Il est ressuscité !

N° 271 – Novembre 2025

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


CAMP NOTRE-DAME DE FATIMA 2025 
La grande nouvelle du règne de l’Immaculée

Deuxième conférence : 
1830 - La Rue du Bac 
La Vierge Marie régente de France

« DANS sa grande miséricorde, notre très chéri Père céleste avait prévu que la Vierge Immaculée demeurerait au centre de la ville de Paris, si comblée de grâces déjà, au plein milieu des horreurs révolutionnaires, pour en soutenir les persécutés et y maintenir la dévotion à son Cœur Immaculé à travers les temps d’apostasie qui allaient venir. » (CRC n° 321, avril 1996, p. 2)

Statue de la Vierge Immaculée tenant en mains un globe d’or
Statue de la Vierge Immaculée tenant en mains un globe d’or (chapelle de la rue du Bac), sculptée par Maxime Réal del Sarte (1930) : « Cette boule que vous voyez représente le monde entier, particulièrement la France, et chaque personne en particulier. »

Une contre-révolution mariale a été inaugurée à la Rue du Bac en 1830. Le Bon Plaisir de Dieu est en effet de « révéler le chef-d’œuvre de ses mains dans ces derniers temps », comme l’a prophétisé saint Louis-Marie Grignion de Montfort et d’autres saints après lui ; le secours royal et maternel de l’Immaculée est donc promis à « ceux de sa lignée », pris dans les tourments de la grande Révolte – Révolution des temps modernes, tandis que son Cœur Immaculé apparaît déjà comme une Arche d’alliance.

Racontons simplement les faits, en suivant pas à pas l’humble messagère de Notre – Dame Marie, sainte Catherine Labouré, de façon à être conduits par elle jusqu’au porche du Mystère...

Le mercredi 21 avril 1830, une jeune bourguignonne franchit la porte du noviciat des Filles de la Charité, au 132 (aujourd’hui 140) de la rue du Bac, après un court postulat à l’hospice de Châtillon-sur-Seine, où elle a donné entière satisfaction, comme l’a noté la supérieure : « 23 ans, convient très bien pour notre état : une bonne dévotion, un bon caractère, un fort tempérament, l’amour du travail, et fort gaie. Elle communie régulièrement tous les huit jours. Sa famille est intacte, pour les mœurs et la probité, mais peu fortunée. »

À Paris, la novice est aux anges, même si rien ne transparaît sur sa physionomie habituellement si recueillie. Sa vocation, si longtemps contrariée, peut enfin prendre son essor : être Fille de la Charité, ce qui, dans le langage du dix-septième siècle qui vit naître cette Congrégation, signifie : Servante de Dieu dans les pauvres... Mais voici qu’une nouvelle inattendue met le comble à son bonheur : le dimanche suivant, 25 avril, aura lieu le transfert des reliques de saint Vincent de Paul, depuis la cathédrale Notre-Dame jusqu’à la maison toute proche des Pères de la Mission, au 95 rue de Sèvres. « Il me semblait, dira-t-elle, que je ne tenais plus à la terre. »

Saint Vincent occupe déjà une grande place dans sa vie : quand elle tenait la ferme paternelle, à Fains-les-Moutiers, elle se rendait chaque jour tôt matin à Moutiers-Saint-Jean, pour assister à la messe dans la chapelle des Filles de la Charité ; sa sœur aînée Marie-Louise l’avait précédée dans la Congrégation ; et puis une nuit, elle avait eu un songe : se trouvant dans l’église du village pour prier, tout à coup un prêtre âgé était sorti de la sacristie, revêtu d’habits sacerdotaux pour célébrer la messe. Chaque fois qu’il se retournait, il la fixait de son regard pénétrant et, après l’Ite missa est, il lui fit signe d’approcher. Saisie de crainte, elle sortit précipitamment de l’église, pour se rendre dans une maison où un malade l’attendait. Mais voici que le prêtre l’y rejoignit et lui dit : « Ma fille, c’est bien de soigner les malades. Vous me fuyez maintenant, mais un jour vous serez heureuse de venir à moi. Dieu a ses desseins sur vous. Ne l’oubliez pas ! »

Quelques mois plus tard, en séjour à Châtillon-sur-Seine, dans le pensionnat tenu par sa belle-sœur, elle rend visite aux Sœurs de la Charité du village, et là, surprise ! un portrait orne le parloir, représentant le prêtre vu en songe.

« Qui est-ce ?

– Mais c’est notre père saint Vincent de Paul ! » lui répond sœur Séjolles.

Et voici que, ce dimanche 25 avril, elle se retrouve au milieu de huit cents de ses sœurs dans l’immense procession qui ramène dans sa belle châsse d’argent celui que le peuple appelle “ le Père des pauvres ”. Son cœur est tout en prière. Vingt-six ans après, ses souvenirs sont intacts : « Je demandais à saint Vincent toutes les grâces qui m’étaient nécessaires, et aussi pour les deux familles, et la France entière. Il me semblait qu’elles en avaient le plus grand besoin. »

Ce souci de prier pour la France est étonnant. Quelques années auparavant, une brochure avait fait état d’une prophétie de Monsieur Vincent : « Dieu ayant fait connaître à saint Vincent de Paul les maux qui devaient pleuvoir sur notre malheureuse patrie, à cause de l’incrédulité et du libertinage, lui aurait montré la nécessité de s’adresser à Marie comme à Celle qui fut seule capable d’apaiser la colère de son Fils, d’en obtenir la conservation de la foi, la fin des fléaux et le retour de la Miséricorde. » (cité par René Laurentin, Catherine Labouré et la Médaille miraculeuse, Documents authentiques, t. I, 1976, p. 16, n. 5)

LE CŒUR DE SAINT VINCENT

Durant l’octave qui suivit la translation, la chapelle des Pères où reposait la châsse resta ouverte ; tous les jours y était célébré un office pontifical, avec panégyrique et salut du Saint-Sacrement. Le roi et la famille royale vinrent faire leurs dévotions, et chaque jour les petites Sœurs de la Rue du Bac avaient également ce privilège. Quand elles rentraient chez elles, elles pouvaient continuer à vénérer et prier leur saint fondateur, dont elles possédaient une relique insigne, placée pour la circonstance à gauche de l’autel principal. Et sœur Catherine le suppliait « de m’enseigner ce qu’il fallait que je demande avec une foi vive ». Le cœur de Monsieur Vincent ne pouvait qu’être touché d’une telle demande et, prodige ! voici que ce cœur apparut à la jeune novice, trois fois de suite, sous trois couleurs différentes :

« Blanc, couleur de chair, ce qui annonçait la paix, le calme, l’innocence et l’union. Puis je l’ai vu rouge de feu, ce qui doit allumer la charité dans les cœurs. Il me semblait que toute la Communauté devait se renouveler et s’étendre jusqu’aux extrémités du monde. Et puis je le voyais rouge noir, ce qui me mettait la tristesse dans le cœur. Il me venait des tristesses que j’avais peine à surmonter. Je ne savais ni pourquoi ni comment, cette tristesse se portait sur le changement de gouvernement. »

Cette triple vision nous introduit d’emblée dans le drame sacré qui va se jouer dans la chapelle de la Rue du Bac. C’est d’abord un message adressé par le fondateur, non seulement à la novice mais à toute sa Congrégation. Celle-ci a beaucoup souffert sous la Révolution, il y a eu des martyrs dans les deux familles, plus d’une trentaine chez les Pères, chez les Sœurs aussi, accompagnés d’admirables témoignages de fidélité à leur vocation. Quand, sous l’Empire, Napoléon voulut récupérer à son avantage la très efficace organisation de la charité qui était celle des Sœurs, mais en les détachant des Pères de la Mission, il y eut de graves dissensions parmi elles, un schisme même : entre celles qui voulaient demeurer fidèles à l’esprit de saint Vincent et à l’autorité du supérieur général, M. Hanon, et les rebelles qui, sous prétexte de se mettre au goût du jour, voulaient changer les règles. Sœur Deleau, qui faisait partie des premières, faisait ce douloureux constat : « Hélas ! que la Révolution a fait de terribles ravages dans les esprits et dans les cœurs ! Combien ne tient-on pas encore à cette funeste liberté, et qu’il faudra de temps avant que l’on sache généreusement faire le sacrifice de sa propre volonté, de ses goûts, de ses répugnances ! »

La Restauration de la Monarchie très chrétienne avait certes aidé à restaurer les vertus auxquelles saint Vincent attachait tant d’importance : la paix et l’union dans l’obéissance aux Constitutions (blanc couleur de chair), mais il restait encore bien des séquelles et des plaies à guérir, pour que la flamme de l’amour et du service de Dieu dans les pauvres embrase à nouveau les cœurs (rouge feu). « Mes filles, disait le saint de son vivant, si vous observez bien vos règles, je ne sais vraiment ce que Dieu fera de vous. Vous irez en Afrique, aux Indes, aux armées... » Enfin, il faut se rappeler que, afin de pourvoir au salut des pauvres, objet principal de la Mission, saint Vincent de Paul s’était beaucoup appuyé en son temps sur l’autorité des grands, en particulier du roi (Louis XIII) et de la reine (Anne d’Autriche), par sagesse, prudence et justice, car il n’y a rien de pire pour la perte des âmes que la révolution et l’anarchie qui en résultent. Et voici que son cœur devenait rouge noir. Pas de doute, le saint au Ciel se faisait un sang d’encre au sujet du renversement de gouvernement qui allait se produire en France. Sœur Catherine en éprouva à son tour une mortelle tristesse.

LE ROI DE FRANCE DÉPOUILLÉ

Bientôt un nouvel avertissement vint redoubler son angoisse. Elle avait la grâce de contempler son Époux divin dans le sacrement de l’Eucharistie sous ses apparences corporelles, et cette grâce insigne dura tout le temps du séminaire ! Bienheureux les cœurs purs, car ils verront Dieu ! À Châtillon-sur-Seine, sœur Séjolles disait de la jeune postulante : « Jamais je n’ai connu une âme aussi candide et aussi pure. » Mais un jour, elle le vit en Roi de France.

