Il est ressuscité !
N° 268 – Juillet-août 2025
Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard
CAMP NOTRE-DAME DE FATIMA 2024
La “ France de Marie ” (9)
Notre bien-aimé Père,
au cœur de l’orthodromie mariale
C’EST une belle, une sainte histoire, que celle de l’Alliance de Jésus et Marie avec le peuple de Doulce France, qu’ils se sont choisis, qu’ils ont évangélisé, éduqué, civilisé, comme instrument de prédilection en vue du dessein de leur unique Cœur : l’instauration de leur règne de miséricorde dans le monde entier. Au terme de la publication des conférences du camp de la Phalange d’août 2024 (cf. Il est ressuscité nos 260, 262-267, novembre 2024, janvier à juin 2025), il nous reste à tirer les conclusions de toute notre passionnante étude sur « La France de Marie ».
UNE SUITE DE L’HISTOIRE ÉVANGÉLIQUE.
Nous lisons dans l’Évangile selon saint Jean qu’en même temps que leur dessein de tuer Jésus, « les Grands prêtres décidèrent de tuer aussi Lazare, parce que beaucoup de Juifs, à cause de lui, s’en allaient et croyaient en Jésus. » (Jn 12, 10-11)

Après la résurrection de Jésus lui-même, les juifs ne désarmèrent pas.
Aussitôt après le martyre d’Étienne, « une violente persécution se déchaîna contre l’Église de Jérusalem. Tous, à l’exception des Apôtres, se dispersèrent dans les campagnes de Judée et de Samarie. » (Ac 8, 1) Et « poussèrent jusqu’en Phénicie, à Chypre et à Antioche » (Ac 11, 19).
Après avoir fait périr par le glaive Jacques, frère de Jean, Hérode, « voyant que c’était agréable aux Juifs, fit encore arrêter Pierre. » (Ac 12, 2-3) Sa délivrance miraculeuse et son départ pour Rome ouvrent la troisième étape de la mission des Apôtres, qui s’étend à l’univers entier comme le leur avait commandé Jésus : « Le Saint-Esprit survenant en vous, vous aurez de la puissance et vous serez mes témoins à Jérusalem, et dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. » (Ac 1, 8)
Cela réalisait la prophétie d’Isaïe : « C’est trop peu que tu sois pour moi un serviteur pour relever les tribus de Jacob et ramener les survivants d’Israël. Je fais de toi la lumière des nations pour que mon salut atteigne aux extrémités de la terre. » (Is 49, 6).
À cause de la persécution, la communauté de Jérusalem fut elle-même contrainte de se disperser. C’est alors que Lazare partit, avec ses sœurs Marthe et Marie-Madeleine, pour la Gaule. Quoi d’étonnant puisque saint Paul lui-même prévoyait un voyage apostolique en Espagne ? (Rm 15, 28). Lazare s’installa à Marseille, Marthe à Tarascon, et Madeleine, avec Maximin, à Aix.
« Après avoir partagé l’intimité de Jésus et de Marie, ces saintes femmes ont vécu en France, y sont mortes et y ont joui d’une grande vénération.
« Toute notre Provence profita de leurs exemples, de leur apostolat et de leurs grâces. Tout notre pays leur doit une grande part de sa foi et de son amour pour Jésus et Marie, et cela est une grande marque de prédestination pour notre peuple. » (Il est ressuscité n° 262, janvier 2025, p. 7)
À Lyon, les premiers chrétiens arrivèrent directement d’Asie Mineure. Ils furent rejoints par Pothin, leur premier évêque, qui avait connu Jean l’Évangéliste, « le disciple que Jésus aimait »... et donc la Sainte Vierge, sa divine Mère, que Jean avait « prise chez lui. » (Jn 19, 27) Pothin eut comme successeur Irénée qui, lui-même, avait connu Polycarpe, évêque de Smyrne et martyr, autre disciple de saint Jean.
Or saint Irénée, docteur de l’Église, martyr, nous a laissé une des toutes premières théologies mariales, où déjà il exalte Marie Mère de Dieu, Médiatrice. C’est tout l’enseignement de ces héritiers de saint Jean aux premiers chrétiens. À l’heure de la persécution et du martyre (177), l’Église de Lyon irrigua alors toute la Gaule de sa dévotion mariale.
Commença une lente, mais sûre conquête sur Satan de notre Gaule au Christ et à sa sainte Mère, laquelle, dans la prédication et la vénération des premiers chrétiens, est indissociablement liée à Jésus-Christ Fils de Dieu.
Victorieuse de toute hérésie, Marie Mère de Dieu suscite des docteurs et apôtres pour consolider son domaine. Saint Hilaire, contre l’arianisme conserva l’unité catholique en Gaule. Saint Martin, évangélisateur de nos campagnes fut aussi le défenseur de la vie monastique, foyer de la dévotion mariale. Sainte Geneviève résista victorieusement à l’envahisseur, et même à Clovis encore païen. Et tant d’autres.
« Cette invasion du culte de la Vierge Marie a atteint, déjà, au début du cinquième siècle, toutes les grandes villes de France » (La France Royaume de Marie, récollection à Josselin, juin 1984). “ Sainte Marie ” comme on disait alors se complaît visiblement en France. Elle y fonde elle-même des sanctuaires, tantôt par des apparitions comme au Puy-en-Velay (430), tantôt par des miracles éclatants.
L’ALLIANCE DIVINE.
À partir de la conversion de Clovis à la foi catholique de préférence à l’arianisme, la Sainte Vierge devient la garante et la gardienne de l’alliance nouée au baptistère de Reims entre Dieu et le royaume des Francs, multipliant ses interventions en faveur de cette jeune nation, qui devient comme son apanage.
Tous concourent à établir son règne. Dévotion du peuple. Dévotion et pèlerinages des rois : de Clovis et de ses successeurs mérovingiens, puis carolingiens, à la prédication des évêques et des moines. Et aussi à l’exemple des reines, dans la suite de sainte Clotilde et sainte Radegonde. La Vierge Marie est dite “ Souveraine ” en France, et c’est à ce titre qu’Elle conduit la Religion Royale, cette Alliance entre la monarchie française et Jésus et Marie que Hincmar, archevêque de Reims de 845 à 882, exposera avec clarté.
Durant les siècles d’invasions (9e-10e siècles), Elle protège activement la Chrétienté non seulement du barbare et du pillard, mais surtout du païen et de l’hérétique, comme à Chartres où Elle soumet, par la puissance de son Voile, Rollon et ses Normands en 911. Convertis, ils montreront une grande piété envers Madame Sainte Marie.
Au même moment, l’abbaye de Cluny est fondée en 910. Ses moines propagent le culte de “ Notre-Dame ”, selon le beau vocable initié par saint Odilon, abbé de 994 à 1048. « C’est toujours par les monastères que la ferveur religieuse et la piété mariale ont été conservées pures ou, après les temps de décadence, réinsufflées dans le cœur des fidèles. » (Il est ressuscité n° 262, janvier 2025, p. 21) Et parce qu’ils sont dévots de la Sainte Vierge, ce sont les clunisiens qui propageront la réforme grégorienne qui fera l’apogée de la France du 13e siècle, sous le règne de Saint Louis, le plus saint des rois capétiens.
Notre-Dame aime à répandre ses grâces au Royaume des Lys, sous le règne des capétiens, ces rois aussi chevaliers que moines, d’une grande piété et dévotion envers Elle pour mener ses combats contre l’hérésie ou contre les infidèles, jusqu’au Levant. Son chantre, saint Bernard enthousiasme les cœurs. « À sa mort en 1153, la Sainte Vierge atteint son but, pour ainsi dire. Ce n’est pas tout à fait le paradis sur la terre, mais les institutions de l’Église et de la Monarchie, les deux pouvoirs dont Dieu se sert pour régner, sont suffisamment forts et saints pour combattre le vice et les menées de Satan, et promouvoir la Vérité et la Vertu. Alors, les âmes vont au Ciel en masse, et les biens temporels sont donnés par surcroît. » (Il est ressuscité n° 263, février 2025, p. 11)
LA CONSÉCRATION DU ROYAUME DE FRANCE.
Le Bon Dieu permit que cet apogée ne dure pas... pour la plus grande gloire de Marie cependant, la Femme qui écrase la tête du serpent maudit dès les origines.
Précisément, c’est en 1307 que Notre-Dame encouragea Duns Scott au moment de défendre l’Immaculée-Conception à Paris, contre la Sorbonne. Le diable ne put le supporter et accabla durement la France en déclenchant la guerre de Cent ans, à peine vingt ans après. Charles V, puis Gerson se tourneront vers l’Immaculée Conception pour implorer pitié pour le Royaume.
Il y faudra l’intervention du ciel, après beaucoup de sang et de prières et pèlerinages à Notre-Dame pour y mettre fin : c’est la geste de sainte Jehanne d’Arc, venue de la part de Messire Dieu bouter les Anglais hors de France au nom de Jésus et Marie, martyre de la Religion royale et de la foi catholique romaine, c’est tout un. Elle méritera aux Valois de conserver les faveurs de leur Seigneur et de leur Reine, malgré leurs infidélités.
Louis XI, sacré à Reims en 1461 en la fête de l’Assomption, se déclare féal de Notre-Dame de Boulogne, vraie suzeraine de France. C’est en cette qualité que Notre-Dame sera bonne Française, et luttera contre les protestants, par des miracles, par des apparitions comme au Laus. Comme aussi par la dévotion d’un Henri III. Son sacrifice portera du fruit : plus que la conversion d’Henri IV, c’est la solennelle consécration du Royaume à la Sainte Vierge, par Louis XIII, le 15 août 1638. La France est mûre pour réaliser le dessein divin, par Marie. « Si Dieu a voulu que cette France soit le Royaume de Marie, c’est parce que par Elle, Il voulait se la consacrer, et pouvoir faire de cette France l’instrument de son règne. » (Josselin 1984)
Mais en 1689, malgré l’élan de dévotion au Cœur très unique de Jésus et Marie suscité par saint Jean-Eudes jusqu’à la cour, Louis XIV rompt l’alliance en refusant le règne du Sacré-Cœur, qui ne fait qu’un avec le Cœur Immaculé de Marie.
En châtiment, la France est alors livrée aux diaboliques... en 1789 ! Selon saint Louis-Marie Grignion de Montfort, c’est l’ouverture des derniers temps qui vont voir l’ultime affrontement de la Vierge et du démon, la défaite de ce dernier, et la victoire certaine du Cœur Immaculé préparant le règne du Sacré-Cœur de Jésus-Christ.
LA VIERGE VAINCRA SATAN EN FRANCE.
