CAMP NOTRE-DAME DE FATIMA 2024 
La “ France de Marie 

Au XIXe siècle : 
l’Immaculée, Régente de France

La statue de Notre-Dame de France, qui domine la cité mariale du Puy-en-Velay, a été inaugurée le 12 novembre 1860, dans l’élan de la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception. Son piédestal fut payé par l’obole des 300 000 élèves des Écoles Chrétiennes, et la statue fut fondue avec les canons pris à Sébastopol, le 8 septembre 1855. « Notre-Dame de France, un nom que nous te fîmes. » (Frédéric Mistral)

DANS son beau livre sur Notre-Dame de Lourdes,  Henri Lasserre écrit : « Un des plus beaux privilèges de la souveraineté, c’est le droit de faire grâce. » Après les horreurs sanglantes et sacrilèges de la Révolution, après les épaisses ténèbres des fausses “ Lumières ” que la France prétendit exporter dans tout l’univers, la Reine du Ciel, qui est pleinement Reine de France, notre Reine ! depuis l’acte royal du 10 février 1638, exerça ce droit de grâce. Il faut dire que beaucoup de ses enfants, victimes innocentes, avaient payé le prix fort de l’expiation et de la rédemption, aux jours de la puissance des ténèbres. Alors s’ouvrit un nouveau siècle de grâces mariales qu’on allait appeler « le siècle de l’Immaculée ».

Sa lumière sans tache commença à luire de nouveau, oh ! petitement, à Maisières dans le Doubs, au sud de Besançon. C’était aux Pâques fleuries de l’année 1803. Une petite fille, Cécile Mille, revenait de l’église paroissiale où elle avait fait sa première communion. Soudain, elle vit dans un vieux chêne, appelé dans la région “ le chêne de Notre-Dame ”, une belle Dame entourée de deux lumières mystérieuses. Sa sœur qui l’accompagnait, et sa famille à qui elle raconta tout, ne la crurent pas, mais le 15 août suivant, la même vision se reproduisit, et quand on voulut y voir de plus près, on s’aperçut que ledit chêne avait une fente qui, avec les années, s’était peu à peu refermée sur une jolie petite Vierge à l’Enfant. Celui-ci tenait un globe surmonté d’une croix tandis que sa Mère lui offrait une grappe de raisin. “ Notre-Dame des Lumières ” est encore aujourd’hui un lieu de pèlerinage fréquenté de Franche-Comté.

« MARIE POUR SOUTIEN »

Dans sa retraite sur “ LA RELIGION DE NOS PERES ” (1988), notre Père a montré que la Sainte Vierge avait été le perpétuel secours de tous ceux que le Ciel suscita au lendemain de la Révolution, pour en réparer les crimes et reconstruire sur les ruines accumulées : le Père de Clorivière (1735-1820) fondant les Prêtres du Cœur de Jésus et, avec mère Adélaïde de Cicé, les Filles du Cœur de Marie ; l’abbé Coudrin (1768-1837), créant à Poitiers avec Henriette Aymer de La Chevallerie l’Institut des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie et de l’adoration perpétuelle du Saint-Sacrement, communément appelés Picpuciens, du nom de la maison mère rue de Picpus à Paris, où ils devinrent les gardiens de la très belle statue de Notre-Dame de Paix. Le 2 février 1801, un ancien jésuite, le P. Delpuits, inaugurait dans son logement parisien, sous le titre de “ Marie, secours des chrétiens ”, une congrégation d’étudiants qui firent leurs Pâques publiquement à Notre-Dame ; telle fut l’origine de la “ Congrégation ”, œuvre de piété, de bienfaisance et d’apostolat qui, par son côté d’organisation secrète, devint l’épouvantail des libéraux.

Le même jour, à Bordeaux, douze jeunes gens, groupés autour de l’abbé Guillaume-Joseph Chaminade, s’engageaient au service de la Sainte Vierge, selon l’inspiration qu’il en avait reçue à Saragosse, aux pieds de la Virgen del Pilar. Cette petite armée de la Vierge regroupa bientôt sept cents Congréganistes, d’où sortira en 1817 la Société de Marie, avec ses deux branches, les Marianistes et les Filles de Marie Immaculée, à qui le fondateur assignait la mission de combattre l’hérésie des temps modernes : le libéralisme et son corollaire, l’indifférence religieuse. « Maria duce ! » disait-il, car « à Elle est réservée de nos jours une grande victoire : la gloire de sauver la foi du naufrage dont elle est menacée parmi nous ».

Comme l’œuvre d’enseignement et d’éducation chrétienne était la plus urgente, d’humbles familles religieuses se fondèrent un peu partout pour l’entreprendre, et tout naturellement se placèrent sous le patronage de la Sainte Vierge : Sœurs de la Présentation avec Marie Rivier en Ardèche, Sœurs de saint Thomas de Villeneuve à Paris, de saint Joseph de Cluny en Bourgogne, etc.

1814, c’est enfin le retour du Roi, la Restauration de la Monarchie très chrétienne, qui n’a toutefois pas su se débarrasser du “ noyau dur ” de la Révolution et sera gangrénée par le vice du parlementarisme, imposé par la Charte. Cependant, lors de son débarquement à Calais, Louis XVIII prend soin de renouer la tradition mariale de ses ancêtres. La cathédrale de Boulogne étant détruite, c’est à l’église paroissiale qu’il se fait conduire pour rendre hommage à la Vierge suzeraine des rois de France. Un prêtre boulonnais, l’abbé Haffreingue, décide d’acheter l’emplacement de l’ancienne cathédrale et, dès 1820, réunit les fonds nécessaires pour la reconstruire. Le 8 décembre 1829, il peut déjà célébrer la messe dans la chapelle d’abside.

Après l’échec d’un nouveau Concordat en 1817, une lutte sans merci se poursuit entre l’Université et le clergé : à qui formera l’âme des jeunes gens... À Saint-Laurent-sur-Sèvre, le Père Gabriel Deshayes restaure la Compagnie de Marie du Père de Montfort et lui adjoint les Frères de saint Gabriel. Mère Émilie de Rodat fonde dans le Rouergue l’Institut de la Sainte-Famille pour l’éducation des jeunes filles. En 1816, Mgr de Mazenod, évêque de Marseille, crée les Oblats de Marie Immaculée pour les missions intérieures et le service des sanctuaires de pèlerinage. À Lyon, en 1817, Marcellin Champagnat rassemble ses Petits Frères de Marie, destinés à l’éducation des enfants pauvres. Tandis qu’à Belley, son ami le Père Colin fonde en 1822 les Maristes, qu’il voulait « tout cachés dans le Cœur de Marie et vivant de sa Vie... Qu’Elle vous y renferme si bien que vous ne puissiez jamais en sortir. »

Tous les deux, Champagnat et Colin, ont fait leur séminaire avec Jean-Marie Vianney, nommé en 1818 vicaire de la petite paroisse d’Ars. Celui-ci va accompagner, précéder même la montée de son siècle vers la glorification de l’Immaculée Conception. « C’est ma plus vieille affection, disait-il, je l’ai aimée avant de la connaître. » Elle lui apparut à plusieurs reprises et ouvrit à Ars par le ministère de son saint Curé, avant même ses premières manifestations publiques en France, une fontaine de grâce et de miséricorde jaillissant de son Cœur Immaculé. Ne nous y trompons pas, cette dévotion intime était pour soutenir un terrible combat, comme l’explique notre Père :

« Vicaire, Jean-Marie Vianney a eu pour curé un réchappé de la tourmente pour qui le temps des martyrs était fini, mais le temps des confesseurs était venu. Le démon ne ferait plus verser le sang, mais il corromprait lentement et gagnerait tout le peuple par la facilité et l’ignorance religieuse. Il fallait le démasquer et le combattre par le jeûne et la prière, par la prédication incessante et les sacrements... » (Lettre à mes amis no 41)

Le curé d’Ars consacra sa paroisse à la Sainte Vierge une première fois dans son sanctuaire de Fourvière à Lyon, le 6 août 1823. À partir de ce jour, se réjouissait-il, « Ars n’était plus Ars », l’Immaculée en avait repris possession ! Elle fit de même à travers toute la France, en suscitant d’innombrables fondations religieuses, éducatrices, hospitalières, missionnaires. Qu’on pense à l’admirable “ Rosaire Vivant ” de la bienheureuse Pauline-Marie Jaricot à Lyon (1826), accompagnant par la prière du Rosaire son Œuvre non moins admirable de la Propagation de la foi !

LE SCEAU DE NOTRE REINE

Mais bientôt l’Immaculée s’engagea directement dans la lutte, quand le démon, furieux d’une Restauration qui, malgré ses faiblesses, lui faisait obstacle, suscita en 1830 une nouvelle Révolution.

