Il est ressuscité !

N° 245 – Juillet 2023

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


« Ta pensée de la mort »

(saint Charles de Foucauld)

I. LES FINS DERNIÈRES

EN Occident, l’accompagnement des incurables et  des mourants n’est pas nouveau. Souvent oubliés par les bien portants, ils ont été l’objet des soins particuliers de Notre-Seigneur et de l’Église. Dans la société traditionnelle, disons celle d’avant-guerre, « l’accompagnement des mourants est d’abord et avant tout, une pratique domestique. Cette dernière concerne essentiellement la famille et les proches du malade. Les hôtels-Dieu, fondés par les évêques et administrés par leurs chapitres, sont des hospices qui accueillent les indigents malades qui ne peuvent bénéficier des soins d’une famille. Ce devoir de charité à l’égard des mourants procède de la pastorale des fins dernières, qui recommande de tout mettre en œuvre pour permettre au mourant de faire une mort sainte et d’assurer le salut de son âme. Dans ce contexte, il n’est guère question de soulager ou d’améliorer le confort du malade, mais plutôt de le persuader de faire pénitence et d’implorer la miséricorde de Dieu, en l’invitant à offrir ses souffrances en rémission de ses péchés. Cette pastorale est résumée dans des manuels pleins de bon sens de la bonne mort , dont saint Joseph est le patron, lui qui est mort entre les bras de Jésus et Marie. Destinés aux proches, la publication de ces manuels s’étend du quinzième au début du dix-huitième siècle. Ils décrivent les différentes tentations qui attendent l’agonisant et proposent des résolutions à prendre afin de  réussir  sa sortie de la vie et de garantir son entrée en Paradis. » (Accompagner, Michèle-H. Salamagne, 2015)

Les incurables furent pris en compte par les hôpitaux plus tard, lors de la fondation de l’Hôpital général par Louis XIV en 1656. Le soin de ces patients prend un nouvel élan avec Jeanne Garnier, une Lyonnaise qui, après avoir perdu successivement son mari et ses deux jeunes enfants, se dévoue totalement à Jésus crucifié en secourant les femmes incurables. À vingt-quatre ans, elle consacre tout son temps et sa fortune à leurs soins dans un esprit de charité et de souci du salut des âmes, les logeant dans sa propre maison, rythmant leurs journées selon une règle religieuse et les accompagnant jusqu’à leur mort sous le signe de la Croix. L’Œuvre des Dames du Calvaire commencée en 1842 à Lyon sur la colline de Fourvière au pied de l’Immaculée, inspira d’autres pieuses femmes, à créer d’autres “ Calvaires ” en France et à l’étranger.

Mais après la Deuxième Guerre mondiale, la crise religieuse conjuguée aux progrès de la médecine change les mœurs. La facilité d’accéder aux soins et à l’hôpital font apparaître plusieurs évolutions importantes que l’abbé de Nantes résume ainsi : « Le malade, de sujet devient objet, de questionné devient questionneur avide et frustré, de responsable de soi devient patient inerte et soumis, comme une machine en réparation. » Quand vient la fin, « l’homme cesse d’être le maître souverain de sa mort, et en est systématiquement, tyranniquement dépossédé, volé ». Le prêtre est de moins en moins appelé au chevet du mourant, et de moins en moins autorisé à s’y rendre, quand ce n’est pas le prêtre lui-même, hélas ! qui refuse d’y aller. Il est dit désormais que c’est un sort heureux de ne pas se voir mourir, quand pour nos pères cela paraissait un châtiment (L’Onction des malades, CRC n° 119, juillet 1977, p. 4-5).

Dans les années 1970, alors qu’une majorité de Français décèdent à l’hôpital – aujourd’hui les trois quarts des décès surviennent au sein d’un établissement de soins – cette médecine sans religion se caractérise par son omnipotence qui sacrifie l’humain au profit de la technicité. L’opinion retient l’image emblématique de la mort en réanimation qui, sous prétexte de redonner la vie, s’acharne sur le malade, sans tenir compte de sa douleur psychique, de son accompagnement ni surtout du salut de son âme.

C’est alors que se dessine l’apparition d’une nouvelle période de l’existence, la “ fin de vie ”. Autrefois, « la population était jeune, écrit l’abbé de Nantes, dans une société où l’espérance de vie ne dépassait pas vingt à vingt-cinq ans. La maladie était souvent le signe d’une crise de santé aiguë dont le dénouement devait être rapide. Peu d’incurables ou d’invalides. On guérit ou on meurt. » Désormais, avec l’allongement de l’espérance de vie, les affres de la maladie et de l’agonie deviennent davantage visibles des proches, mais aussi du corps médical qui ne supporte pas cette situation. Pour éviter ce sentiment d’impuissance, bien des médecins se réfugient dans les actes techniques, les réanimations jusqu’au-boutistes, l’acharnement thérapeutique, puis, quand ils ne peuvent plus rien, mettent les mourants à l’écart, dans une chambre “ au bout du couloir’’. Les souffrances de ces derniers ne sont alors, le plus souvent, pas soulagées, car les effets secondaires de la morphine (dépression respiratoire, confusion mentale) font peur. Quand elle devient intolérable, pour le patient ou pour le médecin ! les équipes ont recours à l’injection létale qui plonge le mourant dans un coma artificiel. Selon la seule étude disponible, qui date de 2009 et qui extrapole les résultats obtenus sur un échantillon de 4 700 décès, on estime à 3 000 par an le nombre d’euthanasies et de sédations terminales en France.

Sous prétexte de refuser l’acharnement thérapeutique et cette mort technicisée et déshumanisée, les francs-maçons veulent imposer à la société une alternative, l’euthanasie sans égard pour l’au-delà de la mort.

Si la mort est une fin inexorable et absolue de toute existence humaine, de fait, pourquoi prolonger une vie, de toute façon sans prix, lorsqu’elle est ressentie comme insupportable ? Au nom de qui et de quoi priver quiconque de la possibilité de se jeter dans le néant pour faire ainsi disparaître à jamais d’indicibles souffrances ? Seuls les chrétiens, illuminés de l’intelligence que leur procure la foi catholique peuvent répondre à cette question, car ils savent, par la résurrection de Notre-Seigneur, revenu de la mort endurée sur la Croix, qu’une vie nouvelle nous attend après la mort qui n’est donc qu’un passage. Mais avec cette tragique alternative : le Ciel ou l’Enfer et pour l’éternité ! Or cette alternative, toute dépendante de la sainteté de Justice et de Miséricorde du Bon Dieu, et confiée au Cœur Immaculé de Marie, est déterminée par la vie que chacun mène sur cette terre, et en particulier, par la manière de rendre à Dieu son âme qui vient de Lui seul.

L’acceptation lucide de la mort avec toutes ses angoisses, ses peines et ses souffrances qui l’accompagnent nécessairement, mais qui ne durent qu’un temps, en fait un acte ultime de foi et d’amour rendu à Dieu par sa créature, dont Jésus nous offre le modèle “ unique ” sur la Croix.

Dès lors, seule l’Église a autorité et sagesse pour se prononcer en dernier recours sur les questions morales très difficiles posées par les progrès de la médecine moderne et auxquelles sont confrontés les grands malades, en particulier ceux qui sont sur le point d’achever leur pèlerinage en cette vallée de larmes, ainsi que leurs familles et même les médecins : qu’est-il permis de faire au regard du Bon Dieu ?

Or l’État républicain s’est arrogé le droit de décider, de légiférer dans ce domaine éminemment religieux et pour lequel il s’est ostensiblement crevé les yeux en ayant par principe exclu l’Église par haine du Bon Dieu. Ainsi un sujet, dont dépend le salut des âmes, est livré de façon absolument sacrilège à la discussion démocratique, avec à la clef toutes les passions politiques, médiatiques, électorales où tout, absolument tout est biaisé.

En revanche, il existe une force qui, elle, n’a pas les “ yeux crevés ”. C’est la franc-maçonnerie qui, dans cette affaire, mène la danse comme nous allons le montrer. Son objectif est bien arrêté et bien précis et elle sait prendre le temps et les moyens pour y parvenir : tenter les âmes sur le point de paraître devant leur Dieu, avec la “ bénédiction ” d’une loi républicaine, de commettre l’acte ultime de désespoir que constitue un suicide et quel qu’en soit le motif, doublé de complicités voire même d’un crime commis par ceux qui procéderaient intentionnellement à une injection létale, car l’euthanasie est un meurtre.