Après la Révolution et le sacrifice de tant de martyrs, la Sainte Vierge, Souveraine de France fait grâce, et reprend en main son peuple par les congrégations religieuses dont Elle inspire les fondations innombrables. C’est ainsi qu’Elle inaugure le dix-neuvième siècle, comme son siècle, le “ siècle de l’Immaculée ”. Elle entre directement dans la lutte contre la Révolution... et le libéralisme qui s’en accommode. C’est ce que le démon a inventé pour cantonner la religion dans la sphère privée et pour que certains soi-disant catholiques refusent de combattre les ennemis de Jésus-Christ dans la société, au nom même de l’Évangile !
La Sainte Vierge contre-attaque par ses grandes apparitions. Elle s’engage directement dans la lutte comme jamais auparavant, lorsque le démon, furieux d’une Restauration qui, malgré ses faiblesses, lui faisait obstacle, suscite en 1830 une nouvelle révolution.
Affligée de cette rupture catastrophique de l’Alliance par cette nouvelle perte du roi, angoissée du péril pour la France, Elle se montre à sainte Catherine Labouré, rue du Bac, à dessein de reconquérir son peuple sur les diaboliques : coup de génie de la médaille miraculeuse qui se répand dans toute la France, et de là, dans le monde entier.
En même temps, Elle fonde et organise les grands pèlerinages publics, qui manifestent au grand jour la dévotion de tout son peuple, et sont de célestes encouragements aux catholiques intégraux et légitimistes. C’est dans ce but qu’Elle voulait d’abord réaliser cela à Paris, rue du Bac. « Venez au pied de cet autel... » Ce que les ecclésiastiques lui refusent : mystère d’iniquité qui commence son œuvre d’apostasie dans l’Église même !
Et pourtant, Notre-Dame des Victoires avait donné en exemple le miracle de conversion de la paroisse de l’abbé des Genettes en 1836 : « Consacre ta paroisse au Très Saint et Immaculé Cœur de Marie ! » Mais on n’en a pas voulu. Il n’est donc pas étonnant qu’en 1846 les petits bergers de La Salette la trouvent en pleurs, comme « une maman que ses enfants auraient battue et qui se serait ensauvée dans la montagne pour pleurer à son aise » (Maximin) : « ... et vous autres, vous n’en faites pas cas ! »
Elle apparaît alors à Lourdes, comme en exil aux limites de son Royaume, où elle fait l’insigne faveur à la France de lui révéler son Nom le plus intime : « Je suis l’Immaculée Conception », confirmant la définition dogmatique du pape Pie IX.
Quand vint l’heure du péril qu’Elle avait annoncé quarante ans à l’avance à sainte Catherine Labouré, Elle revient sauver la France de l’invasion allemande et protestante, à Pontmain, le 17 janvier 1871. Enfin à Pellevoisin, Elle vient pour mettre en échec le libéralisme et le républicanisme envahissant l’Église même, et encourager le règne du Sacré-Cœur.
Las ! le démon ne s’avoue pas vaincu et suscite le modernisme, qui naît et se développe en France, pour ruiner toute espèce de foi certaine dans le surnaturel. Puis encore la démocratie chrétienne, qui « convoie le socialisme, l’œil fixé sur une chimère » (Saint Pie X, Lettre sur le Sillon). C’est le temps où règne la république dure des radicaux-socialistes francs-maçons, qui conduisent les pauvres âmes de France sur le chemin de l’apostasie et de l’enfer. Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, miniature chérie de l’Immaculée avait vécu par avance ce mystère d’iniquité dans son épreuve de la Foi.
D’une certaine manière, elle mérita sans doute aux Français de se ressaisir dans le “ creuset ” des tranchées, d’abandonner leurs chimères et revenir à leur foi, à leur dévotion à Notre-Dame. Au Portugal, en 1917, Notre-Dame apparaît à Fatima, mais en France, on ne le sait pas encore. Vingt ans après, éclate la Deuxième Guerre mondiale, puisque le Pape ne veut pas faire ce que la Sainte Vierge lui demande... « comme le Roi de France », déplore Jésus ! La France est encore une fois relativement épargnée, et connaît même un magnifique redressement, sous l’égide de Notre-Dame de France et de son Maréchal. C’est le “ Grand Retour ” des Français à leur Reine, dans l’enthousiasme de la Révolution nationale.
Alors, craignant que la partie lui échappe, le diable devient violent et féroce. L’épuration sanglante, gaulliste, de 1944 conduit tout droit à l’instauration d’un régime communiste en France, comme l’avait annoncé Notre-Dame à Fatima, en juillet 1917 : « Si l’on n’écoute pas mes demandes, si l’on ne cesse d’offenser Dieu, la Russie répandra ses erreurs, provoquant des guerres et des persécutions contre l’Église. » La France devait avoir sa part dans ce châtiment. Mais la Sainte Vierge a eu pitié, et Elle est venue nous faire miséricorde une fois encore, le 8 décembre 1947, à L’Île-Bouchard. C’est donc qu’Elle a toujours une idée pour notre pays, un dessein très particulier auquel Elle semble tenir... aujourd’hui encore ? Mais certainement !
Toute cette explication de l’orthodromie mariale sur notre France, que nous avons étudiée cette année, nous la devons à notre bien-aimé Père, à sa méthode de travail, à l’enseignement de son Histoire volontaire, qui « cherche à découvrir ce que Dieu veut dans notre histoire, et juge des faits et des personnages historiques selon qu’ils sont conformes à cette très chérie Volonté ou qu’ils y font obstacle en quelque manière. » (Histoire volontaire de sainte et doulce France, préface de frère Bruno, éd. CRC, 2019)
Cependant, notre Père n’est pas seulement l’interprète génial du dessein divin, il est un acteur de cette orthodromie. En effet, il peut sembler que Notre-Dame en soit réduite à parer les coups, à subir les assauts. Satan en est devenu extrêmement impudent en France. Il y fourbit des armes redoutables pour l’Église et pour la patrie, qui ont pour nom : progressisme, réformisme, personnalisme. Mais il ne sait pas encore que la Sainte Vierge, en stratège avisée, a déjà préparé sa victoire. C’est ce que nous devons étudier maintenant en conclusion, pour retrouver et conserver l’Espérance de l’orthodromie mariale sur notre pays.
UN VASE D’ÉLECTION (Ac 9, 15)
Toutes les interventions de notre Souveraine, ses apparitions, ses miracles, nous ont montré que « le catholicisme intégral et le légitimisme monarchiste sont les exigences vitales de son règne » (La Contre-Réforme catholique n° 321, avril 1996, p. 3).
C’est précisément cette tradition qu’a trouvée Georges de Nantes dans son berceau, le 3 avril 1924. Le Ciel n’attendit que deux jours pour se le réserver par la bouche du chanoine Patritti qui le baptise dans l’église Saint-Louis de Toulon :
« Et celui-ci, Commandant, n’en ferons-nous pas un prêtre ? » Et le commandant de Nantes de consentir aussitôt à cet appel de l’Église : « Eh bien ! Monsieur le Chanoine, si c’est la volonté du Bon Dieu, nous le lui donnons. Ce serait pour nous un grand honneur. »
Dès lors, tout concourt à former en lui l’instrument dont veut se servir la Vierge Marie. Notre père a laissé échapper cette confidence au soir de sa vie : « Il me semble que, sans trop m’en rendre compte, j’ai été bercé dès mes plus jeunes années dans l’amour, non pas de mon amour à moi, je n’en ai pas, mais de l’amour très sacré de la Vierge Marie [pour moi], tout au long de ma vie de chrétien. » (sermon du 17 janvier 1999)
Notre Père rendit souvent hommage à ses parents, Marc de Nantes et Marguerite de Johanis de Verclos qui ont eu la charge de son éducation : « Souvenir de mon père et de ma mère, de cette famille très chrétienne où tout conspirait à l’affermissement de ma vocation, où rien jamais ne vint la contrarier ni même lui causer la moindre blessure. » (Supplément à la CRC n° 6, mars 1968)
« Mon père fut un élève heureux des jésuites de Mongré. Le régime y était sévère, les études fortes. Il en reçut une empreinte ineffaçable. Sa vaste culture humaniste, sa science, son habitude d’une discipline rigoureuse [comme officier de Marine], sa piété surtout lui vinrent de cette première formation. Dès lors, il mit plus haut que tout sa foi, toute pénétrée d’intelligence, mais aussi imprégnée de la plus tendre dévotion. Je crois pouvoir dire que son chapelet ne le quitta jamais et il aimait le réciter, en privé ou en public, sans fausse honte. » (Lettre à mes amis n° 165, 23 février 1964)
Il chantera aussi l’éducation mariale de sa mère, plus discrètement, mais non moins aimée : « Mon univers d’enfant était religieux et métaphysique sans que de si grands mots me soient connus [...]. Oui, tout est vrai, tout est beau, tout est bien, tout est grand. Dieu, mon Dieu, vous m’êtes un Père du Ciel que j’aime et dont je suis fier comme de mon papa, mon papa si doux, si beau, qui sait toujours tout, mon père que vous m’avez donné. Et maman, si sage, si sage, quand elle allume les bougies du mois de Marie et nous agenouille devant la statue de la Sainte Vierge pour le chapelet du soir, nous confie à une autre Mère si belle, si pure, si merveilleusement attirante que mon cœur déborde d’un rayonnant bonheur. » (Page mystique n° 46, juin 1972, “ Le baptême. ”)
De ses parents, le jeune Georges a reçu une religion solide, pleine de piété, de dévotion, mais aussi de convictions fermes : « Mes parents étaient très marqués par l’Action française, et les conversations de table portaient sur les événements politiques, sur toutes sortes de choses. L’Action française était comme la C. R. C. maintenant, ce n’était pas simplement la politique, mais c’était la culture, la défense de la langue française... Des quantités de choses ! J’ai dit un jour à un de mes supérieurs religieux qui m’interrogeait : “ Quel maître avez-vous sur la terre ? ” J’ai répondu : “ Mon père et ma mère ! ” C’est à la table familiale que j’ai appris tout ce que je suis, parce que mon père et ma mère parlaient avant même notre naissance, ils avaient pris l’habitude de parler de choses intelligentes ! » (Nouvelle morale phalangiste, Pentecôte 1989.)
Son père et à sa mère, “ catholiques romains et Français toujours ”, ne bronchèrent pas dans leur double loyalisme en 1926, quand l’Action française fut condamnée par le pape Pie XI.