« Dans sa grande miséricorde, notre Père Céleste avait prévu que la Vierge Immaculée demeurerait au centre de la ville si comblée de grâces déjà, au plein milieu des horreurs révolutionnaires, pour en soutenir les persécutés et y maintenir la dévotion à son Cœur Immaculé à travers les temps d’apostasie qui allaient venir. » (CRC no 321, p. 2)

Monsieur Aladel, confesseur de sœur Catherine Labouré, chargea le peintre Lecerf, en 1835, de représenter l’apparition de la Médaille Miraculeuse, à la Rue du Bac à Paris.

Cette Révolution dite des “ trois Glorieuses ”, bien plutôt odieuses Journées de juillet 1830, en contraignant le roi Charles X à l’abdication et à l’exil, dépouillèrent et renversèrent notre divin Roi de son trône.

La protection de l’Immaculée Conception se fit alors sentir non seulement sur la Congrégation des Filles de la Charité, Rue du bac, comme nous allons le voir, mais aussi à deux pas de là, au couvent des Oiseaux, boulevard des Invalides.

Entre les deux, les Gardes suisses se firent massacrer dans leur caserne de la rue de Babylone et tout le quartier retentit de fusillades et de cris de haine contre les prêtres.

Mais aux “ Oiseaux ”, la supérieure mère Marie-Sophie avait fait inscrire sur les ouvertures du couvent : « Marie a été conçue sans péché ! » Et la Maison fut épargnée. C’est à ce moment-là que la Sainte Vierge est “ montée en ligne ”. Tout s’est passé comme si « Jésus vous a donné cet ordre : faire face, et maintenant reconquérir par la miséricorde et la tendresse ces bêtes fauves, ces animaux impurs, adopter cette foule pécheresse et, l’aimant par la grâce du Frère Aîné, la convertir à Dieu et la réconcilier avec Lui par la force de votre Amour maternel. » (Georges de Nantes, Page mystique no 33)

Cette reconquête, ce drame sacré qui a commencé en 1830, se déroulera en cinq actes, cinq apparitions majeures qui forment, si on rejoint les lieux où elles se sont produites, un grand “ M ”, comme le sceau de notre Reine sur le royaume de sa dilection.

« Au premier abord, ces apparitions de lumière, ces montrances de Ciel, ces manifestations de la Vierge “ belle comme le soleil ” se différencient, et semblent faire bloc, chacune à part, indépendamment l’une de l’autre, comme le piédestal qui nous les offre, le roc ou la prairie, les marches d’un autel, le chêne vert ou le bleu de ciel qui les portent. « Elles s’égrènent dans le temps, se déroulent dans l’espace, dirait-on, comme autant de météores ou d’étoiles filantes, sans autre liaison que la toute-puissance divine qui les allume et en fait autant d’astres différents les uns des autres.

« Cependant, lorsque, par la pensée et une étude plus approfondie, on les rapproche, on ne tarde pas à découvrir le lien qui les unit, le fil ténu qui les relie et qui, sans les opposer ni les faire se contrarier ou se contredire, les réunit, les unifie, les continue, les universalise, comme les expressions nuancées d’une même Pensée, ou les chapitres qui se suivent d’un même Livre, le Livre d’or des merveilles accomplies par la Vierge Marie depuis sa glorieuse Assomption. »

(Père Victor Hostachy, m. s., Unité, continuité, universalité des apparitions mariales approuvées par l’Église, Grenoble, 1943, p. 10-11)

Voilà qui exprime parfaitement ce que notre Père a appelé “ l’Orthodromie mariale ”, car ce missionnaire de La Salette, qui écrivait sous la Révolution nationale, avait compris que les messages de notre Reine ne sont pas intemporels, mais qu’ils s’inscrivent dans le cours tumultueux de notre histoire de France, et qu’ils sont destinés à ramener « son peuple » à la conversion : « Avec une constance admirable, Elle reviendra toujours à l’assaut des volontés rebelles pour les “ soumettre ” et détourner “ le bras de la justice divine ” prêt à frapper. Toujours, elle appuiera sur les mêmes points du litige entre son Fils et son peuple, pour donner la vraie solution. Et c’est ainsi que les diverses Apparitions mêlent leurs enseignements en un même et identique Message, éblouissant de clarté, ordonné et précis, composé d’ensembles et de détails qui ne seront toujours qu’un plus vibrant appel d’Amour. » (ibid., p. 15)

1830 : NOTRE-DAME DE PARIS

Tout commence à Paris, dans la chapelle des Filles de la Charité, Rue du Bac. Le choix de la Congrégation et de la chapelle n’est pas fortuit. En effet, depuis leur fondation au dix-septième siècle, les Filles de la Charité professent une fervente dévotion pour la Conception immaculée de la Sainte Vierge : « Nous devons, disait leur fondatrice, honorer cette sainte Conception qui a rendu Marie si précieuse aux yeux de Dieu et croire qu’il ne tient qu’à nous d’être aidés de la Sainte Vierge en tous nos besoins. »

Sainte Louise de Marillac la contempla en songe dans le mystère même de sa Conception, « son être devant la Création du monde... commencement de la lumière que le Fils de Dieu devait apporter au monde » (cf. Un songe de sainte Louise de Marillac, et une pensée toute sienne de la Conception de l’Immaculée, CRC no 353, p. 33). De plus, cette chapelle de la Rue du Bac était dédiée au Sacré-Cœur de Jésus. C’est là que le Cœur du “ Seigneur de Charité ” comme on l’appelle dans la Congrégation, a voulu que le Cœur de sa Mère se manifeste en miséricorde, puissance et grâce, par l’intermédiaire d’une humble « fille de village », comme les aimait Monsieur Vincent.

Catherine Labouré est une novice tout juste arrivée de sa Bourgogne natale, âme d’une extrême simplicité, mais forte, et qui, d’emblée, fut favorisée de grâces insignes : elle vit le cœur de saint Vincent, puis le jour de la Sainte Trinité, Jésus dans l’Eucharistie, en Roi et croisé, bientôt dépouillé de ses vêtements royaux, comme une préfiguration des proches événements à venir : Charles X, lieu-tenant de Jésus-Christ par son sacre à Reims, dont les troupes viennent de conquérir Alger, va devoir céder la place à Louis-Philippe l’usurpateur. Dans la nuit du 18 au 19 juillet, la novice est réveillée par son ange gardien, qui la conduit à la chapelle, où elle a un entretien de deux heures avec la Sainte Vierge, les mains posées sur ses genoux. La Reine du Ciel lui fait ses confidences, en pleurant : « Les temps sont mauvais. Des malheurs vont fondre sur la France... sur le monde entier. »

Ce n’était pourtant que la préparation à la grande manifestation du 27 novembre, qui a lieu dans la même chapelle, où sœur Catherine la contemple « belle dans son plus beau ». C’est l’Immaculée en lumière de gloire, – robe blanche, voile aurore, manteau bleu céleste –, qui écrase la tête du serpent maudit et tient un globe entre ses mains dans l’attitude de la prière : « Cette boule que vous voyez représente le monde entier, particulièrement la France et chaque personne en particulier. »

Par son intercession, Elle est “ Reine de l’univers ”, comme se plaira à dire la voyante, et « quand elle priait, sa figure était si belle, si belle, qu’on ne pourrait la dépeindre. » Bientôt, le globe disparaît, sous l’effet des rayons qui sortent des anneaux qu’elle porte aux doigts. Ses mains s’abaissent, et c’est alors la vision de la Vierge aux rayons, si expressive de sa Médiation universelle, car ces rayons sont le « symbole des grâces que je répands sur les personnes qui me les demandent avec ferveur et confiance ». En même temps qu’elle entend ces mots, la sœur entre dans les pensées du Cœur de l’Immaculée : « Me faisant comprendre combien la Sainte Vierge était généreuse envers les personnes qui la prient, que de grâces elle accordait aux personnes qui les lui demandent, quelle joie elle éprouve en les accordant. »

Un ovale se forme ensuite autour de l’apparition, avec ces mots : « Ô Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous. » Le tableau se retourne, présentant au centre la lettre M, pour Marie, surmontée d’une croix avec une barre à sa base, l’autel de la Messe où se perpétue le Sacrifice de la Croix ; et au-dessous, les deux Cœurs, de Jésus couronné d’épines et de Marie Corédemptrice transpercé d’un glaive. On ne pouvait mieux résumer la mission de l’Immaculée, comme aussi rappeler et illustrer la doctrine enclose dans la consécration de 1638 et dans l’autel commémoratif du chœur de Notre-Dame de Paris. « Faites frapper une médaille sur ce modèle, toutes les personnes qui la porteront avec confiance recevront de grandes grâces. »

La confiance populaire dans la Médiation de Marie va connaître par ce moyen si simple, – qu’y a-t-il de plus anodin qu’une médaille ? – de prodigieux accroissements. La médaille, répandue à cent millions d’exemplaires en l’espace de dix ans ! fit tant de miracles qu’elle fut appelée “ miraculeuse ”, comme une semence jetée en terre de France et dans le monde entier, pour y produire du fruit en abondance ; marquant chaque fois une victoire de Marie sur Satan, et préparant les esprits à la définition dogmatique de l’Immaculée Conception. Cette contre-révolution mariale déclenchée en 1830, – la date figure sur la médaille –, désamorçait d’avance une manœuvre diabolique, née cette même année de l’imagination enfiévrée de l’abbé Félicité de Lamennais : l’alliance contre nature de Dieu et de la Liberté moderne, de l’Église et de la Révolution, que Grégoire XVI condamna justement en 1832. Car l’  Avenir ” de la Chrétienté, ce n’était pas « Dieu et la Liberté », mais Dieu ET Marie, en Marie, par Marie et pour Marie !