UN COMBAT MAÇONNIQUE

Henri Caillavet est un franc-maçon qui eut une grande influence dans la période d’après-guerre. Il fut initié au Grand Orient de France en 1935 à vingt et un ans, ce qui est assez rare pour être signalé, et décéda en 2013. Proche des milieux libertaires et anarchistes, il faisait du trafic d’armes au profit des Brigades internationales qui se battaient au côté des républicains espagnols. Pendant la guerre, il fut poursuivi par le maréchal Pétain et plus tard, en tant que parlementaire, il fut membre de la Haute Cour de Justice chargée de juger certains responsables du régime de Vichy. Ancien député et ministre sous la IVe République et sénateur sous la Ve, il devint une sommité du Grand Orient et fut pendant de nombreuses années président de la “ Fraternelle parlementaire ”, l’association des parlementaires francs-maçons.

Il s’illustra par une intense activité de législateur dans les questions morales et sociales. Il prépara nombre de textes sur les dons d’organes, l’insémination artificielle, l’avortement, le divorce par consentement mutuel, l’internement psychiatrique... « Permettre à un enfant handicapé de venir au monde, soutenait-il, est une faute parentale et peut-être même le témoignage d’un égoïsme démesuré. » (Mort d’Henri Caillavet, ancien ministre, Le Figaro du 27 février 2013)

Il a aussi fait des propositions de loi sur l’homosexualité et le transsexualisme.

Sénateur radical-socialiste, il est l’auteur en 1976 de la première proposition de loi tendant à la légalisation de l’euthanasie. « Suicide assisté et euthanasie sont des programmes francs-maçons », expliquait-il. Fort heureusement, le Sénat rejeta cette proposition de loi en 1978.

Malgré cet échec, la franc-maçonnerie n’abandonna pas son projet. Caillavet travailla dans les coulisses avec un acharnement de démon. Dès le début des années 1980, avec d’autres “ frères ”, il crée l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) qui, au fil des ans et à la suite d’une intense collaboration avec les loges, finira par être à la pointe du combat pour obtenir la légalisation en France de l’euthanasie et du suicide assisté. Soutenues par un comité de personnalités issues du monde politique, universitaire, médiatique et scientifique, leurs initiatives sont puissamment relayées par les médias.

Comme l’a écrit Serge Abad-Gallardo, un franc-­maçon converti, animé d’une grande foi chrétienne et d’un rare courage, dans son livre Fin de vie : les manœuvres maçonniques pour le droit à mourir  : « Le débat actuel sur la question de l’euthanasie ne doit rien à un quelconque hasard, à une prétendue  évolution de la société , à un plébiscite des peuples, mais tout à une sorte de  coup d’État  progressif et subreptice de la franc-maçonnerie. Et derrière cette démarche maçonnique se dissimule en réalité une idéologie que l’Institution initiatique (qui règle le recrutement de la franc-maçonnerie) s’emploie à imposer depuis sa création : un bouleversement complet de notre paradigme social et anthropologique » (Fin de vie, Abad-Gallardo, p. 21).

LES SOINS PALLIATIFS

En 1985, le ministère de la Santé crée un groupe de travail sur les conditions des mourants, et des débats naît la Circulaire Laroque qui officialise en 1986 l’existence des soins palliatifs en France. Cinq ans plus tard, une loi en fait une mission de l’hôpital.

Entre la mort médicalisée et l’euthanasie, les soins palliatifs se présentent comme une troisième voie, plus “ humaine ”, plus “ sociale ”, plus “ solidaire ”, permettant de répondre à un grand nombre de situations vécues par les personnes incurables ou mourantes.

En effet, cette science médicale, dont on trouve les principes dans les anciennes œuvres de charité catholiques, fit d’immenses progrès techniques dans les années 1970. Elle consiste à apporter au patient atteint d’une maladie grave, évolutive ou terminale, chez lui ou en unité hospitalière, des soins actifs, non pas pour le guérir, ce qui n’est plus possible, mais pour diminuer sa souffrance et tous les symptômes éprouvants en intégrant la dimension psychique, sociale et spirituelle du malade et en considérant la mort comme un processus naturel.

Professionnels et bénévoles confondus trouvent dans l’émergence des soins palliatifs une nouvelle attitude à l’égard des incurables et des mourants. On s’adresse au malade comme à un être humain, et non comme à un objet. Si possible, on cherche à le renvoyer chez lui : ce qui est le cas de 30 % des malades entrés en unité de soins palliatifs.

On peut distinguer trois types de soutiens apportés à ce genre de soins : les médecins bien sûr, les humanistes et les chrétiens.

Chrétiens et une partie des humanistes se retrouvent pour soutenir l’existence et le progrès des soins palliatifs qui permettent tout à la fois d’éviter les excès inhumains de la médecine, de soulager efficacement 95 % des malades et mourants et d’éviter ainsi la “ solution ” de l’euthanasie. L’Église invoque le devoir de soigner tout l’homme, dans sa dimension physiologique, psychologique, familiale et surtout spirituelle, et voit dans les “ soins palliatifs ” la possibilité pour les personnels médicaux catholiques de concilier obéissance à la loi évangélique et respect de leurs obligations professionnelles. Cependant, et c’est là leur erreur majeure, se cantonnant à une argumentation strictement rationnelle pour la rendre acceptable aux yeux des humanistes, nos évêques renoncent à leur autorité qu’ils tiennent de Notre-Seigneur, et à leur mission surnaturelle de préparer les âmes à entrer dans la vie éternelle.

Cependant les francs-maçons font remarquer que les soins palliatifs sont certes efficaces, mais pas dans tous les cas. Et lorsque les douleurs sont intolérables, il n’y aurait, selon eux, pas d’autre solution que de recourir à l’euthanasie. Ne tenant aucun compte des discours de nos évêques, ils exploitent à fond leur abandon de poste, leur trahison.

La première unité de soins palliatifs (USP) française ouvre à l’hôpital international de la Cité universitaire de Paris. Rapidement, parce qu’ils partagent des objectifs médicaux très proches et parce qu’ils refusent en particulier d’envisager de donner la mort dans leurs unités, un grand nombre de professionnels de santé et d’associations d’accompagnement, décident de conjuguer leurs efforts et créent en 1989 la Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs (SFAP) pour représenter ensemble les intérêts du mouvement des soins palliatifs auprès des pouvoirs publics, des sociétés médicales et des mouvements associatifs. Au fil du temps, cette société et d’autres associations de soutien vont s’opposer de plus en plus ouvertement aux partisans de l’euthanasie.

Une autre instance prendra une importance dans le débat sur l’euthanasie, le Comité Consultatif National d’Éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE). Créé en 1983 par le président Mitterrand à la suite du premier bébé français conçu par fécondation in vitro, ce comité pluridisciplinaire de réflexion, qui peut être saisi par des organismes divers, voire par le gouvernement ou par le chef de l’État, a pour mission de répondre, selon le site officiel, à des « questions de société soulevées par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé », comme le don des éléments du corps humain, la fin de vie, la génomique et surtout l’assistance médicale à la procréation. Son rôle est en réalité de donner une autorité morale aux lois les plus immorales que les gouvernants veulent donner à la France.

Habilement et pour faire croire à l’opinion publique qu’on peut tirer de tout débat un vaste consensus, il a été décidé que sa méthode de discussion reposerait « sur l’élaboration de repères qui soient valables pour tous et admis par tous, et qui ne se limitent pas à un catalogue d’autorisations et d’interdits, mais se fondent au contraire sur des valeurs communes ». Il ne s’agit donc pas de savoir au nom de quels principes on interdit telle pratique, mais au nom de quels arguments on dénonce ou on approuve cette même pratique. Les avis du CCNE, qui compte aujourd’hui cent quarante et un membres, parachèvent la délibération collégiale d’une assemblée nombreuse composée d’un président et de trente-neuf membres (médecins, chercheurs, philosophes, juristes, théologiens) nommés pour quatre ans renouvelables.

Officiellement, ses avis n’ont pas force de décision politique et ne sont que consultatifs : il revient au législateur de trancher, quelle que soit la position prise par le CCNE. Cependant, le CCNE étant perçu comme une instance légitime et prestigieuse, les pouvoirs politiques le prennent en haute considération.

LA LOI LEONETTI DE 2005

La lutte de la franc-maçonnerie pour l’euthanasie a pris au cours des vingt dernières années une virulence nouvelle à la faveur de plusieurs affaires médicales hors du commun qu’elle a habilement exploitées. Serge Abad-Gallardo a expliqué dans son livre plusieurs étapes de ce « coup d’État », auxquelles j’ajouterai quelques faits supplémentaires.