Le 6 juin 1830, en la fête de la Sainte Trinité, « Notre-Seigneur m’apparut comme un Roi, avec la croix sur sa poitrine, dans le Très Saint-Sacrement. C’était pendant la sainte messe, au moment de l’Évangile. Il m’a semblé que la croix coulait sur les pieds de Notre-­Seigneur. Et il m’a semblé qu’Il était dépouillé de tous ses ornements. Tout a coulé à terre. C’est là que j’ai eu les pensées les plus noires et les plus tristes... que le roi de la terre serait perdu et dépouillé de ses habits royaux. Je ne saurais dire les pensées que j’ai eues sur les pertes que nous faisions. »

Les auteurs passent rapidement et n’en tirent aucune conséquence, mais notre Père, dans son HISTOIRE SAINTE DE FRANCE, donne à cette vision toute sa densité et sa portée prophétiques. Le Christ s’est montré à la jeune novice « comme un Roi », mais oui ! Il est Roi, et même « vrai Roy de France », disait Jeanne d’Arc. Du reste, l’évangile de ce dimanche de la Trinité le rappelait : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. » (Mt 28, 18) On pense aussi à notre Roi croisé, Saint Louis, car Notre-Seigneur portait « la croix sur sa poitrine ». Cela signifie qu’Il était Lui-même en Croisade, à la tête de l’expédition d’Alger, voulue par son lieutenant Charles X, commandée par le maréchal de Bourmont, et dont saint Vincent de Paul avait été officiellement proclamé le patron par l’archevêque de Paris, Mgr de Quelen. L’imposante flotte française avait appareillé de Toulon le 25 mai, le débarquement allait avoir lieu le 13 juin suivant dans la baie de Sidi-Ferruch, à l’ouest d’Alger. Le 4 juillet, Alger la barbaresque serait prise, la Croix hissée ainsi que le drapeau blanc sur la Casbah. Victoire !

Mais voici que Notre-Seigneur Jésus-Roi apparut au cours du même évangile dépouillé de ses ornements : la Croix « coulait » à ses pieds, sa Majesté était comme outragée, humiliée. Et sœur Catherine fit d’elle-même le rapprochement avec le roi de France, dont elle avait le pressentiment que lui aussi allait être détrôné, perdre ses insignes royaux, et qu’il en résulterait des « pertes » immenses. Que cette conjonction entre le Christ et son lieutenant sur terre pour les affaires de France est impressionnante ! C’est le message de Paray-le-Monial qui resurgit tout à coup et prend un tour dramatique en 1830.

En effet, Louis XIV avait été sollicité de rendre un culte public et personnel au Sacré-Cœur, en réparation des outrages que ce Cœur adorable avait reçus au cours de sa Passion dans les palais des grands (cf. supra, p. 9). Il s’y était refusé et sa Maison l’avait payé très cher... On se rappelle que l’offre divine fut renouvelée sous la Restauration, par l’intermédiaire d’une sœur de la Congrégation de Notre-Dame, entrée en 1823 au monastère de Paris dit “ des Oiseaux ”, sœur Marie de Jésus :

« La France est toujours chère à mon divin Cœur, et elle lui sera consacrée. Mais IL FAUT QUE CE SOIT LE ROI LUI-MEME qui consacre sa personne, sa famille et tout son royaume à mon divin Cœur... Je prépare à la France un déluge de grâces, lorsqu’elle sera consacrée à mon divin Cœur. La terre entière se ressentira des bénédictions que je répandrai sur elle. »

Pour preuve que cette communication venait du Ciel, sœur Marie de Jésus fit savoir à son confesseur, le Père Ronsin, que le roi [Louis XVIII] avait entrepris des démarches auprès du Saint-Siège pour obtenir la béatification de Marguerite-Marie Alacoque, ce dont le Père Ronsin fut vivement frappé, car ces démarches étaient jusque-là restées secrètes. La demande de consécration fut transmise au roi, puis derechef à son frère Charles X, quand celui-ci monta sur le trône (1825), mais elle n’eut pas de suite...

Sœur Catherine Labouré rendit compte de tout ce qu’elle avait vu à son confesseur, Monsieur Aladel, qui se montra incrédule et la mit en garde contre de telles pensées que rien, dans la situation politique d’alors, ne laissait présager. Mais bientôt la novice en reçut un nouvel avertissement, cette fois de la Reine du Ciel Elle-même, dans la nuit du 18 au 19 juillet.

UNE NUIT DE LUMIÈRE

C’est le troisième acte de notre drame sacré : là, il faut dire que ce n’est pas une surprise, au contraire la céleste rencontre semble avoir été ardemment désirée par la sœur Catherine, et préparée de longue date. N’est-ce pas la Sainte Vierge qu’à l’âge de huit ans, à la mort de sa maman de la terre, Zoé, – c’était ainsi qu’on appelait Catherine au logis familial –, a choisie pour “ Maman du Ciel ” ? Une servante la surprit en train d’embrasser la statue qui trônait dans la chambre de ses parents. C’est également devant le tableau de l’Immaculée Conception que la jeune fermière passait de longs moments dans l’église de Fain-les-Moutiers, récitant son chapelet à genoux nus sur les dalles froides. Enfin, dans la Congrégation des Filles de la Charité, la Sainte Vierge était très honorée, aimée et priée. À la Rue du Bac, on vénérait, on vénère toujours une statue qui, autrefois, surmontait une porte de Paris, et qui devint la propriété des Sœurs à la fin du dix-septième siècle quand l’enceinte des murs de la capitale fut repoussée (photo ci-contre). Comme la statue était “ entrée en communauté ” un 18 août, fête de Notre-Dame de la Victoire dans le diocèse de Paris, on la priait sous ce vocable. Elle fit des miracles pour les sœurs, aussi la mère Marthe, première directrice du noviciat, avait beaucoup de dévotion pour Elle.

Précisément, à l’instruction du 18 juillet, vigile de saint Vincent de Paul, cette bonne mère parla à ses novices de la dévotion due aux saints, particulièrement à la Très Sainte Vierge. Sœur Catherine fut tellement ravie par ce qu’elle venait d’entendre qu’elle se coucha avec le désir ardent de “ voir ” la Sainte Vierge, et comme les novices avaient reçu chacune une relique, un petit morceau du rochet (surplis) de saint Vincent, elle coupa le sien en deux, en avala la moitié, en demandant à Monsieur Vincent de lui obtenir la grâce de cette rencontre. Candeur des saints !

Et maintenant, le plus simple est de prendre le récit même qu’elle écrivit sur l’ordre de Monsieur Aladel, en 1856, en lui adjoignant le second, rédigé en 1876. Ces deux récits ont un tel charme dans leur simplicité, et en même temps, une telle netteté qu’à eux seuls, ils sont une preuve de totale véracité :

« Je me suis couchée avec cette pensée que, cette nuit, je verrai ma bonne Mère... Enfin, à onze heures et demie du soir, je m’entends appeler par mon nom : “ Ma sœur Labouré ! Ma sœur Labouré ! ” M’éveillant, j’ai regardé du côté d’où venait la voix. Je tire le rideau ; je vois un enfant habillé de blanc, âgé à peu près de quatre à cinq ans, qui me dit : “ Venez à la chapelle, la Sainte Vierge vous attend. ” Aussitôt, la pensée me vient : “ Mais on va m’entendre. ” L’enfant me répond : “ Soyez tranquille, il est onze heures et demie, tout le monde dort bien, venez, je vous attends. ” »

On croit relire le chapitre douzième des Actes des Apôtres, où saint Pierre, réveillé de son sommeil par un ange de lumière, sort miraculeusement de la prison où il était enfermé. Les gardes dorment, la porte s’ouvre d’elle-même, Pierre suit l’Ange (Ac 12, 5-11). Il en est de même pour sœur Catherine :

« Je me suis dépêchée de m’habiller et me suis dirigée du côté de cet enfant qui était resté debout, sans avancer plus loin que la tête de mon lit. Il m’a suivie, ou plutôt je l’ai suivi, toujours sur ma gauche partout où il passait. Les lumières étaient allumées partout où nous passions, ce qui m’étonnait beaucoup ; mais bien plus surprise lorsque je suis entrée à la chapelle, la porte s’est ouverte, à peine l’enfant l’avait touchée du bout du doigt. Mais ma surprise a été encore bien plus complète, quand j’ai vu tous les cierges et flambeaux allumés, ce qui me rappelait la Messe de Minuit. Cependant, je ne voyais pas la Sainte Vierge. »

Cette visite de l’Immaculée au milieu de la nuit dans la chapelle des Sœurs de la Charité a quelque chose d’une réception royale. « Ce n’est pas la solitude. Marie a choisi Paris, la capitale de la France. Elle n’apparaît pas avec soudaineté et à l’improviste. Elle fait prévenir par un ange qu’elle va venir, puis elle se fait attendre... » (Père Hyacinthe Maréchal, NOTRE-DAME PARMI NOUS, Grenoble, 1944, p. 20)

« L’enfant me conduisit dans le sanctuaire, à côté du fauteuil de Monsieur le Directeur, et là je me suis mise à genoux, l’enfant est resté debout. Comme je trouvais le temps long, je regardais si les veilleuses [les sœurs chargées de faire des rondes pendant la nuit] ne passaient pas par la tribune. Enfin l’heure est arrivée. L’enfant me prévient : “ Voici la Sainte Vierge, la voici ! ” J’entends comme un bruit, comme le frou-frou d’une robe de soie, qui venait du côté de la tribune, auprès du tableau de saint Joseph. »

Vierge de la crypteLa Sainte Vierge, après avoir fait sa génuflexion devant l’autel, s’assoit dans le fauteuil. La Reine va tenir séance. Après un moment de doute, probablement provoqué par le saisissement, la sœur est stimulée par l’ange qui renouvelle son injonction, avec l’autorité d’un homme fort, comme les Anges dans la Bible : « Regardant la Sainte Vierge, je n’ai fait qu’un bond auprès d’elle à genoux, sur les marches de l’autel, les mains appuyées sur les genoux de la Sainte Vierge. Là, il s’est passé un moment, le plus doux de ma vie, il me serait impossible de dire ce que j’ai éprouvé... »

La voyante n’en dit guère plus en 1856, mais en 1876, l’année de sa mort, elle sera plus explicite dans ses confidences, ce qui permet de reconstituer (un peu) ce dialogue unique, qui tient autant de la direction de conscience que de la révélation prophétique, Cœur à cœur merveilleux d’une Mère avec son enfant de prédilection, dont Elle veut faire sa messagère. Pour mieux lui prouver sa tendresse, Elle a pris ses mains dans les siennes :

LE CIEL À CŒUR OUVERT

« Mon enfant, le Bon Dieu veut vous charger d’une mission. » D’emblée, l’essentiel est dit : sœur Catherine, et à travers elle toute sa Congrégation, se voit chargée d’une mission. Laquelle ? Elle le saura plus tard. Pour l’instant, elle apprend que son accomplissement sera difficile : « Vous aurez de la peine, mais vous vous surmonterez en pensant que vous le faites pour la gloire du Bon Dieu. Vous connaîtrez ce qui est du Bon Dieu [parole magnifique] ; vous en serez tourmentée jusqu’à ce que vous l’ayez dit à celui qui doit vous conduire. Vous serez contredite [par ce directeur même], mais vous aurez la grâce, ne craignez point. Dites-le avec confiance et simplicité. Vous verrez certaines choses, rendez-en compte. »

Sœur Catherine se souvient alors des grâces reçues depuis son entrée au noviciat : le cœur de saint Vincent, le Christ-Roi dépouillé, etc. « Je lui ai demandé ce que signifiaient toutes les choses que j’ai vues, Elle m’a expliqué tout. » Les explications que la voyante donnera ultérieurement ne sont donc pas de son fait, comme d’aucuns l’ont prétendu, mais elles lui venaient directement de la Sainte Vierge !

