Il est ressuscité !

N° 244 – Juin 2023

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


CAMP NOTRE-DAME DE FATIMA 2022

“ Sainte Église notre Mère ” 
Vatican II, la ruine de l’Église

POUR comprendre la funeste orientation prise par le concile Vatican II dès son ouverture, il faut remonter au début du vingtième siècle, précisément aux avertissements pathétiques du pape saint Pie X qui condamna le modernisme. L’abbé de Nantes écrit : « Il n’y a de secte dans l’Église qu’une seule, partie de rien il y a un siècle, devenue partout maîtresse aujourd’hui. Saint Pie X l’avait démasquée et exécrée après en avoir étalé toute la perfidie, dans son encyclique Pascendi dominici gregis du 8 septembre 1907. Contre elle, il avait dressé le barrage formidable du serment antimoderniste imposé à toute entrée en charge dans l’Église. À jamais marquée d’infamie, la secte n’a subsisté qu’en s’installant dans le secret et le parjure. Tous ses affidés prêtèrent un serment de fidélité à des dogmes auxquels ils ne croyaient pas, et cela jusqu’à la suppression... C’était un conglomérat de prêtres et d’évêques, de théologiens et de philosophes, de savants et de journalistes, en principe “ chrétiens ”, en fait rationalistes ou fidéistes, les uns franchement athées ou agnostiques, les autres illuminés, charismatiques, tous libéraux, tous démocrates, ayant pour trait commun une ouverture passionnée à tout ce qui est ennemi de l’Église et une fermeture haineuse à leurs frères catholiques, fervents défenseurs de la foi. C’était, c’est toujours la franc-maçonnerie de l’Église. » (CRC n° 223, juin 1986, p. 1)

De fait, malgré toutes les mesures prises pour extirper le modernisme, saint Pie X n’arriva à le juguler que partiellement, à tel point que dix ans plus tard, sous le pontificat de Pie XI, le cardinal Billot, très informé de la duplicité des modernistes, se déclara très opposé à la réunion d’un Concile. Il prévoyait que cette assemblée deviendrait pour eux une formidable tribune, leur permettant de répandre leurs hérésies dans toute l’Église.

« Voici la raison la plus grave qui me paraît militer de façon absolue pour la négative, écrivait-il. La reprise du concile Vatican Ier est désirée par les pires ennemis de l’Église, autrement dit les modernistes, qui s’apprêtent déjà, les indices les plus certains en font foi, à profiter des États généraux de l’Église pour faire la révolution, le nouveau 1789, objet de leurs rêves et de leurs espérances. »

Les successeurs de saint Pie X, Benoît XV et Pie XI, renouèrent avec la politique de son prédécesseur Léon XIII. Pie XI passa systématiquement des accords avec les gouvernements francs-maçons et persécuteurs, tandis qu’il désavouait et même condamnait les mouvements contre-révolutionnaires. Pour imposer sa politique, il renouvela les épiscopats, nommant des évêques qui lancèrent et développèrent son Action catholique spécialisée, d’esprit et de méthode démocratiques. C’est ainsi que les démocrates-chrétiens accédèrent à nouveau à de hauts postes ecclésiastiques et « il est impossible d’être libéral et démocrate sans entretenir d’intimes sympathies et complicités avec l’ennemi et se laisser gagner insensiblement par le modernisme. “ Nul ne peut servir deux maîtres ”, nul ne peut prétendre plaire au Christ-Roi et au Peuple-Roi, à l’Église et à la franc-maçonnerie, à Dieu et aux Sans-Dieu. Il faut à certaines époques être martyr ou parjure. » (CRC n° 97, octobre 1975, p. 5)

« Après quarante ans de cheminement souterrain, travail de taupes, la secte refait surface à la faveur des événements de 1944, Libération-révolution, tripartisme et terreur de l’épuration. Avec la gauche au pouvoir, le modernisme impose ses hommes et ses idées dans l’Église. À nouveau héroïquement dénoncée et réprouvée par Pie XII, par l’encyclique Humani generis du 12 août 1950, ses épigones réduits au silence et dispersés, la secte prépare méthodiquement sa revanche, de concert avec ses aides extérieures habituelles, elles-mêmes déjà dominantes, le judaïsme, la franc-maçonnerie, le protestantisme et le capitalo-socialisme international. Étranges appuis pour les grands théologiens et les généreux apôtres de l’Évangile nouveau ! » (CRC n° 223, p. 1)

Malheureusement, Pie XII eut la faiblesse de ne pas condamner nommément les théologiens novateurs et hérétiques, tels Congar et de Lubac, qui relevèrent la tête sous le pontificat de son successeur Jean XXIII, dont ils n’avaient rien à craindre puisqu’il partageait plusieurs de leurs erreurs. Sous le pontificat de saint Pie X, don Roncalli avait été suspecté de modernisme et, à Rome, la Consistoriale, c’est-à-dire la congrégation romaine des diocèses, avait ouvert un dossier contre lui. Lorsque avec le recteur et l’économe du séminaire de Bergame, don Roncalli fut reçu, le 2 juin 1914, par le cardinal de Laï, secrétaire de ladite congrégation, celui-ci lui fit une sévère monition : « Professeur, je vous recommande attention et prudence dans l’enseignement des Écritures. Prenez garde ! Prenez garde ! » (Dreyfus, Jean XXIII, éd. Fayard, 1979, p. 53)

Alors que le pape Pie XII avait renoncé en 1951 à convoquer un Concile, des cardinaux le jugeaient absolument nécessaire tant le dogme de la foi était attaqué par le néo-modernisme et son foisonnement d’hérésies.

Après la mort de Pie XII, en 1958, au conclave, dans la nuit du 27 octobre, les cardinaux Ottaviani et Ruffini, tous deux conscients des graves menaces qui pe­saient sur l’Église, visitèrent dans sa chambre le cardinal Roncalli dont l’élection sur le trône de Pierre paraissait désormais assurée. Ils lui suggérèrent de mettre au programme de son ponti­ficat la réunion d’un Concile œcuménique. Six jours plus tard, le 2 novembre, le cardinal Ruffini en parla de nouveau à Jean XXIII : « Le premier document, indique Hebblethwaite, faisant mention d’un Concile date du 2 novembre : après avoir reçu en audience le cardinal Ruffini, [le pape] Jean note qu’ils ont discuté de la possibilité de convoquer un Concile. » (Hebblethwaite, Jean XXIII, le pape du Concile, éd. Le Centurion, 1988, p. 312-313 ; 339). Ainsi la réunion d’un Concile lui fut-elle demandée par des cardinaux conservateurs comme un remède à l’apostasie envahissante.

JEAN XXIII DÉCRÈTE 
L’AGGIORNAMENTO DE L’ÉGLISE

Cependant, Jean XXIII voulut que sa décision de convoquer un Concile apparaisse publiquement comme une idée tout à fait personnelle, et même une lumière du Saint-Esprit, dont il disait avoir été privilégié. Mais il a donné tant de versions diverses et contradictoires des cir­constances de cette prétendue “ inspiration ”, tant sur son lieu que sur sa date, que Peter Hebblethwaite, son biographe, et hagiographe ! en vient à expliquer : « Sa mémoire lui jouait certainement des tours, mais le processus totalement inconscient (sic) de relecture de ses souvenirs met en lumière ce qu’il voulait que l’on croie à propos du Concile plutôt que ce qui s’est exactement passé. » (p. 348)

L’illuminisme de Jean XXIII lui permit de s’éloigner des préoccupations réactionnaires des deux cardinaux conservateurs et de fixer à l’assemblée œcuménique des buts novateurs.

En effet, le discours du pape Jean XXIII pour l’ouverture du concile Vatican II, le 11 octobre 1962, répondit aux vœux des modernistes, en donnant à l’assemblée « trois directives, vagues, flatteuses et follement prometteuses : réforme de l’Église, dialogue œcuménique, ouverture au monde. Déjà l’intégrisme avait tort, remarque l’abbé de Nantes, et tout ce qui opposerait un frein à ce mouvement généreux serait considéré comme désagréable et inopportun. La prime serait accordée à tous les programmes marqués de l’audace et de la nouveauté :

– le changement des formules et des institutions... alors, songez à la mise en feu des imaginations réformatrices !

– l’autocritique de l’Église et la réhabilitation des dissidents... jusqu’où iraient dans cette voie les irresponsables soucieux de plaire aux observateurs, tout proches dans leur tribune !

– la reconversion de l’Église au service de l’Homme moderne et de la Cité terrestre... et cette exaltation des valeurs humaines ne connaîtrait plus de bornes ! » (Lettre à mes amis n° 184 du 25 septembre 1964)

« Chose étonnante, observait notre Père, il ne s’est trouvé personne pour s’opposer dès le principe à un tel programme. Tous ont accepté d’entreprendre cette œuvre pour laquelle ils n’avaient nulle compétence juridique ni lumière divine, œuvre qui n’était pas à tenter ni même à désirer. Ainsi se sont-ils égarés dans des voies de perdition, et avec eux toute l’Église. » (CRC n° 1 du 11 octobre 1967, p. 6)

L’abbé de Nantes a relevé pas moins de huit hérésies dans ce discours du 11 octobre 1962. Gardons sa dénonciation du modernisme de Jean XXIII et de son porte-plume, le cardinal Montini, futur pape Paul VI. Nous mettons les paroles du Pape en caractères gras italiques.

« “ Il faut présenter notre doctrine certaine et immuable de la façon qui répond aux exigences de notre époque ”, c’est la cinquième hérésie.

« Comment cela peut-il se faire sans trahir le “ dépôt de la foi ” ?

« Ici, c’est Montini qui a repris la plume, pour dire carrément le principe clef de l’entreprise : “ En effet (dit-il, comme si cet “ en effet ” avait la moindre valeur d’explication)... En effet, autre est le dépôt lui-même de la foi, c’est-à-dire les vérités contenues dans notre vénérable doctrine (j’aimerais mieux le mot théologique “ inviolable doctrine ”, juste avant qu’on vous explique comment la violer sans douleur et sans cris !), et autre est la forme sous laquelle ces vérités sont énoncées ”, avec une queue de phrase mal soudée à l’ensemble, mais évocatrice de chirurgies inquiétantes : “ en leur conservant toutefois ( !) le même sens et la même portée ”. C’est sûr ? Oui ? Vous vous en portez garant ?