L’une de ces premières affaires commence le 24 décembre 2000, lorsque « Vincent Humbert, jeune sapeur-pompier de dix-neuf ans était victime d’un accident de la route. À la sortie d’un coma de six mois, il se retrouva, tétraplégique, aveugle, muet (...), mais toujours lucide (...). Après deux ans de combat, les médecins lui annoncent que son corps ne peut se rétablir. Sa mère transmet au président de la République de l’époque, Jacques Chirac, la demande de son fils : “ Je vous demande le droit de mourir. ” Le Président répond qu’il “ n’a pas le droit ” d’accéder à sa requête.

« C’est dans ces circonstances que sa mère, Marie Humbert, annonce dans l’émission Sept à Huit, le 21 septembre 2003, qu’elle “ l’aidera à mourir ”. Trois jours après cette déclaration publique, elle lui fit une injection de pentorbarbital de sodium à forte dose. Mais elle ne réussit qu’à le plonger dans un profond coma. Vincent Humbert est admis dans le service de réanimation du docteur Chaussoy, alors que sa mère est placée en garde à vue. À la suite d’une réunion collégiale, le médecin arrêta la réanimation. Mais Vincent fut victime d’une série de gasps, il se redressa brusquement sur son lit en cherchant à aspirer de l’air. Le docteur lui administra alors du potassium afin de faire cesser ces gasps. Vincent fut donc euthanasié le 26 septembre 2003. Le médecin et la mère furent mis en examen pour “ empoisonnement avec préméditation ”. L’instruction fut “ lourde et douloureuse ”, mais la juge d’instruction, Anne Morvant, décida le non-lieu général, le 27 février 2006. »

Sous la pression du chantage affectif savamment exercé par la franc-maçonnerie, l’État finit par admettre une prétendue nécessité de légiférer sur la “ fin de vie ”. Il n’en fallait pas plus ; l’ouverture d’une discussion démocratique dans un pareil domaine fut déjà une première concession qui en appellerait d’autres en faveur du parti pro-euthanasie.

En 2005, la loi Leonetti introduit plusieurs dispositions dans le Code de la santé publique. 1. Tout patient est en droit de considérer qu’un traitement constitue pour lui une « obstination déraisonnable », autrement dit un acharnement thérapeutique. Il peut donc le refuser, même si ce refus peut avoir des conséquences vitales. Il a alors le droit de bénéficier d’un accompagnement palliatif. 2. La loi impose cette interdiction d’obstination déraisonnable aux équipes soignantes, ce qui les oblige à arrêter les traitements chez un patient qui n’est plus en état d’exprimer sa volonté, lorsqu’elles estiment que leur poursuite n’a plus de sens sur le plan médical et à condition d’en avoir discuté préalablement dans le cadre d’une procédure collégiale. 3. Cette loi rend possible la rédaction de « directives anticipées », valables trois ans, qui permettent au patient d’exprimer ses volontés pour le cas où, en fin de vie, il ne pourrait plus le faire lui-même. En 2005, elles n’ont qu’une valeur d’information, elles ne s’imposent pas au médecin.

De prime abord, cette loi, votée à l’unanimité, semble bonne. Elle définit un « droit à laisser mourir », elle condamne l’acharnement thérapeutique et elle ne légalise pas l’euthanasie. Elle donne, en outre, une grande liberté dans l’utilisation de molécules sédatives puissantes, à condition que le but visé soit le soulagement du malade et non pas sa mort.

L’AMBIGUÏTÉ DE LA LOI LEONETTI

Et pourtant, malgré toutes ces bonnes dispositions de la loi, celle-ci est piégée, ce qui donne de sérieux doutes sur la pureté d’intention du législateur.

Un article du journal Libération du 24 juin 2014 résume bien toute l’ambiguïté de cette loi à propos de l’acharnement thérapeutique, et en particulier autour du problème de l’arrêt de l’alimentation-hydratation artificielle (AHA).

En fin de vie, les malades ont régulièrement de fortes difficultés à se nourrir et à s’hydrater par eux-mêmes, pour différentes raisons. La médecine permet l’AHA afin de pallier ces difficultés par différentes techniques intrusives dans le corps nécessitant le consentement du malade. Mais l’AHA est-elle un soin, c’est-à-dire un acte qui répond à un besoin vital du malade, comme la toilette, le toucher-massage, les soins de bouche ou des yeux, qui, dans toutes les situations, doit être maintenu jusqu’au décès, ou bien un traitement médical, donc susceptible d’encourir la qualification d’obstination déraisonnable et donc d’être arrêté ?

« Certes, souligne Libération, le texte [la loi Leonetti] interdit tout geste actif et reste dans une logique du  laisser mourir  et non du  faire mourir , mais le législateur a ouvert explicitement la possibilité de l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation artificielles (AHA), pour hâter, de fait, le décès. Cela étant possible dans deux cas : premièrement, quand les médecins considèrent que l’on est en situation d’obstination déraisonnable, et qu’il vaut mieux pour le patient que  cela s’arrête . Deuxièmement, quand le patient est conscient, et alors lui seul peut décider de cet arrêt. »

Terrible ambiguïté de la loi qui permet d’assimiler prise artificielle de nourriture et d’eau à un “ traitement médical ” et donc d’autoriser les médecins, dans certains cas, à littéralement laisser mourir de faim et de soif leurs patients. Terrible ambiguïté que saura exploiter, le moment venu, la franc-maçonnerie pour proposer une solution plus nette, plus radicale et plus “ douce ”. Elle reviendra sans cesse sur l’insatisfaction de cette loi pour dire qu’il faut la changer et permettre l’euthanasie afin de sortir de cette « hypocrisie » (sic !).

L’AFFAIRE CHANTAL SÉBIRE

En 2008, une nouvelle campagne de presse est lancée sur un nouveau cas hors norme. Chantal Sébire, cinquante-deux ans, habitante de Côte-d’Or, est atteinte depuis plusieurs années d’une tumeur incurable très rare des sinus et de la cavité nasale qui lui déforme horriblement le visage. Subissant, dit-elle, des douleurs atroces et ayant perdu l’odorat, le goût, puis enfin la vue, elle dit refuser de se suicider et demande à la justice ainsi qu’au président Sarkozy d’autoriser un médecin à lui prescrire « le traitement nécessaire pour lui permettre de terminer sa vie dans le respect de sa dignité ». C’était une première judiciaire. L’affaire Humbert avait inspiré la loi Leonetti et obtenu le droit au « laisser mourir » sans aller jusqu’à l’euthanasie. Le cas Chantal Sébire allait plus loin, celui d’avoir le droit de mettre fin à des souffrances que rien ne soulage.

Mais le juge estima qu’il ne pouvait que rejeter sa demande, « en l’état de la législation française ». Cette décision l’aurait poussée le 19 mars 2008, alors que son médecin, le Dr Emmanuel Debost, un jeune généraliste, était invité ce jour-là à l’Élysée, à se suicider dans son domicile par une ingestion massive de barbituriques, du Pentobarbital, pourtant interdit en France. Cette constatation provoqua l’ouverture d’une enquête policière.

Quelques jours plus tard, le docteur Jean-Louis Béal, chef de l’unité des soins palliatifs la Mirandière, dépendante du CHU de Dijon, déclara dans le journal Le Parisien que son équipe d’hospitalisation à domicile (HAD), qui intervenait chez Chantal Sébire depuis octobre 2007, avait été peu à peu « évincée » par la malade, laissant le seul pilotage au docteur Debost, « rapidement débordé par cette affaire hors norme ».

Il ajoute que cette situation a ensuite permis « à l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) de s’emparer de ce cas emblématique pour faire avancer sa cause ».

Jean-Luc Romero, président de l’ADMD de 2007 à 2021, socialiste, homosexuel, séropositif et promoteur du mouvement LGBT, explique en 2022 que cette femme a fait avancer la cause : « Ce visage qui était difficile à regarder, elle a voulu le donner à voir, car cela amplifiait son message. Elle a été la seule à avoir un tel retentissement médiatique, avec Vincent Humbert. »

LE RAPPORT LEONETTI DE 2008

Suite à cette agitation, Jean Leonetti dépose en décembre 2008 un nouveau rapport devant l’Assemblée nationale. Il se prononce contre une légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté. Il considère que le dispositif légal actuel « résout l’immense majorité » des problèmes rencontrés en fin de vie. Il note que là où les soins palliatifs sont développés, « l’euthanasie régresse, car cette prise en charge diminue considérablement la demande de mort ».

Ce rapport fut jugé par les médecins comme « une grande avancée », parce qu’il préconisait une série de mesures pour faire des soins palliatifs une priorité absolue. Ainsi, en quatre ans le nombre de patients pris en charge au titre de ces soins passa de 100 000 à 200 000. 1200 nouveaux lits de soins palliatifs furent créés dans les hôpitaux.