Voici que le ton devient plus grave :

« Mon enfant, j’aime à répandre mes grâces, sur la Communauté en particulier, je l’aime heureusement. J’ai de la peine : il y a de grands abus, la Règle n’est pas observée, il y a un grand relâchement dans les deux communautés. Dites-le à celui qui est chargé de vous, quoiqu’il ne soit pas supérieur, et il sera, dans quelque temps, chargé d’une manière particulière de la Communauté, il doit faire tout son possible pour remettre la Règle en vigueur ; dites-le-lui de ma part. Qu’il veille sur les mauvaises lectures, la perte du temps, les visites. »

Il s’agit de Monsieur Aladel, jeune encore (il a trente ans à peine), pour l’heure confesseur des Filles de la Charité et qui deviendra bientôt assistant du Supérieur général, M. Étienne. L’Immaculée Conception, qui est « l’unique Mère » de la Compagnie, depuis que la fondatrice, sainte Louise de Marillac, la lui a consacrée, le 8 décembre 1658, a besoin de relais : ce prêtre plein de promesses a été choisi, mais c’est Elle, l’Immaculée, qui dirige tout, parce qu’Elle sait tout. Sa tristesse, dont Elle fait confidence à la novice, est résolutoire, il faut que les communautés s’amendent afin de retrouver leur ferveur d’antan. Comme l’écrira la fidèle sœur Pineau en 1877 : « Ce fut notre Immaculée et toute bonne Mère qui voulut venir elle-même guérir nos maux et faire renaître dans la Compagnie, qui avait le bonheur d’en être aimée, le désir de vivre selon l’esprit de notre saint Fondateur. » De façon à être de bons instruments entre ses mains, et « faire entrer toutes les nations en participation des fruits et richesses spirituelles de cet ineffable mystère », celui de l’Immaculée Conception.

Comme son Fils dans l’Évangile, la Vierge Marie annonce enfin des choses futures, sans forcément distinguer les étapes de leur accomplissement. Elle qui est la Sagesse même, connaît les terribles bouleversements qui vont se produire, et son Cœur Immaculé en frémit. Quel “ travail ” (cf. Ap. 12, 2) est le sien ! Par trois fois, la voyante le souligne.

« Les temps sont très mauvais. Des malheurs vont fondre sur la France, le trône sera renversé ; le monde entier sera renversé par des malheurs de toutes sortes (la Sainte Vierge avait l’air très peinée, en disant cela), mais VENEZ AU PIED DE CET AUTEL : là, les grâces seront répandues sur toutes les personnes qui les demanderont avec confiance et ferveur ; elles seront répandues sur les grands et sur les petits. »

Les communautés seront épargnées : « De grands malheurs arriveront. Le danger sera grand. Ne craignez pas. Le Bon Dieu et saint Vincent protégeront la Communauté. Là, je serai moi-même avec vous : j’ai toujours veillé sur vous, je vous accorderai beaucoup de grâces... Le moment viendra où le danger sera grand, on croira tout perdu, là je serai avec vous, ayez confiance. Vous reconnaîtrez ma visite et la protection de Dieu et celle de saint Vincent sur les deux communautés.

« Mais il n’en sera pas de même des autres communautés : il y aura des victimes... (La Sainte Vierge avait des larmes dans les yeux, en disant cela.) Pour le clergé de Paris, il y aura bien des victimes... Mgr l’archevêque mourra. Mon enfant, la Croix sera méprisée, le sang coulera dans les rues (ici la Sainte Vierge ne pouvait plus parler, la peine était peinte sur son visage). Mon enfant, le monde entier sera dans la tristesse... Je pensais : quand cela arriverait ? J’ai très bien compris : QUARANTE ANS... »

Dans une autre version, elle précisera : « Quarante ans, et dix, et puis après, la paix. » Prophétie qui s’accomplira à la lettre en 1870. Celle de la mort de l’archevêque de Paris se réalisera en 1871, pendant la Commune, mais il n’est pas exclu qu’elle se renouvelle encore... Et puis la Sainte Vierge est repartie par le même chemin qu’Elle avait pris pour venir. Son ombre s’évanouit, laissant la sœur avec son guide :

« Je me suis relevée de dessus les marches de l’autel, et j’ai aperçu l’enfant où je l’avais laissé ; il me dit : “ Elle est partie. ” Nous avons repris le même chemin, toujours allumé, et l’enfant était sur ma gauche. Je crois que cet enfant était mon ange gardien, qui s’était rendu visible pour me faire voir la Sainte Vierge, parce que je l’avais beaucoup prié pour qu’il m’obtienne cette grâce. Il était habillé de blanc, resplendissant de lumière, âgé à peu près de quatre à cinq ans. Revenue à mon lit, il était deux heures du matin, que j’ai entendu sonner l’heure ; je ne me suis point rendormie. »

RICHES PENSÉES DE SAINTE LOUISE DE MARILLAC

EN un temps où beaucoup de  théologiens ne croyaient pas encore à l’Immaculée Conception, sainte Louise de Marillac « y revenait toujours et y ramenait toutes ses pensées mariales » (Calvet). Son esprit théologique associait volontiers les deux mystères de l’Esprit-Saint et de l’Immaculée. C’est à cette Source pure qu’elle voulut rattacher sa Congrégation, qui fut ainsi la première Société religieuse consacrée à ce privilège unique. L’acte de consécration, approuvé par saint Vincent de Paul, et récité par la fondatrice le 8 décembre 1658, marque une date capitale dans l’histoire spirituelle de la Congrégation. Tous les ans, il sera répété et mis en pratique.

Mère et Corédemptrice

« Le Fils de Dieu a tant honoré sa sainte Mère que nous pouvons dire qu’elle a quelque part à tous les mystères qu’il a opérés, ayant contribué à son humanité par son sang et son lait virginal. La considérant en cette manière, je l’ai congratulée de son excellente dignité, et de la part qu’elle a ainsi à ce grand et divin sacrifice perpétuel offert sur nos autels.

« Qu’y a-t-il, sainte Vierge, entre Dieu et vous ? Dieu est en vous par droit de filiation. Vous êtes la première dans l’union qu’il a acquise à la nature humaine par le mystère de l’Incarnation ; vous entrez dans une alliance étroite avec le Père éternel par la maternité du Fils ; vous êtes véritablement le sanctuaire du Saint – Esprit par l’incarnation qu’il a opérée en vous. Honneur, gloire et reconnaissance vous soient rendus par toutes les créatures, du dessein que Dieu nous a fait connaître, et qui, par votre moyen, nous rend ses frères, non seulement en la chair par la ressemblance de la nature, mais dans l’esprit, par l’adoption de son Père dont il nous fait les héritiers.

« Ô mon Dieu, que la perfection de cette âme sainte unie à son corps, soit, je vous prie, manifestée à toutes les créatures, afin qu’elles admirent et adorent votre toute-puissance, et qu’elles vous glorifient éternellement de sa toute pure et immaculée Conception. Il est vrai, Sainte Vierge, que vous avez toujours été préservée de péché, par les mérites de l’Incarnation, et de la mort et passion du Fils de Dieu et le vôtre ; et partant que vous êtes la véritable Fille aînée de la Croix. »

Médiatrice et Auxiliatrice

« Ne nous dédaignez pas, ô Mère de mon Dieu ! nous voilà vos enfants par adoption. Il est vrai que vous en avez beaucoup d’autres, qui sont des âmes relevées en grâces et mérites, que vous pouvez plus aimer, pour la gloire qu’elles rendent à Dieu votre Fils ; mais puisque nous sommes les plus petites et les plus faibles, nous avons plus besoin de votre secours maternel. C’est pourquoi, notre très digne et unique Mère, nous voilà pour toujours, s’il vous plaît, sous votre protection pour la gloire du Dieu vivant, duquel vous vous êtes dites la Servante. Mes chères Sœurs, rendons à Jésus crucifié nos adorations, et nos fidèles reconnaissances pour les grandeurs de son amour ; et rendons nos obéissances à la maternelle conduite de la Sainte Vierge, pour être aidées par elle à l’accomplissement des volontés de Dieu...

« Nous devons donc honorer cette sainte Conception qui l’a rendue si précieuse aux yeux de Dieu, et croire qu’il ne tient qu’à nous que nous ne soyons aidés de la Sainte Vierge en tous nos besoins, étant ce semble impossible que la bonté de Dieu lui refuse aucune chose. Comme son divin et amoureux regard ne s’est jamais détourné d’elle, parce qu’elle fut continuellement selon son Cœur, nous devons croire que sa volonté est toujours disposée à lui accorder ce qu’elle lui demande, puisque aussi jamais, elle ne lui demande rien que pour sa gloire et notre bien. »

Un songe prophétique

Terminons par le récit du songe qu’elle eut en la vigile du 8 décembre 1658, où la Compagnie des filles de la Charité choisit l’Immaculée Conception comme « unique Mère » et se consacra à Elle. Notre Père a fait en février 1999 un “ commentaire extasié ” de ce songe mystérieux, qui annonce prophétiquement la manifestation grandiose de 1830 (ce commentaire a été reproduit dans PREPARER VATICAN III, p. 17-21, nous y renvoyons nos lecteurs) :

« La veille de la Conception de la Sainte Vierge ayant entendu la lecture de l’épître de ce jour, j’eus en songe la vue d’une grande obscurité en plein midi, ne paraissant que peu au commencement et suivie d’une nuit très obscure qui étonnait et effrayait tout le monde. Je sentais seulement soumission à la divine Justice.