« Vade retro, moderniste condamné depuis cent ans par un saint aux lumières victorieuses de vos ténèbres de Satan. Ce que vous voulez, c’est paraître respecter l’Église, oh oui ! la vénérable Église, la virginale Église, mais lui changer son corps. Pour en faire un objet de plaisir au goût et selon les exigences du monde et de son Prince qui n’a de volonté depuis le commencement que de la violer sous les yeux du monde entier avec la bénédiction de son Chef ! » (Autodafé, éd. CRC, p. 51)

Le 11 octobre 1962, après la messe solennelle, le Pape s’agenouilla pour prononcer, comme l’exige le droit canon, une profession de foi. Ce n’était pas la nouvelle formule préparée par le cardinal Ottaviani, pro-préfet du Saint-Office, et reprenant la condamnation des erreurs réprouvées dans Humani generis. Jean XXIII avait voulu garder l’ancienne, mais amputée du serment antimoderniste. Le Souverain Pontife et les autres Pères conciliaires, écrit l’abbé de Nantes, « prononcèrent certes “ la profession tridentine ”, antiprotestante, mais ils s’affranchirent de l’obligation du serment antimoderniste, celui qui rendait parjures un certain nombre d’entre eux depuis un certain nombre d’années et de prestations de serment mensongères ». (CRC n° 253, mars-avril 1989, p. 3)

De plus, le Pape dispensa les 244 experts (periti) nommés le 28 septembre 1962 de prêter le serment antimoderniste. « C’est un crime », écrivait l’un d’eux, Mgr John Clifford Fenton, de l’université catholique de Washington. Ce dernier s’alarmait de voir les évêques pris en main par des néomodernistes. Le 19 octobre, il notait dans son Journal : « Depuis la mort de saint Pie X, l’Église a été dirigée par des papes faibles et libéraux, qui ont truffé la hiérarchie d’hommes indignes et stupides. Ce Concile rend cela très évident. » (Giuseppe Alberigo, Histoire du concile Vatican II, t. 2, éd. du Cerf, 1998, p. 117)

L’ADMONESTATION DE MGR BLAISE MUSTO (3 DÉCEMBRE 1962)

MGR Musto, évêque d’Aquino,  en Italie, intervint dans l’aula conciliaire le 3 décembre 1962 pour dénoncer la manœuvre des réformistes qui altéraient et changeaient la doctrine sous prétexte de promouvoir une nouvelle pastorale :

« J’ai été ému par les propos de certains Pères contre le schéma De Ecclesia, auquel on reproche de ne pas avoir un caractère pastoral et missionnaire. Cette critique, portée contre les schémas dogmatiques ou doctrinaux dès les premiers jours du Concile, dure encore jusqu’à plus soif. Ceux qui tiennent de tels propos semblent ne pas bien connaître la nature de leur charge pastorale qui comporte assurément, en tout premier lieu et le plus possible, le devoir de transmettre aux chrétiens la vérité originelle et, une fois transmise, de la protéger, surtout à notre époque où des ennemis d’un nouveau genre s’acharnent à renverser de fond en comble l’ensemble du système dogmatique avec des procédés les plus subtils.

« Si quelqu’un soutient que les constitutions du Concile doivent avoir un caractère pastoral, et cela pour tendre subrepticement à faciliter la réunion avec les frères séparés, qu’il sache qu’un artifice de cette sorte ne correspond ni à la mission ni à la manière d’agir de l’Église.

« Nous adjurons avec véhémence ceux qui affirment que le schéma De Ecclesia doit être complètement refondu par la commission mixte récemment élue par l’autorité du Souverain Pontife. Des raisons objectivement solides manquent pour agir ainsi.

« On a affirmé que l’Église doit être présentée comme servante de tous ceux qui ont été rachetés par le Sang du Christ. Mais à partir de là que personne n’ait le droit de détourner sa pensée de la nature de cette même Église, société parfaite, exerçant son triple pouvoir, juridiquement organisée, et qui doit garder le dépôt de la foi indemne de l’erreur et le protéger des attaques ennemies par une autorité inébranlable. Et tous ces points doivent être précisés en termes très fermes, comme le fait notre schéma, d’autant plus que des hommes de perdition visent, avec une audace des plus criminelle, à enchaîner la Parole de Dieu et à attenter aux droits de l’Église.

« Vénérables Pères, que chacun de nous, se détournant avec horreur du goût de la ­nouveauté et des disputes d’école, se souvienne de l’enseignement de saint Paul, dans la deuxième à Timothée : “ Mais toi, sois fidèle à ce que tu as appris et à ce que tu as cru, sachant de qui tu l’as appris. ” Et qu’il se rappelle aussi les paroles du même Apôtre, qui semblent avoir été proférées pour notre époque : “ Viendra un temps où les hommes ne supporteront plus la saine doctrine, mais au contraire, au gré de leurs passions et l’oreille les démangeant, ils se donneront des maîtres en quantité et détourneront l’oreille de la vérité pour se tourner vers les fables. 

« Je conclus. Pour tout dire en peu de mots, ce schéma de la constitution dogmatique... »

Le cardinal Ruffini, président de séance, l’interrompit : « Je vous demande, je vous demande, pardonnez Monseigneur, votre temps de parole est passé. »

Mgr Musto : « J’ai fini ! j’ai fini ! De Ecclesia, bien que perfectible, me plaît beaucoup. »

Le cardinal Ruffini : « Il y a la liberté de parole de part et d’autre, c’est pourquoi tous nous entendons volontiers de quel avis sont les Pères. Maintenant la parole au dernier intervenant. » (Acta 1, IV, p. 206-208)

Il fallait rompre sa communion en quittant le Concile.

La liberté de parole... même pour les hérétiques ?

Hélas ! ce fut la règle dans ce Concile d’un nouveau genre, devenu une assemblée démocratique où toutes les opinions pouvaient et devaient s’exprimer. « J’aurais voulu, écrivait l’abbé de Nantes, qu’une grosse cloche aux mains d’un défenseur de la foi vienne dès le premier jour interrompre et reprendre la parole à tout orateur vantant l’hérésie ou méprisant l’Église ; le Concile en eût pris un autre cours ! » (Lettre à mes amis n° 185 du 1er octobre 1964)

C’est le contraire qui est survenu parce que Jean XXIII a désavoué les défenseurs de la foi à maintes reprises.

De plus, il est remarquable que ce soit le cardinal Ruffini qui ait lui-même interrompu Mgr Musto pour donner la parole au suivant... La foi des grands princes de l’Église, conservateurs, n’était plus indicative, impérative, certaine : ils n’ont pas tenu ferme la vérité comme un absolu divin à l’encontre des pires ennemis de l’Église.

Assurément, il aurait fallu exiger et obtenir des définitions dogmatiques, assorties d’anathèmes solennels ayant de soi caractère formel d’infaillibilité et, si cela s’avérait impossible, quitter l’aula conciliaire en se déclarant publiquement en rupture de communion, – ce n’était pas faire schisme –, rupture motivée par une accusation d’hérésie contre les décrets novateurs du Concile. Cette démarche, l’abbé de Nantes la recommanda publiquement aux Pères traditionalistes, et il sollicita personnellement Mgr Marcel Lefebvre en privé, pendant l’été 1965, avant la dernière session du Concile.

Mais nul n’osa cet éclat sauveur. Pas un évêque ne se dressa pour exiger que les grandes controverses de Vatican II soient tranchées par des sentences marquées du sceau d’un enseignement solennel, donc prononcées avec la garantie formelle de l’assistance positive du Saint-Esprit, comme cela avait été le cas dans tous les Conciles œcuméniques précédents.

« Dans les batailles humaines, écrit l’abbé de Nantes, ce sont les violents qui l’emportent. Il n’y a de bataille divine qu’au nom de la foi toute pure, qui alors est plus forte que tout. Mais il faut que la foi se trouve des témoins, des témoins qui se font égorger. » (Lettre à mes amis n° 216 du 11 novembre 1965)

PRISE DE POUVOIR PAR LES RÉFORMISTES

Le cortège de tous les évêques du monde « pénétra le 11 octobre 1962 dans un terrible malaxeur. Les deux mille conservateurs de bonne volonté qui composaient cette foule mitrée, au lieu d’être orientés par le Pape vers les docteurs de la foi – et il y en avait ! – allaient être livrés sans répit à la prédication et aux pressions du clan progressiste de jour en jour plus arrogant. La tribune du Concile lui donnait une autorité, un moyen de propagande dont il n’aurait pas rêvé ! Il lançait ses idées, ses mirages, ses exigences, à la face de Rome et de ses Offices. Tout le troupeau des évêques écoutait ces nouveautés, un peu éberlué, puis se mettait en mouvement, entrait dans le jeu nouveau, tandis que, au-delà, les mêmes discours repris et amplifiés par la presse s’en allaient réveiller tous les peuples catholiques de l’univers. Le progressisme venait de Rome !

« La Curie ? Jean XXIII l’avait, dès le premier discours, écartée et jetée en suspicion. Les docteurs de la foi ? leurs avis seraient encore reçus, mais comme d’inutiles et fâcheuses jérémiades dont on tiendrait compte, sans plus. D’avance ils ne pouvaient l’emporter. On leur permettait seulement de faire un baroud d’honneur. » (Lettre à mes amis n° 184)

Ainsi, en raison des funestes orientations données au Concile par Jean XXIII, la minorité moderniste et progressiste réussit à s’emparer du pouvoir au cours de sa première session et à rejeter les schémas préparatoires qui étaient en grande partie l’œuvre des théologiens du Saint-Office.

Après l’intervention de Jean XXIII qui viola le règlement du Concile pour imposer le rejet du schéma préparatoire sur la Révélation, Mgr Fenton trouva le cardinal Ottaviani très alarmé le 23 novembre, disant que « ce temps était le temps des démons ».

Le 1er décembre 1962, lorsqu’il présenta à l’assemblée le schéma De Ecclesia sur l’Église, le cardinal ne se faisait plus guère d’illusion : « Je m’attends, déclara-t-il, à entendre de vous les litanies habituelles : ce schéma n’est pas œcuménique, et il est trop scolastique, il n’est pas pastoral et trop négatif et d’autres plaintes semblables. Cette fois, je vais vous faire un aveu. Ceux qui ont l’habitude de dire :  Tolle, tolle, substitue illud, retire-le et remplace-le ”, se tiennent déjà prêts pour la bataille. Et je vous ferai aussi un autre aveu : avant même que ce schéma n’ait été distribué, un autre schéma, alternatif, a été préparé [par Karl Rahner et Joseph Ratzinger]. Ainsi, tout ce qui me reste à faire, c’est de me taire. Car comme il est dit dans l’Écriture : Il est vain de parler lorsque personne n’écoute. ” » (Acta I, 4, p. 9)

Le cardinal Ottaviani, déjà trahi à plusieurs reprises par Jean XXIII, avait renoncé à combattre à mort, c’est-à-dire jusqu’à la mort spirituelle de ses adversaires, modernistes et progressistes, par des anathèmes accompagnant des définitions infaillibles.

L’ÉGLISE VA-T-ELLE ÉPOUSER LE MONDE ?

Quatre jours plus tard, le 5 décembre 1962, l’intervention dans l’aula conciliaire du cardinal Montini fut très remarquée parce que, sortant de sa réserve, il exposa ses idées en donnant un programme pour la réforme de l’Église. Il les reprit bientôt dans sa cathédrale de Milan : « Vous voyez l’Église qui est en train de se chercher elle-même, qui avec une grande et émouvante peine cherche à se définir elle-même, à comprendre ce qu’elle est... Non seulement l’Église se cherche elle-même, mais elle cherche le monde (sic !). »

Avouez que c’est inquiétant : l’Église, qui est l’épouse du Christ, chercherait quelqu’un..., et ce quelqu’un, c’est le monde ! On craint, on redoute la bigamie spirituelle, d’autant qu’il s’agit à n’en pas douter du monde moderne ! Comment l’Église ­pourrait-elle être fidèle à Jésus-Christ, son époux et son Chef, si elle épouse le monde issu de la Révolution française, “ satanique dans son essence ” ?

