Il est ressuscité !
N° 272 – Décembre 2025
Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard
Deus Mariæ
Théologie totale de l’abbé Georges de Nantes (1)
en réponse à la note Mater Populi Fidelis du Dicastère pour la doctrine de la Foi
«OPPORTET haereses esse. Il est opportun qu’il y ait des hérétiques ! » écrivait saint Paul aux Corinthiens. Pourquoi ? « Parce que ça réveille les chrétiens ! Et donc, ça introduit la bagarre, les théologiens se remettent au travail, il y a de la polémique, il y a de la controverse et alors, les catholiques, ça les intéresse ! » disait notre Père le 23 mars 1972, à Marseille.
Aujourd’hui encore, le Vatican publie la note doctrinale Mater Populi Fidelis, injurieuse à Dieu autant qu’outrageante envers la Vierge Marie, dans le dessein de la “ remettre à sa place ”, c’est-à-dire la dernière ! Eh bien ! entrons en lice munis des armes que nous a laissées en héritage notre bien-aimé Père. L’enjeu de cette bataille est la place de la Sainte Vierge entre Dieu et l’humanité, ou, pour mieux dire, selon la théologie relationnelle de notre Père, l’articulation des relations entre Dieu-Trinité, l’Immaculée Conception, et les fils d’Adam et Ève dans le dessein divin.
Mais avant d’aborder le vif de notre sujet, il nous faut récuser fermement toute autorité à ce document. Parce qu’il s’appuie très largement sur des sources que nous, disciples de l’abbé de Nantes, pouvons présumer “ hérétiques, schismatiques et scandaleuses ” : du fait de nombreuses références à Paul VI et au concile Vatican II, à Jean-Paul II, Benoît XVI, François qui servent d’appuis aux affirmations les plus injurieuses pour la Vierge Marie. Benoît XVI et François, en canonisant leurs prédécesseurs, sans les avoir lavés de cette triple accusation d’hérésie, de schisme et de scandale, trois fois lancée en 1973, 1983, 1993, par Georges de Nantes, dans ses trois “ livres d’accusations ”, non seulement ont frappé ces canonisations de nullité, mais encore ont renforcé nos soupçons d’hérésie, de schisme, et de scandale à l’encontre de tous ces Souverains Pontifes. Il conviendrait donc que la Congrégation pour la doctrine de la foi, avant de vouloir faire œuvre théologique à propos de la Sainte Vierge, commence par balayer devant sa porte, elle qui a dans ses dossiers officiels ces trois livres d’accusations demeurés sans réfutation. Donc “ irréfutables ” ? La question reste entière.
En tout cas, le théologien auteur de ces trois livres, qui est passé lui-même au crible du Saint-Office, en est ressorti vainqueur, a travaillé plus de trente ans ensuite, sans cesser de défendre la foi catholique au sein même de l’Église en portant ces accusations terribles d’hérésie, de schisme et de scandale contre Paul VI et Jean-Paul II, qui n’ont pas manqué de chercher à le faire taire par tous les moyens, sans jamais parvenir à le prendre en défaut, jusqu’à aujourd’hui. Ce théologien a pour nom Georges de Nantes, en religion frère Georges de Jésus-Marie, notre bien-aimé Père fondateur.
Or il se trouve que notre Père a fait faire un progrès considérable à la théologie, qui non seulement renvoie les spéculations du cardinal Fernandez au rang de propos non seulement blasphématoires mais désuets, et qui, par-dessus le débat caduc “ minimaliste-maximaliste ” engagé au concile Vatican II, ressaisit toute la tradition de l’Église, depuis les plus grands docteurs jusqu’à la plus humble vieille femme récitant son chapelet, pour mener cette tradition à l’aboutissement merveilleux de la contemplation de notre Bon Dieu Trinité aimant Marie... éternellement !
Rejoignons ce théologien d’avant-garde donnant son cours magistral de “ théologie totale ”, salle de la Mutualité à Paris, d’octobre 1986 à juin 1987. Au commencement de son traité de l’Incarnation, le nœud de sa théologie mariale, il avait annoncé : « La plus belle conférence de ma vie ! »
I. LE DIEU DE MARIE 1
LES MYSTÈRES DE L’INCARNATION ET DE L’IMMACULÉE CONCEPTION
Notre Père enseigne une théologie biblique et mystique où les données de la raison ne sont pas antérieures à celles de notre Foi, mais elles lui sont soumises. La raison travaille au service de l’intelligence de la Foi ; il faut donc commencer par regarder avec les yeux de la foi le mystère qui nous est révélé par l’Écriture et la Tradition. Ainsi la mystique va de l’avant sous la gouverne de la Parole de Dieu, et la raison examine, tache de comprendre docilement, non aveuglément, mais non pas impérialement. Donc, selon l’enseignement de notre Père, c’est la foi qui commande :
C’est ainsi que la mystique nous a introduits en présence de la très Sainte Trinité sans aucun obstacle intellectuel : Dieu est trois Personnes. Tant pis si Aristote et les aristotéliciens ont à objecter ! Pour nous, cela ne fait pas de difficulté. Ce Dieu qui est bien une seule substance, un seul Être, un Dieu unique, ce Dieu est, mystérieusement – nous ne le comprenons pas mais cela nous satisfait beaucoup de le savoir – trois Personnes distinctes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, qui entretiennent un échange mutuel, éternel et nécessaire.