« Mon père fut alors admirable. Ses convictions demeurèrent, inébranlables, puisqu’aucun reproche ne les avait réellement atteintes. L’angoisse du salut de la Patrie lui imposait de rester fidèle à cette Action française qui seule désormais, isolée et affaiblie, se vouait à la défense politique de la nation. Il se garda cependant de toute révolte, de toute invective, et aimait nous répéter le mot de Maurras : “ C’est une toute petite affaire dans l’histoire de l’Église et de son bienfait séculaire. ” Fidèle aux vrais défenseurs de la Patrie, il n’en resta pas moins fidèle à l’Église, respectueux de ses membres et prêt à subir avec soumission toutes les sanctions dont ils jugeront bon de le frapper.
« À nous autres qui étions enfants, il s’appliqua à transmettre sa foi et ses convictions sans nous avertir prématurément de la discorde dont il souffrait. Dans les collèges catholiques auxquels il nous confiait, nous nous entendions dire parfois que notre père était hérétique, schismatique, et cependant nous ne connaissions personne dans notre entourage qui soit plus dévoué, généreux pour les œuvres de l’Église, scrupuleux dans sa foi et son obéissance, respectueux envers ces mêmes prêtres qui le disaient... excommunié ! » (Lettre à mes amis n° 165, 23 février 1964)
« Au fond, nos parents possédaient à un degré rare le don de science, celui qui donne la connaissance et le sentiment fort de l’exacte valeur des choses ou, si l’on veut, de leur vanité essentielle. » (Georges de Nantes, Docteur mystique de la foi catholique, p. 17) Et leurs jugements et sages conseils lui éviteront bien des pièges et des écueils.
INSTRUIT PAR L’ÉGLISE ET LA FRANCE.
Avec ses parents, c’est l’Église qui s’est occupée de former cette jeune âme prédestinée. Notre père l’a raconté en 1968, pour le vingtième anniversaire de son ordination :
« Je scrute le fond et l’arrière-fond de ce monde de mon enfance, je passe au crible mes admirations naïves et je n’y trouve rien à mépriser ni à critiquer. Ces prêtres étaient d’une familière bonté, paisibles et heureux comme nous, avec nous. Que j’aimais l’Externat ! Je ne mesurais pas les difficultés et les mérites de ces hommes dont la foi, la vertu aimable, la piété tout attendrie de dévotion à la Vierge Marie nous faisaient vivre dans une sorte de continuelle et sainte fête. Je me rappelle les récréations. Les jeux d’échasses et les combats de boucliers étaient d’un spectaculaire étourdissant. Mais beaucoup plus, j’étais ébloui et comblé par les Saluts et les processions du Saint-Sacrement. Pour celle de la Fête-Dieu, on colorait d’énormes baquets de sciure et chaque division en faisait sur son terrain de grands tableaux mystiques que le prêtre foulerait en passant. En 1936, notre chant du Tantum ergo s’élevait devant le reposoir de la cour des petits tandis que montait de la place de la Liberté, comme une houle mugissante, l’Internationale que clamaient les ouvriers de l’Arsenal. Nous étions prêts au martyre ! Les Pères, leurs soutanes aimées, étaient l’âme et le signe de ralliement de cette jeunesse sans souci. Passant de Toulon à Brest, des Maristes aux Jésuites, mes frères et moi nous retrouvâmes, plus encore que le même milieu de marine, la même communauté ecclésiastique, les mêmes vertus dont la beauté et la perfection nous imprégnaient, nous éduquaient sans que nous en ressentions rien d’autre que le charme, la sécurité et la douceur. Pour certains de ces prêtres, j’eus plus de crainte que d’amour à cause de leurs nécessaires rigueurs ; mais tous, je pourrais l’affirmer avec serment, tous sans aucune exception, me donnèrent l’impression et l’attrait de la vertu. Aucun scandale n’atteignit mon âme durant ces douze ans de collège. Ma vocation m’affiliait en esprit à cette corporation de nos maîtres, mais je ne cessais de penser que je n’en étais pas digne, tellement ils me paraissaient, comme ils étaient réellement, supérieurs au commun des autres hommes et surtout, bien au-dessus de moi !
« Ensuite, nous fûmes pensionnaires au Puy. Et, malgré les tempêtes de l’adolescence, mon bonheur continua à Notre-Dame de France, dans cette grande institution que les Frères des Écoles chrétiennes menaient, tambour battant, avec un dévouement absolu. C’était une parfaite harmonie de religion, d’étude et de culture infiniment variée, où tous les enfants étaient poussés, orientés et aidés fortement. Chers Frères du Puy ! Quand on ouvrira mon cœur, on y lira le nom de mon professeur de Seconde, Monsieur Bardel, en religion le Frère Nestor. Qu’il m’aima ! Que je le fis souffrir ! Qu’il nous était dévoué, comme une mère, comme un père... comme un serviteur ! C’était un bon professeur de maths, un pédagogue incomparable ; c’était une âme d’une innocence angélique et un religieux d’une régularité scrupuleuse. Auprès de tels hommes, nous étions bien. Nous ne mesurions pas ce que cette atmosphère d’école catholique avait de rare et de merveilleux. Notre vie s’écoulait ainsi dans cette large, généreuse, souriante piété et cette chasteté religieuse où nos meilleures vocations s’affermirent. De ce monde-là, jamais je ne pourrai me déprendre. Je suis trop le fils de ces Pères et le petit frère de ces Frères pour oublier ou renier ce qu’ils m’ont appris.
« La foi y était une certitude d’homme qu’on enseignait aux enfants avec science et autorité. Le culte y était la première et la plus solennelle des actions, sur laquelle s’articulait toute l’éducation. Et dans une telle régularité vous ne sauriez imaginer tout ce que nous pouvions apprendre, du programme et hors programme, lectures, musique, dessin, fanfare, théâtre, sports... Là où Dieu est premier servi, toutes autres richesses abondent. Ô Sainte Église, qui a consacré à notre enfance tant et de tels hommes, Vous êtes la grande éducatrice et la Mère admirable du genre humain, Vous êtes la plus grande des merveilles qui puisse exister... C’était un monde protégé où le meilleur en nous pouvait croître, où le mal naissant était combattu et les séductions du monde éloignées, atténuées. Ces communautés nombreuses de religieux pieux, chastes, réguliers et entièrement dévoués à leurs élèves devinrent l’inébranlable fondement de ma vocation. Les milliers de petits faits ou de paroles, remarqués par l’enfant, mais ruminés par l’homme que je suis devenu, me précipitent à genoux devant ces maîtres oubliés qui furent, au regard de Dieu et à nos yeux si peu attentifs, mais aimants, des saints. » (Supplément à la CRC n° 6, mars 1968)
Enfin, ayant repris ses esprits et retrouvé sa vocation dans le malheur de la guerre sous la direction du maréchal Pétain, c’est la France qui s’occupe du jeune de France Georges de Nantes.
« Il était de la classe 44 et nous sommes en 1942. Il lui fallait donc devancer l’appel. Il fit sa demande, eut un entretien avec le chef Ballot du service de recrutement, qui le comprit parfaitement. Cet homme, d’un patriotisme éclairé, d’un catholicisme fervent, entretint son jeune visiteur de la France malade de laïcisme qui avait, plus encore que les pays lointains, besoin d’apôtres à l’âme de feu. Georges de Nantes écouta, passionnément attentif : “ Ainsi l’autorité du gouvernement que j’avais sous les yeux voulait faire de la France nouvelle une terre de Chrétienté. C’était exaltant. ”
« Le chef de la Jeunesse française l’incorpora, en lui promettant qu’il en baverait ! Assurément, il en bava ! mais il goûta intensément l’atmosphère “ pure, simple, loyale, d’un sentiment patriotique fort, sans pathos ” qui régnait aux Chantiers. “ C’est là que je commençai d’apprendre à travailler dur, à entretenir et toujours nettoyer mes outils. À devenir un homme. La discipline était large, la cérémonie des couleurs donnait son sens à notre vie de Jeunes de France, et l’uniforme “ vert forestier ” contribuait à la fraternisation des classes sociales où l’élément paysan, simple, vigoureux, dominait encore. ” » (Docteur mystique, p. 39)
C’est ainsi que la Providence lui a fait connaître le peuple de France, l’aimer, avant que de le servir un jour.
Puis c’est l’entrée au séminaire. Deux ans de philosophie très féconds, où Georges de Nantes se laisse former avec une grande docilité par l’Église.
« Le grand séminaire portait à son comble tout ce que j’avais aimé dans nos collèges. Il ouvrait à deux battants les portes de la vie mystique et apostolique. Je retrouvai là, autour d’un Supérieur prestigieux, Monsieur Enne, un corps de directeurs de toute première valeur. Répondant à leur invitation éloquente, dès le premier jour, je m’adonnais à la piété, au culte liturgique, à l’étude de l’Écriture sainte et aux sciences ecclésiastiques, avec un enthousiasme qui ne se démentit jamais. Ce n’était pas vertu, mais ferveur de néophyte et intérêt sans cesse grandissant. Tout était nourriture de l’intelligence, de l’âme et du cœur profond.
« Qui pourra dire l’atmosphère exaltante de cette Communauté de trois cents jeunes hommes pieux, disciplinés, brûlant de zèle. Les deux Supérieurs, de théologie et de philosophie, n’avaient pas beaucoup à dire pour galvaniser tout leur monde [...]. Au reste, la vieille tradition sulpicienne était encore intacte, qui faisait du temps de Séminaire celui d’un travail silencieux, personnel, dans la solitude de la cellule, où devaient aller de pair la formation morale et l’acquisition des connaissances théologiques, la préparation au ministère et la prière. » (Supplément à la CRC n° 6, mars 1968)
Le Bon Dieu veillait ainsi à ce que tout coopère à la préparation d’un instrument de choix pour son dessein qui n’a pas changé : régner en France, par et pour le Cœur Immaculé de Marie, afin de triompher dans le monde entier. L’instrument était prêt. C’est le moment choisi par Dieu pour lui donner l’intelligence d’une partie de son mystère.
LE DON DE DIEU.
C’est à la rentrée scolaire de 1945, qui est l’entrée en théologie, qu’intervient l’événement essentiel, décisif. À la manière du Bon Dieu, c’est une toute petite chose aux yeux des hommes, mais aux conséquences incalculables que nous n’avons pas encore fini d’inventorier à l’anniversaire des quatre-vingts ans. Il aurait pu intervenir cinquante ou cent ans avant, ou après, il aurait pu être le fait d’un Américain, d’un Russe ou d’un Italien. Non, le Bon Dieu avait choisi la France, et le tournant des années 45-46, et ce n’est pas sans raison croyons-nous, car la plus belle fleur de cette découverte est mariale.