Le rapport abordait aussi la pratique éminemment dangereuse de la « sédation terminale », et proposait qu’un décret du Conseil d’État l’autorise « non pas pour prolonger artificiellement une vie, mais pour l’interrompre ». Cette « sédation terminale » permettrait de « baisser fortement le niveau de conscience de la personne, jusqu’à un endormissement total ». « Associée à l’arrêt d’une hydratation et d’une nutrition médicalement assistée, la pratique d’une sédation conduit habituellement à la mort dans un délai maximal d’une dizaine de jours. »

L’ADMD déclarait aussitôt par la voix de Gilles Antonowicz que la « sédation terminale » est « une euthanasie encadrée », mais pas satisfaisante, car elle dure dix jours au lieu d’un bref instant pour une euthanasie par piqûre.

En 2010, jamais lassés, les 50 000 “ frères ” et les 1 200 loges du Grand Orient de France planchèrent à nouveau sur la question de l’euthanasie. Un dossier remonta jusqu’au sommet de l’Institution secrète et fut transmis aux “ frères ” élus de la République qui firent une proposition de loi sur l’euthanasie, au Sénat en janvier 2011.

Mais l’opposition était toujours forte. « Depuis toujours, explique dans Le Figaro (du 13 juin 2022) Damien Le Guay, philosophe opposé à l’euthanasie, les instances éthiques à la française, dont le Comité Consultatif National d’Éthique (CCNE) [qui était passé à droite, semble-t-il], étaient contre l’euthanasie, contre sa légalisation, contre une solution de facilité, contre une  douce mort  considérée comme un soin. Il y avait donc une situation particulière de l’éthique en France. Une instance instaurée et respectée avec des personnalités qui font autorité et des décisions qui s’imposent à tous. Mais, pour les partisans de l’euthanasie, il y avait là un fortin à faire sauter, une résistance à rallier à la  bonne cause ” ».

L’Ordre des médecins réitéra également son opposition à l’assistance médicalisée à mourir : c’est « exercer à l’encontre des médecins une pression d’une extrême violence » en leur demandant de « faire un geste létal contraire à leur éthique sans respecter leur conscience ».

Mais il y avait surtout comme Premier ministre François Fillon. Celui-ci publia une tribune dans Le Monde (24 janvier 2011) s’opposant à la légalisation de l’euthanasie et défendant le « développement des soins palliatifs » et le « refus de l’acharnement thérapeutique ».

« La question est de savoir si la société est en mesure de légiférer pour s’accorder le droit de donner la mort. J’estime que cette limite ne doit pas être franchie ! Pour autant, je sais que c’est un débat où aucune conviction n’est indigne », écrivait-il.

Bien qu’on note un libéralisme certain dans ces propos, annonciateurs des craquements à venir, les francs-maçons devaient attendre une occasion plus favorable.

L’AFFAIRE VINCENT LAMBERT

Parti socialiste et Grand Orient de France sont intimement liés. L’élection de François Hollande en 2012 permit aux “ initiés ” de reprendre leurs manœuvres. Lors de sa campagne, Hollande avait déclaré souhaiter permettre « une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité » et avait prévu un projet de loi pour juin 2013.

« Une loi dite loi Leonetti (...) ne suffit plus pour les francs-maçons du Grand Orient de France, lisait-on sur le blog de cette obédience, l’euthanasie doit s’inscrire dans le mouvement de progrès et d’émancipation de l’homme face à sa destinée... » (29 janvier 2013)

Sollicité sur la question, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) publie un avis en juillet 2013 dans lequel il estime « majoritairement que cette légalisation n’est pas souhaitable ». Cela ne plaît pas. Vingt-deux nouveaux membres, plus de la moitié ! dont certains proches du gouvernement, sont nommés pour intégrer l’institution. « Nous souhaitons revenir aux principes de création du Conseil de 1983 et faire appel à des laïcs pour représenter les courants religieux », explique-t-on à l’Élysée.

C’est surtout l’affaire Vincent Lambert qui servira à modifier la loi Leonetti et à faire avancer la cause de l’euthanasie.

Vincent Lambert est victime le 29 septembre 2008 d’un accident de voiture à trente-deux ans. Plongé dans un état de coma profond, il est hospitalisé au service de réanimation du Centre hospitalier de Reims. À la sortie du coma, il se retrouve non pas en état végétatif chronique (EVC) qui donnerait de sérieux doutes sur le fait qu’il ait conscience de lui-même, mais en « état de conscience minimale ». Il respire naturellement, sans être branché, il ouvre les yeux. Sa conscience est très altérée, mais autorise des capacités réelles de communication vérifiables par l’entourage immédiat. Il est nourri et hydraté par une sonde placée dans l’estomac.

Ce diagnostic est confirmé en juillet 2011 par le rapport du professeur belge Stevens Laureys, spécialiste en neurologie et médecine palliative, et l’un des experts mondiaux des mécanismes et degrés de conscience. Vincent Lambert est bien vivant et conscient, il n’est pas atteint d’une maladie incurable et n’est pas en fin de vie. Il est handicapé. En 2012, Vincent séjourne quelques jours dans la maison familiale. Il est encore considéré comme un patient “ normal ”.

Mais au retour, tout change. Vincent est transféré, non pas dans un établissement spécialisé, mais dans l’unité de soins palliatifs de l’hôpital, alors que, ­rappelons-le, il n’est ni incurable ni mourant. Les soins de kinésithérapie, exigés sur les patients comme Vincent, ne lui sont plus administrés sous prétexte qu’ils « n’améliorent pas son état neurologique ». Enfin, le docteur Kariger, chef du service, met en œuvre une réflexion collégiale visant à déterminer si le patient fait, oui ou non, l’objet d’une obstination déraisonnable : faut-il continuer l’alimentation et l’hydratation artificielles ? En avril 2013, en accord avec Rachel, la femme de Vincent, il décide d’arrêter l’alimentation et de réduire l’hydratation, mais sans prévenir les parents. L’apprenant par hasard dix-sept jours plus tard, ces derniers saisissent le tribunal administratif qui ordonne l’arrêt de la procédure. Vincent survit à trente et un jours d’arrêt nutritif !

Commencent alors six années de bataille médiatico- judiciaire entre, d’une part Rachel et son demi-­neveu François Lambert, soutenus par l’hôpital de Reims et les mouvements pro-euthanasie et, d’autre part, les parents de Vincent, soutenus par les Sociétés médicales spécialisées dans le handicap, les mouvements pro-vie et l’Église catholique, qui, s’appuyant sur des expertises médicales, confirment que Vincent est handicapé, qu’il n’est pas mourant, qu’il ne fait pas l’objet d’une « obstination déraisonnable » et que l’AHA doit lui être prodiguée.

Les parents de Vincent allaient emporter ce bras de fer judiciaire et sauver la vie de leur fils lorsqu’un nouvel acteur entre dans la danse. Marisol Touraine, ministre de la Santé, intervient personnellement dans cette affaire pour que soit engagé par l’épouse de Vincent et le CHU de Reims un ultime recours devant le Conseil d’État.

Pourquoi cette intervention du gouvernement dans ce dramatique différend familial, strictement privé ? Parce que, comme l’expliqua le journal Le Monde, l’Élysée venait d’annoncer un projet de loi sur l’euthanasie pour la fin de l’année et que l’affaire Lambert permettait de remettre en cause la loi ­Leonetti que François Hollande avait promis d’ « améliorer ». Il importait donc de relancer la bataille juridique.

Peu après, Manuel Valls (initié au Grand Orient), nommé Premier ministre en mars 2014, suit les recommandations de ses “ frères ” et sollicite des deux députés Alain Claeys et Jean Leonetti la préparation d’une proposition de loi sur la fin de vie, modifiant celle de 2005.

LA LOI CLAEYS-LEONETTI DE 2016

Grâce à cette loi, 1. les directives anticipées sont revalorisées, elles n’ont plus de condition de durée et elles deviennent contraignantes pour le médecin, sauf cas exceptionnel. 2. Le rôle de la personne de confiance est renforcé. 3. Mais surtout, elle ouvre la possibilité pour le patient de demander l’accès à une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès (SPCMD). L’accès à ce droit est théoriquement encadré par des conditions très strictes : la maladie doit être « grave et incurable », les douleurs « réfractaires », le pronostic « engagé à court terme », et la mise en place de cette sédation est conditionnée par une discussion en procédure collégiale pour vérifier que la situation du patient rentre bien dans le cadre des conditions prévues par la loi.