« Avant que le monde fût, Dieu déjà est Père, et il ne peut être Père que si, déjà, il a un Fils de toute éternité. Notre expérience nous enseigne qu’un père n’a d’existence que dans la mesure où il a un fils ou plusieurs. Donc, si Dieu est Père de toute éternité, il faut qu’il soit Père d’un certain Fils qui est son image, sa parole intime, l’expression de tout son mystère. C’est cette paternité qui l’a engagé sur la voie de la création par laquelle Il nous a tous appelés à l’Être, comme des fils d’adoption, à l’image et ressemblance de son Fils unique. »
Petite mise en garde contre la tentation d’anthropomorphisme : « Ce n’est pas parce qu’il y a des pères et des fils sur la terre, que nous prenons l’habitude de dire que Dieu aussi est Père et Fils, faisant Dieu à notre image. Il ne faut pas renverser les rôles : c’est parce que Dieu, dans son mystère éternel, est Père engendrant un Fils semblable à lui et qui lui est égal, que, dans sa création, il a constitué des pères et des fils. Il a voulu que les êtres humains, comme les animaux d’ailleurs, s’engendrent les uns les autres, parce que cela ressemblait à ce qu’Il était lui-même. Il l’a voulu en créant Adam et Ève et toute la suite des générations, pour que, un jour, nous puissions bien comprendre son mystère à Lui.
« Ce n’est pas de l’anthropomorphisme, c’est du théocentrisme, au contraire, ou du “ théomorphisme ”. »
Et voici l’énoncé de la question, objet de son enseignement, qui va nous réjouir et captiver notre attention :
Cette Parole s’est faite chair ; ce Verbe, ce Fils de Dieu s’est incarné. Et probablement, puisque c’est une Parole, si cette Parole a pris une forme humaine, c’est pour nous parler. Demander pourquoi, c’est demander ce qu’elle avait de si difficilement exprimable, et donc de si neuf, qu’elle devait s’incarner pour le dire. C’est une question théologique vraiment classique et elle a pour titre : quel est le motif, la raison de l’Incarnation ?
Notre Père commence par exposer les deux réponses classiques, l’une thomiste, l’autre franciscaine.
RÉSERVE EMBARRASSÉE
DE LA THÉOLOGIE THOMISTE.
La théologie thomiste, très dépendante de la philosophie de ce païen d’Aristote, nous a montré Dieu comme un Acte pur. Dieu est Dieu, fixé, bloqué dans sa transcendance. Il n’a en lui aucune raison d’en sortir ; il n’en sort pas. L’Incarnation est vraiment un mystère incompréhensible tant par sa manière que par son intention profonde, dont nous n’avons aucun indice, aucune préparation, aucun pressentiment dans la nature.
Nous devons donc nous en tenir au Credo : “ propter nos et propter nostram salutem ”. C’est pour nous racheter du péché qu’Il s’est fait homme. Ou plutôt comme disent les théologiens thomistes : une “ nature humaine parfaite ” a été assumée, extasiée en la Personne divine du Fils, de telle manière que cette “ hypostase ” ou “ personne ”, puisse s’immoler comme homme en faveur de ses frères humains, à leur place. Et, en tant que Dieu, le Fils mérite infiniment et répare de condigno (en toute justice) l’injure infinie faite à Dieu le Père par nos premiers parents.
Les théologiens appellent “ satisfaction vicaire ” le fruit de cette rédemption.
Retenons que s’il n’y avait pas eu le péché d’Adam, saint Thomas dirait : “ Je ne vois pas pourquoi le Fils de Dieu s’est fait homme. Il n’y avait aucune nécessité ! C’est pour réparer le péché qu’il s’est fait homme. ”
IMPÉTUOSITÉ IMPRUDENTE
DE LA THÉOLOGIE SCOTISTE.
Pour Duns Scot, il est impensable d’envisager que l’Incarnation, ce merveilleux et suprême couronnement de la nature humaine, ait pu dépendre d’un événement fortuit de notre histoire, et à plus forte raison du péché ! Dieu n’est pas dans le temps : il n’a pas vu d’abord le péché et ensuite remédié à ses conséquences par une décision inattendue d’Incarnation de son Fils.
« L’histoire du monde est à plat sous ses yeux. Il “ est ” dans un éternel présent. Aurait-il d’abord décidé de l’Incarnation comme sommet de l’Histoire et de la Création ? Oui, certainement disent les scotistes, et pas seulement en la justifiant à nos yeux par la prévision de la faute originelle. Alors par quoi ?
« Cet homme-Dieu, ce Dieu fait homme, est le plus beau de tous les hommes, un Dieu si bon qui se fait homme semblable à nous, c’est tellement beau, c’est une valeur tellement merveilleuse, c’est un tel couronnement de l’histoire humaine que, même s’il n’y avait pas eu de péché, bien entendu, Dieu n’aurait pas renoncé à ce plaisir, à cette joie, à cette gloire de se faire homme. »
Mais, remarquait notre Père, « ici les scotistes font du platonisme, de l’esthétisme. Leur admiration de la Personne merveilleuse de l’Homme-Dieu garde quelque chose de formel, platonicien, abstrait, esthétique, qui isole le Verbe incarné, et de Dieu son Père, et des hommes ses frères. En faisant de Lui une totalité non plus envoyée mais “ subsistante ”, non plus efficiente mais finale, cette école scotiste retombe dans une théologie substantialiste glaciale, où la contemplation sépare au lieu d’unir.
« La preuve en est, expliquait notre Père, cette sorte d’éloge prononcé par tant de Pères et de théologiens (platoniciens) dans la nuit de Noël, célébrant dans le Christ-enfant les noces de l’humanité et de la divinité, dont ils détaillent avec transport le baiser nuptial : cet embrassement de deux “ natures ”, la nature divine avec la nature humaine dedans Jésus. Cette théorie aboutit finalement à faire de la Personne de Jésus un couple humano-divin, et de la Vierge Marie une simple chambre nuptiale au-dedans de laquelle se célèbre un merveilleux amour... auquel nul humain, pas même la Vierge Marie, n’a de part ! Inutile de frapper, de tâcher d’écouter, de voir... seulement chacun par la grâce y aura quelque participation analogique, en soi. »
Alors, pour nous en tout cas, c’est fermé ! Eh bien non ! Car notre Père ouvre une voie nouvelle :
LA RAISON ÉTERNELLE
DE L’INCARNATION DU VERBE.
« Dieu a créé le monde pour les Anges et les hommes. Cela posé, pourquoi a-t-il envoyé son Fils sur la terre ? Pour quelle nécessité ? Quelle “ raison ” ? Pour révéler aux hommes son dessein de grâce ? Pour faire alliance avec eux ? Oui, et bien plus, pour les sauver.