« Ce sont les mêmes, remarquait notre Père, qui interrogent l’Église, et qui vont répondre pour elle, et ils n’inventent des interrogations poignantes que pour leur fournir des réponses nouvelles, dans l’intention patente de changer la réalité même de l’Église et sa constitution divine. » (Lettre à mes amis n° 204 du 13 mai 1965)

Les décrets de Vatican II, notamment sa constitution Lumen gentium, sur l’Église, furent des textes de compromis : « Tout le monde était à demi content, les uns parce que la nouveauté n’était pas imposée, les autres parce qu’elle n’était pas interdite. En fait, elle était dès lors permise ! Les novateurs peuvent tirer sans trop d’effort de la “ Constitution ” conciliaire une définition de l’Église toute proche du Mouvement d’Animation Spirituelle de la Démocratie Universelle ! Il suffit pour cela d’interpréter le texte selon “ la dynamique du Concile ”. » (Lettre à mes amis n° 204)

Cette transformation de l’Église en Masdu, c’était ce que le cardinal Montini, qui deviendra Pape l’année suivante, voulait et avait donné comme programme au Concile.

L’ÉGLISE, LUMIÈRE DU MONDE

« Définir la nature de l’Église de telle ou telle manière, remarque encore l’abbé de Nantes, a soulevé tant de passions parce que, certainement, toute une subversion en devait découler. Or, tout s’est joué sur des mots, des mots clés, des slogans, des mots à double sens, immense jeu de dupes. » (CRC n° 52, janvier 1972, p. 4)

Lumen gentium, Lumière des nations, les premiers mots de la Constitution de Vatican II sur l’Église, ceux qui font titre, entretiennent l’équivoque et même « provoquent l’erreur. Rompant avec toute la tradition jusqu’à l’encyclique de Pie XII Mystici corporis Christi, le Corps mystique du Christ, le Concile propose l’Église comme la Lumière du Monde au sens où elle serait toute pour lui, à son service.

« Littéralement, c’est le Christ qui est dit, comme dans l’Évangile (Lc 2, 32 ; Jn 8, 12), la Lumière du Monde. Mais Jean XXIII avait appliqué ce titre à l’Église elle-même dans un sens inhabituel.

« Là où les anciens auraient entendu ce terme comme d’une perfection attirante, justifiant le Christ et l’Église de convertir et de récapituler en eux tous les hommes, nos modernes entendent suggérer l’idée d’un service que l’Église doit rendre au monde dans son progrès profane... type aumônerie de lycée transformée en local du Secours rouge !

« Ce n’est plus la Lumière du Buisson ardent qui attire l’homme à la contemplation de la divine Présence au désert. C’est la lumière du réverbère, du projecteur puissant que les hommes d’Église tiennent sur le chantier du monde en construction pour éclairer le travail de leurs frères croyants ou incroyants. » (CRC n° 52, p. 4)

Ainsi, dès le premier numéro de Lumen gentium, l’Église ne veut plus paraître, comme diront les commentateurs, « repliée sur soi, cherchant en elle-même sa propre fin », mais « tournée vers le monde », pour le monde. C’est en ce sens qu’elle sera dite et redite « sacrement universel du salut » ( nos 1 et 48). « Urgence nouvelle : il faut que tous les hommes, désormais plus étroitement unis entre eux par les liens sociaux, ­techniques, culturels, réalisent également leur pleine unité dans le Christ. » ( n° 1)

L’abbé de Nantes commente : « Cet également fait rêver. Il semble que l’Église vienne apporter son supplément spirituel, son achèvement à une Babel universelle déjà construite. On admettrait l’idée que l’Église est le total des sacrements, leur source et leur plénitude pour ses propres enfants qu’elle engendre à la grâce. Mais non, il s’agit ici de dépasser les frontières et d’évoquer une fonction universelle et tout humaine de l’Église nouvelle, indépendante de son activité cultuelle : elle diffusera une force de générosité, de liberté, de fraternité qui aidera les hommes à la transformation du monde. C’était dans le fameux discours du pape Paul VI à Pise. »

Mgr Fenton s’opposa à ces nouveautés, mais il ne fut pas entendu : « J’ai vu à l’évidence que l’enseignement du premier chapitre du nouveau schéma sur l’Église, ainsi que son style sont ceux de Tyrrell [moderniste, il fut exclu de la Compagnie de Jésus, sanctionné par Rome et mourut après avoir toujours refusé de rétracter ses erreurs]. Que Dieu préserve son Église de ce chapitre. S’il passe, ce sera un grand mal. » (cité par Alberigo, t. 3, p. 41)

TRANSFORMATION DE L’ÉGLISE EN MASDU

« Voilà donc la nouvelle fonction de l’Église, écrivait l’abbé de Nantes. Et c’est une fonction laïque qui mettra le laïcat au premier plan. En ce sens, elle est dite ferment, levain dans la pâte et missionnaire... au moment où elle cesse tout à fait de l’être, selon l’ancienne acception du terme.

« Mais ce qui révèle totalement la nouveauté de cette fonction humaniste, matérialiste, cosmique, attribuée par le Concile à l’Église, c’est l’expression piège : Église, âme du monde. “ En un mot, ce que l’âme est dans le corps, il faut que les chrétiens le soient dans le monde. ” ( n° 38) La formule est ancienne, mais le sens en est détourné. On ne dit plus : Hors de l’Église point de salut. On dit : l’existence de l’Église seule suffit à sauver le monde où elle agit comme sacrement, comme ferment, comme principe d’animation spirituelle. L’Église ? Mouvement d’Animation Spirituelle de la Démocratie Universelle : MASDU !

« On aura vite fait d’en déduire que partout où il y a animation spirituelle ou culturelle, générosité, lutte libératrice parmi les hommes, sous une forme neuve, l’Église est là ! » (CRC n° 52, p. 4)

Pour réaliser cette mutation, pire ! cette révolution, le Concile donna de nouvelles définitions de l’Église qui l’ont défigurée.

PEUPLE DE DIEUX 
CONSTITUTION DIVINE DE L’ÉGLISE : 
LE CORPS MYSTIQUE DU CHRIST

Avant d’étudier les nouveautés de Vatican II, rappelons ce qu’est la Constitution divine de l’Église :

« Le monde, écrit notre Père, a été créé et toute son histoire prédestinée en vue de l’Église. Le Christ l’a fondée et instituée pour continuer dans l’humanité coupable son Incarnation rédemptrice et en communiquer les fruits de salut à tous les hommes. En elle et par elle seule, tous peuvent et doivent revenir à leur Père Céleste, par le Fils dans l’unité du même Esprit, pour la vie éternelle. »

L’Église est « une société humaine divinisée qu’exprime parfaitement son nom de Corps mystique du Christ.

« 1. L’Église est un Corps dont le Christ est la Tête. C’est par Lui-même, puis par ses Apôtres comme par leurs successeurs que le Christ crée et organise son Église comme un Corps social, vivant et vivifiant, saint et parfait. La hiérarchie en est la cause efficiente, cause créée, humaine, historique et visible.

« 2. L’Église est un Corps dont le Saint-Esprit est l’Âme incréée. Âme divine de ce Corps unique et particulier, le Paraclet a une affinité profonde avec cette Église, l’Église catholique seule. Même quand il sollicite tous les hommes à la vie divine, c’est en dépendance et en vue de son Église unique. Cette œuvre de l’Esprit-Saint est la cause formelle ou le principe immanent d’organisation de ce corps social dont le Christ est le Chef : c’est dire que son énergie descend et se communique hiérarchiquement de la Tête aux membres selon les degrés des pouvoirs institués par le Christ.

« Appartiennent officiellement à cette Église visible ceux qui en sont devenus membres par la profession de foi catholique et la réception du saint baptême, s’ils persévèrent dans sa communion. Ne lui appartiennent pas ceux qui se refusent à y adhérer ou à lui demeurer fidèles. Nombre d’autres en sont membres, eux aussi, unis à elle par les liens moins visibles d’un rudiment de vraie foi et de suppléances des rites sacramentels par lesquels leur parviennent, et de l’Église seule, des grâces de salut et de sainteté. » (CRC n° 51, p. 14, et n° 52, p. 8)

Revenons maintenant à la Constitution conciliaire Lumen gentium.

L’ÉGLISE EST UN MYSTÈRE

C’est le titre de son premier chapitre.

Les Pères traditionalistes eurent « beau protester que l’Église n’était pas un mystère puisqu’on la voyait, peine perdue. Il fallait commencer par cette affirmation d’incompréhensibilité pour jeter un rideau de brouillard artificiel sur la définition classique, certaine, claire comme le jour : l’Église est une société visible, historique, hiérarchique dont Jésus-Christ est le fondateur et le divin animateur. » (CRC n° 52, p. 4)

La suite du premier chapitre contient une énumération des symboles bibliques par lesquels l’Esprit-Saint a voulu que fût évoqué cet obscur Mystère. S’y trouve la mention de l’Église Corps mystique ( n° 7), mais « tout est agencé pour en diminuer l’importance, pour reléguer cette définition trop précise. Il est temps de s’émanciper de cette théologie-là dont Pie XII avait fait au contraire le pilier central de son encyclique sur l’Église ! »

LA PYRAMIDE INVERSÉE

La nouveauté révolutionnaire, on la trouve dès le deuxième chapitre : l’Église est dite Peuple de Dieu avant d’être hiérarchique.

En effet, le cardinal Suenens réussit à insérer entre le premier chapitre, L’Église mystère ”, et le deuxième prévu sur La hiérarchie, un chapitre sur le « Peuple de Dieu », sous le prétexte fallacieux que les membres de la hiérarchie font partie de ce peuple comme les autres. Peuple de Dieu, remarque l’abbé de Nantes, « suggère une masse inorganique et égalitaire, sans fondation historique ni autorité hiérarchique, sans pouvoirs humains constitués, sans lois ni frontières. Le “ mystère ” consiste en ce que ce magma informe est rassemblé par l’Esprit. » (CRC n° 51, p. 14)

Ce nouveau chapitre fut approuvé par Paul VI nouvellement élu, et introduit définitivement dans le texte conciliaire au cours de la deuxième session du Concile. « Et personne n’a hurlé ! s’indigne notre Père. Personne ne s’est dressé face à l’irruption de la démocratie dans le dogme catholique ? » Non ! Personne ne l’a refusé jusqu’au bout, sauf lui.

« Il a plu à Dieu que les hommes ne reçoivent pas de Dieu la sanctification et le salut séparément, hors de tout lien mutuel ; il a voulu au contraire en faire un peuple. » ( n° 9)

Attention ! « Le Concile assène toujours ses plus scandaleuses erreurs dès les premiers mots », avertit notre Père. Voici le principe essentiellement faux qu’on retrouvera sans cesse, comme s’il est démontré : les individus sont premiers, et les communautés sont réduites à n’être que des associations contractuelles, instituées par eux, à leur service, sous leur ­dépendance.