La sédation profonde et continue est une relative nouveauté en France. Jusque-là on ne parlait que de sédation palliative ou proportionnelle qui consiste à utiliser des sédatifs pour soulager des symptômes réfractaires en abaissant le niveau de conscience le temps que le mal disparaisse. Puis on réveille le patient. La sédation profonde et continue consiste à endormir profondément le patient de manière à abolir sa conscience afin qu’il ne souffre plus et à le maintenir dans cet état jusqu’à ce que survienne dans des conditions naturelles son décès.

Mais la sédation profonde et continue est d’une application extrêmement délicate, car la frontière avec l’euthanasie est indiscernable. Une dose trop forte et le patient meurt. Et puis, la sédation ne devant être utilisée qu’à la toute fin qu’on ne connaît pas, dans quel délai avant la mort attendue faut-il la pratiquer ? Quelques jours ? Quelques semaines ? « Quand le décès survient trop vite, il y a soupçon d’euthanasie. Quand cela dure plusieurs semaines, c’est insupportable pour l’équipe comme pour les proches », explique une psychologue.

En plus, elle est souvent utilisée en complément d’un arrêt de l’alimentation et de l’hydratation, car « comme cela peut être très douloureux, explique Mgr Suaudeau de l’Académie pontificale pour la vie, on abolit la conscience pour anticiper une potentielle souffrance ».

Si on a arrêté l’alimentation-hydratation artificielle parce qu’elle faisait plus de mal que de bien au patient, cela est moralement parfaitement admis. Mais si on l’a arrêtée, alors que le patient n’était pas en fin de vie, mais parce que le patient ou le médecin a jugé que sa vie était insupportable ou n’avait plus de sens, et que précisément l’alimentation-hydratation artificielle est considérée par la loi 2005 comme un traitement que l’on peut suspendre, et que précisément la loi Claeys-Leonetti permet d’éviter les souffrances liées à cet arrêt grâce à la sédation maintenue jusqu’au décès, alors cela devient parfaitement immoral.

Et c’est précisément ce qui se produira pour Vincent Lambert. Celui-ci, à l’issue d’une nouvelle bataille judiciaire, mourra de faim et de soif, sous sédation profonde et continue, ainsi que l’autorise la loi Claeys-Leonetti.

L’EUTHANASIE

La loi Claeys-Leonetti et l’affaire Lambert n’ont été qu’une étape pour préparer les esprits à l’adoption de l’euthanasie. On le sait parce qu’au cours des discussions sur ce projet de loi, Manuel Valls l’avait présentée comme n’étant « sans doute » qu’une « étape » ; parce que le “ bon ” docteur Leonetti, soi-disant contre l’euthanasie, avait appelé à une « majorité de conviction » ; parce que le franc-maçon Jean-Louis Touraine avait tenté de faire adopter des amendements pour la faire évoluer vers l’euthanasie et le suicide assisté, mais Marisol Touraine avait habilement appelé au rejet de ces amendements, estimant qu’il ne fallait « pas brusquer la société française ».

Effectivement, en 2017, cette loi est à peine adoptée qu’Olivier Falorni, franc-maçon notoire, dépose une nouvelle proposition de loi pour « une fin de vie libre et choisie ». Elle n’aboutit pas, mais ce n’est que partie remise ! Toute la détermination des loges se voit dans ce message publié le jour même de la mort de Vincent Lambert par le Grand Orient : « Le drame de Vincent Lambert nous crée collectivement l’obligation de faire évoluer notre droit pour permettre enfin le libre choix de la fin de vie dans le strict respect des appréciations et des conceptions métaphysiques de chacun. »

C’est alors un enchaînement de magouilles que seul notre système démocratique rend possible.

Ralenti un temps par la crise covid, Falorni dépose une nouvelle proposition de loi en avril 2021 dont le projet est pire que le modèle belge en autorisant l’euthanasie de dépressifs en quatre à six jours. Elle est soutenue par les macronistes de toute obédience et par certains députés de droite qui changent d’avis sur ce sujet pour montrer patte blanche aux députés macronistes qu’ils s’apprêtent à rejoindre. Mais une fois encore la proposition reste lettre morte, bloquée par des milliers d’amendements déposés par quelques élus L R.

Fin novembre 2021, l’Assemblée nationale nomme Falorni président de la mission d’évaluation de la loi 2016. Comment est-ce possible ?! Notre système démocratique est-il bancal à ce point qu’il permette à un fondamentaliste de l’euthanasie d’être juge et partie dans l’évaluation d’une loi sur la fin de vie ?! Non, ce système n’est pas bancal, il est conçu comme cela, pour nous détruire. Première magouille.

Les sondages disent que 96 % des Français sont favorables à l’euthanasie. On peut en douter. Les députés pro-euthanasie, eux, savent très bien que le sujet est très sensible et qu’il est plus prudent d’attendre les élections législatives de juin 2022 – c’est-à-dire leur réélection – avant de le remettre en discussion. Pour gagner les élections, Macron a trop besoin des voix de droite. Il fait mine d’être indécis sur le sujet et décide de remettre le débat au prochain quinquennat. Deuxième magouille.

Tout le monde sait qu’on évalue le bon fonctionnement d’une démocratie à la possibilité qu’ont les citoyens de décider de leur destin politique. Après la présidentielle et les législatives, Macron, dans le souci d’ouvrir un débat national, annonce la constitution d’une Convention citoyenne. Elle doit grouper cent quatre-vingt-quatre personnes volontaires représentatives de l’opinion publique pour les sensibiliser à ce sujet. Choix de l’exécutif, elle est mise en place et dirigée par la troisième assemblée de la République, le Conseil économique, social et environnemental qui, ô surprise ! s’était déjà prononcé, en 2018, pour l’instauration d’une « sédation profonde explicitement létale ». Troisième magouille.

La manipulation des participants, lors des neuf sessions de cette Convention citoyenne, est évidente : interventions de promoteurs du modèle belge de l’euthanasie et du modèle suisse du suicide assisté dès le début de la procédure, opacité des critères de choix des orateurs, table ronde pour permettre à toutes les religions de s’exprimer et une autre, de même durée, pour les loges franc-maçonnes, exclusion d’ouvrages hostiles à l’euthanasie dans la bibliographie à disposition des conventionnels, absence de débat contradictoire avec les promoteurs des législations étrangères de légalisation de l’euthanasie (Belgique, Québec, Suisse), discussion limitée à une heure quinze sur vingt-sept jours de phase délibérative entre le président LGBT de l’ADMD et le docteur Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement de soins palliatifs, mise à l’écart de philosophes réservés sur la légalisation de l’euthanasie, limitation de la voix des médecins à une seule matinée, refus d’organiser des visites d’unités de soins palliatifs sur le terrain.

Des doutes sérieux sur la procédure ont également été signalés, en particulier sur le questionnaire soumis aux membres de la Convention pour exprimer leur avis sur les soins palliatifs et l’euthanasie : temps imparti très court pour répondre aux questions (quinze secondes à la huitième session), dysfonctionnement des votes sur des questions essentielles, etc. Ayant à se prononcer sur-le-champ au sujet du suicide assisté, les conventionnels n’avaient d’autre alternative que de voter pour le suicide assisté pour les majeurs, les majeurs et les mineurs ou de s’abstenir, sans que l’hypothèse d’un vote contre soit envisagée. Cela a conduit une partie des conventionnels à saisir le président du Conseil économique et social, mais comme celui-ci est pour l’euthanasie... Quatrième magouille.

Et puis, qui va, finalement, discuter et voter la loi ? Les Assemblées parlementaires. Or, il est de notoriété publique, L’Obs l’a observé en 2011 dans un article intitulé : Projet de loi sur l’euthanasie : le rôle des francs-maçons ; Marianne l’a évoqué également dans un article publié en 2022 : La dernière  croisade  des francs-maçons, Abad-Gallardo en parle aussi dans son livre, il est de notoriété publique que les francs-­maçons des deux Assemblées sont fédérés dans une association, la Fraternelle parlementaire, la “ Frapar ”, et qu’ils font bloc, quel que soit leur parti d’origine, quand il faut voter pour une loi qu’ils considèrent comme majeure. « Nous sommes maintenant dans l’opératif, le but est que, sous ce mandat, on arrive à passer ce texte, explique un député membre de la “ Frapar . Comme nous sommes transpartisans, nous avons un impact plus fort sur ce genre de sujet. »

Notre Père, dépassant en cela très largement Maurras, n’a eu de cesse de nous expliquer l’impiété viscérale, profonde, que constitue la démocratie. Mais là, plus qu’une impiété, c’est une haine diabolique, infernale de Notre-Seigneur, de sa Très Sainte Mère, qui déchaîne la franc-maçonnerie, parfaitement unie dans ses rangs pour le contrôle des institutions, afin d’  offrir ” aux Français l’ultime tentation que constitue l’euthanasie pour leur fermer les portes du Ciel et les conduire en douceur, sans souffrance, en toute inconscience dans les voies larges de l’enfer.