Et voici la réponse de notre Père : « Nous choisissons la solution des scotistes. Saint Thomas ne leur est pas absolument opposé, mais disons, pour faire court : Dieu avait le projet, dès la création, de nous envoyer son Fils unique sous cette forme humaine. Donc, l’Incarnation devait avoir lieu dans le premier dessein de Dieu. Ce n’est pas le péché qui a entraîné cette décision après coup. »
Notre Père pose alors la vraie question : « Il y a certainement une raison intrinsèque, c’est-à-dire que l’Incarnation est en relation avec tout ce que nous savons de la condition humaine, de telle manière que si nous pouvons pressentir, en voyant notre engendrement de père à fils, que Dieu est comme un Père, et de là, deviner, avant même que cela nous soit révélé, que Dieu est Père d’un Fils dans l’éternité, en regardant un peu mieux comment le monde est fait, comment l’homme a été créé, nous allons deviner pourquoi le Christ s’est incarné. Nous allons avoir des pressentiments de l’Incarnation avant même qu’elle soit annoncée.
« Adam a été créé comme fils de Dieu. Mais si nous continuons à observer l’œuvre de création, nous voyons que, aussitôt Adam créé, de son flanc, de ses côtes, Dieu créa Ève. Et donc, la distinction des sexes est tout à fait primordiale dans la création. “ Il les fit homme et femme ” et, ajoute la Bible, “ à sa ressemblance, il les créa. ” (Gn 1, 27)
« Quand la Parole de Dieu s’est faite chair, “ Parole ” en grec est un terme féminin, comme en français ; saint Jean l’a changé en λóyoς, “ Verbe ”, un mot masculin. En effet, la Parole de Dieu, le Fils de Dieu, le Verbe s’est fait chair en se faisant homme.
« Mais pour obéir à son Père et être toujours sa Parole vivante et vraie, Jésus a voulu naître de la Vierge Marie, la “ Femme ” comme Il l’interpellera à deux reprises : à Cana, où il anticipe son “ Heure ”, sur la demande de sa Mère, au début de sa vie publique qui le conduira à l’accomplissement de cette “ Heure ” au Calvaire, sur la Croix (Jn 2, 4 et 19, 26).
Elle, Vierge, Lui, sans père humain, forment le nouveau couple en lequel est personnifiée à jamais et suprêmement la totalité de l’amour ; oui, l’Adam et l’Ève de la plénitude des temps, de la Nouvelle et Éternelle Alliance, ce sont Jésus, l’Homme-Dieu, et Marie, la Femme-créature à nulle autre pareille. Le parallèle s’impose également à saint Bernard, de Jésus et de Marie avec Adam et Ève.
« Et s’est nouée une alliance qui n’est pas une union conjugale de type habituel, mais enfin c’est l’union sans pareille de cette Femme à l’Homme qui s’est enfermé dans son sein virginal. Il n’était pas seulement son fils selon la chair, Il était son Créateur, son Maître, dans la plénitude de sa Personne de Fils de Dieu dans le sein de cette Vierge. Il se faisait là une union incomparable que d’ailleurs le prophète Jérémie avait prophétisée : “ Une femme entourera l’homme ” (Jr 31, 22). Tous les Pères de l’Église ont compris que cette formule était une prophétie de la conception virginale du Messie.
« Ce couple qui paraît, aux yeux de notre expérience naturelle, le couple de la mère avec son enfant, est beaucoup plus mystérieux, fait éclater tous ces cadres. C’est la femme parfaite, la créature à nulle autre pareille, à laquelle Dieu s’unit d’une manière à nulle autre pareille, en puisant sa chair, son existence même, de l’existence de cette femme. La première vision que nous en avons donc est celle de deux personnes en une seule chair. Ce qui est la définition même du mariage selon la Bible : “ Ils seront deux en une seule chair ” (Gn 2, 24).
« C’en est à ce point que certains Pères et docteurs de l’Église, comme saint Léon le Grand (391-461) ou encore saint Bède le Vénérable († 735), déclarent Jésus “ consubstantiel à Marie ” en même temps que “ consubstantiel au Père ”. Ils prennent ce mot qui est tellement fort pour qualifier l’étroitesse de l’union d’un Fils à son Père qui est divin, et à sa “ Divine Mère ”. Il ne fait qu’un avec son Père, et voilà qu’en se faisant homme, il ne fait qu’un avec sa Mère. »
Et notre Père va maintenant effectuer le renversement de perspective qui va lui permettre de répondre à la question posée :
« Au premier temps du monde, avant même que le monde soit, comme écrit saint Paul aux Colossiens, Dieu a pensé son Fils comme Premier-né de toutes les créatures (Col 1, 15), de telle sorte que Jésus est le vrai prototype, et Adam sa réplique, oh combien inférieure ! C’est-à-dire que, avant même le péché, avant même la création d’Adam et Ève, Dieu a conçu son Fils, le Verbe, comme homme. Et il a conçu, de manière analogue mais non pas identique, comme la plus belle de toutes les créatures, le résumé de toute la création, la perfection de toute la création, en face de son Fils, la Vierge Marie, la femme parfaite. Au vingtième siècle, saint Maximilien-Marie Kolbe a donné une parfaite explication de l’Immaculée Conception, en disant : ce nom ne veut pas seulement dire que la Vierge Marie est née sans le péché originel, mais que la Vierge Marie est la Conception première, l’être premier conçu par Dieu pour être la réplique et la compagne parfaite de son Fils fait homme.
« Si donc le Fils de Dieu se fit homme, s’il fit une seule chair avec la Femme bénie entre toutes, c’est que cette union répondait à l’intention tout à fait première et essentielle de son Incarnation...
« Le Christ, étant Fils de Dieu fait homme, était mû par cette attraction d’amour, à épouser cette Vierge parfaite, et l’épouser selon cette manière absolument incomparable de se faire homme dans son sein, dans une union, une unité qui n’a jamais eu d’équivalent.