Les hommes d’Église ont été cependant assez lents à entrer dans ce dessein de grâce. Ne serait-ce que pour diffuser la médaille : c’est l’explosion de l’épidémie de choléra en mars 1832 qui décida les supérieurs de sœur Catherine, en accord avec l’archevêque de Paris, Mgr de Quelen, à la faire frapper ; ensuite pour ouvrir au public la chapelle de l’apparition, alors que la Sainte Vierge avait dit : « Venez au pied de cet autel » ; il fallut pour cela attendre cinquante ans ! La demande d’une représentation de la Vierge au globe fut également un véritable “ martyre ” pour la voyante. Enfin les Apparitions n’ont jamais fait l’objet d’une reconnaissance canonique, sinon d’une manière implicite par l’office concédé en 1894 et par la béatification de la voyante (1933) suivie de sa canonisation (1947), ce qui permet à certains théologiens de prétendre qu’ « on n’est pas forcé d’y croire » !

Pourquoi cette lenteur à entrer dans les desseins du Ciel ? Mettre ainsi en avant l’Immaculée Médiatrice, lui accorder la première place, dérange-t-il à ce point la théologie, même la plus traditionnelle ?

1836 : « CONSACRE TA PAROISSE... »

Ce n’était pourtant qu’une première étape. Bientôt, à Notre-Dame des Victoires, devenue après la Révolution l’une des paroisses les plus abandonnées de la capitale, l’abbé Desgenettes reçoit en décembre 1836 une inspiration inattendue, en entendant une voix intérieure qui lui dit : « Consacre ta paroisse au Très Saint et Immaculé Cœur de Marie. » Il obéit, alors que cette dévotion ne lui disait rien, et ce moyen purement surnaturel, choisi par le Ciel, se montre d’une efficacité irrésistible. La paroisse est bientôt convertie et l’archiconfrérie du Cœur Immaculé de Marie, Refuge des pécheurs, très rapidement approuvée par le pape Grégoire XVI, s’étend au monde entier.

Six mois auparavant, le 1er mai 1836, le curé d’Ars avait lui aussi consacré sa paroisse à “ Marie conçue sans péché ”, suspendant au cou de la statue intronisée dans son église un cœur, dans lequel il inscrivit les noms de tous ses paroissiens, en même temps qu’il faisait représenter sur la porte du tabernacle le revers de la Médaille miraculeuse. Que voilà deux prêtres exemplaires, qui entraient à pleines voiles dans le dessein de Dieu.

Quel dessein de Dieu ? Tout simplement l’Épiphanie de Marie Immaculée, qu’avait annoncée prophétiquement au siècle précédent saint Louis-Marie Grignion de Montfort, dont on redécouvrit providentiellement en 1842 le manuscrit du “ Traité de la Vraie Dévotion ” : « C’est par la Très Sainte Vierge Marie que Jésus-Christ est venu au monde, et c’est aussi par Elle qu’il doit régner dans le monde... Dieu veut révéler et découvrir Marie, le chef-d’œuvre de ses mains, dans ces derniers temps. »

À Rome, le 20 janvier de cette même année 1842, le juif strasbourgeois Alphonse Ratisbonne, nouveau saint Paul, était terrassé par l’apparition de l’Immaculée Conception, qui se montra à lui dans l’église Sant’Andrea delle Fratte, telle qu’elle figurait sur la médaille qu’un ami zélé, le baron de Bussières, l’avait pressé de porter : « Elle ne m’a rien dit, mais j’ai tout compris. » Il fonda peu de temps après avec son frère Théodore, qui était vicaire à Notre-Dame des Victoires, la “ Congrégation de Notre-Dame de Sion ”, pour la conversion du peuple d’Israël. Un autre juif converti, le Père Libermann avait conçu de son côté une Congrégation missionnaire destinée aux nègres délaissés de l’île Bourbon et des Antilles, elle aussi sous le patronage du Saint Cœur de Marie, qui fusionnera bientôt avec la Congrégation des Spiritains, fondée au siècle précédent.

En Espagne, le Père Claret se fit le relais de l’archiconfrérie de Notre-Dame des Victoires et fonda les “ Fils du Cœur Immaculé de Marie ”, tandis qu’à Nîmes, en 1845, l’abbé Emmanuel d’Alzon posait les bases de la Congrégation des Augustins de l’Assomption, après l’avoir consacrée à Notre-Dame des Victoires. Pie IX avait raison de déclarer à propos de cette Archiconfrérie née à Paris : « C’est une pensée du ciel qui l’a produite sur la terre. Elle sera, dans ses mauvais jours, la ressource de l’Église. Établissez-la partout et dites qu’elle est l’œuvre de Dieu. »

Mais... la face officielle de la France restait laïque et impie, donc hideuse aux yeux de Dieu, comme une carmélite de Tours, sœur Marie de Saint-Pierre, en eut communication en ces mêmes années. Cette âme privilégiée, à qui Notre-Seigneur avait recommandé : « Appliquez-vous à honorer mon Cœur et celui de ma Mère, ne les séparez point », reçut au début des années 1840 des demandes réitérées du Ciel pour que l’on fasse des réparations publiques, parce que les blasphèmes commis contre le Nom de Dieu et les manquements à la sanctification du dimanche étaient publics. L’humble carmélite eut toutes les peines du monde à « faire passer » le message du Ciel, l’archevêque de Tours, Mgr Morlot, ne voulant rien entendre. Ce message avait trait pourtant au salut de la France, « qui ne me paie que d’ingratitude », se plaignait Jésus. Alors, la sœur se plaignait à son tour : « Ah, que je souffre d’être seule dépositaire d’une chose si importante à la France. Vierge Sainte, apparaissez dans le monde à quelqu’un et faites-lui part de ce qui m’est communiqué au sujet de la France. »

En septembre 1846, sœur Marie de Saint-Pierre fut mystérieusement avertie que sa demande était exaucée. De ces communications “ privées ”, la Vierge Marie, Régente de tout ce qui est de France, délaissant la capitale et se réfugiant dans ses lointaines montagnes, allait faire un message “ public ”.

1846 : LA SALETTE

Le 19 septembre 1846, Elle apparaît à La Salette dans les Alpes à deux jeunes bergers, Mélanie quinze ans et Maximin onze ans, sans culture et presque sans piété.

C’est par eux, si représentatifs de « son peuple » d’alors, qu’Elle a choisi de s’adresser à ce dernier. Beaucoup à l’époque prétendaient parler au nom du peuple et le représenter, depuis Michelet qui, en janvier 1846, publiait son essai sur “ Le Peuple ”, jusqu’à Victor Hugo et Karl Marx. Mais ce n’étaient là qu’idéologues et démagogues ; la Seule qui peut dire en vérité « Mon peuple », c’est la Sainte Vierge.

« Depuis le temps que je souffre pour vous ! Si je veux que mon Fils ne vous abandonne pas, je suis chargée de le prier sans cesse pour vous ; et vous autres, vous n’en faites pas cas ! »

C’est en Reine qu’Elle apparaît sur la montagne, ornée d’un diadème de rayons et d’une couronne de roses surmontant la coiffe traditionnelle du pays, revêtue d’une robe pailletée d’or, mais une Reine en chagrin et comme en détresse, enchaînée par sa mission, puisqu’Elle porte sur son Cœur un crucifix avec un marteau et une paire de tenailles et une chaîne aux gros maillons.

Assise, la tête dans les mains, le visage en pleurs, Elle s’adresse aux bergers : « Avancez, mes enfants, n’ayez pas peur : je suis ici pour vous conter une grande nouvelle. » Les deux enfants s’étant approchés, Elle continue, toujours en patois des montagnes : « Si mon peuple ne veut pas se soumettre, je suis forcée de laisser aller le bras de mon Fils. Il est si lourd et si pesant que je ne puis plus le retenir. »

Au fur et à mesure que la belle Dame parle, et que ses paroles se gravent dans l’âme des enfants, se révèle son rôle d’intercession que nous avons vu déjà à la Rue du Bac, mais aussi la peine et la souffrance qu’Elle endure, quand on n’observe pas le carême, qu’on profane le Jour du Seigneur, qu’on blasphème son Nom. On pense aux Impropères, ces litanies de reproches que l’Église, d’une manière si poignante, met sur les lèvres de son Sauveur le Vendredi saint, et que notre Pastourelle reprend à son compte, avec ses larmes et son Cœur de Mère.

