé triomphera. Le Saint-Père me consacrera la Russie qui se convertira et il sera donné au monde un certain temps de paix. »

Veuillez agréer, Monseigneur, l’expression de mes sentiments religieux et dévoués et daignez accorder votre paternelle bénédiction à tous les Petits frères et Petites sœurs du Sacré-Cœur,

Frère Bruno de Jésus-Marie