« C’est le renversement des rôles, des causes efficientes, pour retrouver l’ordre supérieur des fins. Ce n’est pas parce qu’il y avait Adam et Ève qui sont homme et femme, qu’on a inventé une religion où le Sauveur est homme ayant une femme comme parèdre, comme compagne : la Vierge Marie. C’est parce que Dieu voulait l’union du Christ et de la Vierge qu’il a d’abord commencé par créer la figure imparfaite de cette union en Adam et Ève, de cela qui viendrait plus tard. S’il y a homme et femme dans l’humanité, c’est pour en arriver à ce chef-d’œuvre que Dieu avait conçu de tous les temps.
DE L’UNION SANS ÉGALE
DU CHRIST ET DE LA VIERGE.
« Ne nous laissons pas aller au naturalisme le plus plat, le plus superficiel, en réduisant ce couple à celui d’une mère et de son enfant dans son sein, puis de son bébé à sa mamelle, puis de son petit garçon apprenant tout d’elle, et plus tard même de son grand fils. C’est vrai, il est son Fils aimant et dévoué, il l’a toujours été, et il l’est même encore dans le Ciel, et elle est sa Mère.
« Dépassons maintenant ce naturalisme : Lui, est le Fils de Dieu, le Créateur qui était avant tous les siècles, le Tout-Puissant. Cet Enfant dans le sein de sa Mère, cet Enfant qui boit le lait de sa mamelle, il n’empêche que c’est son Créateur. Les hymnes de la liturgie nous le chantent toujours avec ravissement : “ C’est votre Enfant et c’est votre Créateur ” :
Ô la plus glorieuse des vierges,
Élevée au-dessus des astres,
Vous nourrissez du lait de votre sein
Celui qui vous a créée, devenu petit enfant.
(Hymne des Laudes des fêtes de la Sainte Vierge).
Il y a tout de même quelque chose qui nous oblige à renverser les perspectives. C’est Lui qui est le Premier, le Maître. C’est le Puissant et Elle est la Fille de Dieu. C’est une simple créature, toute soumise et obéissante à lui, et même en attente de sa grâce. C’est Lui qui lui donne l’être, la vie, le mouvement et qui lui donne la grâce en venant en elle. C’est Lui qui demande à venir en elle et qui vient. C’est Lui le Chef et l’Homme, et elle l’humble servante qui se prête à ses œuvres, à son service.
« Ces rapports sont beaucoup plus profonds, plus primordiaux que ceux que je viens de dire, même si elle est sa mère dans le moment de l’histoire où elle l’enfante, elle est conçue de toute éternité, avant la révolte des Anges, l’Immaculée, sa servante, sa créature, son épouse. Cette habitation de Lui en elle est la réplique sainte et toute virginale de l’habitation de l’époux en son épouse. L’intimité est le modèle de celle de l’homme pour la femme aimée, plus profonde, plus intime, dans un échange d’amour plus parfait, où l’on ne sait, de l’un ou de l’autre, qui donne le plus et qui reçoit. C’est tout de même Lui le Maître, et elle la toute dévouée à ses désirs.
« Voilà pourquoi – les œuvres de l’amour conjugal merveilleusement écartées de la vue, de l’imagination par le fait même de cette maternité virginale – quand le Christ atteint son âge et sa taille adultes, et la plénitude de sa Majesté, il est bien établi pour l’éternité le Nouvel Adam, Chef de son Église, tandis que la Vierge Marie est bien la Nouvelle Ève, unie à Lui dans les liens des épousailles mystiques, où ils connaissent cœur à cœur une union spirituelle englobant la totalité de leurs deux êtres, au point de ne faire, selon l’ultime développement de la spiritualité catholique, depuis saint Jean-Eudes jusqu’à nos jours, “ qu’un seul Cœur ” : deux êtres ne faisant plus qu’un seul Cœur, dont l’un est le Fils de Dieu jouissant de sa pleine humanité pour consommer cette union, et l’autre est une créature, dont le sexe symbolise exactement la manière dont il lui est donné d’accéder à la divinité pour s’y unir et égaler.
« Tous les amours d’Adam et Ève préparent la révélation de cette merveille, et cette merveille révèle le mariage mystique offert par Dieu à toute créature. »
LA FIN ULTIME DE L’HUMANITÉ AINSI DÉCLARÉE.
« Si Dieu a créé la différence des sexes entre Adam et Ève, c’est pour que nous ayons quelque expérience de cette course d’amour, de cette attraction mutuelle, et que, à partir de cela, nous puissions comprendre ce qu’il veut de nous.
« Il nous a donné le modèle parfait de son Fils se faisant une humanité individuelle – Jésus de Nazareth – et concevant de l’humanité une représentation individuelle, toute personnelle : Marie de Nazareth. Entre Jésus et Marie de Nazareth, un amour fou ! Et pourquoi donc ?
« Alors, pourquoi cet amour entre le Christ et la Vierge ? Parce qu’il est le concentré, le résumé, le début de tout ce que doit être le genre humain, et nous nous acheminons vers la grande réponse : pourquoi le fils de Dieu s’est-il incarné ? Pour nous montrer, à chacun d’entre nous et à tous, qu’il voulait établir entre lui et nous les rapports conjugaux d’une union mystique entre Lui comme l’homme, le Maître, le Docteur, le Tout-Puissant, et nous comme étant son épouse. Voilà pourquoi tous les mystiques, à travers les temps, ont employé le langage mystique, qu’ils soient homme ou femme. En face de Dieu, nous sommes tous comme une femme en attente de l’amour de son époux. »
« La réponse chrétienne est pour nous trop claire : Dieu a fait l’homme à son image, image de son Image, comme son Fils dans le Fils, et Il lui a associé une compagne, la Femme qui lui serait comme une image de la création. L’homme serait alors chargé de dire le Créateur. Et viendrait le jour où le Créateur lui-même se dirait parfaitement, quand sa Parole se ferait homme. La femme serait chargée de tenir le rôle de la créature en la femme bénie entre toutes les femmes, la Vierge Marie. Alors, la fin, le but de la création du monde paraîtrait.