« C’est pourquoi, continue le Concile, il s’est choisi le peuple d’Israël pour être son peuple avec qui il a fait alliance... » Relisez ! le faux historique est patent, car voici la vérité : Dieu a choisi Abraham, ensuite le peuple qui sortirait de lui, enfin tous les peuples qui seront par lui, en lui, objets de la bénédiction.

« Le Christ appelle la foule des hommes de parmi les juifs et de parmi les Gentils... » Non pas ! il choisit d’abord saint Pierre et ses autres Apôtres, et par eux et leurs successeurs, il appelle tous les hommes au salut : les Juifs d’abord, les Grecs ensuite.

« L’ensemble de ceux qui regardent avec la foi vers Jésus auteur du salut, principe d’unité et de paix, Dieu les a appelés, il en a fait l’Église, pour qu’elle soit, aux yeux de tous et de chacun, le sacrement visible de cette unité salutaire... » Plus de médiation d’une hiérarchie divinement instituée et pourvue de pouvoirs divins !

« Il y a d’abord le Peuple, et ce Peuple est donné tout vivant, tout illuminé, sanctifié, rassemblé avant qu’intervienne le moins du monde la hiérarchie, par l’action directe, invisible, gratuite, inattendue, illimitée de... l’Esprit-Saint ! Voilà toute la structure de l’Église renversée et ses frontières abattues.

« On se précipite sur cette lancée :

« Premièrement, ce peuple, c’est le genre humain tout entier. Des formules étudiées laissent entendre que cela n’est encore qu’en espérance oui, mais bien près d’être fait, au moins implicitement ! En tout cas, ce peuple déborde les étroites limites du catholicisme romain et englobe œcuméniquement les “ autres églises chrétiennes ” et même les grands monothéismes et, et, et, on ne s’arrête plus...

« Deuxièmement, ce peuple, plein d’Esprit, est aussi revêtu de toutes les perfections : tous y sont prophètes, tous sont prêtres, et tous rois. Quand on songera à parler de la hiérarchie, on n’aura plus à lui donner qu’un rôle accessoire et vaguement antagoniste. On la mettra “ au service ” de ce peuple de dieux !

« C’est une révolution, constate notre Père. Ainsi, supposez qu’on définisse la famille : une réunion d’enfants bien vivants dont certains sont appelés parents parce qu’ils sont au service des autres enfants. Qu’en direz-vous ?

« Que cette définition pèche par idéalisme : qu’est-ce donc que cette “ vie ”, d’où vient-elle aux enfants, depuis quand et comment se maintient-elle ? Et qu’elle pèche par omission, capitale : elle néglige le fait de la génération, fait premier et constitutif sans lequel tout est subverti. Cette réunion d’enfants n’a plus à reconnaître aucune autorité si les parents, ainsi niés dans leur rôle essentiel, se voient ravalés au rang de domestiques de leur progéniture ! C’est aberrant.

« C’est exactement ce qui s’est inventé au Concile, par la simple inversion de l’ordre des chapitres de la constitution Lumen gentium. »

Cette inversion « constitue une faute aux conséquences incalculables : l’Esprit ne crée pas un peuple dont la hiérarchie serait servante. L’Esprit suscite par la hiérarchie avec laquelle il a partie liée un peuple fidèle, et le total c’est l’Église Une, Sainte, Catholique, Apostolique et Romaine, pour vous servir !

« L’Esprit-Saint est lié à ce Corps mystique du Christ. L’œuvre du Christ, visible, historique, hiérarchique, est devenue par sa Volonté le support, le cadre, le signe et le sacrement de l’œuvre invisible de l’Esprit-Saint qu’il lui a envoyé, à elle, et à nulle autre. » (CRC n° 52, p. 5)

L’IDÉE ANARCHIQUE DE SERVICE

« Le Christ Seigneur, pour assurer au peuple de Dieu des pasteurs et les moyens de sa croissance, a institué dans son Église des ministères variés qui tendent au bien de tout le corps. En effet, les ministres qui disposent du pouvoir sacré sont au service de leurs frères »...

C’est la première phrase du chapitre troisième sur La constitution hiérarchique de l’Église.

« Si habile qu’elle soit, remarque notre Père, cette phrase porte en elle toute la contradiction des constitutions démocratiques : le peuple est roi, ses pasteurs viennent en sous-ordre comme des serviteurs. On rappellera pour cela sans cesse la parole du Christ lui-même, “ venu non pour être servi, mais pour servir ” (Mc 10, 45). Mais son utilisation constitue là une énorme escroquerie. Car il y a transfert d’une catégorie morale à une autre, ontologique ou fonctionnelle.

« Ne pas se faire servir, pour un Prince de l’Église, relève de la simplicité de l’homme individuel. Cela ne saurait atteindre la fonction ni modifier l’autorité. Que cette fonction soit ordonnée au bien des sujets, nul ne le niera, mais il est impropre, équivoque et dangereux de toujours la présenter comme un service de la communauté, parce que la communauté ne la domine ni ne la règle. Le chef n’est pas le domestique de ses sujets !

« C’est surtout l’idée anarchique de service qui a été retenue comme la nouveauté du Concile, tandis que tombait dans l’oubli l’excellente doctrine classique du triple pouvoir des évêques parfaitement rappelée.

« Cette vision d’un peuple parfait au service duquel seraient des ministres a provoqué, dès le Concile, de graves méfaits. L’assemblée, enivrée d’optimisme, a, sur toutes choses, voulu être constituante, tout reprendre sur des bases plus belles : on détruirait tout le juridisme ancien pour tout reconstruire dans la pure fraternité populaire et la liberté évangélique. » (CRC n° 52, p. 5)

NUIT DU 4 AOÛT, FÊTE DE LA FÉDÉRATION

« Le titre d’un autre décret de Vatican II résume bien son ambition sans mesure : Optatam totius Ecclesiæ renovationem. Le Concile entend réaliser la rénovation souhaitée de toute l’Église... À lire ces textes toujours audacieux dans la réforme, on a l’impression d’une Nuit du 4 août qui se prolonge en Fête de la Fédération ! On détruit le droit ancien, comme une subsistance de la féodalité (sic !), et on le remplace par de bons sentiments. Mais cela aboutit inéluctablement à dépouiller les autres de leurs pouvoirs et, sous prétexte de service, à s’en attribuer à soi de plus grands. Ainsi naquit l’arbitraire. Plus généralement, disons que cette humilité affectée a favorisé un étonnant orgueil collectif ; cette démagogie a instauré l’oligarchie ; cet optimisme a justifié la tyrannie.

« Le type même de cette réforme est la suppression de l’inamovibilité des curés. La tournure du texte qui l’abroge est tout à fait expressive. On supprime l’inamovibilité en déclarant porter remède à l’instabilité. C’est énorme... Hypocrisie ? Non, autosatisfaction.

« Lisez plutôt :

« “ Dans sa paroisse, chaque curé doit jouir, en son office, de la stabilité que requiert le bien des âmes. En conséquence [ ?!], la distinction entre curés amovibles et curés inamovibles est abrogée et on révisera et simplifiera la manière de procéder à la translation et au déplacement des curés, afin que l’évêque puisse dans le respect de l’équité aux sens naturel et canonique du terme pourvoir plus commodément aux exigences du bien des âmes. 

« En fait, toute garantie juridique est supprimée, mais c’est mieux assurément ! puisque l’évêque devient totalement libre d’arranger les choses “ plus commodément... pour le bien des âmes ” ! Inconscience d’évêques qui sincèrement se croient toujours et en tout les meilleurs interprètes de la justice et donc les meilleurs juges et défenseurs de leurs prêtres.

« Reprendre toute cette Réforme point par point montrerait comment la conception même de la vie sociale sur laquelle reposait tout l’ordre ecclésiastique est anéantie. Le Concile y a substitué des bergeries, des vues idylliques sur la vie nouvelle d’un Peuple de dieux où, par principe, il n’y aura plus de conflits que les épiscopats ne puissent dirimer collégialement par leur intervention souveraine. » (CRC n° 52, p. 6)

LA BATAILLE DE LA COLLÉGIALITÉ

L’invasion de l’esprit démocratique dans l’Église provoqua des discussions passionnées sur le pouvoir des évêques et du Pape. Ce fut la grande et longue bataille de la Collégialité, mot nouveau qui fit fortune. Cette Collégialité entraînait une modification essentielle de la Constitution de l’Église, comme l’explique notre Père :

« Il s’agissait pour ses tenants de dépersonnaliser l’autorité dans un sens collectiviste et parlementaire. Auparavant, le Pape était le Chef suprême et immédiat de tous, évêques et fidèles. Chaque évêque, soumis au Pape, était Pasteur d’un territoire et du peuple qui y vivait. Les réunions d’évêques, synodes ou conciles, régionaux ou œcuméniques, présentaient un cas suréminent d’autorité personnelle, chacun participant librement et pleinement aux définitions dogmatiques et aux décisions disciplinaires de tous. » (CRC n° 52, p. 6)

La Constitution Lumen gentium fit du Collège épiscopal le fait premier ; elle le rendait dépositaire du « don spirituel » accordé par l’Esprit-Saint au Collège des Apôtres et prétendait définir son pouvoir « dans une phrase extrêmement équivoque », remarque notre Père : « L’ordre des évêques qui succède au collège apostolique dans le magistère et le gouvernement pastoral... constitue, en union avec le Pontife romain son chef, et jamais en dehors de ce chef, le sujet d’un pouvoir suprême et plénier sur toute l’Église, pouvoir cependant qui ne peut s’exercer qu’avec le consentement du Pontife romain. » ( n° 22)

Les novateurs voulaient que le pouvoir des évêques ait pour domaine l’Église universelle et non plus pour chacun strictement son diocèse et son troupeau particulier ; ce pouvoir devant s’exercer sous le mode dit collégial.

Et l’abbé de Nantes de protester : « Aucun pouvoir ecclésiastique dans l’Église n’est proprement collégial. Il n’y a, en effet, dans l’Église que des pouvoirs personnels exercés par chacun, Pape ou évêque, de manière libre et responsable. »

La collégialité, c’est donc l’exaltation d’un prétendu pouvoir représentatif et collectif de l’ensemble des évêques contre le pouvoir absolu et personnel du Souverain Pontife.

Les réformistes instituèrent, sous prétexte “ d’aider ” le Pape à porter sa charge, un Synode avec Conseil permanent à Rome, qui n’aura de cesse de faire pression et de dicter sa loi au Souverain Pontife.

LE POUVOIR ÉPISCOPAL RUINÉ

Le revers de la médaille pour les évêques, c’est la perte d’autorité qui découle de cette collégialité. En effet, ce nouveau pouvoir collégial, qui s’exerce sur l’Église universelle, transcende évidemment le pouvoir personnel de chaque évêque sur son diocèse...

C’est pour marquer cette nouveauté qu’ont été instituées les Conférences épiscopales, comme d’un nouveau degré hiérarchique, « matelas mou » venant s’interposer entre le Pape et l’évêque, dont « l’inertie sera protectrice du désordre », prévoyait déjà l’abbé de Nantes en décembre 1962.