« Cette obscurité passée, je vis le plein jour venir, et en quelque partie de l’air fort élevée, j’y vis comme une figure de celle qui nous représente la Transfiguration, qui me semblait être figure de femme. Néanmoins mon esprit fut surpris de grand étonnement qui me portait à reconnaissance vers Dieu, mais telle que mon corps en souffrait, et m’éveillant sur cela, je souffris quelque temps encore ; et la représentation m’en est toujours demeurée en esprit, contre l’ordinaire de mes songes, me représentant cette première grâce en la Vierge, être le commencement de la lumière que le Fils de Dieu devait apporter au monde.

« En ma méditation sur le sujet de l’épître, voyant que la Sainte Église appliquait à la Sainte Vierge son être devant la Création du monde, mon esprit y a acquiescé, pensant que non seulement elle était de toute éternité en l’idée de Dieu par sa prescience, mais encore préférablement à toute autre créature pour la dignité à laquelle Dieu la destinait de Mère de son Fils. Il a su être voulu avant la création de toutes choses terrestres qui pouvaient être témoins du péché de nos pères.

« Dieu a voulu faire un acte de sa volonté spécifiée pour la création de l’âme de la Sainte Vierge, et ce pourrait aussi avoir été un acte effectif, ce que je soumets entièrement à la Sainte Église, ne m’en servant que pour en honorer davantage la Sainte Vierge, et lui renouveler notre dépendance, en général, de la Compagnie, comme ses plus chétives filles, mais la regardant aussi comme notre très digne et unique Mère. Que soient aimés Jésus et Marie ! »

LA VIERGE MARIE, RÉGENTE DE FRANCE

Les jours suivants, alors que la capitale est en révolution, que plusieurs sanctuaires sont profanés, que les gardes suisses se font massacrer dans leur caserne de la rue de Babylone, tout près de la rue du Bac, la maison mère et le séminaire des Filles de la Charité restent intacts. À deux pas de là, le couvent des Oiseaux fut lui aussi l’objet d’une protection spéciale. On lit dans les Annales du couvent : « Dans notre impuissance à nous défendre nous-mêmes, nous avions tout confié aux mains de la Sainte Vierge ; sur les murailles, les portes, les fenêtres avait été appliquée, comme préservatif, la devise traditionnelle : MARIE A ETE CONÇUE SANS PECHE. La protection de la Reine du Ciel nous était d’autant plus nécessaire que, du côté du boulevard, les bâtiments étaient en construction, des planches et une porte sans gonds, seules, nous gardaient. » (Le monastère des Oiseaux et la Révérende Mère Marie-Sophie, par le Père Delaporte, s. j., 1899, p. 158)

Le cœur de sœur Catherine est cependant à l’unisson de celui de la Reine de France qui lui a confié son grand chagrin, d’autant que son confesseur l’a une nouvelle fois éconduite, la mettant en garde contre ses folles imaginations ! Alors les jours passent... La monarchie de Juillet, avec à sa tête Louis-Philippe l’Usurpateur, s’installe, capitaliste et jouisseuse. Le démon, qui a suscité « la grande révolte dont la France, l’Église, le monde devront vivre les folies criminelles, comme d’un nouveau déicide, et les affres subséquentes, des guerres, des révolutions, des persécutions, de tant de cruelles morts et damnation », aurait-il triomphé ? Et qu’en est-il de la “ mission ” dont la Sainte Vierge a dit à sœur Catherine que le Bon Dieu voulait la charger ? Imperturbable et silencieuse, la novice continue sa formation à la vie régulière, mais son désir de revoir la céleste Visiteuse ne fait que grandir.

« J’avais la conviction que je la reverrais encore, la Très Sainte Vierge, que je la verrais belle dans son plus beau. Je vivais dans cet espoir. » Son “ plus beau ”, selon sainte Louise de Marillac, c’était son privilège d’Immaculée Conception, que la fondatrice avait eu en particulière vénération, avec des fulgurances très en avance sur son temps (cf. p. 23). Elle se disait désolée que « son esprit ne soit pas capable d’ en faire connaître au monde la beauté que Dieu lui avait fait voir ». Mais, à l’adresse de ses Filles, elle ajoutait : « Nous devons honorer cette sainte Conception qui a rendu Marie si précieuse aux yeux de Dieu, et croire qu’il ne tient qu’à nous d’être aidées de la Sainte Vierge en tous nos besoins, étant, ce semble, impossible que la bonté de Dieu lui refuse aucune chose. » Ajoutons que saint Vincent de Paul avait voulu que ses Filles récitent, entre chaque dizaine de leur chapelet quotidien, ce bel acte de foi : « Très Sainte Vierge, je crois et confesse votre Sainte et Immaculée Conception pure et sans tache. »

La Vierge gardienne

« BELLE DANS SON PLUS BEAU »

Le samedi 27 novembre 1830, veille du premier dimanche de l’Avent, les sœurs sont à la chapelle pour la méditation, mère Marthe, à mi-voix, donne lecture du premier point. Puis tout bruit s’éteint, un silence absolu règne dans les rangs, noirs et blancs, des petites sœurs immobiles. Quelques minutes passent...

Quand, tout à coup, « il m’a semblé entendre du bruit du côté de la tribune, comme le frou-frou d’une robe de soie. Ayant regardé de ce côté, je l’ai aperçue à la hauteur du tableau de saint Joseph. » Oui, c’était bien Elle, qui arrivait comme la première fois, avec le même « frou-frou d’une robe de soie ». C’était Elle, mais... autrement. À la visite royalement familière du mois de juillet, succédait la manifestation en gloire de la Toute-Sainte. La première fois, la Sainte Vierge est apparue comme une personne “ normale ” : sœur Catherine l’a vue, l’a entendue, elle l’a même touchée, posant ses mains sur ses genoux. À une jeune sœur qui se laissait aller à douter de la réalité de l’apparition, elle répondit un jour : « La sœur qui a vu la Sainte Vierge l’a vue en chair et en os, comme vous et moi ! » En novembre, c’est Elle toujours, mais entre ciel et terre, manifestant aux yeux éblouis de la novice, toutes les virtualités de son être et sa perfection ravissante, révélatrices de sa mission.

Écoutons sœur Catherine décrire sa vision, en plusieurs fois il est vrai, et c’est tout un travail pour recoller les morceaux, mais quelle richesse ! « La Sainte Vierge était debout, habillée d’une robe en soie blanche aurore. » À l’intention du graveur Letaille, elle donnera en 1841 ces brèves précisions : « Sur un ciel bleu, étoilé par en haut, aurore par en bas : la Très Sainte Vierge, voile aurore, robe blanche, manteau bleu céleste, les pieds sur un croissant, écrasant la tête du serpent avec le talon. Douze étoiles sont autour de sa tête, un léger nuage sous le croissant. Particularité essentielle : la Sainte Vierge tient légèrement le globe du monde dans ses mains, et elle l’éclaire d’une vive lumière. »

« Qui est celle-ci qui surgit comme l’aurore ? » (Ct 6, 10) C’est Elle, la Colombe, l’Unique, la Parfaite du Cantique des cantiques. Sous ses pieds, une boule, « du moins, il ne m’a paru que la moitié ». On lit dans le Livre des Proverbes, à propos de la Sagesse : « Lorsqu’Il fortifia les fondements de la terre, je suis à ses côtés, enfant chérie ; je suis, faisant ses délices... jouant sur le globe de la terre. » (8, 30-31) Elle tient en mains, « d’une manière très aisée », un globe doré surmonté d’une croix, levant les yeux pour l’offrir à Dieu et intercéder en sa faveur. « Ici, sa figure était de toute beauté ; je ne pourrais la dépeindre. » C’est ce qu’on a appelé la Vierge au globe, ou Vierge puissante, communiquant grâce sur grâce.

MÉDIATRICE DE TOUTES GRÂCES

Voici que la vision s’anime, comme pour montrer que sa prière, son intercession sont exaucées : « Et puis, tout à coup, j’ai aperçu des anneaux à ses doigts, revêtus de pierreries plus belles les unes que les autres, les unes plus grosses et les autres plus petites, qui jetaient des rayons plus beaux les uns que les autres... et toujours en s’élargissant, ce qui remplissait tout le bas, je ne voyais plus ses pieds. » Tels sont les joyaux de l’Épouse, dont parle le prophète Isaïe (61, 10) ; on pense aussi aux pierres précieuses qui, dans l’Apocalypse, rehaussent les assises des remparts de la Cité sainte (chapitre XXI). Enfin la prophétie d’Habacuc, au sujet du Messie à venir, s’applique ici parfaitement à sa Mère Immaculée : « Son éclat est pareil au jour, des rayons jaillissent de ses mains, c’est là que se cache sa force. » (Ha 3, 4)

« À ce moment où j’étais à la contempler, la Sainte Vierge baissa les yeux, en me regardant. Une voix se fit entendre, qui me dit ces paroles : Cette boule que vous voyez représente le monde entier, particulièrement la France, et chaque personne en particulier... – Ici, je ne sais m’exprimer sur ce que j’ai éprouvé, la beauté et l’éclat des rayons si beaux. C’est le symbole des grâces que je répands sur les personnes qui me les demandent, en me faisant comprendre combien il était agréable [à Dieu] de [nous voir] prier la Sainte Vierge, et combien Elle était généreuse envers les personnes qui la prient, que de grâces Elle accordait aux personnes qui les lui demandent, quelle joie Elle éprouve en les accordant. »

Fin de la première phase de l’apparition, si expressive de la royauté universelle de l’Immaculée et de la médiation qui en découle. Le sort du monde entier, de la France et de chaque personne en particulier, tient en ses mains, est comme suspendu à sa prière. Rappelons-nous les représentations du couronnement de la Vierge au tympan de nos cathédrales (Paris, Chartres, Reims) : c’est les mains jointes que Notre-Dame reçoit de son Fils sceptre et couronne, signes de sa Médiation de toute grâce. Tel est le mystère sponsal, « secret royal de l’Époux et de l’Épouse » inscrit déjà au cœur de notre religion royale.