« De génération en génération, l’homme et la femme se chercheraient, s’aimeraient, s’uniraient de mille et mille manières, toujours identiques dans leur fond, et cependant diverses. Eh bien ! le jour viendrait où l’Homme parfait synthétiserait toutes ces expériences et les ramènerait à son mystère : Lui-même venu en ce monde a aimé l’Humanité comme son épouse. Toutes ses créatures, il les rassemblerait comme en une seule femme, comme le grand meneur de foule fait de cette foule comme un seul être, il les rassemble tous dans une sorte d’amour, Cardonnel a dit cela en termes inoubliables. C’est vrai, l’humanité devient comme un seul corps pour ce Chef, cet Époux qui la prend tout ensemble, toutes les créatures en une seule, comme l’Église à l’image d’une seule, la Vierge Marie. Et cette union terrestre serait la promesse et la figure de l’indicible union de la créature et de son Créateur, but dernier de toute la création, Plérôme de Vie éternelle. »
Notre Père appuyait sa démonstration sur l’autorité de saint Jean de la Croix, docteur de l’Église :
La Vierge Marie est ce que Dieu a conçu dans sa Sainteté, à l’origine des siècles. C’est à Elle qu’Il a pensé d’abord, avant Adam et Ève, avant la suite des générations, avant l’Ancien et le Nouveau Testament, avant même l’Incarnation de Jésus-Christ, son Fils. C’est Elle, le premier projet de Dieu, Père et Fils, dans leur Esprit-Saint et de toute éternité.
C’est ce que je voudrais vous faire comprendre, en m’aidant de ce Romancero de saint Jean de la Croix que nous avons tant médité ces temps-ci, car il y a une parole qui évoque ce premier mystère, ce premier jaillissement, cette première conception, c’est-à-dire cette première imagination, cette première idée jaillie du sein du Père, dont Il entretient son Fils, le Verbe de Dieu, dans une sorte d’inflammation d’amour en leur Esprit-Saint.
Lorsque, dans ces entretiens savoureux que le Père ne cesse d’avoir avec son Fils de toute éternité, saint Jean de la Croix fait parler ce Père pour son Fils chéri, un beau jour – si l’on ose dire, parlant de ce qui se passe dans l’éternité – le Père tient au Fils ce langage :
Une épouse qui T’aime, mon Fils, J’aimerais Te donner,
Qui, grâce à Toi, vivre avec Nous puisse mériter,
Et manger à la même table du même pain dont Je Me nourris,
Pour qu’elle connaisse les biens que J’ai en un tel Fils,
Et que, de ta grâce et de ta vigueur, avec Moi elle s’éjouisse.
Je T’en rends grâces, ô Père, le Fils Lui répondait.
À l’épouse que Tu Me donneras, la mienne clarté Je donnerai,
Pour qu’elle puisse voir tout le prix de mon Père,
Et comment l’être que Je possède, de son être Je l’ai hérité.
Sur mon bras Je la pencherai : de ton amour elle s’embrasera entière,
Et en éternel délice elle exaltera ta bonté.
Comme cela, dans l’éternité des éternités ! Et l’on ne peut pas dire que le Fils s’ennuyait un peu, comme il arrive à des fils uniques dans les familles, qui s’ennuient un peu avec leurs chers parents. Ce n’est pas dire que le Fils s’ennuyait dans le sein du Père. Un peu plus haut, saint Jean de la Croix nous avait parlé du bonheur extrême, du bonheur infini que le Fils trouvait dans le sein du Père.
Et je dis : le Fils, dans le sein du Père, était dans une paix parfaite sans aucun désir, sans aucun trouble, parce qu’il était la parole même, subsistante et parfaite de la Sagesse du Père. Quand il y a une parfaite entente entre deux êtres parfaits et saints, la paix est totale et ne demande rien d’autre. Le Fils et le Père étaient aussi dans la joie à cause de leur amour mutuel, et cet Amour, porté à son comble, était leur Esprit-Saint et cette troisième Personne, témoin, resplendissement de leur Amour mutuel, achevait cette béatitude, cette allégresse, cette joie parfaite qui ne fait rien désirer d’autre. Le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne désiraient rien d’autre que cette vie infiniment parfaite, sainte, heureuse et glorieuse de leur éternité.
Alors ? Alors, c’est inexplicable, comme ce qui est jailli du cœur, comme ce qui est une initiative d’amour ! « Tenez ! Si nous faisions aujourd’hui telle chose ! » Voilà ce qui pose déjà la Vierge Marie dans sa grotte de Lourdes, ce qui la pose dans l’existence, dans la gloire du Ciel comme un être de pure grâce, comme un pur don d’amour du Père à son Fils.
Pourquoi une épouse ? Qu’est-ce que cela, une épouse, pour un Dieu qui est Esprit pur ? C’est là que nous surprenons – je vais dire des choses ! Dans notre langage humain, il faut bien que nous prenions des expressions inadéquates, imparfaites ! – l’imagination créatrice de Dieu. Il voulait quelqu’un qui puisse être un témoin de la surabondance de leur Être, de leur joie, de leur gloire, de leur perfection, de leur Amour. Il pense à une épouse.
Il n’a pas voulu d’un esprit pur, Lui qui est Esprit pur, Père, Fils et Saint-Esprit. Il n’a pas voulu d’un esprit pur, c’est-à-dire de ce que nous appelons les anges, d’un ange, trop parfait, trop semblable à Lui. Tout l’Ancien Testament nous dit, en particulier les psaumes que nous chantons sans cesse, que Dieu aime la petitesse, Dieu aime ce qui est pauvre. Son regard, pour ainsi dire, s’abaisse avec d’autant plus d’amour que l’être est différent de Lui. Il manifeste mieux sa miséricorde et sa tendresse quand Il va chercher un être plus pauvre, ces anâwîm de l’Ancien Testament, ce pauvre, cet humble, un être fragile, qu’Il hisse jusqu’à sa joue, pour parler comme le prophète Osée.