Laissons notre Père lui-même raconter :
« Dès la Toussaint, le nouveau et jeune professeur de dogme, Monsieur Guilbeault, commença le traité de la Très Sainte Trinité. Avant d’en aborder la partie spéculative, il fallut s’entendre sur la définition des mots, dont les débats dogmatiques des siècles passés avaient livré les définitions : nature, substance, hypostase, personne...
« À la fin du cours, c’est un usage sulpicien, les élèves peuvent poser des questions au professeur. Quand vint mon tour, je demandai à Monsieur Guilbeault comment ce même mot de personne pouvait évoquer deux idées si différentes qu’elles paraissaient opposées, voire contradictoires : celle qu’il nous avait enseignée ce matin-là, qui venait d’une tradition philosophique plus que millénaire, caractérisant l’individu humain par son incommunicabilité, et celle qu’il avait précédemment dégagée de la tradition ecclésiastique, des Pères grecs, de saint Augustin, qui définissent les Personnes divines comme de pures relations, des “ relations subsistantes ”. Est-ce que “ subsistence ” et autonomie n’étaient pas des termes inconciliables avec ce don total, ces “ processions ” qui constituent les trois Personnes en Dieu ?
« Il gardait le silence. J’eus peur de l’avoir blessé et balbutiai des regrets.
« Mais non, me répondit-il, j’hésite sur la réponse que je voudrais vous donner. C’est difficile. C’est le point obscur, le mystère ! Il faudrait peut-être dire que ce don particulier, cette relation qui est la propriété de chacune des Personnes divines, sont précisément incommunicables aux autres Personnes. Le Père ne peut donner sa paternité, le Fils a lui seul la filiation... Comprenez-vous ? Une “ pure relation ” peut avoir pour perfection d’être tellement personnifiante, si j’ose dire, qu’elle suffit à dresser chaque personne en face des autres de manière propre, inconfusible...
« Il parlait lentement, avec la prudence de celui qui ne récite pas, mais qui avance dans la vérité en assurant chacun de ses pas. Je comprenais bien, et pourtant, j’insistai :
« N’est-il pas fâcheux de désigner par le même mot, dans la société humaine, l’être indépendant, jaloux de ses droits, se disant souverain, et dans la société divine ces Personnes qui sont et se veulent toute relation, don sans réserve l’une à l’autre, pure paternité, filiation, amour ? Ne devrait-il pas y avoir cohérence, analogie, d’une sphère à l’autre ? Les personnes humaines ne devraient-elles pas se définir à l’image et ressemblance des Personnes divines plutôt qu’à l’opposé de leur admirable perfection ?
« Il m’écoutait, comme pris au dépourvu sur cette piste où je courais devant comme un enfant irréfléchi.
« Je ne sais que vous répondre, me dit-il enfin. Je vais étudier ce point.
« J’admirais, stupéfait, cet humble laissant paraître les limites de son savoir. C’était déjà pour moi une saisissante leçon. – Je vous en reparlerai bientôt... dans quelques jours...
« Mais il tomba malade, puis il fut transporté à l’hôpital de Clamart et opéré d’urgence. Nous allâmes lui rendre visite par petits groupes, durant sa convalescence, mais son état empirait. Quand mon tour vint avec d’autres qui lui parlèrent d’abord, il me regarda gentiment et me dit : “ Je ne vous oublie pas, je réfléchis... C’est une question très intéressante, mais difficile. C’est sans doute la clef... ”
« Il souriait, avec un regard d’au-delà dans son visage que la souffrance avait buriné comme un Christ. J’eus le pressentiment que je n’aurais jamais de lui la réponse à cette question, une question devenue sienne dans son dialogue de mourant avec la Trinité Sainte. Quelques jours plus tard, il vit ce qu’il cherchait. » (Mémoires et Récits, t. II, p. 161-163) C’était le 8 février 1946, et ce jeune saint professeur n’avait pas trente-huit ans.
Et notre Père ajoutait : « Je pris l’habitude de le prier, lui qui savait maintenant LA réponse à notre grand problème. Et je dus me débrouiller tout seul. » (Contre-Réforme Catholique n° 170 oct. 1981, p. 11)
« Voilà par quel drame je fus introduit à la théologie véritable. Son poids de grâce n’a cessé de grandir avec le temps, à mesure que cette question a fait sourdre en moi une immense nouveauté métaphysique et une théologie totale qui depuis quarante ans n’ont cessé d’illuminer mon esprit. » (Mémoires et récits, t. II, p. 163)
UNE NOUVELLE CIVILISATION.
Le séminariste Georges de Nantes se mit au travail, immense. Et la fécondité de cette intuition ne se fit pas attendre :
« Nous avons la chance d’avoir fait faire un progrès à la philosophie, c’est un don de Dieu, c’est une grâce, une lumière que nous avons reçue. Cela s’appelle notre transphysique, c’est-à-dire la métaphysique relationnelle. Alors qu’Aristote et saint Thomas ne voient dans l’univers que des substances comme séparées les unes des autres, ou accidentellement reliées les unes aux autres par des relations qui ne sont qu’accidentelles ou secondaires, nous, nous posons que, en Dieu, l’Être qui est subsistant, même dans cet Être subsistant, la foi nous révèle qu’il y a des relations, ou bien les êtres contingents, les êtres créés sont tout entiers suspendus à Dieu, par ce que nous appelons la relation d’origine.
« Nous sommes créatures de ce Dieu, de Je Suis, qui est le Nom propre de Dieu donné par lui-même à Moïse au Sinaï. La relation d’origine à Dieu explique que nous sommes tout entiers dans les mains de Dieu, que Dieu est notre cause et que Dieu est notre fin. Cette relation se double de relations à l’humanité que Dieu a voulues, à savoir que nous ne sommes pas seulement créés par Dieu, mais nous sommes nés d’un père et d’une mère. C’est ce que nous appelons les relations constitutives ; et comme non seulement nous sommes nés d’un père et d’une mère, mais un jour nous nous marierons pour enfanter à notre tour, elles se doublent de relations historiques qui sont tout notre destin. » (Les 150 points de la Phalange, commentaire littéral, Pentecôte 1990)
Et notre Père notait tout de suite une conséquence pratique : « C’est une métaphysique où il est impossible à l’homme de se faire Dieu, où il est même impossible à l’homme de faire de l’univers un dieu, à lui seul, ce qu’on appelle le panthéisme. L’homme et l’univers sont tout entiers reliés à Dieu, il respire par Dieu et donc, Dieu fait partie de notre univers ; donc l’univers est absolument religieux. » (ibid.)
La question posée naguère à Monsieur Guilbeault au sujet du mystère de la Sainte Trinité des Personnes divines s’est ainsi étendue à une interrogation, vaste comme la Création tout entière, en quête d’une science, d’une connaissance sûre et savoureuse du singulier, du vécu, de l’intime de toutes créatures.
La conséquence ultime, qui est précisément le but recherché par Dieu apparaît alors : « Une fois qu’elle est posée [cette transphysique], nous nous apercevons que nous entrons dans une autre civilisation parce que [...], à partir du moment où nous voyons Dieu créant les êtres humains, les uns pour les autres, les uns au milieu des autres, avec les autres, pour réaliser quelque chose ensemble sur la Terre, l’idéal du sage s’est transporté du ciel des idées, que Platon contemplait comme cela, immuable, vers la contemplation des êtres singuliers, concrets, par lesquels se réalise le dessein de Dieu, dans l’histoire. » (Bilan provisoire de la controverse, conférence de l’abbé de Nantes au Congrès de la CRC d’octobre 1987)
En effet, le philosophe, thomiste, « se réjouit de ce que Dieu a de belles idées dans le ciel, et puis que les milliards d’hommes sont faits pour illustrer ces idées de Dieu dans le ciel. » (ibid.)
Mais notre Père objecte : « Les idées de Dieu dans le ciel ? Dieu n’a pas d’idées. Dieu est l’Être. Et Il crée tout cela sans avoir besoin de faire des calculs : le genre, le genre-prochain, les différences spécifiques pour que cela donne des espèces, etc. Dieu ne pense pas tout cela. Dieu crée immédiatement, selon sa sagesse, ces choses, avec leur être, tel qu’il est, avec leur essence, et leur relation formelle, et leur relation matérielle. Il nous crée tous, les uns pour les autres, afin que notre histoire soit une histoire de salut, et que ce soit notre histoire qui soit la gloire de Dieu.
« La gloire de Dieu, ce n’est pas les compilations des sciences, la gloire de Dieu, ce n’est pas les définitions des espèces dans le Larousse, la gloire de Dieu, c’est que Pierre a engendré Paul, que Paul a engendré Robert, etc. Et que ce sont autant d’êtres qui se sont prêté la main, et par le sacrifice de chacun, vivant pour l’autre. Ces êtres ont constitué le Corps mystique du Christ, qui sera notre joie dans l’éternité.
« Dans l’éternité, notre joie ne sera pas de considérer les idées de Dieu, notre joie sera de nous retrouver tous ensemble dans la symphonie universelle de toutes ces personnes qui auront répondu à l’appel de Dieu, qui auront accompli leur vocation au service les uns les autres dans la fraternité, et faisant cela, qui auront plu à Dieu, en étant parfaitement conformes à l’idée que Dieu s’était faite de chacun d’entre nous, la vocation qu’il nous aura donnée. » (ibid.)
VERS UNE THÉOLOGIE TOTALE.
Notre Père s’en est expliqué : « La théologie en a été autant changée. Cette métaphysique totale m’a conduit à faire cette théologie totale, que j’ai enseignée. Théologie totale qui apporte à la théologie aristotélicienne de saint Thomas, des compléments, des nouveautés absolument suffocantes.
« Penser un Dieu qui soit transcendant, qui ne soit pas en relation avec les hommes, selon l’aristotélisme strict, selon le thomisme strict : c’est un scandale. Et à partir du moment où un homme ose dire que c’est un scandale, tout le monde le comprend ! » (ibid.)
Et voici en quoi consiste ce scandale : « Dire que nous sommes en relation réelle avec Dieu – relation à Dieu d’ailleurs, qui n’est qu’un accident de notre substance selon saint Thomas –, mais que Dieu n’est pas en relation avec nous, c’est faire de cette relation de raison un pur schéma de notre esprit qui ne correspond à rien dans la réalité. Dieu est tout seul dans sa transcendance, il ne pense pas à nous, il connaît les idées qu’il se fait de nous et ça lui suffit grandement ! Alors, partie ainsi, la théologie coupe Dieu du monde sublunaire, du monde terrestre, et quand on nous explique ensuite que Dieu s’est fait homme, il n’y a pas moyen de l’expliquer. Et quand on nous explique ensuite que Dieu aime les hommes, on ne comprend pas pourquoi.