UNE MÉDAILLE « POUR TUER LE MAL »

Deuxième phase de l’apparition : « À ce moment, ou j’étais ou je n’étais pas, je jouissais, je ne sais, – sœur Catherine est comme saint Paul : au troisième ciel ! – s’est formé un tableau autour de la Sainte Vierge, un peu ovale, où il y avait, en haut du tableau, d’une main à l’autre, ces paroles : Ô MARIE CONÇUE SANS PECHE PRIEZ POUR NOUS QUI AVONS RECOURS A VOUS, écrites en lettres d’or. »

Apparition de la Rue du BacLes bras de la Vierge se sont entrouverts et se tendent maintenant vers la terre, les mains toujours chargées de diamants, d’où s’échappent comme par faisceaux des rayons d’un éclat ravissant, avec plus d’abondance sur un point, marqué du mot FRANCE. « Alors une voix se fit entendre qui me dit : Faites, faites frapper une médaille sur ce modèle. Toutes les personnes qui la porteront recevront de grandes grâces en la portant, les grâces seront abondantes pour les personnes qui la porteront avec confiance. »

Voilà la mission de sœur Catherine enfin révélée : faire frapper « une médaille sur ce modèle ». On pense ici à la parole adressée à Moïse dans l’Exode : « Regarde, tu feras tout d’après le modèle dressé à tes yeux sur la montagne. » (Ex 25, 40) Mais est-ce tout ? Non, car toute médaille a son revers : « À l’instant, le tableau m’a paru se retourner, où j’ai vu le revers de la médaille. Sur ce revers, j’ai aperçu le monogramme de la Sainte Vierge, composé de la lettre M surmontée d’une croix, ayant une barre à sa base, et au-dessous de la lettre M, les deux Cœurs de Jésus et de Marie, l’un entouré d’épines, et l’autre transpercé d’un glaive. »

Un jour que sœur Catherine s’inquiétait de savoir s’il fallait ajouter quelque chose, elle entendit une voix qui disait : « L’M et les deux Cœurs en disent assez. » C’est donc cela l’important. La Croix qui surmonte le M fait penser à celle qui « coulait » de la poitrine du Christ découronné, dans la vision du 6 juin, comme si Notre-Dame avait été chargée, ou plutôt s’était chargée de cette Croix, était entrée en Croisade... Tandis que la petite barre transversale qui unit le M à la Croix, évoque l’autel où se perpétue le Saint-Sacrifice. En dessous, les deux Cœurs résument à Eux seuls ce mystère d’Alliance célébré chaque jour à la messe. Nous savions que la chapelle de la Rue du Bac était primitivement dédiée au Sacré-Cœur, mais là, visiblement, le Cœur de Jésus veut qu’on honore avec Lui, à côté de Lui, le Cœur transpercé de sa Mère, le Cœur de l’Immaculée corédemptrice.

On pense irrésistiblement à l’ex-voto de madame Élisabeth de France, martyrisée en 1794 : les deux Cœurs d’or finement ciselés de Jésus et Marie, qui furent conservés un temps à deux pas de là, aux Missions Étrangères, avant d’être offerts à la cathédrale de Chartres. « Prononcé au plus fort de la Révolution, pour implorer le Ciel de conserver à la France sa religion catholique, ce vœu promettait de verser une aumône mensuelle en faveur des prêtres persécutés, d’assurer l’éducation d’un enfant pauvre et d’ériger un autel dédié au Cœur Immaculé de Marie avec célébration d’un Salut du Saint-Sacrement chaque mois, en reconnaissance pour la grâce obtenue. » (Sœur Marie-Angélique de la Croix, L’ABBÉ DES GENETTES, SERVITEUR ET APÔTRE DE MARIE, p. 111)

Nous évoquions à l’instant le tympan de nos cathédrales, qu’il soit permis ici de faire un autre rapprochement, qui nous plonge cette fois au cœur de l’orthodromie mariale française. En effet, il semble que cette médaille rappelle d’une manière discrète mais très réelle la consécration du Royaume de France en 1638. Le Père Crapez, lazariste, établissait ce rapprochement au Congrès marial de Boulogne de 1938 :

1. Louis XIII, qui prononça cette consécration, était un fervent dévot de l’Immaculée Conception. Il avait même demandé, dès 1624, au pape Urbain VIII d’en faire une fête d’obligation pour toute la Chrétienté.

2. La Médiation de la Vierge, si bien figurée par les rayons et les miracles de la médaille, est évoquée dans le vœu de 1638 : « C’est chose bien raisonnable qu’ayant été Médiatrice des bienfaits de Dieu, Elle le soit de nos actions de grâces.»

3. Ainsi que ses douleurs de Corédemptrice : « Pour monument et marque immortelle de la consécration présente, Nous ferons construire de nouveau le Grand Autel de l’église cathédrale de Paris avec une image de la Vierge, qui tiendra entre les bras celle de son précieux Fils descendu de la croix ; Nous serons représentés aux pieds du Fils et de la Mère, comme leur offrant Notre couronne et Notre sceptre.»

Mais sa royauté sur la France n’est qu’une étape du plan de Dieu, qui prépare et désire sa Royauté universelle, et cette pensée seule suffisait à mettre en joie sainte Catherine Labouré : « Oh ! qu’il sera beau d’entendre dire :  Marie est la Reine de l’univers, particulièrement de la France , et les enfants s’écrieront avec joie et transport :  et de chaque personne en particulier  ! Ce sera un temps de paix, de joie et de bonheur qui sera long, elle sera portée en bannière et elle fera le tour du monde. »

Il nous reste à voir comment cette manifestation de la Rue du Bac a initié un élan extraordinaire dans l’Église, préparant non seulement la définition dogmatique de l’Immaculée Conception de 1854, mais encore la révélation du grand dessein de grâce et de miséricorde enfermé dans le Cœur Immaculé de Marie. Inauguré à la Rue du Bac, ce dessein divin se précisera et s’enrichira à chaque nouvelle apparition, avant de connaître son plein accomplissement en 1917 à Fatima.

LE « SIGNE » DE LA FEMME

Si saint Jean parle d’un “ signe grandiose ” apparu dans le Ciel (Ap 12, 1), c’est bien dans les manières de la Vierge Marie d’avoir commencé à le révéler d’une manière très humble, par une médaille, dont le sens étymologique (medaglia en italien) signifie “ monnaie la plus minime ” ou “ obole ”. À son imitation, sœur Catherine, qui a reçu mission de « faire graver » la médaille, en laissera humblement le soin de la diffusion à l’Église, en la personne de ses supérieurs et de sa Congrégation, tandis qu’elle-même s’enfermera dans un silence absolu, porteur d’un lourd et merveilleux secret, le “ Secret de la Reine ”.

Elle fut affectée, dès sa sortie du Séminaire, en février 1831, à la Maison de Reuilly, qui gérait l’hospice d’Enghein, fondé par la Maison d’Orléans, dans la banlieue Est de Paris. Elle ne devait plus en sortir, sauf rares exceptions, jusqu’à sa mort le 31 décembre 1876. Quarante-six ans de vie cachée, héroïque dans son uniforme simplicité et sa constance, ce que notre Père considérait comme « un prodige de la Sagesse divine ». Tout le monde parlait de la “ sœur des apparitions ”, mais jamais personne ne sut que c’était elle. Même dans sa communauté : sœur Catherine, c’était “ la sœur du poulailler ” ! On l’appelait aussi “ la sœur régulière ”, tellement elle édifiait par son application et son obéissance à la Règle.

Après plusieurs mois d’atermoiements de la part de Monsieur Aladel, qui continuait à diriger de loin et à confesser la voyante quand celle-ci venait à la Rue du Bac, la médaille fut enfin gravée en juin 1832. Il y avait urgence parce que, depuis le mois de février, une épidémie de choléra faisait des ravages à Paris et en province. Le 30 juin enfin, les premières médailles (1 500) furent livrées. Sœur Catherine, mêlée à ses compagnes, reçut la sienne sans laisser paraître ses sentiments. Elle se borna à dire : « Eh bien ! maintenant, il faut la propager. »

En quelques semaines, une pluie de grâces et de merveilles accompagna la diffusion de la petite médaille. D’abord proposée comme protection contre l’épidémie, elle se révéla bientôt souverainement efficace contre toutes sortes de maux, physiques et spirituels, contre tous les périls aussi.

Des cholériques que l’on donnait pour perdus se rétablirent à l’instant où la médaille leur fut imposée. Une Fille de la Charité, responsable d’une classe de fillettes à l’école de la Place du Louvre, distribua la médaille à toutes ses élèves ; une seule des enfants ne la porta pas, elle fut la seule à tomber malade. Mais elle guérit lorsque ses parents, repentants, la lui passèrent autour du cou. La médaille sauva un enfant mordu par un chien enragé, une femme dont l’accouchement se passait mal et qui, après avoir reçu la médaille, mit au monde un bel enfant bien portant. Elle calma des crises d’épilepsie, fit marcher, au terme d’une neuvaine, un garçon infirme de naissance, guérit des phtisiques qui crachaient leurs poumons, des cancéreux épuisés d’hémorragies, délivra des possédés et convertit des mécréants.

Paris, la France entière, Rome ! bientôt toute l’Europe, puis très vite le Proche-Orient, l’Asie, l’Amérique, tous les pays où, grâce aux Filles de la Charité et aux Prêtres de la Mission, la médaille était distribuée, virent se reproduire ces merveilles, de véritables miracles ! d’où le nom de “ miraculeuse ” qui lui fut donnée. Des milliers de cas, en l’espace de quelques mois, revinrent aux oreilles de Monsieur Aladel et de ses confrères, ébahis de l’ampleur du phénomène. Le graveur Vachette fut bientôt dépassé par les commandes et dut faire appel à d’autres fabricants. En 1836, on en comptait plus de deux millions, et en 1842, soit après dix ans de diffusion, on atteignait les cent millions de médailles. Notre-Dame est une extraordinaire missionnaire !

Cette même année 1842, se produisit à Rome la retentissante conversion du juif Alphonse Ratisbonne : ce jeune dilettante avait été pressé par son ami le baron de Bussières de porter une médaille et de réciter un Souvenez-vous. Il fut terrassé comme saint Paul sur le chemin de Damas, mais cette fois par la vision de l’Immaculée Conception, qui lui apparut dans l’église Sant-Andrea della Fratte, rayonnante de lumière, « telle qu’elle est sur ma médaille », s’écriait-il, et d’émotion, il embrassait sa médaille, la montrait à tous en disant : « Je l’ai vue, je l’ai vue ! »

Notons que le zèle de Bussières ne fut pas la seule cause instrumentale de cette conversion, il y eut le sacrifice de Monsieur de La Feronnays qui offrit sa vie à cette intention, il y eut aussi les prières de l’Archiconfrérie de Notre-Dame des Victoires, à Paris, où le frère d’Alphonse, Théodore Ratisbonne, déjà converti, était vicaire. Quand l’abbé des Genettes avait fondé, six ans plus tôt, sur l’inspiration du Ciel, l’Archiconfrérie du Très Saint et Immaculé Cœur de Marie, il s’était empressé de lui donner comme signe distinctif la Médaille qu’il connaissait, et le sanctuaire parisien devint pour le monde entier le « relais des grâces », qu’aurait dû être la chapelle de la Rue du Bac, si les supérieurs l’avaient ouverte au public.