Alors, non, il y aura des anges, mais les anges eux-mêmes seront forcés de s’incliner devant cette créature. Alors, un homme ? Un homme puisqu’il y a homme et femme et que l’homme est le chef de la femme, qu’il est l’autorité dans la famille et sur les enfants, non ! Non, l’homme, c’est l’intelligence, la force, la gloire dans la famille, c’est le prince, le chef, le roi. Quand il veut bien s’instruire, c’est le disciple du maître, mais c’est encore trop de fierté, de vigueur, de force. L’homme est une image du Fils, mais cela ne convient pas à Dieu.
Non, Il estime devoir créer un être qui lui doive tout, qui porte la marque de cette fragilité, disons le mot de saint Thomas : de cette passivité, car la créature, dans notre français, c’est bien un féminin. Dieu invente une femme, une épouse, afin qu’elle Lui doive tout, afin que toute sa nature la porte vers Lui dans un immense mouvement d’accueil, de tendresse, de chaleur. Lui, c’est l’Acte pur, c’est la perfection de la puissance, de la force et de la sagesse.
Je donnerai à mon Fils un être qui sera tout humble, toute douceur, toute générosité, toute tendresse. Elle sera sa servante et Lui, dans sa grâce, l’élèvera jusqu’à faire d’elle son épouse. Ainsi, la conception de Dieu se précisait dans un instant et aussi bien dans son éternité.
Alors, Il s’est appliqué à la former dans sa pensée éternelle, c’est-à-dire à la dire dans son Verbe, dans la Parole qu’est le Verbe. Il lui a donné un contour, Il lui a donné une nature, ce que nous appelons un Nom. L’hébreu nous dit que le nom d’une personne, c’est sa nature, son secret, sa vocation, sa mission, son caractère, son personnage.
Il lui a donné pour nom : “ Immaculée Conception ”.
Un esprit intelligent, un être spirituel, certes ! Intelligent, oui, mais ce n’est pas pour son intelligence que Dieu l’a désirée. Pour ce qui est de l’intelligence, le Fils était là. Et encore, Il ne voulait pas que cet être qu’Il créerait soit une sorte de disciple tout à la ressemblance du Maître. Non, ce n’est pas pour l’intelligence de la Vierge Marie qu’Il l’a créée. Bien sûr, Elle sera le siège de la Sagesse, mais ce n’est pas cela.
Pour ce corps ? Pour ce corps virginal que tant et tant d’artistes ont cherché à peindre ? Ce visage de femme si beau, si attirant, avec toute sa pureté immaculée ? Non ! Dieu, qui est Esprit pur, n’a pas besoin de la beauté corporelle. Ces épousailles que le Père prépare pour son Fils ne sont évidemment d’aucune manière charnelles. Donc, ce n’est pas pour ce corps féminin si beau, si pur, si édifiant soit-il, si émouvant soit-il pour nos cœurs, que Dieu a créé Marie.
Cela nous est utile à savoir, parce que lorsque nous contemplons la Sainte Vierge, ce n’est pas tellement à son intelligence que nous devons porter notre attention et notre vénération, ce n’est pas à son corps non plus.
À quoi donc ? Au cœur. Il a voulu un cœur. Quand Il a fait cette proposition à son Fils : « Une épouse qui t’aime, mon Fils, j’aimerais te donner », c’est le cœur de la femme, c’est le Cœur Immaculé de Marie. Ce qui va la caractériser, ce qui va être toute son œuvre, toute son application, c’est d’aimer.
Certes, Il lui a donné un contour humain et une chair, un corps très saint, très virginal, mais cette chair n’est que, pour ainsi dire, la substance de ce Cœur, le coffret dans lequel Dieu poserait ce Cœur Immaculé. Ce Cœur lui-même va devenir le sanctuaire de l’Amour et l’Amour dans la très Sainte Trinité, c’est l’Esprit-Saint. C’est, pour ainsi dire, de la part du Père donnant cette épouse à son Fils, donner au Saint-Esprit comme un Temple, un Sanctuaire, une Amphore translucide. Dans la Vierge Marie devenue l’épouse de son Fils, ce Cœur bat d’un rythme divin et le langage de ce Cœur, c’est l’amour qu’est le Saint-Esprit.
Voilà comment la première création est faite. Et la Vierge Marie, conçue dans la pensée éternelle du Père et donnée en cadeau à son Fils, commencera dès cette époque à vivre dans la pensée de Dieu. À quoi s’occupera-t-Elle durant le temps et l’éternité ? Ah ! Quelle révélation mystique qui nous est presque difficile à aborder !
Il est dit : « Qui, grâce à toi, vivre avec nous puisse mériter et manger à la même table du même pain dont je me nourris. » La Vierge, tout amour, va pour ainsi dire manger le Verbe, c’est l’Eucharistie. Mais auparavant, Elle va se nourrir de la présence en Elle de l’Enfant Jésus. Il va y avoir une sorte d’habitation mutuelle du Fils de Dieu en son épouse et de son épouse dans le Fils de Dieu, cette manducation que Marie Noël a chantée dans des termes si profonds, et aussi Charles Maurras, cette manducation qui est l’œuvre de l’amour, que symbolise et que nous donne et réalise en même temps si mystiquement l’Eucharistie.
Et voilà ce que Dieu a voulu, ce que Dieu a conçu. Et lorsque nous disons “ la Conception Immaculée ”, la Conception sans tache, mais aussi la Conception très sainte, la Conception infiniment parfaite, la Conception digne de Dieu, nous disons “ conception ” pour éviter deux mots :
L’un, propre aux théologiens, qui s’appelle “ la procession ” et disons, pour ce qui est du Verbe, “ la génération ”. Le Verbe a été engendré, Il est sorti du Père. Nous employons des mots humains. Le Verbe est sorti du Père mais, dans l’identité de nature, le Verbe est Dieu comme le Père. En ce sens, nous ne pouvons pas dire que Dieu ait engendré la Vierge, Elle serait Dieu elle-même. Alors, ne disons pas “ engendrement ”, mais nous voyons très bien que la sainte Église, divinement inspirée, le Père Kolbe l’a bien compris, la sainte Église a trouvé que “ création ” était insuffisant, parce que nous sommes tous créés et les animaux aussi sont créés, la matière universelle aussi est créée, fabriquée, tirée du néant. C’est trop différent.