« Et ainsi, de proche en proche, toute la théologie est sclérosée, toute la théologie est perpétuellement une opposition de l’existentialisme et du relationnisme biblique qui nous montre Dieu en relation avec les hommes, Dieu nous envoyant son fils, Dieu nous envoyant son Esprit, Dieu venant habiter dans le sein de la Vierge Marie et prendre une forme humaine, tout ça, ce sont des relations mutuelles, réciproques de Dieu avec les hommes. Alors c’est cela que nous dit la Bible, dans son langage. Les philosophes arrivent et disent : “ ça c’est de l’anthropomorphie, c’est faire Dieu semblable à l’homme, coupez les ponts s’il vous plaît ! Dieu est au-delà de tout ça, Dieu ne s’occupe pas de tout ça ! ” Alors notre théologie biblique est singulièrement appauvrie dans la mesure où on en fait une théologie spéculative, c’est-à-dire qu’on rationalise à l’extrême et que l’on “ coupe les ponts ”.
« J’ai fait le choix, à la suite de saint Augustin, épaulé quand même par saint Bernard contre Abélard, – j’ai quand même des répondants dans la tradition, – j’ai fait le choix et j’ai dit : Dieu est en relation avec les hommes. Dieu est tout puissant, mais Dieu est en relation, la preuve c’est qu’il est déjà en relation Lui-même avec Lui-même : “ Nous sommes les trois personnes de la Sainte Trinité ”.
« Donc notre métaphysique relationnelle triomphe en Dieu même, puisqu’en Dieu, au lieu de dire que c’est une substance indivise, simple et isolée, absolument indépendante de tout, on dit que ce sont trois Personnes qui procèdent l’une de l’autre. Et ensuite, de ces trois Personnes procèdent aussi par création les êtres que nous sommes. Et ces êtres-là sont appelés à rentrer dans le sein de la Trinité, et s’ils sont fidèles, à s’unir à Dieu perpétuellement, c’est-à-dire à prendre part à la communion des trois Personnes dans l’éternité.
« Et comment cela ? Et alors c’est toute la symbolique des relations humaines, comme un époux à une épouse ; ainsi les âmes seront unies au Fils de Dieu fait homme. Et c’est toute cette théologie qui est extraordinairement suggestive, et qui a franchi les bornes de l’aristotélicisme cent et cent fois, pour coller avec la réalité de la Révélation biblique et du mysticisme catholique.
« Nous avions fait faire un progrès, je pense, définitif à la métaphysique et à la théologie. » (ibid.)
Ainsi, dans l’ombre d’une cellule du séminaire d’Issy-les-Moulineaux, le jeune Georges de Nantes allait de découverte en découverte, méditant le Mystère dont le Bon Dieu lui avait donné l’intuition, l’intelligence, à travers un travail gigantesque dont nos archives gardent la trace.
Pour autant, cela ne constitue pas un système tout fait, fixé, que d’ailleurs la Providence n’a pas permis à notre Père d’écrire. C’est une vie, c’est une histoire, « une doctrine concrète » comme disait Laberthonnière. Yahweh n’a pas donné de “ Somme Théologique ” à Moïse dans le Buisson ardent, mais lui a dit : « Je suis le Dieu de tes Pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. » (Ex 3, 6) Et Dieu s’est révélé aux hommes à travers toute l’Histoire sainte.
Notre Père, par sa docilité remarquable aux voies de la Providence, a manifesté le cours orthodromique des pensées de Notre-Dame, Reine de France, par ses explications, par sa vie aussi. C’est ce qu’il nous faut étudier maintenant.
En définitive, pourquoi cette géniale intuition a-t-elle été donnée à ce moment-là de notre histoire française ? Parce que Dieu a décidé de se faire connaître plus intimement en nos temps d’apostasie, pour se faire aimer davantage. Bien sûr, balayer les oppositions et triompher de toutes les élucubrations diaboliques. Mais surtout, faire comprendre aux hommes ce qu’il a dans le Cœur : le Cœur Immaculé de Marie.
AU SERVICE DE LA SAINTE VIERGE
Le 8 décembre 1947, le démon est donc contraint à capituler. La révolution communiste n’a pas eu lieu, stoppée net par l’apparition de l’Immaculée à L’Île-Bouchard, qui demande la prière des enfants pour la France. Notre Souveraine a aussi le souci d’instruire son peuple, d’expliquer à son peuple ce qui l’a conduit au bord de l’abîme. C’est ce rôle qui va échoir au jeune abbé de Nantes.
LE COMBAT D’UN PRÊTRE DE FRANCE.
Quatre mois après, l’abbé de Nantes était ordonné prêtre à Grenoble, dans la chapelle Notre-Dame de La Salette, le 27 mars 1948. Sans attendre, l’année suivante, en 1949, tandis qu’il poursuivait ses études universitaires à Paris, il se mettait au service de la France, assurant la chronique religieuse, dans Aspects de la France, l’hebdomadaire de l’Action française.
En cet après-guerre, le démon était pacifiste, objecteur de conscience, anticolonialiste, partisan de l’autodétermination des peuples en même temps qu’européiste, personnaliste et droit-de-l’hommiste, progressiste, rallié à la république... en un mot, démocrate-chrétien, ne songeant qu’à détruire la France.
Sous le pseudonyme d’Amicus, le jeune abbé de Nantes qui n’a que vingt-cinq ans, va se révéler un maître, bien supérieur à Maurras, manifestant une parfaite compréhension de la doctrine totale légitimiste, catholique et monarchiste, monarchiste parce que catholique. Ainsi fustigeait-il le mal à la racine : « La démocratie chrétienne, c’est l’ennemi au sein de l’Église et, revêtu de la robe évangélique, c’est à lui d’abord, qu’il faut s’en prendre. » (“ L’exhortation au suicide collectif ”, article de septembre 1950)
Amicus démasquait, déjà ! les tenants du progressisme, héritiers des chimères du Sillon de Marc Sangnier, « qui reportent le progrès céleste du Règne de Dieu à une terre où se bâtit [prétendument] une cité fraternelle à mesure que se répand la démocratie. » (ibid.)
Et le jeune abbé de Nantes traçait les voies d’un redressement national, selon le catholicisme intégral et contre-révolutionnaire de saint Pie X, à l’exemple de l’Espagne catholique du général Franco, et à l’école de sainte Jeanne d’Arc : « La reconquête du pays à son roi intéresse Dieu lui-même ; c’est la plus haute leçon du miracle de sainte Jeanne d’Arc. » (“ Au service du Prince légitime ”, article du 11 mai 1951)
L’engagement politique, pour notre Père, c’est le service de Notre-Seigneur Jésus-Christ, lui-même Roi de France. Parce que, disait-il, « la France garde de Jésus-Christ les plus riches enseignements, et de cela le monde a besoin plus que de toute autre particularité nationale. » (Amicus, un prêtre de France, p. 264)
Et c’est à ce titre qu’Amicus défendit les soldats d’Indochine, contre les rouges chrétiens. Puis sous le titre « À La Croix on crucifie encore », l’honneur du maréchal Pétain, sauveur de la France, contre l’insultante notice nécrologique publiée par ce journal au lendemain de la mort du Maréchal qui avait « fait le don de sa personne à la France, pour en atténuer le malheur ».
Lorsqu’en 1952 fut annoncée à Nantes, fief de la démocratie chrétienne, une conférence sous le titre : “ Le MRP, fourrier du marxisme ”, le diable sentit que la bataille tournait mal pour lui. Dès lors, il n’eut de cesse que ce jeune abbé de Nantes fut dénoncé et empêché de lui nuire. Notre Père fut convoqué à l’archevêché de Paris : « C’est vous Amicus ? » Et l’official de lui présenter l’article « À La Croix on crucifie encore ». Voilà le motif de son renvoi du diocèse de Paris. C’était la fin de la collaboration à Aspect de la France, et de ses thèses en Sorbonne et à la Catho.
Notre-Dame, Reine de France, n’était pas mise pour autant en échec, car cela servait son dessein.
D’une part, notre Père continua toute sa vie durant, et beaucoup plus librement, ce qu’Amicus avait initié, mais sous la direction de la ligne de pensée d’AF : l’explication de l’actualité au jour le jour, pour dénoncer les méfaits de la démocratie, mieux, son impiété et les compromissions et responsabilités cléricales. Mais aussi mettre en avant les solutions, politiques et religieuses tout ensemble. C’est le fruit de l’application pratique de sa métaphysique relationnelle lui donnant l’intelligence du réel aussi bien naturel que surnaturel, complétant heureusement l’empirisme organisateur.
Et d’autre part, une nouvelle lutte s’annonçait, car le diable ne désarmait pas. La Sainte Vierge le savait, et voulait donner à son instrument privilégié de pouvoir s’y préparer.
LES DISCIPLES.
À la rentrée de 1952, l’abbé Georges de Nantes était employé comme simple professeur d’instruction religieuse au collège Saint-Martin de Pontoise. Il s’y révéla rapidement un professeur de philosophie hors pair, un éducateur incomparable. Deux d’entre ses élèves lui restèrent attachés au point de devenir ses disciples et fils spirituels : notre frère Bruno de Jésus-Marie et notre frère Gérard de la Vierge. C’est sur leurs quinze ans que l’abbé de Nantes leur ouvrit l’esprit comme ils l’ont souvent raconté, à la Vérité, en tous domaines, car ce jeune professeur savait tout. Frère Bruno en a témoigné avec bonheur :
« Sans aucune concession aux erreurs ambiantes de l’après-guerre, de l’après-libération, l’abbé de Nantes nous enseignait une vérité “ totale ” déjà, avec un enthousiasme communicatif. La théologie y était maîtresse, par le cours d’instruction religieuse que nous ne songions plus à chahuter, comme il était de tradition dans ce collège libéral. “ Le cycle du Père, le cycle du Fils, le cycle du Saint-Esprit ” nous introduisaient dans la seule religion qui nouât entre le Ciel et la terre les liens d’une circumincessante, divine et humaine charité : le Fils de Dieu se faisant Fils en ce monde, Fils de Marie, en la bourgade de Nazareth, nous apprend à aimer toute filiation sur la terre.