Ces miracles innombrables de conversions, de guérisons, de protections, n’avaient qu’un but : faire mieux connaître et aimer l’Immaculée Conception, augmenter la confiance des fidèles en Elle, car les grâces obtenues sont en lien direct avec son privilège, comme l’indique l’invocation inscrite au revers de la médaille : « Ô Marie conçue sans péché... », ainsi que toute la doctrine qui y est enclose et qui forme « le plus portatif des catéchismes, toujours ouvert, lumineux et à portée des âmes les plus simples ».

En 1840, cinquante évêques français, témoins des prodiges de la Médaille et de la foi de leurs peuples, demandèrent au pape Grégoire XVI la définition du dogme de l’Immaculée Conception. Cette supplique fut bientôt suivie d’une quarantaine d’autres, envoyées du monde entier. Mais ce fut son successeur Pie IX, fervent dévot de l’Immaculée Conception, qui eut la gloire de la proclamation infaillible, aux applaudissements de l’Église entière, le 8 décembre 1854. Dans la bulle INEFFABILIS DEUS, on retrouve un discret écho de l’apparition qui avait illuminé vingt-quatre ans plus tôt la chapelle de la Rue du Bac :

« Celle qui avait échappé aux traits du malin ennemi et qui, belle par nature, ignorant absolument toute souillure, avait paru dans le monde, par sa Conception immaculée, comme une éclatante aurore, qui jette de tous côtés ses rayons... »

Le but semblait atteint, et pourtant sœur Catherine n’était pas satisfaite : la chapelle de la Rue du Bac restait fermée aux fidèles, alors que la Vierge avait dit : « Venez au pied de cet autel... » et surtout, le message du Ciel dans sa nouveauté surprenante, bouleversante, n’était pas encore reçu comme il le méritait. On retrouva après la mort de sœur Catherine un papier sur lequel elle avait écrit de sa main : « Ma bonne Mère, jusqu’ici on ne veut pas faire ce que vous voulez, manifestez-vous ailleurs. » C’était en janvier 1858. Quelques jours après, la Sainte Vierge apparaissait à Lourdes... On a aussi cette confidence qui en dit long, de la voyante à sa supérieure de Reuilly, le jour de sa mort : « La Sainte Vierge est peinée, parce qu’on ne fait pas assez cas du trésor qu’elle a donné à la communauté dans la dévotion à l’Immaculée Conception, on ne sait pas en profiter... »

LA FACE CACHÉE DE L’ORTHODROMIE

Il nous faut évoquer ici, plus que démontrer d’une manière exhaustive et définitive, la sourde résistance des hommes d’Église aux volontés du Ciel, pourtant si clairement manifestées, dont la “ sainte du silence ” (Colette Yver) eut à souffrir comme une agonie intime, toute sa vie durant. Quand il fut question, en 1876, l’année de sa mort, de répondre enfin à ses instances et de représenter la Vierge au globe, si importante pour la compréhension du dessein divin, sa supérieure du moment, la sœur Dufès, lui déclara :

« On dira que vous êtes folle !

– Oh ! ce ne serait pas la première fois, répondit sœur Catherine. Monsieur Aladel m’a bien traité de  méchante guêpe quand je l’interrogeais là-dessus.

– Et que deviendra la Médaille, si on publie cela ?

– Oh ! il ne faut pas toucher à la Médaille miraculeuse.

– Mais si Monsieur Aladel a refusé, il avait ses raisons.

– C’est le martyre de ma vie. »

Martyre qui la rattache, nous n’hésitons pas à le dire, « à cette glorieuse lignée des épouses et servantes de Jésus, élues par Lui pour être ses messagères, qui durent subir comme une agonie, une honte, l’accomplissement de leur mission sacrée, avant d’être reconnues par la sagesse de l’Église, non plus comme une partie honteuse de son très saint Corps, mais une des plus saintes, des plus fécondes et glorieuses », écrivait notre Père à propos de mère Marie du Divin Cœur, qui eut à pâtir douloureusement du “ bras de fer ” opposant Léon XIII le libéral au Sacré-Cœur. À Porto comme à Paris, à Paray et à Lisieux, l’étude de ces “ parties honteuses et glorieuses de l’Église ” n’est pas à tenir sous le boisseau, au contraire ! car elle mène à « la découverte émerveillée d’une cascade de secrets, gardés par chacun de ces saints et de ces saintes, éclairant l’orthodromie divine de lampes étincelantes de beauté, de clarté, de pureté » (Le secret d’une insupportable rébellion, la mission de sœur Marie du Divin Cœur élucidée, CRC n° 356, mai 1999, p. 5).

Rappelons succinctement les faits :

Quand, le 5 février 1831, sœur Catherine quitte le noviciat de la Rue du Bac, se sachant qu’ « un instrument du Bon Dieu », rien, nous l’avons dit, ne la signale à l’attention de ses supérieures ou de ses compagnes, et pourtant elle a conscience de n’avoir pas encore accompli sa mission : son confesseur M. Aladel, le seul que la Sainte Vierge lui a désigné comme intermédiaire, n’accorde toujours aucun crédit à ses communications. Un jour qu’elle s’en plaint intérieurement : « Il ne me croit pas », elle entend dans son oraison : « Un jour viendra où il fera ce que je désire, il est mon serviteur, il craindrait de me déplaire. »

Monsieur Aladel
Monsieur Aladel,
prêtre de la Mission (1800-1865)

Quand, en 1832, Monsieur Aladel parla enfin de la médaille à l’archevêque de Paris, Mgr de Quelen, celui-ci, fervent défenseur de l’Immaculée Conception, donna toute permission, la médaille étant conforme à la foi de l’Église et à la piété courante des fidèles et que cela n’impliquait pas dans son esprit la reconnaissance des apparitions. Et la diffusion de la médaille connut le succès que l’on sait. Cependant, comme tout le monde s’interrogeait sur son origine, en avril 1834, un prêtre breton, l’abbé Corentin-Marie Le Guillou, cita dans le “ Mois de Marie ” qu’il publiait, la lettre que lui avait adressée M. Aladel.

Le lazariste ne se donnait pas le beau rôle, mais quelle curieuse façon de présenter la chose : « [La sœur] vint, dès le lendemain, me faire part de cette vision que je regardai comme un pur effet de son imagination et je me contentai de lui dire quelques mots sur la véritable manière d’honorer Marie et de nous assurer de sa protection, en imitant ses vertus. Elle se retira sans s’inquiéter et sans s’occuper davantage de sa vision. Six ou sept mois après, la vision s’étant réitérée de la même manière, la sœur crut encore devoir m’en rendre compte, mais je n’y attachai pas plus d’importance que la première

fois et la congédiai de même. Enfin après un autre intervalle de quelques mois, elle entendit les mêmes choses ; mais la voix ajouta que la Sainte Vierge n’était pas contente de ce qu’on négligeait ainsi de faire frapper la médaille. Cette fois cependant, sans le manifester, j’y fis plus attention, par la crainte surtout de déplaire à celle que l’Église nomme, à si juste titre, le refuge des pécheurs. D’un autre côté, toujours dominé par cette pensée que ce pouvait être une illusion et le pur effet de son imagination trompée, je n’en fis bientôt plus aucun cas. Plusieurs semaines s’étaient passées ainsi, lorsque j’eus occasion de voir Monseigneur l’archevêque... »

Dans son récit de l’apparition du 27 novembre, qui sera indéfiniment publié dans les NOTICES successives, M. Aladel avait évacué la Vierge au Globe, et la voyante s’en plaignit, comme en témoignera le Père Chevalier, son dernier confesseur : « Je ne m’explique pas pourquoi M. Aladel a supprimé le globe qu’elle m’a toujours affirmé, à moi, avoir vu entre les mains de la Sainte Vierge. Je sais même qu’elle s’est plainte à M. Aladel lui-même de ce changement. Je serais porté à croire qu’il a agi ainsi pour simplifier la Médaille et la faire accepter plus facilement par le public, en un temps où les passions politiques [ ?] exerçaient une grande influence. » (Déposition du 17 juin 1896, cité par Laurentin, D. A., t. I, p. 74)

Cependant la propagation prodigieuse de la médaille amena en 1836 l’archevêque de Paris à diligenter une enquête canonique. Son vicaire général, le chanoine Pierre Quentin, en fut chargé, et il la mena rondement, selon les règles prescrites. Seul obstacle inattendu : le refus de sœur Catherine de témoigner. Elle affirma à M. Aladel que la Sainte Vierge ne le lui permettait pas, et en signe qu’elle disait vrai, elle avoua ne se souvenir de rien ! Le fait est troublant, mais son biographe, Misermont, l’explique ainsi :

« Sœur Catherine estimait ne pouvoir parler des Apparitions qu’à son confesseur. La Sainte Vierge, d’ailleurs, lui avait donné un signe : quand elle devrait dire quelque chose, elle serait tourmentée

jusqu’à ce qu’elle l’eût dit ; et bien des fois elle parla à Monsieur Aladel parce qu’elle était tourmentée. Or, pendant l’enquête, elle ne connut pas ce signe de la Sainte Vierge. Au contraire, elle fut frappée d’amnésie, et mise momentanément dans l’impossibilité de parler. »

L’abbé Quentin, bon esprit, passa outre à la comparution de la voyante et justifia dans son Rapport final le désir exprimé par la sœur « que son nom, comme sa personne, demeurassent à jamais inconnus ». Ce Rapport concluait favorablement à la réalité de la vision qui était à l’origine de la médaille, et qu’on devait accorder « foi » à l’une et à l’autre. Curieusement, ce Rapport n’entraîna de la part de l’archevêque de Paris, par conséquent de l’Église, aucun jugement canonique, aucune reconnaissance officielle de l’apparition de 1830. Incompréhensible et coupable inertie !