Mais Elle ajoute, toujours sur le ton de reproche :

« Je vous ai donné six jours pour travailler, Je me suis réservé le septième et on ne veut pas me l’accorder. »

Nouvelle parole qui fait choc, à tel point que, dans les premiers interrogatoires, des prêtres corrigeaient d’eux-mêmes : « Dieu vous a donné... Dieu s’est réservé... » Mais les petits rectifiaient : « La Dame a dit :  Je vous ai donné... Je me suis réservé... On ne veut pas ME l’accorder. ” » La Sainte Vierge, car c’est Elle ! parle comme si Elle avait été présente sur le mont Sinaï ou au moment de la Création.

Pour qui connaît la Bible, c’est aussi de cette manière que parle la Sagesse dans le Livre des Proverbes. Nouvelle révélation fulgurante, au milieu d’une apparition qu’on croyait un simple rappel de la Loi de Dieu. La Sagesse, c’est l’Immaculée, qui dit d’elle-même : « Le Seigneur m’a créée, au début de ses desseins, avant ses œuvres les plus anciennes. » Et qui, dans le même chapitre, presse ses enfants de l’écouter, car il y va de leur salut : « Écoutez l’instruction et devenez sages, ne la méprisez pas... Car qui me trouve trouve la vie, il obtient la faveur de Yahweh, mais qui pèche contre moi blesse son âme, et chérit la mort. » (Pr 8, 1-36) « S’ils se convertissent, continue la Belle Dame, les pierres et les rochers se changeront en monceaux de blé, et les pommes de terre seront ensemencées par les terres. »

Elle ajoute : « Faites-vous bien votre prière, mes enfants ?Pas guère, Madame, répondent-ils embarrassés. – Ah ! mes enfants, il faut bien la faire soir et matin ; quand vous ne pourrez pas mieux faire, dites un PATER et un AVE ; quand vous aurez le temps, il faut en dire davantage. »

Elle semble tout reprendre par le début, afin de refaire l’éducation de son peuple dévoyé par de mauvais maîtres, puisqu’Elle dit aux bergers en les quittant et en s’élevant dans le ciel : « Mes enfants, vous le ferez passer à tout mon peuple. »

SIGNE DE CONTRADICTION

Hélas ! dans son peuple de France, le partage se fit entre ceux qui entendirent l’appel à la conversion et voulurent y correspondre, parce qu’ils aimaient la Sainte Vierge – même si la hiérarchie hésitait à prendre parti, tant la “ grande nouvelle ” annoncée était surprenante : c’est la première fois que la Sainte Vierge s’investissait à ce point pour le salut de son peuple –, et d’autre part, ceux qui dénigraient tout : la manière, les lieux, les messagers, sans compter les impies qui raillaient.

Parmi les premiers, combien de saints, de pasteurs et de simples fidèles ont voulu témoigner de leur dévotion à la divine Mère ! Dans un petit village de Champagne appelé Mesnil-Saint-Loup, un bon curé, saisi intérieurement par le nom de Notre-Dame de la Sainte-Espérance, le fit approuver par le pape Pie IX lors d’un voyage à Rome en 1852 et, à son retour, le 15 août suivant, il laissait échapper l’invocation : « Notre-Dame de la Sainte Espérance, convertissez-nous ! » Cette prière entra dans les âmes, elle y resta. L’abbé André, le futur Père Emmanuel, obtint bientôt de Pie IX l’érection de sa petite association paroissiale, “ la Prière perpétuelle ”, en Archiconfrérie pour le monde entier, expliquant qu’elle était comme « un écoulement d’amour du Saint Cœur de Marie ».

C’est aussi le Père Jean-Baptiste Muard qui, en octobre 1846, à Venouse près de Pontigny dans l’Yonne, reçut l’inspiration de fonder une Congrégation mariale de bénédictins prêcheurs, qui bâtirent bientôt leur monastère à la Pierre-qui-Vire.

Entre-temps, le peuple de France avait été de nouveau saisi par la Révolution (février 1848), qui s’étendit comme une traînée de poudre à travers l’Europe entière. À Rome même, le pape Pie IX fut obligé de s’enfuir de la Ville éternelle et de se réfugier à Gaète, dans le royaume de Naples, après avoir vu son Premier ministre Rossi assassiné sur les marches de son palais du Latran. Cela lui ouvrit les yeux, lui qui croyait pouvoir désarmer les loups par de bonnes paroles et de sages réformes. Dès son retour dans la Ville éternelle, il promit de tout faire pour définir enfin le dogme de l’Immaculée Conception, consulta à cet effet les évêques, ce qu’on appela « le Concile par écrit », et promulgua enfin la bulle “ Ineffabilis Deus ”, le 8 décembre 1854. C’est le centre lumineux de ce long pontificat et même du siècle tout entier.

Le Pape aurait voulu joindre à cette définition dogmatique la condamnation des erreurs modernes, suscitées par Satan, pour bien montrer que c’est l’Immaculée qui lui écrase la tête et qui est victorieuse de toutes hérésies, mais cela ne se fit que dans un second temps, dix ans plus tard, avec l’encyclique Quanta Cura et son résumé, le Syllabus.

Notre Père datait de cette courageuse et très nécessaire condamnation la cassure dans l’Église dont nous vivons encore : « Tous les mauvais esprits ont commencé à perdre le respect de Pie IX et on voit maintenant que c’est à partir de ce Syllabus que, dans l’Église, une bordée d’hérétiques, ceux qui ne voulaient pas accepter, ont commencé à faire de la résistance. »

L’écrivain Auguste Nicolas, converti du libéralisme, le remarquait aussi : « La Vierge Marie est aujourd’hui la grande épreuve. On n’est pas indifférent à son égard et le parti qu’on prend influe sur la foi tout entière. Nous voyons tous les jours des âmes dont l’infidélité rejette la doctrine de l’Église touchant la Sainte Vierge et qui s’éloignent de la religion, comme nous en voyons d’autres qui, des extrémités de l’erreur, reviennent à la foi la plus fervente, du moment qu’elles adhèrent à cette doctrine et qu’elles en expérimentent la vertu. Par Elle, on entre et par Elle, on sort. Elle est la Porte : Janua cæli. » (La Vierge et le plan divin, 1856)

Pour ceux qui ont fait naufrage dans la foi et se perdent, la Sainte Vierge inspira à une sainte veuve de Belgique, Émilie d’Oultremont, de fonder à Strasbourg en 1857 la Société de Marie Réparatrice, avec cette belle vocation : « Être comme Marie pour Jésus », c’est-à-dire réparatrice à sa suite et à son exemple.

La définition dogmatique de l’Immaculée Conception provoqua en France un regain extraordinaire de ferveur mariale. Mgr Morlhon, l’évêque du Puy, décida d’élever au sommet du rocher Corneille une statue monumentale en l’honneur de Notre-Dame de France (voir page 21) ; Notre-Dame de la Garde à Marseille fut également couronnée d’une statue tournée vers la ville, vers le large et vers l’Afrique ; Notre-Dame de Boulogne enfin achevée vit son dôme orné d’une statue de l’Immaculée, sans oublier Notre-Dame d’Étang près de Dijon, du Rocher à Biarritz, du Mont-Dolent au sommet des Alpes, autant de signes tangibles de sa royauté sur le sol de notre patrie.

On voulut en même temps écrire l’histoire de la Sainte Vierge dans ses rapports avec la France, élever un monument littéraire qui fût l’équivalent de ces monuments de pierre. M. Hamon, l’éminent curé de Saint-Sulpice, assisté d’un comité d’historiens et d’archéologues, se mit à l’ouvrage et remplit bientôt sept grands volumes in-octavo ! (A.-J.-M. Hamon, Notre-Dame de France ou Histoire du culte de la Sainte Vierge en France depuis l’origine du christianisme jusqu’à nos jours, Paris, Plon, 1866) « Par l’étude, écrit-il, par des recherches longues et difficiles, j’ai parcouru tous les diocèses depuis le midi jusqu’au nord, depuis l’orient jusqu’à l’occident ; j’ai visité les villes et les campagnes, j’ai gravi les montagnes, je suis descendu dans les vallées, j’ai traversé les plaines... »

Partout la Vierge Marie était là, honorée, aimée, répandant ses grâces :

« Vous êtes vraiment Notre-Dame de France ; vous l’êtes à double titre, et par l’amour que vous porte la France et par l’amour dont vous honorez la France. Regnum Galliæ, regnum Mariæ. Telle est la parole dont j’ai voulu prouver la rigoureuse et douce vérité ; je crois l’avoir prouvée. » Et il concluait : « Aimer et honorer Marie, c’est renouer le présent au passé, c’est continuer nos pères, c’est conserver le dépôt que nous tenons d’eux et cultiver l’héritage qu’ils nous ont légué ; comme au contraire être hostile ou seulement indifférent au culte de Marie, c’est renier nos pères, c’est être mauvais Français. »

1858 : LOURDES

Le 25 mars 1858, en la fête de son Annonciation, la Sainte Vierge faisait à son peuple de France un merveilleux cadeau en révélant à Bernadette, qui le réclamait de la part du curé Peyramale : son Nom, autant dire le secret de son Être, de son origine et de son éternité :

« Que soy era Immaculada Conceptiou. JE SUIS L’IMMACULEE CONCEPTION. » Comme si Elle apposait sa signature au bas de l’encyclique Ineffabilis Deus (Père Éphrem Longpré).