« Les cours de philosophie prenaient la suite : revenant aux sources de l’être, le Père de Nantes réorganisait tout le savoir humain dans une double vision de nature et de relations, définissant l’être privilégié qu’est la personne humaine, – nous savions que c’était là l’objet de ses recherches qui l’attiraient à Paris chaque mardi –, par ses relations d’origine. La filiation prend alors place de définition, et toute la philosophie qui s’ensuit est “ tournée vers ”, extravertie. L’enfant est tourné vers ses parents comme le Fils unique de Dieu, le Verbe, est tourné vers son Père, le disciple vers son maître, l’épouse vers son mari, le chef d’État vers le bien commun, la colonie vers la métropole, le chef de l’Église vers le Christ, dans une “ dépendance ascendante ”, constituante, édifiant un corps mystique où les liens de la nature se joignent aux liens de la grâce, où toute la vie personnelle comme celle du corps social est ordonnée à la charité. Vision plénière, rassasiante, équilibrée, dont nos jeunes esprits ne mesuraient pas la hauteur divine et la profondeur humaine, la longueur orthodromique et la largeur catholique.
« Mais il en résultait une morale située aux antipodes des droits de l’homme, qui nous apprenait à tenir pour nulle et non avenue la prétendue “ dignité de la personne humaine, libre, autonome et indépendante ” (p. h. l. a. i. dans nos notes de cours...), et nous immunisait contre toutes formes de racisme, de socialisme et contre l’orgueil démocratique illustré par les actualités qu’il nous expliquait. Car il nous parlait de politique, et c’est peut-être ce qui nous passionnait le plus. L’Indochine française vivait ses derniers moments. Nous apprîmes aussi à vénérer “ le Maréchal ”, père de la Patrie, contractant pour la vie une haine viscérale envers toute contestation, anarchie, “ résistance ”, révolution... » (Docteur Mystique, p. 146-147)
Au milieu de la catastrophe qu’il voyait si bien, notre Père mettait son espérance en la Vierge Marie pour le redressement français. En 1954, tandis qu’à Diên Biên Phû se jouait le sort de l’Indochine française, notre Père se joignait au pèlerinage des étudiants à Notre-Dame de Chartres, mais il déplorait que personne ne se préoccupe ni ne prie pour notre Chrétienté d’Indochine en passe d’être anéantie par la barbarie marxiste, à cause de la trahison des responsables politiques français !
L’année suivante, il rappellera fermement les intentions qui doivent animer tout pèlerinage de Chrétienté : « Quand prierons-nous à Chartres, comme tant de générations, pour la France ? Pour ma part je voudrais, défilant avec mon chapitre, dire mes intentions à Notre-Dame : “ Notre-Dame de France, bannissez de ce pays qui vous est confié l’anarchie et la haine, rétablissez-y la justice, l’ordre et l’autorité d’un chef légitime. Conservez-lui son Empire, pour y continuer son œuvre de civilisation et d’évangélisation. Gardez la Chrétienté du communisme pervers et donnez-nous dans les périls de l’heure l’intégrité de la foi. ” » (in Docteur mystique, p. 156)
Attiré par la vie religieuse, plus précisément par l’ordre de la Vierge du Carmel, notre Père voulut y entrer à l’été, avec Gérard Cousin, le disciple enthousiaste. Après avoir quitté Pontoise, il y fut refusé alors que tout était organisé. Au-delà d’une misérable intervention ecclésiastique, il est permis d’y voir la main d’un Personnage plus important, qui gouverne notre orthodromie française d’en haut !
Car voici que, à travers mille détours providentiels, comme fut cette improbable rencontre du Père Théry, o. p. , médiéviste, à propos d’un article sur le Coran, l’abbé de Nantes fut amené par ce dernier à écrire une Règle, en mars 1957, en vue de la fondation d’un ordre dans l’esprit du Père de Foucauld selon la vocation reçue en 1938. Puis le dominicain s’occupa de trouver un évêque pour accueillir ce projet.
Lorsque tout fut prêt à l’été 1958, notre Père fit pèlerinage à Lourdes dont il comprit puis expliqua la leçon à ses amis : « Les apparitions de Lourdes comme celles de Fatima me semblent des aides extérieures, extraordinaires, mystérieusement liées aux combats et aux bouleversements de la fin des temps. La Vierge est annonciatrice du retour de son Fils comme elle l’a été de sa venue. C’est le signe ultime de la miséricorde destiné à ramener les âmes en détresse et à fortifier les fidèles. » (Lettre à mes amis n° 38, juillet 1958, l’année de la fondation de notre communauté.)
C’est ainsi qu’au soir du 14 septembre 1958, premières vêpres de la fête de la Vierge des Sept-Douleurs, centenaire de la naissance du Père de Foucauld, Notre-Dame présidait dans le diocèse de Troyes, avec la permission de Mgr Le Couëdic, en sa collégiale de Villemaur, à la fondation des Petits frères du Sacré-Cœur de Villemaur, sous l’égide de son bienveillant sourire maternel.
« Væ soli, Malheur à l’homme seul ! » dit l’Ecclésiaste (Qo 4, 10). C’est ce que Notre-Dame voulait prévenir pour son serviteur avant que ne s’ouvre le difficile combat des derniers temps. Et c’est en parfaite adéquation à cet avènement des derniers temps qu’il perçoit d’ailleurs si clairement, que le jeune fondateur (il n’a pas trente-cinq ans) a inscrit la vocation de notre communauté : « Les frères se retireront en petit nombre dans des ermitages, oasis de paix au milieu du monde, pour la louange de la Gloire de Dieu. Ils y vivront pauvres, dans la solitude et le silence. C’est ainsi qu’ils attendront éveillés le retour du Seigneur qui ne saurait tarder. » (article 1er de notre Règle,) Nos frères Bruno et Gérard, auxquels se joindra frère Christian peu après, furent la fidélité même à cette vocation très particulière, auprès de notre Père.
Pendant cinq ans, ce fut le labeur d’un curé de paroisse, exemplaire, appliqué à apprendre à son peuple à prier, à l’instruire par des prédications incomparables. Il fit participer ses paroissiens et aussi toute une famille spirituelle qui s’agrandissait de jour en jour, aux soucis qui habitaient son cœur de pasteur, et qu’il partageait dans ses Lettres à mes amis depuis octobre 1956. Souci des âmes et particulièrement des âmes contemplatives à instruire des mystères de notre Religion si aimable et féconde. Souci de la France en plein crime d’abandon de l’Algérie, et il fut bien le seul à défendre nos frères du couteau des égorgeurs et de leurs complices... même ecclésiastiques... et même épiscopaux. Souci de la Chrétienté aux prises partout dans le monde avec le communisme conquérant. Et enfin souci de l’Église où commence à poindre, particulièrement en France, une nouvelle hérésie monstrueuse : le progressisme, qu’il analyse et dénonce dans une suite de Lettres magistrales : « Le Mystère de l’Église et l’Antichrist ».
Notre-Dame bénissait visiblement l’ensemble de ce ministère très fécond. Elle assurait à son fidèle serviteur qui chaque jour et chaque nuit chantait la “ Louange de la Gloire de Dieu ” devant Elle dans le chœur de la collégiale, une notoriété plus qu’honorable dans le diocèse de Troyes, et bientôt dans la France entière.
Cependant, le diable surveillait cette progression du coin de l’œil, attentif à ne pas se laisser dépasser. Il fit intervenir les pouvoirs civils en mars 1962, mais trop grossièrement pour être efficace : perquisition, garde à vue pour soupçon d’OAS. Mgr Le Couëdic soutint son prêtre contre le préfet et le confirma dans sa cure de Villemaur. Le diable fit alors jouer une autre corde de son arc, très habilement, car elle était cléricale celle-là.
Frère Bruno a parfaitement montré, dans le numéro 259 de Il est ressuscité (octobre 2024, p. 11) comment Mgr Le Couëdic a fini par céder à une pression de Monsieur Tollu, supérieur du séminaire des Carmes, motivant le refus aux ordres des deux séminaristes Bruno et Gérard par leur attachement indéfectible à leur Père, l’abbé de Nantes, et dans le but clairement énoncé de faire avorter la communauté naissante. Ainsi, ce qui insupportait plus que tout, ce n’était pas tant la défense de l’Algérie Française, mais bien la congrégation naissante. Le diable ne s’y trompait pas, car c’était un gage de continuité et de force pour l’avenir. Or il voulait le champ libre pour sa grande offensive qui venait de commencer. Protéger la fondation plus longtemps serait pour Mgr Le Couëdic se mettre en porte à faux avec l’esprit de Réforme qui commençait à souffler en cette fin d’année 1962. L’évêque de Troyes, qui avait vu cet “ esprit ” nouveau triompher contre la minorité traditionaliste au concile Vatican II réuni pour sa première session, céda et mit tout en œuvre pour chasser de son diocèse celui qu’il appelait son « meilleur prêtre » et ses frères.
Mais notre Reine de France n’entendait pas les choses ainsi. Et bien que la séparation fut déchirante, lorsque notre Père dû quitter ses paroisses, Elle agit en fidèle dévouée pour trouver une maison à notre Père et nos frères anciens, dans le diocèse de Troyes où ils étaient estimés et connus. L’abbé de Nantes n’aurait alors plus d’autre soin que de défendre Notre-Dame, son Divin Fils, et l’Église, au milieu d’une génération qui allait se faire emporter par le plus grand brigandage de l’histoire de l’Église. C’est ainsi que notre Père, frère Gérard, frère Bruno, et la fidèle gouvernante mademoiselle Andrée vinrent s’installer à Saint-Parres-lès-Vaudes, dans ce qui deviendra la maison Saint-Joseph, le 15 septembre 1963.
DÉFENSEUR DE L’ÉGLISE.
Vers la fin des années 50, le démon prépare une véritable machine de guerre contre la Sainte Vierge, dont le but sera non seulement d’éradiquer définitivement de la tête de tout catholique, partant de tout Français, sa dévotion mariale, mais même d’empêcher tout retour de cette dévotion comme cela s’était produit après la Révolution française, et encore tout récemment avec le Grand Retour commencé à la faveur de la Révolution nationale du maréchal Pétain.
C’est malheureusement un religieux dominicain français qui se fait le porte-parole de cette pensée diabolique : « La mariologie, du moins celle qui veut toujours ajouter, est un vrai cancer. » (Congar) Ce même Congar publie fin 1950 “ Vraie et fausse réforme dans l’Église ”. Nombre de théologiens français commencent à travailler en secret dans cette ligne, en vue d’un concile de réforme de l’Église.
Un autre Français, Jacques Maritain corrompait la pensée des meilleurs catholiques depuis des années par sa fausse philosophie personnaliste dont l’odieux solipsisme posait l’Homme-Personne, seul en face de Dieu. Ce prétendu « humanisme intégral » réclamait alors une nouvelle chrétienté dite « profane » pour être plus vaste que l’ancienne, et ainsi contenir tous les hommes dans leur dignité transcendante de Personne, dont le nouvel évangile, acceptable par tous, serait nécessairement la Déclaration des droits de l’homme, déclarée à ce coup “ chrétienne ” ! Blasphème et horreur du culte de l’homme naissant... sans plus de place pour Jésus et Marie.