C’est pourquoi vouloir rassembler une majorité pour empêcher la légalisation de l’euthanasie ou toute autre forme de mort assistée est non seulement une illusion, mais une faute. Car accepter de participer à une discussion démocratique sur un pareil sujet au nom de la seule conscience personnelle est déjà faire le jeu de Satan, au lieu d’en appeler à la bénie Immaculée qui écrase la tête du Serpent maudit.

La démocratie est satanique dans son essence, non seulement parce que la France est mal gouvernée et qu’elle vole les Français, mais parce qu’elle est un obstacle, un adversaire acharné du salut de leurs âmes, qu’elle tue aujourd’hui nos enfants dans le sein de leur mère, qu’elle tue leur innocence dans nos écoles et que demain elle tuera nos vieillards en leur interdisant de réaliser cette vocation particulière de malade que sœur Lucie a très bien expliquée dans une lettre du 2 mai 1979 :

« Les maladies que le Seigneur choisit pour nos derniers jours sur terre viennent se substituer au petit nombre des pénitences et sacrifices que nous choisissons de lui offrir. Maintenant, c’est Lui qui choisit, et il nous envoie les sacrifices qu’il veut de nous et ceux-là nous coûtent beaucoup plus. Ainsi, quand nous n’avons pas l’air de faire pénitence, c’est alors que nous nous immolons le plus pour le Seigneur dans une acceptation d’entière donation de nous-mêmes par amour. Nous sommes dans le mois de Marie. C’est Elle qui nous aidera jusqu’à la fin. »

II. « J’ENTRE DANS LA VIE »

En effet, la mort est devenue aux yeux des êtres humains si affreuse, si difficile, depuis le péché originel dont elle est le châtiment, qu’il était absolument nécessaire, pour nous y préparer de bonne manière dans notre vie, que Dieu lui-même nous donne l’exemple, car la mort est non seulement un châtiment, une épreuve, mais encore une rédemption, un salut, une résurrection, une transfiguration, une gloire que nous n’aurions jamais pu comprendre ni accomplir par nos propres forces, si le Fils de Dieu n’était venu nous en fournir le “ Modèle unique ”.

Pour apprendre à naître, il n’y avait pas besoin du Fils de Dieu ; pour apprendre à vivre sur terre quotidiennement, pour apprendre à gagner son pain, il n’était pas absolument nécessaire que le Fils de Dieu nous montre l’exemple, mais pour mourir et parvenir à la vie éternelle, il fallait que Dieu envoie son propre Fils.

Tout nous précipite dans la vie, dans notre propre vie comme dans l’histoire humaine, comme dans la vie de Jésus-Christ, vers la Passion, la souffrance et la mort, qui sont l’essentiel de la vie humaine. Chaque année, après les quelques semaines de joie accordées par le temps liturgique au temps de Noël, toute notre attention est concentrée sur le mystère du Christ et de sa Sainte, de sa Divine Mère, la Vierge des Douleurs qui se tient debout au pied de la Croix, où saint Jean l’a reçue de Jésus pour Mère, et où sœur Lucie l’a vue à Tuy, le 13 juin 1929.

LA MORT DES SAINTS.

Fatima n’est pas un message de colère, même si nous y sommes menacés de terribles châtiments. Non, ce que Dieu nous révèle, c’est son Cœur. Après leur avoir montré l’Enfer, Notre-Dame a dit à Lucie, François et Jacinthe : « Vous avez vu l’Enfer où vont les âmes des pauvres pécheurs. Pour les sauver, Dieu veut établir dans le monde la dévotion à mon Cœur Immaculé. » (13 juillet 1917)

Aux Valinhos, le 19 août 1917, avec une indicible tristesse, Elle a exprimé d’un mot le drame de notre vie, le danger qui nous menace, et elle a lancé l’appel le plus pressant à l’amour généreux envers les pauvres pécheurs :

« Priez, priez beaucoup et faites des sacrifices pour les pécheurs, car beaucoup d’âmes vont en Enfer parce qu’elles n’ont personne qui se sacrifie et prie pour elles. »

Pourtant, dès le 13 juillet 1917, la Vierge Marie annonçait : « À la fin mon Cœur Immaculé triomphera. Le Saint-Père me consacrera la Russie qui se convertira, et il sera donné au monde un certain temps de paix. »

Quelle prophétie d’un avenir merveilleux, pour l’Église et pour la Chrétienté ! Peu avant de partir pour l’hôpital, sainte Jacinthe disait à Lucie :

« Il ne me reste plus beaucoup de temps pour aller au Ciel. Toi, tu resteras ici afin de dire que Dieu veut établir dans le monde la dévotion au Cœur Immaculé de Marie. Le moment venu de le dire, ne te cache pas. Dis à tout le monde que Dieu nous accorde ses grâces par le moyen du Cœur Immaculé de Marie ; que c’est à elle qu’il faut les demander ; que le Cœur de Jésus veut qu’on vénère avec lui le Cœur Immaculé de Marie ; que l’on demande la paix au Cœur Immaculé de Marie, car c’est à elle que Dieu l’a confiée. »

Elle mourut après François, son frère. L’un et l’autre laissent un exemple de « fin de vie » emblématique à nos temps de désorientation diabolique.

Comme Bernadette à Lourdes, ils avaient reçu de l’Immaculée l’assurance d’aller au Ciel ! Elle n’en a pas moins dit : « Le Ciel, il faut que je me le gagne ! » Comment ? Quand surviendront ses souffrances continuelles, elle s’attachera à Jésus crucifié comme à son unique soutien, non pas “ palliatif ”, mais Cœur à Cœur.

En 1877, elle prit la peine d’envoyer une lettre pour remercier la supérieure du pensionnat de Cahors qui lui avait offert un grand crucifix. Elle écrivait : « Il y a longtemps que je désirais un grand Christ pour mettre auprès de mon lit ; comment vous témoigner assez ma vive reconnaissance ? Aussi me suis-je écriée en le serrant et l’embrassant, que ma chère Mère Sophie avait été bien inspirée. J’ai la permission de le garder. Je suis plus heureuse avec mon Christ sur mon lit qu’une reine sur son trône. » En nous citant cette parole, notre Père s’écriait avec admiration : « Quelle comparaison ! » En effet, ce bonheur souverain que la malade déclare puiser dans la contemplation du Christ en croix la soutint toute la dernière année de sa vie durant laquelle ses souffrances étaient si violentes qu’elle passait les nuits sans sommeil. Et si elle s’assoupissait quelques instants, des souffrances plus aiguës la réveillaient bientôt en sursaut et elle laissait échapper des plaintes, mais en demandant pardon aux religieuses qui la gardaient, et répétant : « Mon Dieu, je vous l’offre, mon Dieu, je vous aime. »

Au mois de mars 1879, elle allait à grands pas vers sa “ fin de vie ”. Une sorte de phtisie galopante fit des progrès effrayants. Sœur Marie-Bernard fit enlever toutes les images qu’on avait précédemment fixées à son lit pour contenter sa dévotion, en montrant de la main le crucifix : « Cela me suffit. » Ainsi donc, dans ses derniers jours et au moment de livrer les derniers combats, Bernadette ne voulait pas se distraire de Jésus crucifié. Même pas pour une image de Notre-Dame de Lourdes !

Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, durant ses derniers jours, fera pendre aux rideaux de son lit une Sainte Face : « Oh ! qu’elle m’a aidée », s’écriait-elle, après une de ses nuits les plus douloureuses.

Le mercredi de Pâques, jour de sa mort, sœur Marie-Bernard était assise dans un fauteuil, respirant à peine et souffrant les douleurs les plus cruelles. À une sœur qui lui disait : « Ma chère sœur, vous êtes en ce moment sur la croix », elle répondit en étendant les bras en croix, les yeux fixés sur le Crucifix : « Mon Jésus, oh ! que je l’aime ! » À une autre disant : « Je vais prier la Sainte Vierge de vous consoler », elle répondit : « Non ! pas de consolations, mais la force et la patience. »

Le 30 août 1897, sur un lit roulant, on sort sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus sous le, cloître, jusque devant la porte ouverte du chœur : sa dernière visite au Saint-Sacrement.

CONSOLER DIEU.

À Fatima, les rôles sont inversés. François meurt le 4 avril 1919 et Jacinthe le 20 février 1920. Lucie et ses cousins n’avaient jamais été malades. Jacinthe n’avait encore que huit ans, et François dix, lorsqu’ils furent atteints par la redoutable grippe espagnole. Malgré tout, témoigne Lucie, François « se montrait toujours joyeux et content. Parfois, je lui demandai :

 Tu souffres beaucoup, François ?