Statue de l’Immaculée Conception, ciselée en bronze doré par M. A. Calliat, couronnée et nimbée de son nom d’éternité, offerte par les catholiques français en réparation des outrages du romancier Émile Zola (Lourdes, basilique du Rosaire, 1897).

En prononçant ces paroles, témoignait sainte Bernadette, la Vierge, éclatante de blancheur et d’une extraordinaire jeunesse – une demoiselle de quinze, seize ans –, était « entourée d’une lumière semblable au soleil, mais douce à regarder ».

C’est le sommet vers lequel tendait le mouvement marial initié à la Rue du Bac. Mais le mot important, expliquait notre Père, n’est pas l’adjectif “ Immaculée ”, c’est le nom “ Conception ”. « Si l’on comprenait positivement ce que la Sainte Vierge a voulu dire quand Elle ouvrit les bras, baissa les yeux puis les leva vers le ciel en disant : “ Je suis l’Immaculée Conception. ” Il y a dans ces quatre mots quelque chose de formidable, de fascinant, qu’on n’a pas encore vraiment compris... »

Mais Lourdes, c’est aussi une suite de La Salette, où la Sainte Vierge avait invité son peuple à faire un sérieux examen de conscience.

S’était-il alors converti ? Pas vraiment... Comment donc s’y prendre avec cette génération rebelle, ce peuple ingrat qui se détourne de la Source des eaux vives et renie son alliance millénaire ?

Quand on médite chacune des paroles prononcées par Notre-Dame à Lourdes, il semble que l’Immaculée Conception mime ce que doit faire son peuple, pour se remettre en règle avec son Dieu, ce à quoi l’Époux divin appelait déjà sa bien-aimée dans le Cantique des cantiques, pour qu’elle revienne à Lui et réveille son amour : « Lève-toi, mon amie, ma belle, ma colombe, de la fente du rocher, de l’abri des roches escarpées ! » Depuis l’anfractuosité de Massabielle, c’est le même appel au “ retour ” à son Dieu.

Prière et pénitence. « Priez Dieu pour les pécheurs... Pénitence ! Pénitence ! Pénitence !... Allez boire à la fontaine et vous y laver. » L’eau jaillie du rocher de l’alliance, image du Cœur de Jésus, s’écoule par les mains et le Cœur de Marie Médiatrice. Tour à tour, l’Immaculée sourit et pleure, – cela se voyait sur le visage de Bernadette comme sur un miroir –, elle sourit quand on fait ce qu’Elle demande, Elle pleure quand on ne le fait pas. Elle s’adresse aussi aux meilleurs de ses enfants, ceux qu’on appelle les “ Enfants de Marie ”, dont Elle avait demandé l’institution à Catherine Labouré, et dont à Lourdes, Elle portait la livrée (robe blanche et ceinture bleue), mais aussi les petits, les malades, afin que tous prient et se sacrifient avec Elle, leur Co-rédemptrice, « pour eux-mêmes et pour les autres ».

Avec la révélation de son Nom et son sourire, – c’est par son sourire qu’un petit enfant commence à connaître sa mère ! – c’est le Cœur de notre Reine qui s’ouvre et dicte les conditions de son Règne, depuis son antique terre de Bigorre, dont Elle a repris possession de la plus simple des manières.

« Allez dire aux prêtres qu’on vienne ici en procession et qu’on y bâtisse une chapelle. » Les prêtres ont été avertis, les foules sont venues, ont mis en œuvre ce que la Vierge demandait : des processions en l’honneur du Rosaire et du Saint-Sacrement, des chapelets à n’en plus finir, des pénitences parfois héroïques. Et Lourdes est devenue la grande Cité mariale, le rendez-vous des catholiques français. Pas de tous, hélas ! les libéraux, comme Lacordaire et Montalembert, on ne les a pas vus monter à La Salette, ni venir s’agenouiller à la grotte de Lourdes, ils préféraient leurs salons parisiens... C’était la pente glissante vers l’apostasie.

Et la hiérarchie ? On sent qu’elle rechigne toujours à entrer dans les vues du Ciel. Bien sûr, le bon et sage Mgr Laurence, évêque de Tarbes, a reconnu les apparitions (18 janvier 1862), mais que de lenteurs, sous prétexte de prudence ! Le curé Peyramale en a souffert, le Père Marie-Antoine aussi, qui croyait que l’Immaculée Conception était venue pour remporter à Lourdes une victoire décisive sur Satan et bientôt écraser la Révolution, et l’ardent capucin n’épargna rien pour cela. Mais on ne peut pas dire que Lourdes ait produit tous les fruits de conversion que la Sainte Vierge attendait... À commencer par la politique, domaine que Satan a investi depuis 1789, où il règne en despote. Historiquement, c’est à ce moment-là que l’Empire de Napoléon III, d’autoritaire et de favorable à l’Église, est devenu libéral, ami des francs-maçons, favorisant l’unité de l’Italie au détriment de la Papauté, l’hégémonie de la Prusse contre la catholique Autriche.

UNE VIE OFFERTE À MARIE POUR LA FRANCE

Avant de voir où cela nous a menés, prenons une nouvelle fois le temps de parcourir la France mariale au milieu du dix-neuvième siècle. Partout la ferveur s’est réveillée, les sanctuaires ont été restaurés, ornés, agrandis, de nouveaux ont été bâtis, et les couronnements de statues ne se comptent plus, jusqu’à celle de Lourdes en 1876, avec une couronne offerte par les grandes familles et les petites gens, si riche, si belle, qu’elle sera appelée “ la couronne de France ”.

Dans le Berry, au centre de la France, une autre dévotion a vu le jour, et se développe d’une manière spectaculaire, celle de Notre-Dame du Sacré-Cœur, propagée par le Père Jules Chevalier, fondateur des missionnaires du Sacré-Cœur à Issoudun (8 décembre 1854), et qui les plaça sous la protection de la Très Sainte Vierge, « Souveraine Maîtresse du Sacré-Cœur ». Pour cette innovation “ exagérée ”, il fut dénoncé au Saint-Office, mais le Ciel lui donna bientôt raison.

Quelle aimable dévotion, qui annonce déjà celle du Cœur Immaculé de Marie, que le Ciel révélera à Fatima ! « Par ce titre spécial, disait le Père Chevalier, nous reconnaissons l’ineffable pouvoir que le doux Sauveur Lui a donné sur son Cœur adorable. Nous supplierons cette Vierge puissante de nous conduire Elle-même au Cœur de Jésus ; de nous révéler les mystères de miséricorde et d’amour qu’il renferme ; de nous ouvrir les trésors de grâce dont il est la source, de les répandre sur tous ceux qui l’invoqueront. De plus, nous nous unirons à notre Mère pour glorifier le Cœur de Jésus et réparer avec Elle les outrages dont ce divin Cœur est l’objet de la part des pécheurs. »

Non loin de là, le curé de Châteauneuf-sur-Cher, l’abbé Ducros, voulait reconstruire son église paroissiale en ruines. En 1865, il eut une idée de génie : s’adresser aux enfants de France, en leur demandant de verser chacun deux sous (dix centimes), leur promettant en retour de prier la Sainte Vierge pour eux. L’entreprise réussit au-delà de toute espérance, beaucoup d’enfants donnèrent leurs “ deux sous ”, et un jour, le curé reçut une lettre d’une petite fille du diocèse d’Autun jointe à son offrande : « Vous nous annoncez, Monsieur le Curé, que le nouveau sanctuaire que vous élevez sera dédié à Notre-Dame des Enfants. Quel beau nom ! La Sainte Vierge, invoquée sous ce titre, se plaira à combler l’enfance des grâces les plus abondantes. » Alors qu’il n’avait rien dit en ce sens, le bon curé y vit une expression de la volonté du Ciel. L’église restaurée devint le sanctuaire de Notre-Dame des Enfants, construite grâce au frère Hariolf, l’audacieux directeur des Frères des écoles chrétiennes du village, et bientôt le pape Pie IX autorisait l’érection d’une archiconfrérie (21 janvier 1870).

Dans ce tour de France marial, nous aurions pu croiser un pèlerin peu ordinaire, qu’on a surnommé “ le chemineau de Notre-Dame ” parce que, en l’espace de dix ans (1855 – 1865), il a visité tous les sanctuaires consacrés chez nous à la Sainte Vierge. Il s’appelait Charles Maire, c’était un jeune paysan de Franche-Comté, pieux, vertueux, courageux, qui voulait devenir religieux. Deux essais à la Trappe s’étant avérés infructueux, il reçut à Einsiedeln en Suisse l’inspiration de partir et de faire le tour des pèlerinages marials de France, en esprit de réparation pour l’impiété et l’immoralité grandissantes ; l’évêque de Besançon, Mgr Mathieu, lui en donna la permission, à condition qu’il revienne chaque année lui rendre compte.