Le n° 38 du décret sur la charge pastorale des évêques confère une autorité législative à ces Conférences, « absolument sans aucun fondement, écrit l’abbé de Nantes, si j’en juge par l’incapacité où se trouvent les théologiens et juristes d’en établir un solide ». Soixante ans après, ce fondement n’est toujours pas trouvé...

Depuis Vatican II, les évêques ne sont plus que des parlementaires et simples exécuteurs locaux des décisions de l’assemblée épiscopale, préparées par des commissions, secrétariats et autres groupes de pression. « Nos évêques, avant le Concile, exerçaient une autorité réelle et personnelle sur un territoire limité. Ils exercent maintenant sur d’immenses régions et sur un univers illimité une apparence de pouvoir sans autorité réelle. À bas la Collégialité, tarasque diabolique destinée à détruire la hiérarchie catholique au profit des mafias ennemies de Dieu ! » (CRC n° 52, p. 7 et 9)

Remarquons une fois de plus que l’abbé de Nantes avait tout compris sur le moment même puisqu’il s’opposait fermement, pendant la deuxième session du Concile, à cette funeste nouveauté de Vatican II : « Du pouvoir personnel qui était celui de l’évêque dans son diocèse et du Pape sur toute l’Église, pouvoir doté d’une autorité puissante et d’une responsabilité personnelle, l’Église passe à un gouvernement “ collégial ” ou d’assemblée, dont le propre est de mettre l’autorité aux voix et de diluer la responsabilité jusqu’à la rendre anonyme. » (Lettre à mes amis n° 156 du 31 octobre 1963)

Cette Collégialité constitue une très grave atteinte à la Constitution divine de l’Église qui est monarchique et non démocratique. Pour y rallier tous les Pères conciliaires, une ultime tromperie de Paul VI fut nécessaire. La voici :

L’ÉTIQUETTE “ POISON 

Le 16 novembre 1964, jour du vote du chapitre sur la Collégialité, Mgr Felici, secrétaire du Concile, lut et imposa au nom du Pape une Note explicative préliminaire (Nota explicativa prævia) pour la “ bonne interprétation ” de ce chapitre. Ce rappel dogmatique de la primauté pontificale avait été obtenu de haute lutte par les défenseurs de la foi, sous menace de refus d’approuver le chapitre.

Cette Nota prævia détruit la nouvelle charte constitutionnelle de l’Église, point par point :

1° Non, le Collège des évêques n’est pas un collège au sens strict, si ce n’est réuni en Concile œcuménique.

2° Non, ce Collège n’est pas héritier du pouvoir extraordinaire du “ Collège apostolique ”.

3° Non, la consécration épiscopale ne suffit pas à l’acquisition de la qualité de membre du Collège, il y faut encore la détermination juridique du pouvoir par le Pape, chef du Collège.

4° Non, ce Collège ne met aucune limite au pouvoir du Pape. Au contraire, il ne peut agir strictement de manière collégiale que dans certaines conditions et toujours avec son chef.

Cette Note explicative était comme une étiquette rouge “ Poison ” à coller sur le flacon. Celui-ci est dans le commerce, avec sa rutilante garantie d’origine : “ Vatican II, Constitution dogmatique ”, tandis que l’étiquette “ Poison ” dort dans le tiroir-caisse des pharmaciens... « L’étiquette rouge avait joué son rôle, de rassurance des conservateurs. Après quoi, elle n’était plus nécessaire, et le poison ayant reçu son brevet de conformité à la foi et à la loi catholiques à l’unanimité moins cinq (votes), moins trois (signatures), de l’assemblée conciliaire, le poison fut distribué aux enfants de l’Église qui demandaient du pain à leur Mère. » (CRC n° 281, p. 6)

PROMOTION DU LAÏCAT

Les personnes intéressantes pour le concile Vatican II n’étaient plus les prêtres, hommes du culte, mais les « laïcs », voués à la transformation du monde.

Les réformistes rejetèrent l’expression traditionnelle de peuple fidèle au profit du laïcat. Le mot fidèle implique un caractère passif, de soumission, de docilité, d’accueil par rapport aux pasteurs. C’est précisément ce que les novateurs voulaient supprimer.

Le laïc, c’est celui qui a une dignité propre : en vertu de son baptême, il est roi, prophète, prêtre ! Vatican II ne lui enseigne plus qu’un seul devoir : l’apostolat. Tous apôtres ! Prurit de dignité, prurit d’action, d’action sur les autres, non pas sur soi-même.

Cette “ promotion ” résulte logiquement de la nouvelle fonction attribuée à l’Église : le service du monde moderne, c’est-à-dire de la démocratie. « Du jour où le cultuel le cède au culturel et le céleste au temporel, écrit notre Père, du jour où la politique empiète sur la religion, le premier rôle passe du sacerdoce au laïcat. À lui revient d’abord “ la transformation des structures en concordance avec l’Évangile ”. Les “ ministres de l’Évangile ” tiennent le lampadaire, mais ce sont les laïcs qui font le travail. » (CRC n° 52, p. 7)

Pour être efficace, il faut être “ laïc ” : « Cette action évangélisatrice... par le témoignage de vie et par la parole prend un caractère spécifique et une particulière efficacité du fait qu’elle s’accomplit dans les conditions communes du siècle. » ( n° 35)

Le principe de dispensation de la grâce s’en trouve lui-même renversé. Ce n’est plus le prêtre qui donne et le fidèle qui reçoit, non ! tous sont égaux : « Quant à la dignité et à l’activité commune à tous les fidèles dans l’édification du Corps du Christ, il règne entre tous une véritable égalité. » ( n° 32) Mais celle-ci n’est qu’un leurre, et bien vite les clercs sont exclus ou relégués au second rang : les fidèles doivent s’aider mutuellement « afin que le monde s’imprègne de l’Esprit du Christ et atteigne plus efficacement sa fin dans la justice, la charité et la paix. Dans l’accomplissement universel de ce devoir, les laïcs ont la première place. » ( n° 36)

Cette nouvelle conception du laïcat a tué, au nom de l’égalitarisme, l’action catholique traditionnelle, c’est-à-dire archique et autoritaire, paternelle. En effet, « l’homme ne s’arrête pas aux limites de sa stricte individualité : l’époux est le chef de sa femme, et les parents le sont de leurs enfants, et le maître commande à ses serviteurs, comme le sage a autorité sur ses disciples et le prince sur ses sujets... tous en participation de la Paternité de Dieu. Chacun donc selon sa promotion naturelle et sociale, c’est-à-dire selon son exact degré d’autorité, sans s’émanciper en rien de la tutelle du clergé, a une action catholique à remplir. » (CRC n° 55, avril 1972, p. 8)

La réforme conciliaire a comblé les fidèles de mirifiques pouvoirs qu’ils sont dans l’incapacité d’exercer, mais elle les a dépouillés de l’autorité et de la responsabilité qu’ils détenaient chacun dans leur sphère et qui leur permettaient d’accomplir une véritable action catholique.

VAGUE DIABOLIQUE CONTRE L’IMMACULÉE

Au cours de la première session, le cardinal Ottaviani n’avait pas réussi à faire approuver le schéma préparatoire, séparé, sur la Vierge Marie, laquelle fut scandaleusement méprisée au cours des débats conciliaires. Le chapitre VIII de Lumen gentium marqua une victoire des minimalistes puisqu’il découronne la Reine du Ciel et de la terre pour la réduire à un « rôle subor­donné » (8, 62).

De surcroît, deux omissions sont stupéfiantes : d’une part, ni le chapelet ni le rosaire ne sont mentionnés dans ce chapitre alors que des pétitions d’évêques demandèrent expressément qu’il soit recommandé à la piété des fidèles. D’autre part, l’expression qui révèle le mieux le mystère de la Vierge Marie, à savoir l’Immaculée Conception, n’y apparaît pas une seule fois ! Cela prouve bien que le Concile fut submergé par une vague de désorientation diabolique.

Commentant ce qui est annoncé dans le chapitre VIII de Lumen gentium, pour réformer l’année liturgique, l’abbé de Nantes écrit : « Puisqu’on démolit le culte marial d’hyperdulie, on fait à Marie un éloge parfaitement hypocrite, puisque “ la sainte Église ” dont ils parlent, ce sont les mafiosi de cette réforme. Alors, leur “ particulier amour ” ! pour “ la bienheureuse Marie ”, remarquez l’omission de son titre de “ Vierge ”, “ le fruit le plus excellent de la Rédemption ”, selon la formule chère à tous les ennemis du dogme de l’Immaculée Conception, ne va pas jusqu’à la dire, avec les Orientaux, “ Toute-Sainte ” ! mais non, le diable, quand il doit baiser, mord encore ! » (Autodafé, p. 117)

Lorsqu’on sait comment la Vierge Marie a été outragée au Concile, on comprend pourquoi, lors de ses apparitions à Pontevedra, Notre-Seigneur avait demandé avec tant d’insistance la pratique de la dévotion réparatrice au Cœur Immaculé de Marie ; on ne s’étonne plus de la vigueur de ses plaintes et de sa volonté de voir les âmes ferventes consoler le Cœur de la plus tendre des mères.

Il y a beaucoup plus grave que les offenses des apostats et des impies. Ce sont les blasphèmes des fils rebelles, oui, les blasphèmes des propres enfants de l’Église catholique envers le Cœur Immaculé de Marie, tels qu’ils ont retenti dans la basilique Saint-Pierre, lors du concile Vatican II.

DUPLICITÉ DE VATICAN II

L’abbé de Nantes remarque que les derniers chapitres de Lumen gentium contiennent de beaux passages, avec de nombreuses citations bibliques. « Ils ramènent fortement l’homme, avec toute la création, à sa fin surnaturelle qui est de connaître Dieu, de le servir et de l’aimer selon l’ordre révélé de la grâce sanctifiante. Il n’est plus question que de sainteté, de vie éternelle et de gloire céleste. On décroche de l’horizontalisme. Le Concile tourne ses regards vers l’En-Haut de Dieu », et non plus vers le monde.

« Y a-t-il dualité totale, incohérence ? Non, hélas, non ! Ces parties, assurément les meilleures de Vatican II, sont infiltrées d’éléments réformistes et naturalistes qui les corrompent indéniablement. L’arsenic dans la tisane ! » Il faut lire l’analyse très fine de ces chapitres, dans Préparer Vatican III (éd. CRC, p. 301-320). L’abbé de Nantes y détecte « la plus profonde et la plus pernicieuse duplicité du Concile de réforme Vatican II ».

Il est notable que « ces discours emphatiques sont restés lettre morte ! Le goût des choses célestes, le culte des saints, la dévotion à la Vierge ont été partout étouffés depuis lors et ils ont disparu totalement des milieux les plus ardemment postconciliaires. Alors ?