Ce mot de “ conception ” dit parfaitement ce qu’il veut dire. Saint Thomas s’en sert pour expliquer ce qu’a été l’engendrement du Verbe par le Père, parce que c’est une procession, c’est l’apparition d’une Personne comme dans le sein de la première Personne de la Sainte Trinité. Alors, c’est vrai que le Verbe procède du Père comme une idée est conçue dans notre esprit, dit saint Thomas. Seulement, quand le Père a ainsi conçu son Fils, Il l’a ainsi conçu en lui donnant la totalité de sa perfection, de son intelligence, de sa sagesse. Nous, quand nous concevons une idée, c’est un petit quelque chose qui n’a pas beaucoup de rapport avec la richesse de notre intelligence, de notre totalité.
Dans la Vierge Marie, cette conception est sans égale. Certes, Dieu n’a pas donné sa Divinité à la Vierge. C’est une créature tirée du néant, mais Il a résumé en Elle son plan de grâce. Nous sommes tous contenus dans cette Mère. L’épouse du Verbe, dès la conception que le Père en a exprimée, résume toute la création, Elle est antérieure au Nouveau Testament. Le Nouveau Testament lui-même est antérieur à l’Ancien Testament, c’est le grand bouleversement de notre chronologie habituelle.
Ce ne sont pas Adam et Ève qui ont été au commencement. Ce n’est même pas Jésus-Christ naissant dans la crèche pour aller mourir sur la Croix qui est au commencement. « In principio erat Verbum », saint Jean de la Croix nous le dit au poème précédent, au commencement et avant les siècles et avant le principe, il y avait le Verbe qui était dans le sein de Dieu et leur commun amour qui en était le resplendissement. Mais quand il a été question de créer l’univers, dans ce mystère absolument enivrant, vertigineux de notre création, du fait que nous existions, que nous puissions être à côté de Dieu, nous qui sommes du néant, dans ce projet incompréhensible aux anges et aux hommes, quelqu’un a ouvert le chemin, c’est la Vierge Marie.
C’est prodigieux ! C’est parce que Dieu a inventé la Vierge Marie pour la donner à son Fils en épouse qu’Il a créé l’homme et la femme, qu’Il a créé la différence des sexes. C’est parce qu’Il voulait donner à la Vierge Marie, son épouse, l’épouse de son Fils, une grande fécondité, qu’Il a inventé cette succession des générations, cette succession de la chair et du sang qui, parfois, nous étonne. Ce n’est que la figure de ce qu’Il voulait nous manifester : que la Vierge Marie, qui est parfaitement Vierge, étant épouse de son Fils, est la Mère de tous les vivants, Reine du monde et des étoiles.
Lorsque Jésus s’incarnera, la première raison, si l’on peut dire, de cette Incarnation, si je suis saint Jean de la Croix, ce n’est pas le péché originel, ce n’est pas le péché des hommes qu’il fallait racheter. Ce n’est pas, comme disent Teilhard de Chardin et les autres, pour donner un couronnement à l’univers. Ah ! Que Dieu dans ses amours a de secrets inexprimables ! C’est parce que, ayant conçu la Vierge Marie comme cela, telle que nous la connaissons, Il a voulu lui donner un Époux semblable à Elle. Et donc, dans son immense Amour, le Verbe prendrait une chair pour lui devenir comme semblable, comme égal.
Écoutez bien cela ! Son amour le poussant à prendre une nature humaine pour être homme et vraiment par rapport à Elle comme Adam par rapport à Ève et ainsi, être le symbole de l’union du Christ et de l’Église, il a eu cette dernière invention, ne voulant pas être au-dessus d’Elle, de se faire son enfant ! Et son enfant étant son Créateur, la Vierge Marie est tout à la fois en face de Lui en position de supériorité parce qu’Elle est sa Mère et en position d’infériorité comme sa petite servante, parce qu’elle est quand même sa créature et rachetée par Lui sur la Croix.
Un peu plus d’autorité, un peu moins d’autorité, Elle est dans le Ciel son épouse parfaite, c’est-à-dire parfaitement proportionnée. L’amour de Dieu a fait cette égalité à partir de la faiblesse et de l’humilité. Il l’a haussée jusqu’à Lui, Il l’a même haussée plus haut que Lui, j’entends le Fils. Elle est à la hauteur du Père ; Elle est la Mère de Celui dont Dieu est le Père. Et c’est ainsi qu’Elle mérite d’être chantée par le Cantique des cantiques et toute la liturgie de l’Église, comme Sponsa Verbi, l’épouse du Verbe, en laquelle, encore une fois, se résume toute la création, toute l’Église où sont présentes toutes les saintes âmes (L’Année liturgique 1984-1985, sermon pour la fête de l’Immaculée Conception, 8 décembre 1984).
« Pour qu’elle connaisse les biens que j’ai en un tel Fils. » “ Je suis, dit le Père, tellement dans l’admiration de mon Fils que je voudrais que quelqu’un comprenne qui est mon Fils et se nourrisse de Lui, et qu’il comprenne la beauté, la perfection de mon Fils. Je serais très récréé de partager mon bonheur avec cette créature-là ! ” Donc, le Père ne sera pas du tout jaloux de l’épouse qu’il donnera à son Fils, mais au contraire, il sera heureux que l’épouse connaisse son Fils et l’apprécie autant que Lui :
« Et que de ta grâce et de ta vigueur avec moi elle s’éjouisse. » Ta grâce et ta vigueur, c’est-à-dire ta Toute-Puissance. Ce sera la puissance virile pour le Christ, dans l’Église et auprès de Marie. Et le Père se réjouira que sa Toute-Puissance éclate d’un air martial, d’un air humain aux yeux de la créature.