Il commença par monter à La Salette, puis gagna l’Alsace, la Lorraine, la Champagne, parcourut les provinces du Nord, la Normandie, fit le tour de la Bretagne, traversa le Centre de la France, passa par Ars où il rencontra le Saint Curé, Fourvière et Le Puy, poussa une autre fois jusqu’aux Pyrénées, par Rocamadour, puis par les Landes, le Béarn et la Bigorre, – à Lourdes, il parla à Bernadette –, le Roussillon, la Provence... Il allait à pied, s’astreignant à faire jusqu’à dix lieues par jour, mendiant son gîte, n’acceptant que du pain et de l’eau, dans une pauvreté radicale et une prière continuelle.

Un livre a été écrit sur lui : « Une vie offerte à Marie pour la France. » Oui, offerte en sacrifice, parce qu’il y a laissé la vie ; notre héroïque pèlerin est mort d’épuisement, comme un pauvre, comme un saint, à Pontarlier, le 3 janvier 1865. Le plus beau, c’est la prophétie qu’il fit un jour et qui vaut encore aujourd’hui : « Ayons confiance et prions beaucoup. La France et l’Église retrouveront la paix et la gloire quand le Cœur Immaculé de Marie sera honoré, dans le monde entier, comme il convient. » (Élie Maire, La vie errante d’un montagnard comtois, 1930, p. 230)

En 1870, quarante ans s’étaient écoulés depuis les apparitions de la Rue du Bac, l’espace d’une génération. Au cours de l’entretien du 18 au 19 juillet 1830, la Sainte Vierge avait dit à sainte Catherine Labouré : « Mon enfant, le monde entier sera dans la tristesse. Le moment viendra où le danger sera grand, on croira tout perdu, là je serai avec vous, ayez confiance... » À ces mots, « je pensai, raconte la voyante, quand est-ce que ce sera ? J’ai très bien compris : quarante ans. »

Quarante ans après, jour pour jour, c’était la folle déclaration de guerre à la Prusse, déclenchant le premier conflit franco-allemand, avec son cortège de calamités : la défaite de nos armées, l’invasion de la moitié Nord de la France, la guerre civile, les persécutions, mais la Vierge Marie était là, fidèle à son poste...

1871 : PONTMAIN

L’heure de la Justice avait sonné au cadran divin, comme en avaient le pressentiment tant d’âmes pieuses, qui répétaient à l’envi : « C’est le secret de La Salette qui éclate sur nous. » Et comme en eut révélation madame Édith Royer, favorisée de communications du Ciel à partir du mois de juillet 1870 : « Un jour, un peu avant la fête de l’Assomption, à l’église de Saint-Rémy, je priais beaucoup la Sainte Vierge pour la France. Je crus la voir toute désolée, Elle me montra ses deux mains enchaînées, très serrées, et me fit comprendre qu’Elle ne pouvait nous secourir... Je ne la vis plus, et ensuite, je me trouvai en face d’une espèce de parc entouré d’une haie. Dans ce parc, un animal qui ressemblait à une brebis courait tout autour, poursuivie par un chasseur armé d’un bâton. Il chercha vainement une issue, et finit par tomber aux pieds du chasseur qui le terrassa. Je crus que cet animal était la France. » (Maurice Berthon, Madame Royer, Un message du Sacré-Cœur, 1946, p. 79)

Bientôt la divine Justice céda le pas à la Miséricorde, dont la Sainte Vierge était la Médiatrice, de façon à attirer par amour plutôt que convaincre par violence et châtiment. Le 2 décembre 1870, Elle était sur le champ de bataille de LOIGNY, apparaissant au général de Sonis qui gisait, blessé, par un froid terrible, après la charge héroïque qu’il avait conduite à la tête des zouaves pontificaux, galvanisés par la bannière du Sacré-Cœur ; et puis surtout Elle apparaissait à PONTMAIN, le 17 janvier 1871, présidant l’inoubliable veillée de prières de la paroisse groupée autour de son bon curé, l’abbé Michel Guérin.

Ce même jour, dans le sanctuaire Notre-Dame d’Espérance de Saint-Brieuc, un vœu était prononcé pour demander l’arrêt de l’invasion, encouragé par le chanoine Prud’homme, celui qui avait composé le cantique à Notre-Dame d’Espérance, et qui s’écriait : « Prions, prions beaucoup, faisons pénitence. Mais que rien n’abatte notre courage. Espérons, espérons, la miséricorde viendra, elle viendra par Marie. »

De même, au sanctuaire parisien de Notre-Dame des Victoires, à Paris, le vicaire Amodru pressait les fidèles accourus de faire un vœu pour que Paris ne tombe pas aux mains de l’ennemi. Et on l’entendit s’écrier : « Les générations futures devront savoir qu’aujourd’hui entre 8 heures et 9 heures du soir, tout un peuple s’est prosterné aux pieds de Notre-Dame des Victoires, et a été sauvé par elle. »

Comme si toutes ces prières éparses dans le pays avaient eu le pouvoir de se condenser quelque part en un signe de lumière, une Grande Dame, incroyablement belle, vêtue, comme la nuit, d’un bleu profond parsemé d’étoiles d’or, entourée d’une mandorle de gloire, s’immobilisait entre le ciel et la terre de l’humble paroisse de Pontmain, en Mayenne. Son message n’est pas à proprement parler nouveau, mais il s’inscrit dans la suite des précédentes apparitions et actualise la “ grande Nouvelle ” annoncée depuis quarante ans par notre Reine, confirmant ses promesses, témoignant de son inlassable sollicitude.

La robe bleue constellée d’étoiles qu’Elle porte à Pontmain et sa couronne d’or traversée d’un liseré rouge disent sa Royauté ; le voile noir exprime sa compassion ; Elle étend ses mains, comme à la Rue du Bac, pour répandre ses grâces sur ceux qui la prient, et porte sur son Cœur la petite croix rouge des zouaves pontificaux, qui viennent de se sacrifier pour la Patrie. Tandis que la foule chante le PARCE DOMINE, elle serre entre ses mains un grand crucifix rouge, qui rappelle celui qu’à La Salette, Elle portait sur sa poitrine. Et surtout la Belle Dame, si belle que les petits voyants auraient voulu sauter jusqu’à elle, insiste pour que ses enfants ne se lassent pas de prier, comme Elle de son côté ne cesse de prier :

Mais priez, mes enfants,
Dieu vous exaucera en peu de temps
Mon Fils se laisse toucher.

À chaque fois que le bon curé Guérin indiquait un nouveau chant, une prière, se produisait une nouvelle phase de l’apparition.

Premier vitrail représentant l’apparition de la Vierge
aux étoiles, à Pontmain, le 17 janvier 1871.

Pendant la récitation du chapelet, la Sainte Vierge grandit, et chaque Ave Maria voyait une étoile s’imprimer, les enfants disaient « se taper », sur sa robe ; au chant Mère de l’Espérance, Notre-Dame sourit de son plus beau sourire, accompagnant même la mesure de ses doigts ; pendant le cantique Parce Domine, les enfants virent une tristesse indicible se peindre sur son visage, comme jamais ils n’en avaient vue et n’en verront jamais plus. Le sourire revint, au chant de l’Ave Maris Stella.

Tout se passait de nuit, mais une nuit constellée d’étoiles évoluant dans le Ciel d’une manière féérique aux ordres de leur Souveraine. Celle-ci personnifiait une fois de plus la Sagesse, qui se tient auprès du trône de Dieu, et en son Nom régit l’univers : « Les étoiles brillent à leurs postes, et elles sont dans la joie ; il les appelle, et elles disent : Nous voici ! et elles brillent joyeusement pour Celui qui les a créées. » (Ba 3, 34-35)

L’Église n’a pas tardé cette fois pour diligenter une enquête sur les faits merveilleux de Pontmain, tout fut mené selon les règles, et le 2 février 1872, un peu plus d’un an après l’apparition, Mgr Wicart, évêque de Laval, reconnaissait que « l’Immaculée Vierge Marie, Mère de Dieu, a véritablement apparu, le 17 janvier 1871, à Eugène Barbedette, Joseph Barbedette, Françoise Richer et Jeanne-Marie Lebossé, dans le hameau de Pontmain ».

Reprenons notre chronologie. Quand l’apparition eut lieu, l’épreuve touchait à sa fin, c’était écrit dans le ciel. De fait, les Allemands ne dépassèrent pas Laval. Le 22 janvier, ils se retiraient, le 28 l’armistice fut signé à Versailles. Les trente-huit soldats mobilisés de Pontmain rentrèrent tous, sains et saufs. Pour le pays, la leçon a été rude, mais sera-t-elle salutaire ?