« La raison en est simple et évidente. Entre le fidèle catholique et le Ciel, les nouveaux apôtres et docteurs de l’Église mondaine ont interposé une divinité bien visible, l’Homme, et une étape préliminaire, la Cité humaine de demain. » (CRC n° 61, octobre 1972, p. 3 et 11)

L’ÉGLISE PROSTITUÉE AU MONDE

Les réformistes ont voulu mettre l’Église au service du monde moderne, issu de la Révolution française, du monde révolté contre Jésus-Christ et rejetant sa tutelle. Le dessein des réformateurs était d’introduire au sein même de l’Église les idées révolutionnaires et maçonniques. Leur Évangile nouveau, ce sont les droits de l’homme, avec sa trilogie : Liberté, Égalité et Fraternité.

Le Concile contraignit ainsi l’Église à une bigamie spirituelle qui fut en pratique un véritable reniement de son époux Jésus-Christ : elle s’engagea ouvertement pour la Liberté, par la déclaration sur la liberté sociale en matière religieuse ; pour l’Égalité, par le décret sur l’œcuménisme, et pour la Fraternité, par la déclaration Nostra Ætate, déclaration de paix unilatérale avec les religions non chrétiennes, et avec même le judaïsme.

L’abbé de Nantes écrit : « La proclamation de la Liberté religieuse était la charte fondamentale de la réconciliation de l’Église avec le monde moderne et de ce service qu’elle promettait de rendre, sans réciprocité, à l’humanité dans son projet prométhéen de construction d’une Babel nouvelle.

« La Liberté religieuse conduit à l’œcuménisme, afin que les chrétiens se retrouvent unis sans arrière-pensée dans un humanisme mondain dont Gaudium et Spes sera comme le plan directeur. » (CRC n° 57, juin 1972, p. 3)

LA LIBERTÉ RELIGIEUSE « INJURIEUSE À DIEU »

L’abbé de Nantes écrivait dans sa chronique des débats conciliaires, le 1er octobre 1964 :

« Malgré de très fortes oppositions, le schéma sur la liberté religieuse n’a pas été écarté par Paul VI. Le voilà de nouveau, analogue à la proclamation des droits de l’homme par l’Assemblée constituante de 1789 ; s’il est accepté, il marquera un changement substantiel dans la doctrine formelle, constante, universelle de l’Église et en bouleversera de manière incalculable toutes les institutions. Cent ans après le Syllabus de Pie IX, il relève d’une tout autre conception de la foi et de la morale que celle des Papes, des évêques et du peuple chrétien, enseignée et reçue depuis cent cinquante ans à l’encontre des principes révolutionnaires.

« L’opposition à une telle révolution dans l’Église a été très ferme, très savante et retenue cependant dans des limites de concessions mutuelles et d’arrangement, plus propres à une assemblée démocratique qu’à un Concile où Dieu seul commande... Les cardinaux Ottaviani, Ruffini, Quiroga, Bueno y Monreal, Roberti, d’innombrables évêques de tous pays, dont Mgr Marcel Lefebvre, ont tenté de rétablir un peu de vérité, d’ordre, de respect de la doctrine dans cet immense chantier de démolition. En fait, par un désaveu évident de la doctrine et de la discipline deux fois millénaires de l’Église, on adopte là une philosophie moderne qui fait de l’homme un absolu de droits et de liberté, sans souci du bien commun et dans le mépris violent des droits de Dieu et de sa Vérité. C’est absurde et c’est effrayant ! » (Lettre à mes amis n° 185 du 1er octobre 1964)

C’est en 1965, à la fin de la quatrième et dernière session de Vatican II, que le pape Paul VI promulgua la constitution Dignitatis humanæ, proclamant ainsi le droit de l’homme à la liberté sociale et civile en matière religieuse, c’est-à-dire de pratiquer extérieurement, dans la société, n’importe quelle religion (Dignitatis humanæ, nos 2 et 4).

Sur quel fondement asseoir ce droit nouveau ? Il n’y a rien, absolument rien dans les saintes Écritures ni dans la Tradition qui lui soit un appui. Au contraire ! La liberté religieuse a été fermement condamnée au dix-neuvième siècle par les papes Grégoire XVI et Pie IX, et elle fut encore réprouvée au vingtième siècle notamment par Pie XII, lors de controverses à propos de la constitution espagnole de l’État catholique restauré par le général Franco.

Où donc lui trouver un fondement ? Les Pères conciliaires cherchèrent, cherchèrent... en vain !

Ils eurent recours finalement à une découverte du monde moderne, à savoir la dignité de l’homme. Ce droit à la liberté religieuse, le Concile l’a fondé, inviolable et imprescriptible, sur l’éminente dignité de la personne humaine, supérieure à toutes choses (Gaudium et Spes 26, 2), qui se traduit, sur le plan social, par l’exercice d’une pleine liberté, une liberté inconditionnelle comme une valeur en soi. La dignité de l’homme est dans sa liberté, perfection souveraine, sans limites extérieures, et donc sans menaces de peines de la part de quelque autorité légitime, et même de Dieu...

La proclamation de la liberté religieuse est un crime contre Dieu, proteste l’abbé de Nantes : « Vatican II “ déclare ” une chose tout à fait injurieuse à son Dieu et Sauveur, et tout à fait contraire à sa propre mission de salut universel. » (Autodafé, p. 137) En tout domaine de la vie sociale, c’est Dieu qui est le souverain Législateur et nul ne peut revendiquer quelque autorité ou quelque droit s’il ne les tient de Dieu même, en accomplissant sa Volonté. Proclamer la liberté religieuse, c’est nier que le Créateur et Maître du ciel et de la terre veut, et d’une volonté absolue, que les hommes fassent leur salut éternel par la religion catholique.

L’abbé de Nantes explique : L’homme n’a pas été créé pour être libre, mais pour la gloire de Dieu. Et qu’est-ce sa gloire, sinon que nous l’adorions, que nous l’aimions, que nous le servions ? Et en l’aimant, nous faisons librement notre salut. La fin de l’homme, c’est de faire son salut. La manière de faire son salut, c’est la liberté. Une manière merveilleuse, mais effrayante aussi, parce que ce “ librement ” veut dire que nous pouvons demeurer sous l’empire de Satan, haïr Dieu et être condamnés par Lui à la damnation éternelle.

Heureusement, Dieu nous donne des moyens pour guider notre li­berté : « Dieu a voulu que la grâce vienne au secours de la volonté de l’homme et lui procure la liberté intérieure. Mais il a voulu que la loi lui vienne aussi en aide extérieurement, par des obligations et sanctions. » (CRC n° 57, juin 1972, p. 8) Notre civilisation chrétienne a toujours exercé, au cours des siècles, une nécessaire et bienfaisante coaction, c’est-à-dire une pression sociale sur les individus pour leur bien. Si en certaines circonstances le pouvoir civil tolérait de fausses religions, c’était pour la paix sociale et pour gagner les cœurs.

« L’Église de Jésus-Christ ne peut reconnaître aucun droit aux autres religions et irréligions ; elle déplore leurs droits acquis ou les tolérances qui leur ont été laissés. Certes, l’Église ne contraint personne à faire son salut à l’encontre de sa conscience erronée, trompée ; mais elle est en droit de combattre et d’interdire dans le domaine public toutes les manifestations de ces erreurs diaboliques, et d’imposer tout ce qui est conforme à la foi catholique et à la morale, à tous les sujets d’un État catholique. » (Autodafé, p. 138)

Ainsi, selon la sainte doctrine catholique, l’erreur n’a aucun droit à se manifester et à se répandre dans la société, parce que « seuls existent, réels, légitimes et sacrés, les libertés, droits et autorités qui sont établis par Dieu et participent de sa propre bonté » (CRC n° 57, p. 11).

Le Concile le nie dans son « Credo satanique :

« Dieu, certes (sic), appelle l’homme à le servir en esprit et en vérité ; si cet appel oblige l’homme en conscience, il ne le contraint donc pas (non ! le grand architecte des francs-maçons n’a pas créé d’enfer). Dieu, en effet, tient compte (sic) de la dignité de la personne humaine qu’il a lui-même créée et qui doit se conduire selon son propre jugement et user de la liberté. » (Dignitatis humanæ n° 11)

« Cette dernière phrase est un des sommets de l’apostasie conciliaire ! Dieu tient compte de la liberté de l’homme, et s’il oblige, cela ne va jamais jusqu’à la contrainte : l’homme fait ce qu’il veut et il n’en sera pas puni. Dieu oblige en sachant que ce qui compte, ce n’est pas que l’homme lui obéisse, mais que l’homme se dresse dans toute sa stature... à la gloire de son Créateur. Même si c’est pour le défier. » (Autodafé, p. 156)

Quand toute coercition en faveur de la Vérité catholique est réprouvée, cela signifie que la liberté sociale de l’homme compte davantage que son salut éternel. Tout l’enseignement et l’œuvre surnaturelle de l’Église s’en trouvent dévalués, déconsidérés.

DES OPINIONS SUBJECTIVES !

Lors des controverses dans l’aula conciliaire, au début de la quatrième session, le 16 septembre 1965, Mgr Velasco, évêque expulsé de Chine, déclarait : « Le schéma amendé sur la liberté religieuse est totalement inacceptable et il est nécessaire qu’un nouveau schéma lui soit substitué. Si chacun a le droit de pratiquer sa religion, les religions deviennent des opinions subjectives. »

De fait, la vérité n’a plus de distinction sûre et objective avec l’erreur et nul ne peut revendiquer le privilège d’avoir raison. La liberté religieuse étant proclamée, tout devient libre opinion humaine, tout est permis et rien n’est défendu de ce qui jaillit d’une conscience sincère. On aboutit au nivellement de toutes les croyances.

Si la foi catholique n’est plus qu’une opinion parmi d’autres, il n’y a plus de raison de ne pas s’entendre avec les communautés schismatiques. « Admettre l’erreur, même chez les autres, comme une opinion autorisée ou une liberté permise, revient fatalement à s’y livrer soi-même. » (150 Points)

L’œcuménisme de Vatican II, congarien, a conduit l’Église catholique à ne se considérer qu’une parmi d’autres, ayant sa propre part de responsabilité dans les schismes. C’en est fini de l’Église catholique Une, Sainte... En accomplissant ses repentances, l’Église se saborde elle-même.

AVANT VATICAN II :

L’UNITÉ SUR LE FONDEMENT DU CHRIST

Pour mieux comprendre l’ampleur et la gravité de l’apostasie du Concile, il faut rappeler brièvement la théologie chrétienne de l’histoire.

« Rien de plus naturel aux hommes, écrit l’abbé de Nantes, que l’idée de leur unité fondamentale et sacrée, comme d’une famille fraternellement rassemblée dans la religion d’un unique Père Céleste. Rien de plus utopique cependant.

« Nos livres sacrés nous révèlent que tel était le dessein de Dieu au commencement, mais que la division est venue avec le péché. La révolte d’Adam contre Dieu, crime contre le Père, conduisit sa descendance au fratricide, à l’inévitable dispersion des lendemains du déluge, aux contradictions des bâtisseurs de la tour de Babel, images d’une humanité déchirée. Désormais, l’humanité est comme un vase de potier brisé dont les mille morceaux jonchent la surface de la Terre.