Notre Père disait de ces deux hommes : « Cet humanisme intégral de Maritain est, avec le réformisme du Père Congar, le second moteur de la subversion du concile Vatican II. » (Point 23) C’est qu’il les avait repérés et combattus très tôt. Au temps de son séminaire pour Maritain, parce que l’intuition de la définition de la Personne par ses relations, et d’abord par sa relation d’origine à Dieu son créateur, est l’exacte réponse au dévoiement personnaliste de Maritain. Puis, c’est en juin 1951 que l’abbé Georges de Nantes déferra au Saint-Office “ Vraie et fausse réforme de l’Église ” de Congar, qu’il avait commenté dès sa sortie dans Aspect de la France. Il fut écouté par un cardinal Ottaviani impressionné de la sagesse de ce très jeune théologien (vingt-six ans !), et Congar fut condamné, malheureusement trop faiblement.
Puisque la révolution dans l’Église venait de France, Notre-Dame fit ainsi que la Contre-Révolution vint aussi de France.
LE HÉRAUT DE NOTRE-DAME.
En 1960, quand l’ouverture d’un concile fut annoncée, l’abbé de Nantes, notre Père, espéra de cette assemblée le grand miracle de conversion, « la grande aide de l’Église à la société en perdition, dans la ligne du troisième secret de Fatima » (Tout sur Fatima, récollection à Josselin, mai 1981) dont il demanda la divulgation comme Notre-Dame l’avait demandé. Il l’écrivit dans ses Lettres à mes amis et le prêcha à ses paroissiens de Villemaur.
Mais il dut constater, dès le discours d’ouverture de Jean XXIII, le 11 octobre 1962, que ce pape condamnait les « prophètes de malheur », donc Notre-Dame de Fatima elle-même ! Et saint Jean dans l’Apocalypse ! Loin de prêcher la pénitence et la réparation demandées par Notre-Dame à Fatima, le Concile ouvrirait donc la porte au modernisme et au progressisme déjà installés dans l’Église, aux pires hérésies, et crèverait les yeux de l’Église !
Depuis la Maison Saint-Joseph, il persévéra donc dans ce dur labeur d’analyse au jour le jour et de polémique, qui prit une ampleur nouvelle avec la parution de la première encyclique de Paul VI, Ecclesiam suam. C’était la charte de son pontificat, qui s’annonçait d’un réformisme résolument progressiste : l’Église adressait au Monde une déclaration de paix générale, unilatérale, comme un nouvel Évangile... dont nous récoltons les fruits aujourd’hui, tels que l’abbé de Nantes les prévoyait en 1964.
Cette encyclique parut le 6 août 1964, après les deux premières sessions du Concile. Notre Père en publia le commentaire le 20 août. Mais entre temps, pour le 15 août, fête de l’Assomption de Notre-Dame, il publia une lettre adressée... à la Sainte Vierge, qui montre bien quels sentiments animaient son cœur en cette lutte, et où il puisait lumière et force pour la mener.
« Glorieuse Reine de la Chrétienté, Mère très attentive et très bonne, Vierge Immaculée, vous êtes le sourire du Carmel, la joie de l’Église et, avec ce Jésus que vous tenez dans vos bras, tout le trésor de notre amour ! En vertu d’une disposition providentielle qui n’est ni à démontrer ni à justifier, vous avez été établie Gardienne, ou mieux, Sauvegarde de l’Église et des chrétiens.
« C’est vous, ô Mère, courageuse ! qui descendez à Lourdes et à Fatima nous avertir des fléaux qui menacent notre monde en révolte. Seule, vous osez trancher souverainement et magistralement de nos politiques. Le communisme, dites-vous, n’est pas l’antithèse normale, historique, du capitalisme. Il est le châtiment dû à l’impiété de notre société rebelle à Dieu, sensuelle et orgueilleuse. Vous appelez fermement et tendrement vos enfants à la conversion nécessaire.
« Ô Marie, ô Mère chérie, gardez-nous du péril des derniers temps, nous vos enfants qui vous louons et vous chérissons. » (Lettre à mes amis n° 179, 15 août 1964)
Et au journaliste André Giovanni, du Monde et la vie, qui l’interviewait le 11 octobre 1965, et lui demandait un signe d’espérance : « Ce signe, nous l’avons tous et il nous appartient à tous, c’est le Secret de Fatima. Quand la Sainte Vierge a décidé d’éclairer ses enfants, il n’y a plus qu’à tomber à genoux pour l’écouter. »
Comme on est loin du Concile déclarant le rôle « subordonné » de Marie, transformant l’Église en “ mouvement d’animation spirituelle de la démocratie universelle ” (MASDU) fondé sur le nouveau “ dogme ” de la liberté religieuse, et de Paul VI proclamant le culte de l’homme, le 7 décembre 1965 en pleine basilique Saint-Pierre, aux applaudissements de l’assemblée conciliaire !
Mgr Le Couëdic, sous la pression des évêques de France, tenta de réduire au silence celui qui, par la force de ses démonstrations, avait dénoncé et établi les erreurs et les hérésies contenues dans les Actes du Concile. Tous les Pères connaissaient les Lettres à mes amis. Notre Père tint bon et obtint même que l’ensemble de son œuvre fasse l’objet d’un examen doctrinal. Ce fut l’objet de son procès au Saint-Office en 1968 et 1969, procès qui ne fut jamais clos, à défaut pour les juges du Tribunal de la foi, de relever dans la chronique critique des débats conciliaires par l’abbé de Nantes et même dans ses accusations en hérésie contre le pape Paul VI, la moindre erreur doctrinale.
Ainsi “ autorisé ” par cette forfaiture à continuer son travail de dénonciation de l’hérésie, c’est au nom de Notre-Dame de Fatima qu’il fit remontrance à Paul VI de son scandaleux voyage à Fatima en 1967, où le pape avait bafoué les demandes de la Vierge, puis finalement dans un premier Livre d’accusation en 1973, pour hérésie, schisme et scandale.
Encore en 1983, c’est par un appel à Notre-Dame de Fatima que notre Père terminait son Livre d’accusation contre Jean-Paul II : « Il est une Personne qui vous juge, oui ! de la part de Dieu, dans la Gloire de qui elle trône et va faire justice à son peuple, c’est la très Immaculée Vierge Marie, Mère de Dieu.
« Elle est descendue du Ciel, à de nombreuses reprises, en ce XXe siècle et toutes ses paroles, tous ses miracles, tous ses gestes et volontés vous sont contraires, ce qui déjà juge suffisamment de tout, dans l’attente d’une sentence infaillible de l’Église militante qui ne saurait certes y contrevenir. »
Enfin, en 1993, dans son troisième Livre d’accusation, notre Père rappelait à la hiérarchie que vis-à-vis des apparitions de Notre-Dame de Fatima, « son office est d’en étudier la vérité, la réalité, et non point de décider de leur opportunité ou de leur intérêt pour l’Église. Ce qui est du Ciel s’impose à tous. »
DOCTEUR MYSTIQUE DE LA FOI CATHOLIQUE
Puisque le Concile avait tout brisé, de la foi comme de la civilisation, notre Père entama dès les années 70, avec nos frères, le vaste chantier de la reconstruction. C’est la mise en route d’une véritable école de pensée exploitant dans tous les domaines l’intuition de la métaphysique relationnelle, alliée à une vie monastique vivifiée elle même par la contemplation du mystère relationnel du Cœur de Dieu Trinité. Notre Père a été mis à part pour ce grand œuvre, qu’il a résumé parfaitement par le titre donné à la Grande Mutualité de 1974 : « Pour une nouvelle Chrétienté sous le signe de Fatima ».
« DIEU VEUT... »
En mai 1981, après une récollection à Josselin pendant laquelle il étudia soigneusement les révélations et le message de Fatima, documents et témoignages, notre Père reçut la grâce d’en comprendre toute l’orthodromie divine. Alors que se déroule l’ultime combat de Satan contre l’Immaculée en ces « derniers temps », le Bon Dieu n’a plus qu’une volonté : la glorification du Cœur de sa Sainte Mère. Dieu veut que nous comprenions qu’Il brûle d’un amour souverain pour la Vierge Marie et qu’Il veut maintenant la mettre en avant. C’est pourquoi Il veut « établir dans le monde la dévotion à ce Cœur » si tendre et amoureux ! Il le veut et Il le fera, car le salut n’adviendra plus que par ce moyen : nécessité urgente de la dévotion réparatrice.
Dès lors, notre Père n’a cessé d’approfondir, de scruter, de prêcher cette révélation avec toute sa science théologique, mais aussi sa volonté d’entrer dans ce mystère, d’y participer, d’y correspondre de tout son être, et y faire entrer le plus grand nombre d’âmes possible. C’est pourquoi notre Père est au Cœur Immaculé de Marie ce que saint Paul fut pour Notre-Seigneur : son théologien, son Apôtre, le docteur de cette Alliance, « que Notre-Dame nous a proposée ce jour-là [13 juillet 1917], une alliance de son Fils Jésus-Christ, Dieu, avec les hommes, alliance fille de la nouvelle et éternelle alliance scellée à jamais dans le Sang de l’Agneau et dans la foi indéfectible de son Église-Épouse, vraie fille d’Abraham et légitime détentrice de ses promesses.
« Alliance contractuelle, traité inégal où il est peu demandé à la créature et beaucoup promis, si toutefois elle se montre fidèle à son Sauveur et dévouée à la Médiatrice de cet accord, appliquée à satisfaire toutes leurs demandes et loyale dans ce service. C’est un minimum ! en échange duquel paix sur terre et gloire dans le Ciel seront notre récompense. » (CRC n° 279, janvier 1992)
AN DE GRÂCE 1993.