 Assez ! Mais qu’importe ? Je souffre pour consoler Notre-Seigneur et ensuite, dans peu de temps, j’irai au Ciel ! »

Non seulement ces enfants ne demandent pas de consolation, mais c’est le Cœur Immaculé de Marie, outragé par les péchés des hommes, qui leur demande de le consoler. Dès le 13 mai, François fut très impressionné par la tristesse de Dieu. « J’ai beaucoup aimé voir l’Ange, disait-il, mais j’ai aimé encore davantage voir Notre-Dame. Ce que j’ai le plus aimé, ce fut de voir Notre-Seigneur dans cette lumière que Notre-Dame nous a mise dans la poitrine. J’aime tellement Dieu ! Mais lui, il est si triste, à cause de tant de péchés ! Nous, nous ne devons jamais en faire aucun... »

Une nuit, son père l’entendit soupirer. Il sauta du lit, alluma une lampe et entra, inquiet, dans la chambre de son fils. Il le trouva couché sur le ventre, le visage enfoui dans son traversin pour étouffer ses pleurs.

« Pourquoi pleures-tu ? »

Surpris, François leva la tête et ne répondit rien. Devant l’insistance de son père à le questionner, il répondit timidement, avec une sorte de pudeur sacrée :

« Je pensais à Jésus qui est si triste des péchés commis contre lui. »

« Depuis que nous avons vu l’Ange et Notre-Dame, disait-il, je n’ai plus envie de chanter. »

Lorsque son état empira, il ne parvenait plus à expectorer sa gorge embarrassée, la fièvre montait. En moins de six mois, la terrible maladie avait eu raison de sa robuste santé. Dès lors, il ne quitta plus son lit. « Oh ! maman, je n’ai plus la force de dire le chapelet... Et les Ave Maria que je dis, je les récite avec la tête tellement vide ! » Ne pouvant plus prier, François sentit que c’était la fin.

« Oh ! papa, dit-il alors tout bas à son père, je voudrais recevoir Notre-Seigneur avant de mourir !

 Je vais m’en occuper ! »

Lorsque Lucie revint le soir, François était rayonnant de joie : il s’était confessé et monsieur le Curé lui avait promis de lui apporter la Sainte Communion le lendemain. L’aube du 3 avril se leva enfin. C’était un beau jour de printemps. De la chambre on entendait le chant des oiseaux, tandis que l’air embaumé de la Serra entrait par l’étroite fenêtre. La vie renaissait de toutes parts. Détaché de ce monde, François n’aspirait plus qu’à aller naître à la Vie éternelle. Le jour suivant, vendredi 4 avril 1919, quand la nuit fut tombée, il appela sa mère :

« Oh ! Maman, voyez !... Quelle belle lumière, là, près de la porte ! »

Et, après quelques minutes :

« Maintenant, je ne la vois plus »

Vers 10 heures du soir, son visage s’illumina d’un sourire angélique et, sans aucune marque de souffrance, sans agonie, sans gémissement, il expira doucement. Jacinthe déjà très malade, était près du lit de son frère. Voyant tout le monde fondre en larmes, elle dit : « Pourquoi, pleurez-vous, puisque, lui, il est heureux ? »

Sa mère déposa à l’enquête paroissiale : « Il eut un air souriant et, enfin, cessa de respirer. » Son père dit avec la même simplicité : « Il mourut dans un sourire. »

Il avait dix ans et dix mois.

On installa Jacinthe dans la chambre de François. Elle avait beau savoir où il était, et Qui était venu le chercher pour le faire monter au Ciel, il lui manquait cruellement. Quant à Lucie, pas un seul jour elle ne manqua d’aller s’agenouiller auprès de sa tombe pour converser avec lui. Un jour, Olimpia, la mère de Jacinthe chuchota à l’oreille de Lucie : « Demande à Jacinthe à quoi elle pense, lorsqu’elle demeure si longtemps immobile, la tête dans les mains, je le lui ai demandé, mais elle a souri et n’a pas répondu. »

Lucie transmit la question : « Je pense, répondit Jacinthe de sa petite voix affaiblie, à Notre-Seigneur et à Notre-Dame, aux pécheurs », et elle fit mention de certaines choses en rapport avec le Secret : « J’aime beaucoup penser. »

Olimpia demanda la réponse à Lucie. Celle-ci lui répéta la parole de Jacinthe, sans évoquer le Secret. Olimpia disait à Maria Rosa : « Je ne comprends pas : la vie de ces enfants est une véritable énigme ! » Et la mère de Lucie répondait : « Lorsqu’elles sont seules, elles bavardent sans cesse, sans que l’on soit capable de saisir une parole, malgré nos efforts pour écouter, mais que quelqu’un approche, elles baissent la tête, et ne disent plus un mot. Je ne peux rien comprendre, c’est un mystère ! »

Nous qui connaissons le Secret, maintenant, et qui ne parlons que de cela nous aussi, nous comprenons que les enfants ne cessaient de penser à l’Enfer et de prier pour les pécheurs qui n’y sont pas encore tombés, contrairement aux « âmes des cadavres » que le Saint-Père rencontrait sur son chemin, dont le sort était déjà fixé par leur mort. Les enfants, eux, offraient sacrifices et prières pour la « conversion » des pécheurs qu’ils côtoyaient à longueur de vie, par exemple le “ Ferblantier ” qui les avait séquestrés, et tous les républicains qui ne voulaient pas entendre parler de Dieu et de la Sainte Vierge, et qui avaient essayé d’obliger les petits à dire qu’ils avaient menti en les menaçant... de quoi ? Mais du martyre dont ils savaient que « sous les deux bras de la Croix, il y avait deux Anges, chacun avec un vase de cristal à la main, dans lequel ils recueillaient le sang des martyrs, et avec lequel ils arrosaient les âmes qui s’approchaient de Dieu ».

Si le Saint-Père ne prie que pour les âmes des « cadavres » qu’il rencontre sur son chemin, nous comprenons l’insistance de Notre-Dame disant aux enfants, le 19 août aux Valinhos : « Priez, priez beaucoup et faites des sacrifices pour les pécheurs, car beaucoup d’âmes vont en Enfer parce qu’elles n’ont personne qui se sacrifie et prie pour elles », puisque le Saint-Père ne prie pas pour elles quand elles pouvaient encore se convertir. Quel souci !

C’est à cette angoisse que répondra la “ dévotion réparatrice ” annoncée par Notre-Dame le 13 juillet 1917 à la Cova da Iria, et instituée le 10 décembre 1925 à Pontevedra, cinq ans après la mort de Jacinthe.

Depuis la fin d’octobre 1918, hormis quelques jours où elle se trouva un peu mieux, Jacinthe ne quitta guère son lit. Après la broncho-pneumonie, se déclara une pleurésie purulente, qui lui causa de très vives souffrances. Elle les supportait pourtant avec une résignation, une joie même, qui ne nous surprend pas, car nous avons appris de sainte Thérèse de l’Enfant-­Jésus « qu’il n’y a pas de plus grande joie que de souffrir pour votre amour, ô Jésus ! »

À Lucie, pourtant, Jacinthe confiait : « Je me sens une douleur tellement grande dans la poitrine ! Mais je ne dis rien à ma mère, je veux souffrir pour Notre-Seigneur, en réparation des péchés commis contre le Cœur Immaculé de Marie, pour le Saint-Père, et pour la conversion des pécheurs. »

Jacinthe passait des heures à méditer sur les fins dernières et continuait à vivre par la pensée, prophétiquement, les terribles châtiments prédits dans le grand Secret du 13 juillet 1917.

« Mes cousins François et Jacinthe, disait Lucie, se sont beaucoup sacrifiés parce qu’ils ont toujours vu la Très Sainte Vierge très triste en toutes ses apparitions. Elle n’a jamais souri avec nous et cette tristesse, cette angoisse que nous remarquions chez elle, à cause des offenses envers Dieu et des châtiments qui menacent les pécheurs, pénétraient notre âme et nous ne savions qu’inventer en notre petite imagination enfantine comme moyens pour prier et faire des sacrifices... Ce qui sanctifia également mes cousins fut la vision de l’Enfer... »

Avant la mort de François, la santé de Jacinthe s’était un peu améliorée et elle pouvait passer ses journées auprès de son frère. Notre-Dame leur était apparue à tous deux pour leur dire qu’elle viendrait bientôt chercher François pour l’emmener au Ciel, et pour demander à Jacinthe si elle voulait convertir encore des pécheurs. Jacinthe répondit que Oui. Notre-Dame lui dit qu’elle irait à l’hôpital et qu’elle y souffrirait beaucoup pour la conversion des pécheurs, en réparation des péchés contre le Cœur Immaculé de Marie, et pour l’amour de Jésus.