« Quand Dieu reprendra son œuvre en se choisissant un peuple pour premier instrument de son dessein, il introduira dans l’histoire un facteur de division absolue : avec lui ou sans lui. Ici les juifs, ailleurs les païens. Mais ni les uns ni les autres ne parviendront à Lui plaire (Rm 1-3).

« Alors vient le Christ, homme unique, Fils de Dieu sauveur. Nouvel Adam, il reprend le grand œuvre de l’unité fraternelle, fondée sur la foi en son Mystère de réconciliation des hommes avec Dieu par sa Croix.

« L’unité doit se reconstruire sur le fondement nouveau du Christ. Et saint Jean en donne la raison fondamentale : dans le Christ, tous ceux qui croiront recevront “ puissance de devenir enfants de Dieu ” (Jn 1, 12). »

En revanche, ceux qui rejettent le Christ constituent la Cité de Satan en lutte contre la Cité de Dieu. Jésus le disait aux pharisiens : « Votre père, ce n’est pas Abraham ; vous avez pour père le diable ! » C’est par l’Église catholique et dans l’Église seule que se reconstitue l’unité fraternelle. Un homme ne devient fils de Dieu qu’en recevant le baptême, au moins de désir ou par le martyre. Telle est la foi chrétienne.

« Son plus mortel ennemi, l’Antichrist, sera l’individu ou l’idéologie qui prétendra détruire toute ségrégation, toute discrimination religieuse, pour refaire l’unité humaine avec pour ciment la seule fraternité de nature... en Adam, faisant de l’homme son propre rédempteur et son propre Dieu. Toutes les religions, mises sur le même pied, seront considérées par lui comme des valeurs d’humanisme, et à ce titre fondues en une seule idéologie, d’un déisme et d’un moralisme sans autre terme de référence que ­l’humanité. » (CRC n° 59, août 1972, p. 3)

Le concile Vatican II, par sa déclaration Nostra Ætate sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes, a repris à son propre compte cet Humanisme intégral auquel Paul VI était résolument acquis.

NOUVELLE INTERNATIONALE... ANTICHRIST

Voici le préambule de Nostra Ætate : « À notre époque où le genre humain devient de jour en jour plus étroitement uni et où les relations entre les divers peuples augmentent... »

Commentaire de l’abbé de Nantes : « Étrange préambule ! Il met en marge le Christ et paraît ignorer la vie surnaturelle qui nous fait enfants de Dieu par le baptême ! »

Le théologien de la Contre-Réforme catholique relève ensuite le mot qui révèle la trahison : « Dans sa tâche de promouvoir l’unité et la charité entre tous les hommes, et même entre les peuples, elle (l’Église conciliaire) examine ici d’abord ce que les hommes ont en commun et qui les pousse à vivre ensemble leur destinée. »

« C’est ébouriffant. J’ai vraiment l’impression de pénétrer dans le Congrès d’une secte américaine. Sa tâche est de promouvoir l’unité entre les hommes et les peuples, et nous avons appris que cela allait dans le mouvement général qui emporte l’humanité. Qui donc a donné à l’Église cette tâche ? Le Concile, inconscient, n’a même pas cillé à cette monstruosité.

« Car unité, ici, remplace le mot qu’on attendait, de vérité. L’Église doit faire venir le monde entier à la Vérité divine et, par elle, à la grâce divine d’où naîtra dans les cœurs la charité fraternelle. Ces trois trésors venus de Dieu par l’Église éveillent la foi, l’espérance, donc la charité théologale, qui fructifieront en joie, concorde, pardon mutuel, entre personnes et entre peuples. Sans vérité divine, sans foi catholique, il n’y aura jamais d’union des âmes. “ Sans moi vous ne pouvez rien faire ”, a dit Jésus, notre commun et souverain Maître (Jn 15, 5). » (Autodafé, p. 261)

Alors que le Christ a apporté le salut en accomplissant notre rédemption par la Croix et que l’unité religieuse de l’humanité ne peut se faire que de Lui, par Lui et pour Lui, que toute autre religion doit désormais disparaître comme une inutilité, une fausseté et un obstacle, Vatican II adhère au projet maçonnique et satanique d’une fraternité universelle en dehors du Christ, avec pour ciment la seule fraternité de nature : les hommes sont frères, en toute Liberté, Égalité des conditions et Fraternité des cultes.

L’abbé de Nantes écrit : « Dieu est le Père de tous les hommes ? Non. Mais seulement de “ ceux à qui il a donné le pouvoir d’être enfants de Dieu ” (Jn 1, 12) à savoir ceux-là mêmes qui ont cru en Jésus-Christ (ibid.). Donc est annulé le précepte suivant, inventé par le Concile, nous faisant un devoir de “ nous conduire fraternellement envers tous les hommes, sans en excepter aucun, tous créés à l’image de Dieu ”. Et le Concile de se moquer de tout, en citant à l’appui de cette divine paternité universelle quatre mots de la première épître de saint Jean... dont tout le monde sait ( ?) – il n’y a qu’à lire ses six petites pages – que l’Apôtre de l’amour y fait retentir son enseignement de vingt éclats de fureur et d’excommunication à l’encontre des faux frères, des antichrists, des renégats qu’il faut fuir à tout prix. Ces perpétuels mensonges sur les Écritures sont d’ailleurs dénoncés par saint Jean comme digne de la damnation éternelle (Ap 22, 18-20). » (Autodafé, p. 286)

Citons encore Nostra Ætate : « L’Église réprouve donc, en tant que contraire à l’esprit du Christ, toute discrimination ou vexation opérée envers des hommes en raison de leur race, de leur couleur, de leur classe ou de leur religion (sic). »

« La mention du Christ en cette perspective toute maçonnique est vraiment étrange, inquiétante. Elle fait figure de véritable reniement. La hiérarchie chargée de continuer son œuvre souscrit au Credo de 1789, de l’ONU, au Credo maçonnique au nom même du Christ et de son Esprit ! » Ainsi, « au lieu de prétendre être elle-même l’unité humaine, l’Église rallie la nouvelle internationale humaniste et déiste de ses rêves » (CRC n° 59, p. 5).

Le Concile veut coopérer à une « concorde » et à une « paix » de toute « la fa­mille humaine », qui se feront au-delà des divergences religieuses considérées comme accessoires. « La liberté religieuse demande, en outre, que les groupes religieux ne soient pas empêchés de manifester librement l’efficacité singulière de leur doctrine pour organiser la société et vivifier toute l’activité humaine. » (Dignitatis humanæ n° 4) On va bâtir un monde fraternel sans le fonder sur le Christ, mais avec le concours de toutes les religions et idéologies humaines, fraternellement asso­ciées. Voilà l’idée mère du Masdu.

CULTE DE L’HOMME ET DE LA TERRE

La constitution Gaudium et Spes sur L’Église dans le monde de ce temps est précisément le manifeste du Masdu. Le titre tellement accusateur de l’étude critique de notre Père dit tout : “ Le culte de l’homme et de la terre ”.

Voici le texte-clé de son préambule :

« C’est en effet l’homme qu’il s’agit de sauver, la société humaine qu’il faut renouveler. C’est donc l’homme, l’homme considéré dans son unité et sa totalité, l’homme, corps et âme, cœur et conscience, pensée et volonté, qui constituera l’axe de tout notre exposé. Voilà pourquoi, en proclamant la très noble vocation de l’homme et en affirmant qu’un germe divin est déposé en lui... »

« Oh ! là ! s’écrie notre Père. Voilà que le Concile affirme qu’un germe divin est déposé en tout homme. Tout homme est fils de Dieu comme ça. Tout homme est image de Dieu comme ça. Donc, les hommes sont divins, le Concile le dit dès le n° 3 de Gaudium et spes. » Car il s’agit d’un germe divin qui se trouverait en tout homme, indépendamment de la grâce du baptême !

« Lors des assises de Vatican III, nous demanderons que ce chapitre de Vatican II soit déclaré anathème et nous démontrerons comment il nie insidieusement la doctrine catholique de l’ordre surnaturel de la justice et de la grâce, ainsi que le péché originel. Mais c’est dissimulé, et l’Église des fidèles, égarée par le Pape et le Concile, boit l’erreur comme de l’eau. » (CRC n° 60, septembre 1972, p. 7)

« Ce saint Synode offre au genre humain la collaboration sincère de l’Église pour l’instauration d’une fraternité universelle qui réponde à cette vocation. Aucune ambition terrestre ne pousse l’Église ; elle ne vise qu’un seul but : continuer, sous l’impulsion de l’Esprit Consolateur, l’œuvre même du Christ, venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité, pour sauver, non pour condamner, pour servir, non pour être servi. » (3, 1)

« Lisez, relisez, les mots à consonance religieuse, sauver, vocation, germe divin, servir sont associés à d’autres, nettement politiques, renouveler, fraternité universelle, de telle manière que la pensée se laisse saisir malgré l’équivoque. L’Église de Vatican II prétend que l’œuvre du Christ et de son Esprit consiste à faire réussir l’humanité sur terre, indépendamment de toute religion, une humanité déjà divine en elle-même et dans ses fins. Incroyable mais vrai. De cette humanité divine, l’Église se fait la servante, pleine de respect et d’amour. » (CRC n° 60, p. 6)

Gaudium et Spes s’extasie devant l’homme, son corps, son intelligence, son esprit, sa conscience, sa liberté.

Notre Père isole et dénonce cette proposition : « Croyants et incroyants sont généralement d’accord sur ce point : tout sur terre doit être ordonné à l’homme comme à son centre et à son sommet. » (12, 1)

Dans l’Autodafé, il en fera une critique imparable que nous citons en encart.

Cette proposition est totalement impie. Mais si nous en changeons un mot, un seul mot, elle deviendrait acceptable. Il suffit de mettre « l’Homme-Dieu » ou « Jésus-Christ » à la place de « l’homme » ! Ainsi nous aurions : « Tout sur terre doit être ordonné à l’Homme-Dieu, à Jésus-Christ, comme à son centre et à son sommet. » Mais alors, on ne peut plus déclarer : « Croyants et incroyants sont généralement d’accord... »

Son culte de l’homme, le Concile prétend le fonder sur le Christ. La preuve que tout homme possède en soi une dignité inaliénable et des capacités quasi infinies est apportée par Jésus-Christ :

« Le Christ est l’homme parfait. En Lui la nature humaine a été assumée, non absorbée, par le fait même, cette nature a été élevée en nous aussi à une dignité sans égale. Car, par son Incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme. » (Gaudium et Spes, 22, 2)

« C’est le principe, commente l’abbé de Nantes, qui doit faire le passage du christianisme à l’humanisme universel, le joint du culte de Dieu et du Dieu fait homme, au culte de l’homme, de l’homme qui se fait Dieu...

« Voilà la plus grande éversion de la foi qui n’ait jamais été professée ! C’est le monde renversé. Le Christ, par son Incarnation et sa Rédemption, serait le révélateur pour l’Homme de sa propre grandeur, de sa valeur, de son mérite, et le convaincrait de sa propre excellence ! Jamais on n’avait fait ainsi de Jésus-Christ et de ses mystères de grâce le piédestal et l’ornement de l’orgueil humain. » (CRC n° 140, avril 1979, p. 4-5)

Il faut bien comprendre toutes les conséquences d’un tel principe :

« Tous les hommes ont été par le fait même de l’Incarnation du Fils de Dieu “ en quelque sorte ” unis dans leur humanité à la sienne, et par là physiquement élevés jusqu’à partager sa dignité de Fils de Dieu et son destin.