La France va-t-elle enfin comprendre qu’il lui faut revenir sincèrement à Dieu, « Gallia pænitens et devota », comme un bandeau le rappellera bientôt dans la basilique du Vœu national à Montmartre ? Tant de saintes âmes l’espèrent en France...

Le curé de Pontmain écrit le 20 septembre 1871 au comte de Chambord, l’héritier légitime de Charles X :

« Combien nous serons heureux, Sire, de vous avoir un jour pour Roi choisi par la divine Providence pour rétablir la paix, la confiance et faire fleurir la religion dans cette belle France ! Nous attendons ce moment avec le désir le plus ardent. Nous supplions Dieu par l’entremise de Marie, Notre-Dame de Pontmain, qu’Il daigne exaucer nos prières... »

Ce n’est pas là mélange incongru de temporel et de spirituel, c’est l’évidence : pour que la Sainte Vierge règne en France, il faut à notre pays un chef légitime et des institutions catholiques. Ils le pensaient tous : sœur Catherine Labouré, l’abbé Desgenettes à Notre-Dame des Victoires, Mgr de Bruillard à Grenoble, le curé Peyramale à Lourdes, etc. Mais 1872, 1873 passent, avec de grands pèlerinages à La Salette, à Lourdes et à Chartres, sans que le roi revienne...

« LA MALADIE DE LA VIGNE »

Le 8 juin 1873, puis de nouveau un mois après, le 8 juillet, Notre-Dame apparaît dans le Languedoc à un brave vigneron de Saint-Bauzille de la Sylve, Auguste Arnaud, qui travaillait à la fraîche le dimanche matin, avant d’aller à la messe.

Elle lui reproche en dialecte occitan de travailler le dimanche et d’avoir « la maladie de la vigne ». C’était l’époque où le phylloxéra, insecte piqueur importé des États-Unis, ravageait toute la viticulture française et européenne. Il avait comme caractéristique de pourrir les pieds de vigne par la racine, qui se desséchait et ne faisait plus monter la sève dans les sarments. Quel figuratif puissant !

Le remède proposé par la Gardienne de nos vignes et de celle du Seigneur était tout simple : « Vous placerez une croix chargée d’une Vierge au fond de la vigne... Vous y viendrez chaque année en procession... ainsi qu’à Saint-Antoine et à Notre-Dame des Grâces. » C’étaient les deux pèlerinages proches de Saint-Bauzille. Ce que fit le brave Auguste, bientôt imité des fidèles de la région. Le message de “ Notre-Dame du Dimanche ” est donc simple, et pourtant les esprits se divisèrent à son sujet, jusqu’au sein de la commission ecclésiale nommée par l’évêque de Montpellier, Mgr de Cabrières, qui du coup ne reconnut pas l’apparition.

Cette division, sœur Marie de Jésus crucifié, la carmélite arabe favorisée elle aussi de lumières surnaturelles, en avait eu l’image. À Pau, le 26 mai 1873, elle vit la France « comme un champ arrosé par la pluie, éclairé et échauffé par le soleil ; mais la terre était couverte de mauvaises herbes, parmi lesquelles il y en avait quelques-unes de bonnes. J’ai dit à Jésus : Seigneur, pourquoi laissez-vous ces mauvaises herbes ? – Je les laisse, parce que les bonnes sont encore trop faibles ; elles ont leurs racines liées avec les mauvaises. Si j’arrache les mauvaises, les bonnes seront endommagées et elles se flétriront. Quand les bonnes seront plus fortes, j’arracherai tout ce qu’il y a de mauvais... »

Deux ans ne sont pas écoulés que la République est définitivement instaurée. Les 20 février et 5 mars 1876, les élections législatives marquent la défaite des conservateurs et des monarchistes et l’arrivée en masse des républicains radicaux à la Chambre, ce qui annonce des jours sombres. Que faire ?

– S’armer de patience, de calme, de courage, et redoubler de dévotion envers les saints Cœurs de Jésus et Marie. C’est le sens des apparitions peu connues, mais si importantes pour notre orthodromie mariale, de Pellevoisin, petit village du Berry au centre de la France, au cours de l’année 1876.

1876 : PELLEVOISIN

La Sainte Vierge y est apparue quinze fois à une jeune domestique de la famille La Rochefoucauld, Estelle Faguette, qu’elle guérit miraculeusement d’une tuberculose avancée, le 19 février, qu’elle chargea d’une mission et favorisa d’une révélation qui s’accorde parfaitement avec celles de ses autres manifestations. Pour ainsi dire, Pellevoisin fait inclusion avec la Rue du Bac, après les trois manifestations extérieures, “ en plein air ”, de La Salette, Lourdes, Pontmain.

Si la Sainte Vierge a guéri Estelle, c’est pour qu’elle « publie sa gloire », d’abord en plaçant un ex-voto dans l’église du village : « J’ai invoqué Marie au plus fort de ma misère, Elle m’a obtenu de son Fils ma guérison entière. » Cette guérison authentifiée par des témoins dignes de foi et par deux rapports médicaux, fut suivie chez elle d’une conversion spirituelle, sous la direction de la Vierge, Maîtresse de sagesse et merveilleuse pédagogue. Elle lui enseigna, comme à Catherine Labouré, comment être fidèle dans ses résolutions, ne pas perdre les grâces qui lui sont accordées, se conduire dans ses peines :

« “ Si tu veux me servir, sois simple et que tes actions répondent à tes paroles. Je lui ai demandé si, pour la servir, je devais changer de position. Elle m’a répondu :  On peut se sauver dans toutes les conditions ; où tu es, tu peux faire beaucoup de bien et tu peux publier ma gloire. ” »

Mais en quoi consiste la gloire de l’Immaculée qu’il faut publier ? – Dans sa Miséricorde, avec ces mots d’une profondeur abyssale, qui confirment l’intuition du Père Chevalier à Issoudun, et qui ont la force de la révélation de la grotte de Massabielle et de celle du Buisson ardent dans l’Ancien Testament : « JE SUIS TOUTE MISERICORDIEUSE ET MAITRESSE DE MON FILS. » (troisième apparition) Et encore : « Son Cœur a tant d’amour pour le mien qu’il ne peut refuser mes demandes. Par moi, il touchera les cœurs les plus endurcis. » (septième apparition, 2 juillet)

Cette union coopérante, cet échange d’amour entre les Cœurs de Jésus et Marie est au cœur du message de Pellevoisin, comme il est au cœur de l’orthodromie divine et mariale sur notre pays. La Sainte Vierge portait Elle-même sur sa poitrine un scapulaire sur lequel Estelle vit lors de la dernière apparition le Cœur de Jésus palpitant et transpercé, d’où jaillit le Sang et l’eau, Cœur couronné d’épines et surmonté de la croix, d’où s’échappent de vives flammes, symboles de l’amour. « Depuis longtemps, les trésors de mon Fils sont ouverts, qu’ils prient » (neuvième apparition, 9 septembre). Et puis : « J’aime cette dévotion. C’est ici que je serai honorée. » Ici, c’est-à-dire dans le Cœur de Jésus... Dans cette confidence, quelle révélation brûlante, déjà, du Cœur Immaculé de Marie !

Au cours des apparitions de juillet et de décembre, la Vierge apparaît entourée d’une guirlande de roses tandis que, de ses bras étendus, une pluie de grâces se répand sur ceux qui acceptent de porter la “ livrée de son Fils ”, à savoir le scapulaire du Sacré-Cœur – « et dans chacune de ces gouttes, il me semblait voir les grâces écrites telles que : piété, salut, confiance, conversion, santé... » –, mais cette livrée est pour un combat, dont Estelle eut révélation en deux visions mystérieuses, qui annonçaient un avenir sombre pour la France et pour l’Église.

Le 15 septembre, la Sainte Vierge réitère ses plaintes de La Salette : « “ La France, que n’ai-je pas fait pour elle ? Que d’avertissements, et pourtant elle refuse encore d’entendre. Je ne peux plus retenir mon Fils. Elle paraissait émue en ajoutant :  La France souffrira. Elle appuya sur ces paroles. Puis Elle s’arrêta encore et reprit : Courage et confiance. ” »

La Vierge, pourtant « toute miséricordieuse », fit voir à sa confidente « une nouvelle guerre et beaucoup de sang versé » : c’était la Grande Guerre, annoncée quarante ans à l’avance ! De même qu’une Révolution : « Dans un plan à part, j’apercevais des gens en colère avec des habits en désordre, suivant un chef au front chauve qui les menait. Je pensais alors à une révolution... » Estelle Faguette révélera cela en 1916, et l’année suivante éclatait la Révolution russe, menée par Lénine, chef au crâne dégarni.