Au cours du mois de juin 1919, le médecin conseilla à ses parents d’envoyer Jacinthe à l’hôpital Saint-Augustin, à Vila Nova de Ourem ; elle savait « qu’elle n’y allait pas pour guérir, mais bien plutôt pour souffrir ». Elle y fut soumise à un traitement rigoureux, qui ne donna aucun résultat. Elle y passa deux mois qui furent pour l’enfant un martyre continuel. À la fin du mois d’août, il fut décidé qu’elle reviendrait à la maison. La maladie rongeait le corps amaigri de Jacinthe et la faisait souffrir toujours davantage. Mais sa faim de sacrifices ne diminuait pas pour autant. Elle continuait à pousser à l’extrême ses efforts de sanctification. Jusqu’à descendre de son lit, la nuit, pour réciter les prières de l’Ange.

La pensée de l’Enfer ne la quittait pas. Cette enfant de moins de dix ans était hantée par le souci du salut des âmes. Peu de temps avant de repartir pour l’hôpital elle dit à Lucie :

« Il ne me reste plus beaucoup de temps pour aller au Ciel. Toi, tu resteras ici afin de dire que Dieu veut établir dans le monde la dévotion au Cœur Immaculé de Marie. Le moment venu de le dire, ne te cache pas. Dis à tout le monde que Dieu nous accorde ses grâces par le moyen du Cœur Immaculé de Marie ; que c’est à Elle qu’il faut les demander ; que le Cœur de Jésus veut qu’on vénère avec Lui le Cœur Immaculé de Marie ; que l’on demande la paix au Cœur Immaculé de Marie, car c’est à Elle que Dieu l’a confiée. »

Connaissant d’avance, comme une prophétesse, la tiédeur avec laquelle l’Église accueillerait ces demandes, Jacinthe ajoutait : « Ah ! si je pouvais mettre dans tous les cœurs le feu que j’ai là, dans ma poitrine, et qui me brûle et me fait tant aimer le Cœur de Jésus et le Cœur de Marie ! »

En mère compatissante, Notre-Dame voulut préparer elle-même son enfant à l’ultime renoncement. En décembre 1919, Elle vint lui annoncer que l’heure était venue :

« De nouveau, relate Lucie, la Très Sainte Vierge daigna rendre visite à Jacinthe pour lui annoncer de nouvelles croix et de nouveaux sacrifices. Ma cousine m’apprit ainsi la nouvelle :

« “ Elle m’a dit que j’irai à Lisbonne dans un autre hôpital ; que je ne te reverrai plus, ni non plus mes parents ; qu’après avoir beaucoup souffert, je mourrai toute seule ; mais que je ne dois pas avoir peur, parce qu’Elle viendra me chercher pour aller au Ciel. Jacinthe m’embrassa et me dit entre deux sanglots :

 Jamais plus je ne te reverrai ! Là-bas, tu ne pourras plus venir me voir. Alors, prie pour moi qui vais mourir toute seule ! ” » (Sœur Françoise, p. 373)

Mourir seule ! Rien ne l’effrayait davantage.

– Ne pense pas à cela, lui disait Lucie doucement.

– Laisse-moi y penser, parce que, lorsque j’y pense, je souffre davantage, et je veux souffrir pour Notre-Seigneur et pour les pécheurs. »

Quelques fois, en baisant son crucifix, elle s’exclamait : « Ô mon Jésus, je vous aime, et je veux souffrir beaucoup pour votre amour ! »

Et elle disait souvent : « Ô Jésus, maintenant vous pouvez convertir beaucoup de pécheurs, parce que ce sacrifice est très grand ! »

À Lisbonne, Jacinthe et sa mère furent reçues le 21 janvier 1920 par mère Marie Godinho à l’orphelinat Notre-Dame des miracles dont elle était la fondatrice. Dans l’atmosphère religieuse de cette maison, Jacinthe se trouva rapidement à son aise, malgré sa grande timidité. L’orphelinat avait une tribune qui donnait sur la chapelle, où un prêtre âgé et sourd disait la messe tous les jours. Indicible fut la joie de Jacinthe. Habiter sous le même toit que Jésus-Hostie était un bonheur qu’elle n’avait jamais imaginé ! Et recevoir presque chaque matin “ Jésus- caché ” dans le tabernacle !

En effet, mère Godinho prit elle-même l’initiative de faire communier sa petite pensionnaire qui s’y préparait depuis si longtemps et avec quelle ardeur ! Olimpia la conduisit à l’église de l’Étoile pour se confesser. En sortant, Jacinthe, toute consolée ne cessait de s’exclamer : « Oh, maman ! Quel bon Père ! quel bon Père !... Il m’a demandé tant et tant de choses ! »

Jacinthe passait dans la tribune tout le temps qu’on lui laissait. Assise sur une petite chaise, car elle ne pouvait plus s’agenouiller, les yeux amoureusement fixés sur le Tabernacle. Mère Godinho se souvint qu’un jour Jacinthe lui dit : « Retirez-vous, Marraine, j’attends Notre-Dame ! » De Lisbonne, elle fit dire à Lucie que Notre-Dame était venue lui annoncer le jour et l’heure de sa mort, en lui « recommandant d’être très bonne ».

Jacinthe quitta Notre-Dame des Miracles, le 2 février 1920, pour entrer à l’hôpital en répétant : « Tout cela est inutile, Notre-Dame est venue me dire que j’allais mourir bientôt. » Mais elle consentit à ce nouveau sacrifice.

Jacinthe était, désormais, dans la condition d’une personne « en fin de vie ». Quelle différence avec la petite chambre de la rue de l’Étoile ! Jacinthe n’était qu’un numéro parmi d’autres. Elle n’avait plus personne à qui parler des seules choses importantes apprises de Notre-Dame de Fatima : « Patience ! Nous devons tous souffrir pour aller au Ciel ! »

Tandis qu’elle voyait passer les infirmières et les visiteurs des malades, vêtus de manière immodeste : « Si l’on savait ce qu’est l’éternité ! » se disait-elle... à elle-même !... Elle qui avait vu les damnés plongés dans les flammes de l’enfer... pour toujours ! En pensant à Amélia, l’amie de Lucie, qui était au Purgatoire jusqu’à la fin du monde, et en entendant les réflexions des médecins athées, elle les plaignait : « Pauvres gens ! Ils ne savent pas ce qui les attend ! »

Le 10 février, Jacinthe fut opérée sans anesthésie générale. Les seules paroles que le chirurgien l’entendit prononcer furent : « Aië, Jésus ! Aïe, mon Dieu ! »

Le médecin témoigna de sa « patience assurément héroïque, surtout si on considère tout ce qu’elle a souffert, la manière dont elle l’a souffert ».

Le résultat de l’opération parut d’abord encourageant. On avait retiré deux côtes ; la plaie était large comme la main. Le renouvellement des pansements était très douloureux. Mais elle ne savait que répéter : « Patience ! Nous devons tous souffrir pour aller au Ciel ! »

« Elle avait de si beaux yeux cette enfant ! » disait la surveillante des infirmières : « Très patiente... une petite sainte ! On ne l’entendait jamais crier, jamais on ne la vit fâchée. Elle se distinguait des autres en tout. »

« Elle priait beaucoup et appelait Notre-Dame dans ses gémissements. »

Quant à “ Marraine ”, mère Godinho, elle passait de longs moments, chaque jour, avec Jacinthe, mais quand elle s’asseyait au pied du lit, là où la Vierge était apparue, elle protestait : « Ôtez-vous de là, Marraine ! C’est là que se tenait Notre-Dame ! »

Jacinthe savait le jour et l’heure de sa mort, qui survint le 20 février, vers 10 h 30 du soir.

Elle s’éteignit, seule.

Ainsi s’accomplit la prophétie de Notre-Dame : Jacinthe mourut seule, sans parents ni amis, sans personne qui assistât à ses derniers instants. Sans bruit, la Vierge Immaculée était venue une dernière fois, auprès du lit numéro 60, et avait emmené au Ciel l’âme de sa confidente.

Trois jours après sa mort, « l’odeur qu’elle exhalait était celle d’un bouquet de fleurs variées ». Selon la promesse de Notre-Dame qui s’étend à quiconque embrassera la dévotion à son Cœur Immaculé : « À qui embrassera cette dévotion, je promets le salut, ces âmes seront chéries de Dieu, comme des fleurs placées par moi pour orner son trône. » (13 juin 1917)

frère Bruno de Jésus-Marie