Quelques années plus tard, sœur Catherine, servante des vieillards de Reuilly, se sent poussée à faire de nouveau le siège de son confesseur, afin d’obtenir qu’un autel et qu’une statue soient dressés dans la chapelle de la Maison mère en souvenir de l’apparition de 1830, ainsi qu’au jour anniversaire, une communion générale annuelle dans la Congrégation. Nous en avons un témoignage émouvant dans sa lettre du 15 août 1841 que, volontairement, nous reproduisons dans son écriture malhabile, car ce cri suppliant est un écho fidèle d’une volonté du Ciel :

Sainte Catherine Labouré« Mains tenans je vous dirai que je me sempressee depuis deux ans de vous dire de faire batir une autelle a la Ste Vierge dan landroit meme ou elle a paru dans ce moment plus que jamais je me sens pressee de vous le dire et de vous demander une communion pour toutes la Communotée tout les ans, toutes les indulg. vous seront accorder... demender, demender tout ce que vous vouderait il vous sera accordé. Je vous demenderai donc de faire de même pour celle du cœur de St Vincent donc je vous ai parlé de ja plusieur fois et aussi dans faire Mémoir : une Communion s’il uous plais, je crois que le bon Dieu ensera Glorifier et la Ste Vge honorée ce qui donnera une nouvelle ferveur dans tous les Cœurs et le Culte de la Ste Vierge je crois que vous ne neglierai rien pour le ferfere le plus prontement possible pour que ce la soit fait le samedi avant le 1° di Manche de lavent je vous en prie mil et mille fois pour laquit de ma Conscience je Crois que le bon Dieu et la Ste Vierge le demende de vous... je vous prie de le demendé à Notre très h. Mère, je suis dans ces sacrés cœurs de Jésus et de Marie votre toute devouee et soumise fille. »

L’autel commémoratif et la statue représentant la Sainte Vierge répandant ses grâces ne seront érigés qu’en 1856. Mais ce ne sera pas encore la Vierge au Globe. « Monsieur Aladel la fit patienter d’une année à l’autre, écrit le Père Misermont, et mourut, en 1865, sans avoir pu réaliser son vœu. » Les adversaires, et il n’en manquera pas jusque chez les lazaristes, profiteront de l’absence de conclusion de l’enquête de Paris et des atermoiements de Monsieur Aladel, pour remettre en cause la sincérité de sœur Catherine et les apparitions mêmes de 1830. Ainsi du Père Pierre Coste (1873-1935), futur secrétaire général de la Congrégation de la Mission, qui fera un rapport secret détestable contre la voyante, l’accusant d’avoir varié dans ses déclarations, tenu des propos extravagants, fait des prédictions post eventu, etc.

L’Église a tranché en la portant sur les autels, mais comment ne pas donner raison au cardinal Masella, préfet de la Congrégation des Rites, qui s’indignait en 1894 de tant de lenteurs dues à Monsieur Aladel, « à qui j’en veux beaucoup, car c’est lui qui a gâté l’affaire dès le commencement, en faisant après six à huit ans un procès si informe... » (cité par Laurentin, D. A., t. II, p. 135) ? Il en fut de même pour la vision mystérieuse de 1848 (cf. encart, p. 30).

LES RAYONS DU CŒUR IMMACULÉ

Catherine Labouré a eu en 1830 « révélation de l’Amour de Marie pour nous. Sans doute a-t-elle connu dans un immense aperçu le rayonnement de ses bienfaits », écrit justement Colette Yver. Comme l’a montré aussi le Père Crapez, il a été donné à la première des confidentes et messagères de Marie d’entrer dans les désirs, les volontés de son Cœur Immaculé, en un mot : dans sa mission de la fin des temps. Sœur Catherine comprit de l’intérieur la joie qu’éprouve la Sainte Vierge lorsqu’Elle peut répandre ses grâces, quand ses enfants la prient « avec confiance et ferveur », avec quelle générosité Elle répand ces grâces, mais aussi sa tristesse quand on néglige, qu’on oublie ou qu’on refuse de les lui demander.

Par exemple, lorsqu’elle écrivait à Monsieur Aladel : « Vous dire ce que j’ai éprouvée alors et tou ce que j’ai appris aux moments que la Sainte Vierge offrait le Globe à Notre Seigneur, cela est impossible de le rende... les penses et tout ce que j’ai appri dans si peu de tems, il me serait impossible de le dire. »

LA CROIX DE LA VICTOIRE – UNE PROPHÉTIE MYSTÉRIEUSE

EN juillet 1848, sœur Catherine  adressa à Monsieur Aladel un billet, lui rendant compte d’une vision mystérieuse, apocalyptique, qu’elle avait eue, et dont personne, à notre connaissance, n’a encore su élucider la teneur. Le plus honnête des biographes de la sainte, le Père Misermont, écrit : « L’explication de cette Croix mystérieuse nous échappe, comme elle échappa à Monsieur Aladel lui-même. Il ne sut que répondre aux insistances répétées de sœur Catherine, et jamais personne n’a rien su proposer à ce sujet. Cependant le fait de l’apparition ne paraît pas douteux. » (L’âme de la bienheureuse Catherine..., 1933, p. 210)

Voici le récit de cette vision, avec son orthographe corrigée :

« Cette croix a paru au moment où la Croix s’est élevée, parcourant une partie de Paris pour jeter la terreur dans les cœurs, mais venant s’arrêter devant Notre – Dame. Elle était portée par plusieurs hommes, qui me paraissaient avoir des figures toutes courroucées. Enfin ils ont abandonné la croix. Elle est tombée dans la boue et ils se sont enfuis. Il m’a semblé qu’un saisissement intérieur les avait fait partir et abandonner tout. Cette croix était couverte d’un voile noir de crêpe.

« Cette croix sera appelée la Croix de la Victoire ; elle sera en grande vénération de toute la France et des pays les plus éloignés et même de l’étranger. Les uns y viendront par dévotion, les autres en pèlerinage et d’autres par curiosité. Enfin il se fera des protections toutes particulières qui tiendront du miracle. Il ne viendra pas une personne à Paris qui ne vienne voir et visiter cette croix, comme un chef-d’œuvre de l’art. Sur le pied de la croix, il sera représenté toute cette révolution, telle qu’elle s’est passée. [Le pied de la croix m’a paru avoir de 10 à 12 pieds en carré, et la croix de 15 à 20 pieds de hauteur, et, une fois élevée, elle me paraissait à peu près de 30 pieds de hauteur. Sous cette croix, il y reposera une partie des morts et des blessés pendant ces événements si pénibles, il doit y avoir de tous les pays qui en ont perdu, ou au moins ceux qui y seront représenteront tous les autres.]

« La Croix m’a paru de toute beauté. Notre Seigneur était comme s’il venait de mourir : la couronne d’épines sur la tête, les cheveux épars dans la couronne par derrière, la tête penchée du côté du cœur, la plaie du côté droit. La plaie me paraissait avoir trois travers de doigt de longueur et tombaient des gouttes de sang. Cette croix m’a paru d’un bois précieux et étranger et garnie en or ou dorée. »

Et en légende d’un croquis, on lit : « Ici un bras paraît, une voix se fait entendre, qui dit : Le sang coule. En montrant du doigt le sang : L’innocent meurt, le pasteur donne sa vie pour ses brebis. La livrée de la nation attachée à la colonne de la croix. Cette même voix se fait entendre et continue : Le blanc qui touche la tête de Notre-Seigneur, c’est l’innocence ; le rouge, le sang qui coule. Le bleu est la livrée de la Sainte Vierge. »

Cette communication, tellement différente de celles qu’avait déjà reçues la voyante, s’y rattache cependant, car la Croix y était souvent mentionnée :

1. Dans l’apparition eucharistique, le Christ-Roi portait, sur la poitrine, une croix qui glissa à terre, sous ses pieds.

2. Dans la nuit du 18 au 19 juillet 1830, la Vierge confia à la sœur : « Mon enfant, la croix sera méprisée.»

3. Le 27 novembre, le globe que la Vierge offrait à Dieu était surmonté d’une croix d’or, tandis que le revers de la Médaille aussi était dominé par la croix, soutenue par le monogramme de Marie.

La vision de 1848 semble se dérouler en deux temps : la croix est d’abord portée en une sorte de procession à travers Paris, mais bizarrement ses porteurs présentent des « visages courroucés ».

L’Ami de la religion du 29 février 1848 rapporte que, tandis que l’émeute ravageait le palais des Tuileries, abandonné par la famille royale, des étudiants de l’École polytechnique, fer de lance du mouvement insurrectionnel, coururent à la chapelle, afin d’en retirer ciboire et crucifix. À leur vue, des cris s’élevèrent, mais « celui qui portait le crucifix l’éleva en l’air en criant : – Vous voulez être régénérés. N’oubliez pas que vous ne pouvez l’être que par le Christ ! – Oui, oui, répondirent un grand nombre de voix, c’est notre Maître à tous ! Les têtes se découvrirent alors au cri de Vive le Christ ! » Le crucifix fut alors porté en procession jusqu’à l’église Saint-Roch.

C’était la grande illusion des débuts de la Révolution de 1848, à laquelle adhérait l’archevêque de Paris, Mgr Affre, bénissant l’arbre de la Liberté sur le parvis de Notre-Dame, et considérant les événements en cours « comme l’Œuvre de Dieu qui ouvrait à son peuple une ère nouvelle, les temps nouveaux dont l’aurore se levait à ses yeux »... Las ! trois mois ne s’étaient pas écoulés que tout se terminait dans un bain de sang comme jamais la capitale n’en avait connu, l’archevêque lui-même tombait sur une barricade, en tentant de s’interposer entre les insurgés et la troupe. La Croix de Jésus-Christ était ainsi tombée dans la boue, et se couvrait d’un voile de deuil... Depuis Lamennais et encore de nos temps, l’imposture renouvelle « cette fausse notion du Christ qui hante notre Occident malade de romantisme et de socialisme depuis plus d’un siècle. Jésus serait le meneur doux et fanatique du mouvement révolutionnaire, le grand prédicateur de l’Amour, amour de sensibilité, excluant toute réflexion prudente et toute sagesse, l’inventeur d’une charité qui tourne à la ruine de l’ordre naturel, au renversement des frontières, à la déification de l’homme et de sa liberté. » (G. de Nantes, Lettre à mes amis n° 78, 1960)