L’Église était aussi concernée, ce 15 septembre 1876. « “ Je te tiendrai compte des efforts que tu as faits pour avoir le calme ; ce n’est pas seulement pour toi que je le demande, mais aussi pour l’Église et pour la France. Dans l’Église, il n’y a pas ce calme que je désire. Elle soupira et remua la tête, en disant :  Il y a quelque chose... Elle s’arrêta. Elle ne me dit pas ce qu’il y avait, mais je compris tout de suite qu’il y avait quelque discorde. Puis elle reprit :  Qu’ils prient et qu’ils aient confiance en moi. ” »

Grâce à la biographie récente de Sylvie Bernay (Estelle Faguette, la voyante de Pellevoisin, 2021), on arrive à recomposer cette annonce prophétique, qui a trait à une « discorde » ou zizanie introduite dans la sainte Église, y provoquant une « cassure » de plus en plus profonde, et qui avait pour sujet... la Vierge Elle-même, comme une révélation des cœurs ! Estelle quant à elle ne varia jamais dans sa foi, accomplissant sa mission avec la droiture et l’intégrité qui la caractérisaient. « Moi, je ne suis rien, disait-elle, ma mission est le commandement de la Mère toute Miséricordieuse... C’est un honneur de souffrir pour la Sainte Vierge. » En quoi elle fut une figure de la France fidèle à sa Reine.

Triptyque des apparitions de Pellevoisin, entre la guérison miraculeuse d’Estelle Faguette ( 19 février ) et le don du scapulaire du Sacré-Cœur ( 8 décembre 1876 ) : « Contemplez-la sur cet autel ; que porte-t-elle sur son Cœur et que veut-elle placer sur le nôtre ? le Cœur de Jésus ! Le bouclier de la victoire ! Quand nos héros vendéens et nos héros de Patay ont placé le Cœur de Jésus sur leur poitrine, qui a pu arrêter ces géants ?... Des roses l’environnent. Ce sont les roses dont l’Église et la France, sauvées elles aussi bientôt miraculeusement par Marie, ceindront leur tête victorieuse. » ( Père Marie-Antoine, pèlerinage de 1894 )

« AIMER ET FAIRE AIMER MARIE. »

Car la France aime Marie, depuis toujours. C’est dans sa vocation, son caractère et l’élan le plus profond de son âme. Un de nos poètes, moderne Villon, l’a traduit en beaux alexandrins, le jour de la fête de l’Assomption 1874. Paul-Marie Verlaine était alors en prison, « faible et bien méchant encore », mais il se tourna vers Elle et composa “ Sagesse ” :

« Je ne veux plus penser qu’à ma mère Marie,
Siège de la Sagesse, et source des pardons,
Mère de France aussi, de qui nous attendons
inébranlablement l’honneur de la Patrie...
JE NE VEUX PLUS AIMER QUE MA MÈRE MARIE. »

Nos Français savaient l’aimer, mais aussi la faire aimer, partager leur amour de la Vierge sans pareille. Terminons par un tour rapide de nos missions. À la fin du dix-neuvième siècle, sur les 6 500 missionnaires répartis dans le monde, 4 500 étaient Français !

Commençons par l’Afrique du Nord, qui avait connu de si beaux jours aux premiers siècles du christianisme et qui, grâce à la conquête de 1830, pouvait renouer avec sa foi chrétienne et mariale. Une ancienne mosquée d’Alger fut transformée en église, sous le vocable de Notre-Dame des Victoires, par le premier évêque, Mgr Dupuch. Puis, ce fut Notre-Dame du Bon-Secours à Mers-el-Kébir, Notre-Dame de l’Atlas à Staouéli, Notre-Dame du Salut à Oran, sur la montagne de Santa Cruz, parce qu’elle délivra la ville du choléra lors de l’épidémie de 1848.

Dans la banlieue d’Alger, deux humbles Lyonnaises avaient installé un nouveau Fourvière dans une grotte appelée “ le Ravin ”. Peu à peu, les fidèles en prirent le chemin. Le deuxième évêque d’Alger, Mgr Pavy, désirant « étendre à l’Algérie le vœu de Louis XIII », acheta alors le promontoire qui termine la vallée des Consuls et y fit construire un sanctuaire. Ce fut bientôt la belle église de Notre-Dame d’Afrique qui, sur la rive méridionale de la Méditerranée, fait pendant à celle de Notre-Dame de La Garde à Marseille, et marque l’Afrique recouvrée du sceau de Marie. Mgr Pavy y fonda une Archiconfrérie, dont l’invocation était : « Cœur Immaculé de Marie, priez pour nous et pour les pauvres infidèles ! » Et les musulmans n’étaient pas les derniers à venir faire brûler des cierges devant son image.

En Afrique noire aussi, les Spiritains prêchaient l’amour de la Sainte Vierge, ils avaient fusionné avec la jeune Société du Saint Cœur de Marie du Père Libermann. « L’esprit apostolique, disait celui-ci, où pourrons-nous le trouver plus parfait et plus abondant, après Notre-Seigneur, que dans le Cœur de Marie, Cœur éminemment apostolique et tout enflammé de désirs pour la gloire de Dieu et le salut des âmes. » De même à l’île Maurice, avec le Père Désiré Laval, tandis que Madagascar devenait “ Terre de l’Immaculée ”, grâce aux Jésuites de la Réunion.

L’Océanie fut évangélisée par les Pères des Sacrés-Cœurs de Jésus et Marie, bientôt rejoints par les Maristes, à qui leur fondateur avait ordonné : « Soyez toujours empressés à mettre sous la protection de Marie et à lui consacrer chacune des îles où vous irez, y laissant une médaille ou une image de cette Reine du Ciel, en signe du domaine qu’Elle a sur cette île et de la consécration que vous lui en faites. » Saint Pierre Chanel, leur premier martyr, écrivit de son sang sa devise : « Aimer Marie et la faire aimer. » Et bientôt ce furent les Pères d’Issoudun, qui firent là-bas connaître et aimer Notre-Dame du Sacré-Cœur.

Au Japon, en 1865, le Père Petitjean des Missions étrangères de Paris (M. E. P. ), installées à Nagasaki, eut la surprise de retrouver des chrétiens rescapés de deux cent cinquante ans de persécutions, dont le signe distinctif était l’amour de la Sainte Vierge. « Le temps de réciter un Pater, trois femmes de cinquante à soixante ans viennent s’agenouiller près de lui et l’une d’elles lui dit, la main sur la poitrine : “ Notre cœur à nous tous qui sommes ici, est le même que le vôtre. – Vraiment, répond le missionnaire. D’où êtes-vous donc ? – Nous sommes d’Urakami. Et aussitôt elle demande : Sancta Maria no go-zô wa doko ? Où est l’image de Sainte Marie ? À ce nom béni, M. Petitjean n’a plus de doute, il est en présence de descendants des anciens chrétiens du Japon. Pressé par eux comme des enfants qui ont retrouvé leur père, il les conduit à l’autel de la Vierge. Oui, c’est bien Sancta Maria ! s’écrient-ils à la vue de la statue. Voyez sur son bras On-Ko Jesus-sama, son auguste Fils Jésus ! »

À Pondichéry, aux Indes, le P. Darras, conquis par la lecture de l’Histoire de Notre-Dame de Lourdes de Lasserre, transforme une montagne dédiée aux démons, Satan Maley, en “ Montagne de Notre-Dame de Lourdes ” et, de ce jour, la pêche des âmes s’est faite miraculeuse. En Chine, grâce aux Lazaristes et aux M. E. P. , le culte de Notre-Dame de Lourdes, de La Salette, de Liesse ! se répand parmi les néophytes, avec de vrais miracles de protection et de guérison, tout comme chez nous. Au Tonkin, en Annam, qui vont former l’Indochine française, toutes les églises, même les plus humbles sous leur toit de paillote, possèdent une image de Marie : Notre-Dame de Lourdes ou Notre-Dame du perpétuel secours. On appelle les villages où la dévotion est particulièrement fervente et unanime, « les villages qui aiment Marie »...

À la Martinique, est fortement implanté le culte à Notre-Dame de la Délivrande. Parce qu’un ancien chapelain de La Délivrande près de Bayeux, Mgr Leherpeur, nommé évêque des Antilles, fut pendant la traversée sauvé d’un naufrage, après avoir fait le vœu de lui édifier un sanctuaire. Notre-Dame de la Délivrande est aujourd’hui patronne de l’île. On retrouve ce culte à l’île Maurice, en Polynésie, au Sénégal, dont elle est la Patronne, au Japon, et jusqu’au Grand Nord canadien, puisque la première mission au pays des Inuits lui fut consacrée...

Concluons ce survol trop rapide d’un siècle où l’Immaculée fut régente de France, en citant le chanoine Coubé, au Congrès marial du Puy en 1910 :

« Par ses apparitions en France au dix-neuvième siècle, par les grâces de ses jubilés, par les miracles qu’elle multiplie chaque année à Lourdes, la Vierge montre qu’elle ne nous abandonne pas et qu’elle veut toujours être Reine de France. Si notre pays devait bientôt périr, Elle irait ailleurs se choisir une nation, un trône. Mais non, nous sommes toujours sa nation et son trône reste toujours parmi nous, solide comme le rocher qui soutient ici sa statue. Et pendant des siècles encore, on y chantera : SALVE, REGINA ! »

frère Thomas de Notre-Dame du Perpétuel Secours et du Divin Cœur.