« Le problème du salut est réglé. Plus d’enfer, plus de purgatoire, plus de morale, plus rien. Et il n’y a même plus besoin d’une Rédemption par la Croix de Jésus, ni de réparation par nos pénitences et nos pauvres mérites. Jadis, toute notre mystique était fondée sur notre union morale au Christ-Dieu : union morale veut dire union des volontés... désormais nous sommes au Christ comme des frères siamois, indétachables de Lui, quelle que soit notre moralité. » (Autodafé, p. 367)

À cela, notre Père oppose « une scène, rapide, mais combien instructive, de l’Évangile. Rapportée par saint Luc : “ Alors une femme élevant la voix dit à Jésus : Heureuses les entrailles qui vous ont porté et les mamelles que vous avez sucées ! Mais il répondit : Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et la gardent. ” (11, 27-28)

« C’est dire définitivement que ni l’union physique ni rien de tel ne peut établir une communication de grâce, de vie divine, pour n’être que symbole et signe d’une union d’âmes, d’esprit, de convictions et de grâce.

« Ainsi la voie est coupée à cette théorie avantageuse, selon laquelle par le truchement de sa nature humaine, en vertu d’une imaginaire solidarité physique, Jésus aurait divinisé tous ses frères les hommes en se donnant la peine de naître, et sans leur demander, à eux, la moindre peine. » (Autodafé, p. 374)

CULTE AUTOLÂTRIQUE

« Croyants et incroyants sont généralement d’accord sur ce point : tout sur terre doit être ordonné à l’homme comme à son centre et à son sommet. » (Gaudium et Spes 12, 1)

J’en suis estomaqué ! Je vous ai fait remarquer déjà que c’était une manière du Concile d’assener dès les premiers mots quelques grand principe ou singulière affirmation, sans référence, sans preuve, sans arguments à l’appui. Rien ! Assommé par un coup pareil, absolument inattendu, l’auditoire, ou lecteur en son particulier, ne songe pas à réagir, et admet provisoirement, d’un provisoire qu’on peut considérer après quarante ans comme définitif, aussi fortement qu’une évidence. Ici, cette proposition insensée, pernicieuse et odieuse à notre foi, est particulièrement légère.

  1. a) Elle s’appuie sur un prétendu accord général de tous les hommes ( !), croyants ou non... Je demande : Que vaut un tel accord ? d’où en tirez-vous l’information ? Et qui donc a pu manipuler, par masses énormes et inertes, toute l’humanité sur un sujet qu’on pourrait dire, soit comme philosophe, soit comme moraliste, une idée creuse, ne correspondant à aucune réalité, mais en revanche, bien faite pour ébranler tout l’ordre humain ?
  2. b) D’autant que cette proposition est édictée en termes normatifs, contraignant le monde entier à faire de l’homme le centre et le sommet de ses pensées, de ses volontés, de ses travaux. Idéalement, cela peut se concevoir et se vérifier parce que, en toutes pensées et activités concrètes, même en bâtissant, en cultivant, en inventant des systèmes, c’est toujours en fin de compte pour ses congénères et pour lui-même que travaille l’homme.

Mais quel homme ? Voilà la question décisive : d’abord moi, dira l’un ; non, les pauvres d’abord, et nous ensuite ! En un autre groupe : d’abord la famille ; et l’autre, d’abord le Parti... La cacophonie sera d’autant plus assourdissante que le grand principe affiché aura maximalisé à outrance les revendications de dignité et d’intérêt du genre d’homme, ou du groupe ou de l’individu de son choix.

N’oublions pas que le titre du chapitre indique la raison de cette introduction fracassante : c’est “ la dignité de la personne humaine ” qui la tire soudain de son fumier, de sa poussière, pour l’élever au niveau des rois, des sages et des héros. Là est le mal. L’embarras vient du nombre de personnes qu’on a charitablement persuadées de leur « dignité », telle enfin que les voici promues : centre et sommet de la création !

  1. c) Laissons les conséquences paraître dans la suite de ce texte, pour en montrer l’erreur et le mal avérés. Une seule considération me semble devoir être faite dès le premier moment. Nos évêques ont-ils pensé qu’un homme, un seul au monde avait bien revendiqué cette suprématie universelle, cette royauté sur la terre, le ciel et les enfers, cette autorité supérieure et cette responsabilité centrale sur tout, absolument tout, c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ, dont Pilate disait avec dérision : « Voici l’homme !» Et lui-même, Jésus, annonçait que cette place suréminente lui appartenait et lui serait reconnue, quand il aurait consommé son Sacrifice rédempteur, disant : « C’est maintenant le jugement de ce monde ; maintenant le Prince de ce monde va être jeté bas ; et moi, élevé de terre, j’attirerai tout à moi. » (Jn 12, 31-32)

Alors, l’homme universel, qui est “ personne ”, promu au sommet et au centre du monde par une acclamation universelle à laquelle un Concile romain joint son approbation unanime, nous paraît supplanter Jésus-Christ, sur la suggestion du Prince de ce monde, qui, jeté bas, paraît avoir repris du poil de la bête. Et quand le Concile titre ce paragraphe : « L’homme à l’image de Dieu », cet homme sans religion, sans nation, sans autre perfection que celle d’être homme, me paraît l’objet, ici, de la part d’un monde apostat, d’un culte autolâtrique !

(Georges de Nantes, Autodafé, p. 325-326)

CHERCHEZ LE ROYAUME TERRESTRE...

Selon Gaudium et Spes, le devoir principal de la religion est d’éclairer tous les humains, et même les irréligieux, sur leurs problèmes temporels et matériels.

La nouveauté de Vatican II, l’abbé de Nantes l’exprime ainsi : « Cherchez d’abord le royaume terrestre, sa paix, sa justice, sa prospérité, ses plaisirs, et le reste vous sera donné par surcroît, le reste qui est le Ciel lointain vers lequel l’Église a trop longtemps distrait l’attention de ses enfants. » (Lettre à mes amis n° 213 du 26 septembre 1965)

Le Concile insinue avec une malice infinie que la construction de la cité terrestre est l’avènement du royaume de Dieu : la réussite technico-culturelle est le passage obligé vers le Royaume de Dieu eschatologique !

Autrefois, le Royaume de Dieu, c’était l’Église et la Chrétienté où toute la société, les institutions politiques, les lois, l’enseignement étaient chrétiens. Le Concile, lui, proclame que le Royaume de Dieu, c’est le monde moderne, avec des États laïques, que l’Église, en collaboration avec les autres religions, doit servir pour que l’homme trouve sa vraie stature... Pour cette construction d’un monde où l’humanité serait enfin prospère et fraternelle, où la terre regorgerait de biens matériels et spirituels, le Concile recherche des solutions acceptables par tous, croyants et incroyants, donc une morale accessible à tous, facile et attrayante. En réalité, observe notre Père, « c’est une capitulation devant les revendications de la chair et du sang, du monde ennemi et en définitive de Satan, le Prince de ce Monde. Les hommes demandent du pain et des jeux. Cela n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c’est que l’Église écoute ces vociférations de la plèbe et y reconnaisse de hautes aspirations, une vocation, un dessein de Dieu qu’il faut contenter !

« Voici la triple erreur de Gaudium et Spes :

– La libération et le salut de l’humanité se réalisent enfin en notre temps par la constitution d’un monde nouveau sur la terre.

– Tous les hommes, tous les groupes sociaux coopèrent aujourd’hui à cette constitution dans une union fraternelle.

– L’Évangile est le ciment de cette constitution sous sa forme moderne du culte de l’homme, de sa dignité, de ses droits. Et l’Église assure l’animation désintéressée de cet effort humain sans précédent qui réalise le dessein de Dieu sur le monde, avec la collaboration de toutes les religions et idéologies humaines. » (CRC n° 60, p. 10 et 12)

Notre Père y oppose un principe majeur de la Contre-Réforme Catholique : il n’y a de vie pour la société comme pour les personnes individuelles que dans l’ordre surnaturel de la grâce du Christ qui nous est communiquée dans l’Église par les sacrements. C’est sur ce fondement que, dans la Chrétienté, toutes les communautés reçoivent un épanouissement certain, aussi bien la famille que la commune, l’usine, la corporation, la nation, devenues chrétiennes.

LE PAPE FRANÇOIS HÉRITIER DE VATICAN II

Le Concile n’a produit aucun des merveilleux fruits annoncés par les papes Jean XXIII et Paul VI. En janvier 1969, l’abbé de Nantes écrivait : « Ils se sont trompés dans leur annonce d’un printemps de l’Église, d’un renouveau extraordinaire, en suite de son retour à l’Évangile [ ?] et de son ouverture au monde. C’est le contraire qui est manifeste, du malaise à la crise et de la crise à la “ décomposition du catholicisme ”, à “ l’autodémolition de l’Église ” [de l’aveu même de Paul VI]. » Cette ruine de l’Église est sans précédent dans toute son histoire.

La grande réforme entreprise par le pape François s’inscrit dans la suite de celle du Concile. Ce sont les nouveautés de Vatican II qui inspirent le synode de la synodalité, particulièrement celles contenues dans la constitution Lumen Gentium. En effet, le programme du synode est officiellement une « écoute de l’Esprit » grâce aux « contributions de la consultation du Peuple de Dieu » (Secrétariat du synode). Ce sont les laïcs tout autant que les ecclésiastiques, tous prétendument inspirés par l’Esprit, mais quel Esprit ? qui peuvent et même doivent exprimer leurs revendications pour une mise à jour de l’Église.

Comme le remarquait l’abbé de Nantes, lors du premier synode des évêques, en 1971, on est dans la logique d’un « Peuple de dieux, la sainte Église étant tenue pour une démocratie divinement et infailliblement populaire ». Le Document de travail pour l’étape continentale du synode (octobre 2022) précise qu’il s’agit d’écouter « les divorcés remariés, les familles mono­parentales, les personnes vivant dans un mariage polygame, les personnes LGBTQ, etc. » ( n° 39) « La synodalité est un appel de Dieu à marcher ensemble avec la famille humaine tout entière », donc avec « les personnes d’autres confessions ». Le peuple de Dieu invite à « un renouveau de l’œcuménisme et de l’engagement interreligieux » pour relever les « défis sociaux et environnementaux », afin de construire la paix et la réconciliation, la justice, etc.

Pour conclure notre article, rappelons ce que l’abbé de Nantes affirmait en 1996, quand il subit les oukases de Mgr Daucourt. À propos de l’hérésie de la liberté religieuse, « victoire de Satan », il déclara : « Nous préférons mourir plutôt que de passer dans l’autre camp ou de s’endormir dans un monastère bien fermé, mais asphyxié par le Concile et par le Pape. À mon âge, une seule chose compte : la défaite de Satan et la condamnation du concile Vatican II. »

frère François de Marie des Anges.