Dans un second temps, une grande croix est dressée, au chevet de Notre-Dame ! la Vraie Croix, victorieuse, où Jésus, par sa Sainte Face, sa Couronne d’épines, son Côté transpercé, « attire tout à Lui » (Jn 12, 32). Ave, spes unica ! Le culte de la Croix et des martyrs est ainsi remis en honneur, auquel participe « la livrée de la nation » : le bleu de la Vierge, le blanc de l’innocence, le rouge du sang versé ! Sans oublier le sacrifice du Bon Pasteur, de l’Innocent, qui annonce celui du Secret de Fatima... Pour unir son culte de la Vierge et de la Croix, sœur Catherine composa cette prière : « Ô Cœur Immaculé de Marie, obtenez pour moi la foi et l’amour qui vous attacha au pied de la Croix de Jésus-Christ. »

Dix ans plus tard, à la même maison mère de la Rue du Bac, la Vierge Marie apparut à plusieurs reprises au début de l’année 1840 à une autre novice, sœur Bisqueyburu, alors qu’elle était en prière devant la Vierge de la Victoire (cf. p. 20). La Vierge tenait dans sa main son propre Cœur, d’où sortaient d’abondantes flammes. Le 8 septembre, Elle présentait de l’autre main « un morceau d’étoffe verte, de forme rectangulaire, suspendu à un cordon vert. Sur l’une des faces se trouvait l’image de la Sainte Vierge et sur l’autre, un Cœur tout enflammé de rayons plus brillants que le soleil, et transparent comme du cristal. Ce sont les expressions mêmes dont se servit la sœur pour décrire sa vision. Ce Cœur, percé d’un glaive, était entouré d’une inscription de forme ovale surmontée d’une croix en or, et ainsi conçue : “ Cœur Immaculé de Marie, priez pour nous, maintenant et à l’heure de notre mort. ” En même temps une voix intérieure se fit entendre à la sœur, elle comprit que cette sainte image devait, par l’entremise des Filles de la Charité, contribuer à la conversion des âmes, particulièrement des infidèles, et à leur procurer une bonne mort ; qu’il fallait la faire confectionner au plus tôt, et la distribuer avec confiance. » (LE SCAPULAIRE VERT ET SES PRODIGES, par Marie-Édouard Mott, prêtre de la Mission, 1923, p. 33)

De 1840 à 1846, la sœur Bisqueyburu en reçut plusieurs fois la mission du Ciel, et fut poussée à en parler à... Monsieur Aladel, qui fit la sourde oreille. Alors la Sainte Vierge s’en plaignit, comme la sœur l’écrivait à sa correspondante : « Il m’a semblé entendre une voix qui me disait qu’Elle n’était pas contente de ce qu’on retardait tant de temps à faire les scapulaires. Elle était si belle... ! » Et une autre fois : « Il faut absolument que Monsieur Aladel s’occupe du scapulaire, qu’il le propage, et ceci avec confiance. Jusqu’ici je suis sûre qu’il n’y a pas attaché grande importance. Il a eu grand tort. Il est vrai que je ne mérite pas que l’on ajoute foi à ce que je dis, car je suis une bien pauvre fille, sous tous les rapports. Mais je lui demande en grâce qu’il ne fasse pas ceci pour moi, mais au nom de Marie, de le faire pour ces pauvres âmes qui meurent sans connaître la véritable religion ; oui, si on le donne avec confiance, il y aura un grand nombre de conversions. »

Le 8 septembre 1846, l’Immaculée lui apparut les mains pleines de rayons, montrant par là la volonté du Ciel d’associer la médiation des grâces divines à la dévotion à son Cœur Immaculé, source de toute grâce et de toute miséricorde. C’est ce que la Sainte Vierge expliqua en substance à sa confidente, absolument digne de foi, puisqu’elle deviendra en Algérie une des plus valeureuses sœurs de la Congrégation :

« Ce scapulaire n’étant pas, comme les autres scapulaires, le vêtement d’une confrérie, mais simplement une double image pieuse posée sur un seul morceau d’étoffe et suspendue à un cordon, comme serait une médaille, une formule spéciale n’est pas nécessaire pour le bénir, et il ne peut être question de l’imposer. Il suffit qu’il soit béni par un prêtre, et porté par l’infidèle ou le pécheur que l’on veut soumettre à son heureuse influence. On peut même le mettre, à son insu, dans ses vêtements, ou dans son lit, ou dans sa chambre. Quant aux prières à réciter, il n’y en a qu’une, à dire chaque jour, celle qui forme l’inscription ovale, dont le saint Cœur est entouré sur le scapulaire : Cœur Immaculé de Marie, priez pour nous, maintenant et à l’heure de notre mort. Si la personne, en faveur de laquelle ce scapulaire est appliqué, ne la disait point, ce serait celle qui aurait employé le scapulaire qui devrait la dire à sa place. Ce scapulaire peut être employé en France comme à l’étranger. Les plus grandes grâces sont attachées à son emploi ; mais ces grâces sont plus ou moins grandes, suivant le degré de confiance qui l’accompagne. C’est ce que signifiaient, dans la dernière apparition, les rayons plus ou moins grands qui sortaient des mains de la Sainte Vierge. » (ibid., p. 39)

ENFIN, LA VIERGE AU GLOBE !

Qui dit Immaculée Conception, dit combat contre le Serpent. La sœur Catherine l’avait vu, dans sa vision du 27 novembre : « un serpent de couleur verdâtre avec des taches jaunes ». Serpent des origines, à qui l’Immaculée écrase la tête, comme il est écrit (Gn 3, 15). L’office liturgique de la Médaille miraculeuse, composé par le cardinal Masella, cite également le chapitre XII de l’Apocalypse : la « Femme » enveloppée du soleil et couronnée d’étoiles, affronte un « énorme Dragon rouge feu », qui s’apprête à dévorer celui qu’Elle met au monde. « 1830, disait Mgr Bauron au Congrès marial de Lyon en 1900, est le premier acte, l’exposition du grand drame où la Sainte Vierge et Satan se disputent la domination de notre pays et des âmes. Que le démon règne en partie sur la France, c’est un fait qui frappe les yeux. Or, Marie veut reprendre possession de son royaume, convertir son peuple et le ramener à Dieu... »

Comment cela ? Par sa médaille. « La médaille miraculeuse, disait un jour notre Père, c’est la victoire de Marie contre Satan, pour venir au secours de tous les pauvres corps et des pauvres âmes qui souffrent. » Et qui souffrent particulièrement de « l’esprit moderne d’impiété et de libéralisme politique et social », ce libéralisme dont la condamnation par le Syllabus en 1864 allait de pair, dans l’esprit du bienheureux Pie IX, avec la proclamation de l’Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge Marie.

Rien n’est plus expressif de ce combat des derniers temps, que la représentation de la Vierge au Globe. C’est pour cela que la voyante eut toutes les peines du monde à l’obtenir. Et après sa mort, quelle histoire pour la placer dans la chapelle de la maison mère, où elle a sa place fort heureusement aujourd’hui ! Les supérieurs durent affronter la Congrégation des Rites à Rome, qui interdit cette représentation.

Cela se passait au début des années 1880, en pleine persécution de la République, alors que le Parlement contestait le maintien des sœurs dans leur ­maison mère de la Rue du Bac et préparait la laïcisation de deux cent trente hôpitaux et hospices, ainsi que de 195 bureaux de bienfaisance tenus par les Filles de la Charité. Le Père Fiat, supérieur général des lazaristes, leur adressa une “ Lettre circulaire ” pour expliquer : « On annonce un concile de la franc-maçonnerie pour l’an prochain. Les Sociétés secrètes sont le grand danger du temps présent, et cela dans le monde entier. N’est-ce pas à la Sainte Vierge qui jusqu’ici a seule, dans le monde entier, donné le coup mortel à toutes les hérésies, qu’est réservée la mission glorieuse de triompher de cette puissance satanique si redoutable, et dès lors n’y a-t-il pas lieu de signaler à l’Église la Vierge sous ce titre de Reine de l’Univers ? » Il fit donc élever un nouvel autel dans la chapelle de la maison mère, surmonté de la Vierge au Globe. Mais l’ordre de l’enlever arriva de Rome, le 22 janvier 1881 : « Que désormais toute image de ce modèle ne soit plus en aucune manière imprimée ou représentée. » (sic !)

Il fallut toute l’insistance de Mgr Thiel, lazariste originaire de Westphalie, devenu évêque de Costa Rica et persécuté par les francs-maçons, pour lever l’interdiction romaine. Et encore, Léon XIII y ajouta cette restriction : « Je permets que cette image soit exposée au culte public dans les églises de la Congrégation de la Mission, des Filles de la Charité et de ton diocèse, mais je ne veux absolument pas qu’on dise dans cette image quoi que ce soit qui renvoie à la révélation qu’aurait eue une Fille de la Charité. » (resic !)

LA SAINTE VIERGE NOUS SAUVERA !

Le corps parfaitement conservé de sainte Catherine Labouré, confidente et messagère de Marie Médiatrice de toutes grâces et Reine de l’Univers, repose aujourd’hui dans la chapelle de la Rue du Bac, au-dessous de la belle statue de la Vierge au Globe sculptée par Maxime Réal del Sarte (voir p. 17).

Comment ne pas se souvenir des confidences qu’elle fit lors de sa dernière visite, en octobre 1876. Contemplant les deux tableaux qui rappelaient le souvenir des apparitions, elle s’esquiva quand elle vit de jeunes sœurs qui soupçonnaient quelque chose s’approcher d’elle. Elle entraîna alors une sœur qu’elle aimait bien à la chapelle, et là, elle lui dit sur un ton plus ferme qu’à l’ordinaire :

« La Sainte Vierge veut absolument un autel à l’endroit où Elle a apparu ; mais Elle veut être représentée offrant le monde au Dieu éternel, Elle a tant prié pour le monde. »

Ici, elle s’arrêta un moment et ses yeux s’illuminèrent ; et regardant le ciel comme quelqu’un qui lit dans l’avenir, elle ajouta :

« Il va arriver de grands malheurs.

– Mais, dis-je, sont-ce les Prussiens qui doivent revenir, ou aurons-nous une autre Commune ?

Alors, les larmes aux yeux, elle répondit :

– Vous verrez, vous verrez... Puis se rapprochant, par trois fois elle me dit :

– Surtout, ne laissez pas sortir nos sœurs ; car les bons seront pris avec les méchants. Cela sera instantané... le sang ruissellera dans les rues. Et après une pause : Un moment, on croira tout perdu ; mais tout sera gagné. Car c’est la Sainte Vierge qui nous sauvera. Oui, quand cette Vierge offrant le monde au Père éternel sera honorée, nous serons sauvés, nous aurons la paix. »

frère Thomas de Notre-Dame du perpétuel secours et du divin Cœur.

Châsse de sainte Catherine Labouré.