Après le dépôt du Liber Accusationis à l’encontre de l’auteur du prétendu « Catéchisme de l’Église Catholique » (CEC), le 13 mai 1993, à Rome, Notre-Dame récompensa son Serviteur par une grâce toute particulière. « Hier, 3 juillet 1993, je me suis trouvé intérieurement très bouleversé par une sorte de marché qui m’était proposé, donc imposé par mon unique Maître et Sauveur, ma Sainte Mère y participant des deux côtés, de Lui et de moi : plutôt que le martyre maintenant, vingt-cinq ans de vie pour porter du fruit, mais à condition que celle-ci soit déjà une sorte de mort corporelle dont la façon doit se tirer de la consécration formulée par mère Marie du Divin Cœur. Voilà ! C’est tout, c’est bref. J’ai dit OUI. » (cahier phalangiste de notre Père, 4 juillet 1993)
Mais la grâce des grâces reçue lors de ce “ marché ”, il ne la confia que plus tard : « en juillet 1993 m’est venue enfin une dévotion intense (et démesurée ou encombrante aux autres) pour l’Immaculée Conception. » (sermon du 20 août 1997)
Dont le fruit excellent est éclos le mois suivant : pour la fête du Cœur Immaculé de Marie, 22 août 1993, notre Père reçut l’inspiration de “ la plus pieuse et merveilleuse invention de sa vie ”, dira-t-il. Celle de remplacer dans ses chapelets quotidiens le sobre “ Je vous salue Marie ” par le fervent, le tendre “ Je vous aime ô Marie ! ” Pour la consoler, pour que tous nos Ave soient autant d’actes d’amour en réparation pour tous ceux qui ne l’aiment pas, qui la méprisent et l’outragent.
Tout cela convergeait vers la plus belle fleur de la théologie mystique de notre Père, relationnelle, de tendresse et dévotion à laquelle le Bon Dieu le conduisait très visiblement pour nos temps de la grande apostasie :
CIRCUMINCESSANTE CHARITÉ DIVINE.
« Tel fut le thème de la retraite que notre Père prêcha en 1993, raconte frère Bruno, où il nous montra que l’amour infini qui circule sans cesse entre les Trois Personnes divines, coulant du Père au Fils, et de leur commun principe au Saint-Esprit, trouve son “ bassin d’accumulation ” dans le Cœur Immaculé de Marie, notre Mère à tous, à jamais. Et c’est dans ce Cœur si tendrement proposé à notre soif, que nous avons accès par la charité fraternelle à la Vie divine, que nous retournons à la Source de la grâce et de la gloire, “ au sein du Père, dans l’unique Sagesse filiale et l’Amour spirituel ”
« Ainsi la théologie mystique de notre Père se trouve admirablement confortée par la révélation la plus touchante, la plus encourageante aussi pour les petites âmes, du message de la Vierge de Fatima, quand elle promit le 13 juin 1917 à Lucie : “ Mon Cœur Immaculé sera ton refuge et le chemin qui te conduira jusqu’à Dieu. ”
« Notre Père confiera : “ Il me semble que cette retraite d’automne, à l’automne de ma vie, est comme une vendange des meilleurs fruits de notre vigne : Ma doctrine n’est pas mienne, devrais-je dire, et avec combien plus de raison que Jésus ne le disait en hommage à son Père ! Je n’ai eu qu’à piller la Sainte Écriture et les trésors infinis de la Tradition. ” » (Docteur mystique p. 385)
Nouveaux trésors qui occuperont désormais le cœur de notre Père, de contemplation du mystère des relations de l’Immaculée Conception au sein de la Trinité, Cœur eucharistique très unique de Jésus et Marie, Fils et fille du Père, dans l’unité de l’Esprit-Saint qui se complaît à habiter le Cœur Immaculé de la Vierge Mère, en vue de notre salut.
COMBAT SINGULIER.
Le diable ne pouvait plus supporter tant de travaux de cette école de pensée si féconde, tant de vie mystique et monastique, en même temps que de polémique victorieuse tout particulièrement contre Jean-Paul II et sa gnose de “ nouvelle évangélisation ” pour l’an 2000. C’était la promesse d’une reconstruction magnifique de la Chrétienté, fruit de la cohérence intime des révélations de Fatima avec tout l’enseignement relationnel de notre Père, œuvres écrites, et même enregistrées en audio-vidéo, fait unique dans toute l’histoire de l’Église !
D’où la collusion diabolique des pouvoirs publics et ecclésiastiques pour réduire au silence notre Père. C’est toute l’affaire de 1996 et ses suites (cf. Il est ressuscité n° 265, avril 2025, “ Georges de Nantes, martyr de l’obéissance de la foi ”, p. 7-20).
Notre Père livra contre le démon son beau combat, pour l’Immaculée. En résulta le monument Autodafé et une confiance, un amour renforcé pour l’Immaculée qui fut son secours et son réconfort durant ces trois mois de captivité. Mais notre Père sortit blessé mortellement de ce combat. Il lui restait encore cependant assez de vie pour réaliser sa donation complète à l’Immaculée, et approfondir encore et toujours plus le mystère de l’Immaculée Conception.
LE GRAND DESSEIN DE DIEU.
Si Dieu veut ainsi glorifier la Sainte Vierge, c’est qu’il a pour Elle depuis toujours un Amour infini, premier dans son Cœur, avant celui qu’Il porte aux autres créatures :
« Dans son infinie liberté, Dieu créa le monde. Mais avant même de penser à créer le monde, Dieu créa bien mieux que le monde entier, l’univers entier, c’était Marie ! Il l’a fait dans un amour tout à fait premier, la comblant de toutes les perfections. Elle est une Immaculée “ Idée ” des Personnes divines faite Vierge vivante, adorante, aimante... si petite qu’Elle ne porte aucune ombre à la solitude, à l’unicité ni à l’altière béatitude du Dieu d’Aristote, l’Acte pur... et cependant qu’en Elle se trouve déjà créée une telle merveille et perfection de sagesse, de soif d’adoration, et de vaillant amour, que tout le poids et le volume et le nombre et la figure du reste de l’univers n’y ajoutent pas le moindre surcroît d’être, de vie, de vertu.
« La Vierge Marie est donc bien plus que la très parfaite Personne à qui le Bon Dieu a demandé d’être la Mère de son Fils, et à qui son Fils a demandé de partager sa Passion... Elle est l’Immaculée Conception. Cette petite âme préexistante de la Vierge Marie a assisté au grand œuvre de la Création, elle s’est offerte à la rédemption de l’humanité pécheresse, elle collaborera désormais à sa sanctification, son Cœur Immaculé, Temple du Saint-Esprit, n’ayant d’autre désir que d’enfanter à la vie de la grâce des milliards et des milliards d’âmes afin que toute âme chrétienne, que toute communauté religieuse, que toute nation chrétienne et que l’Église la toute première soit, à son exemple, la fidèle épouse du plus merveilleux des époux. » (frère Georges de Jésus-Marie, notes manuscrites, 1997) Voilà qui explique au passage toute notre histoire sainte de France, l’histoire de cette médiation pour le peuple qu’Elle s’est choisi et qu’Elle rend digne de son Roi Jésus.
CONSÉCRATION À L’IMMACULÉE CONCEPTION.
Il ne restait plus à notre Père qu’à se donner à Elle, comme Elle le lui inspira, c’était au Canada, le 20 août 1997 :
« Je veux dorénavant placer la Sainte Vierge au-dessus de toutes mes affections de cœur, toutes mes convictions et pensées, mes œuvres extérieures, mes désirs. Qu’on n’objecte pas l’amour de Dieu lui-même qui devrait passer premier, car en aimant la Vierge Marie au-dessus de tout, on trouve Dieu en Elle comme sur son trône, dans son temple. C’est précisément dans le rejet de cette objection que se trouve le caractère nouveau, surprenant, bouleversant de cette dévotion que, enfin, je ne boude plus, que je veux faire mienne parce que c’est ce que notre doux Seigneur et Sauveur veut et attend de notre génération pour la sauver.
« Voilà ce que je veux, je désire, j’espère : que l’intronisation en mon cœur, de cette Immaculée Conception, y fera le déménagement et le réaménagement de toutes mes affections par grâce sur grâce obtenue par Elle... Et de même, de vous qui voulez demeurer dans notre commun et très unique cœur. [C’est nous !] Mais, m’écrivant à moi-même, je ne craindrai pas de bien faire la liste des idoles à jeter hors de mon cœur et des déplacements à opérer en vue de mettre de l’ordre, un ordre marial et eucharistique dans mes idées, mes intérêts, mes dévotions, mes projets, voulant ni plus ni moins entrer dans “ l’esclavage ” de ma très chérie et souveraine Mère... confiant en Elle, non en moi, pour y parvenir. »
Le 8 décembre 1997, notre Père passait la main à l’Immaculée, et lui consacrait toute sa Phalange, lors d’un triduum qu’il prêcha à l’école de saint Maximilien-Marie Kolbe qui disait : « Il faut tout faire pour que l’Immaculée soit toujours mieux connue. Il faut que soient connues les relations de l’Immaculée avec le Père, le Fils et le Saint-Esprit, avec la Sainte Trinité, avec Jésus, les anges et nous-mêmes... Il y a là un champ d’étude illimité. Il faudra pouvoir présenter les résultats de ce travail à tous et à chacun en particulier au moyen de la prédication, de la presse, de la radio, etc.
« Tout cela doit être présenté aux âmes pour les nourrir de l’Immaculée ; et s’assimilant à Elle, ces âmes vont en vivre ». (Lettre à Niepokalanow, 30 octobre 1935) C’est ce à quoi répond exactement l’œuvre de notre Père.
UNE CATHÉDRALE DE LUMIÈRE, GAGE DE RÉSURRECTION.
L’orthodromie mariale de l’Histoire de France aboutit à cette “ cathédrale de Lumière ” qu’est l’œuvre catholique, royale, communière, bâtie par notre Père au fil des années, plus providentiellement que systématiquement. Le Père Joseph Hamon, eudiste, expert au Concile, lui écrivait, en 1994 : « J’ai dans l’idée que vos “ Opera omnia ”, équivalant à une véritable “ patrologie ”, constitueront la “ Summa theologica ” de l’ère nouvelle dans l’Église. » (lettre du 27 mars 1994, CRC n° 302, p. 21)
Voulue par Dieu, cette doctrine embrasse tous les domaines en une synthèse prodigieuse, et qui est en parfaite harmonie avec Notre-Dame de Fatima, son message, ses demandes. Car Elle en est le fil conducteur, et la contemplation du mystère de son Immaculé Conception est comme la clé de voûte de cette “ cathédrale de lumière ”.
Enfin, c’est une doctrine vivante parce qu’elle est l’apanage d’une école de pensée assise sur une congrégation religieuse, qui poursuit aujourd’hui la voie tracée par son fondateur, l’abbé de Nantes, à commencer par aimer l’Immaculée, et entrer dans la petite dévotion réparatrice pour consoler le Cœur Immaculé de Marie de tant d’outrages... en attendant le jour de son Triomphe, qui viendra, car Elle l’a promis.
Et c’est pour ce Jour qu’Elle a préparé, en France, tout ce qu’il fallait pour que l’Église se relève, et la France dans son sillage. Et les deux ensemble, sous l’empire du Cœur Immaculé de Marie, regagneront le monde entier à Jésus-Christ.
frère Sébastien du Cœur de Marie Immaculée.