Réponse du Fils : « Je t’en rends grâce, ô Père, le Fils lui répondait. À l’épouse que Tu Me donneras, la mienne clarté Je donnerai. » C’est-à-dire que je la nourrirai de ma lumière. Je suis lumière de la Lumière, Lumen de Lumine, Deum de Deo, nous le disons dans le grand Credo. Il est le Créateur ; dans le Créateur, il est la lumière de la Lumière, le vrai Dieu du vrai Dieu, il donnera sa Divinité à son épouse, car dans l’union conjugale, on donne tout ce qu’on a, et s’il y a une inégalité, que Dieu a voulue – que les féministes ne veulent pas, parce qu’ils sont de Satan –, l’homme donne à la femme. Celui qui a donné à celle qui n’a pas, mais, comme dit saint Thomas, le but de l’amour est d’amener à l’égalité. Donc, on donnera si bien de ce qu’on a que l’autre, finalement, nous deviendra semblable. Le vrai, c’est que le Christ a donné tout son être à Celle qu’Il a aimée et finalement, dans le Ciel, la Vierge Marie est à égalité avec Lui.
L’amour a atteint cette merveille, qu’Elle est lumineuse, Elle est glorieuse à l’égal de son Fils, Elle est couronnée avec Lui dans le Ciel. C’est le Fils qui a obéi ainsi au commandement de son Père en l’aimant au point de lui donner tout ce qu’il a, tout ce qu’il est en partage, « pour qu’elle puisse voir tout le prix de mon Père ». C’est merveilleux cela ! Pour que, attirée ainsi dans l’union du Fils, ne faisant plus qu’un seul Cœur avec Lui, elle devienne Fille du Père, elle participe à l’admiration et connaissance que le Fils a du Père, le Père que nul n’a jamais vu.
« Et comment l’être que Je possède, de son être Je l’ai hérité. » Et ainsi, en aimant Jésus-Christ, la Vierge admire le Père, commence à connaître le Père dont Jésus est l’image, et finalement elle rend grâces à Dieu de l’existence de Jésus-Christ, son Fils et son Époux, parce qu’elle sait bien qu’Il n’existe que comme Fils de Dieu. Et donc, notre amour aboutit à une union filiale, mais par le truchement, par la médiation de notre Époux, l’union filiale avec Lui à Dieu le Père, qui est la source et l’origine de tout bien.
« Sur mon bras Je la pencherai : de ton amour elle s’embrasera entière, et en éternel délice elle exaltera ta bonté. » Allusion au Cantique des cantiques : « Quelle est celle-ci qui monte, appuyée sur son Bien-Aimé ? » (Ct 8, 5) C’est le triomphe de l’amour conjugal lorsque, appuyée au bras de Celui qu’elle aime, en pleine assurance, Elle marche vers le Temple où est le Trône de Dieu.
La Vierge Marie a déjà parcouru toute cette carrière, et finalement, appuyée au bras de son Bien-Aimé, Elle est montée dans le Ciel, son amour s’est embrasé. La Vierge Marie est certainement morte d’amour ou elle s’est endormie, selon les théologiens grecs, c’est la “ dormition ” de la Vierge. Son corps s’est endormi, son âme en extase s’est détachée doucement de son corps, et le corps a suivi, ne pouvant pas en être divisé, et ainsi embrasée d’amour, elle a connu les éternelles délices de la bonté divine, elle a pénétré dans le sein du Père où elle est avec son Fils pour l’éternité.
Ce vers quoi nous tendons, c’est cela même que la Vierge Marie a déjà accompli. Et maintenant si nous voulons savoir ce qu’est la fin de notre religion, ce qu’on appelle le “ Royaume de Dieu ”, quel est le bonheur qui nous est promis, ce n’est pas tout de dire que nous connaîtrons la substance de Dieu, l’Acte pur et que cela sera notre joie, mais nous dirons que c’est le Face à face, comme dit saint Paul. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Si c’est un Face à face purement spirituel entre des essences que nous ne connaissons pas ? Si c’est le Face à face des époux, cela nous parle. C’est à cela que nous sommes appelés : à connaître avec Dieu une union du même type que l’union que l’homme et la femme désirent et poursuivent sans cesse en recherchant toujours une perfection plus grande tout au long de leur vie. Ce vers quoi nous marchons tous ensemble comme un seul Corps mystique, c’est l’embrassement du Christ, notre Époux, afin, en lui, de connaître la plénitude de Dieu son Père qui nous l’a donné pour Époux, afin que nous soyons ses fils durant l’éternité.
Ainsi, l’Incarnation devait être à mi-chemin de la création terrestre de l’humanité et de son union céleste au Verbe dans le sein du Père pour l’éternité.
Évidemment, tout cela ne va pas tout seul. Vous direz que c’est utopique. Le diable, l’adversaire de Dieu, s’est bien sûr opposé dès le début à ce merveilleux dessein. Il pensait avoir réussi. Mais notre Époux, nous voyant perdus dans les adultères et la prostitution, s’est fait notre Sauveur, notre Rédempteur. Tout seul ? Ce serait oublier ce que passe quasi sous silence la note du Dicastère pour la doctrine de la Foi : auprès de Lui, il y a de toute éternité l’Immaculée Conception, donnée par le Père à son Fils pour être son épouse dans la perfection de cette relation. C’est tout le mérite de la théologie totale, relationnelle, de notre Père, de le mettre en lumière.
À L’ECOLE DES PÈRES DE L’ÉGLISE.
Saint Pierre Chrysologue, docteur de l’Église, évêque de Ravenne au Ve siècle, nous offre ce petit kérygme, qui confirme ce que disait notre Père dans sa théologie totale, répondant d’avance au cardinal Fernandez et... à la CEF : la Vierge Marie est l’Épouse du Verbe incarné.
Voici un extrait de son sermon n° 140, sur l’Annonciation :
« “ L’ange fut envoyé à une vierge promise en mariage à un homme. ” Dieu envoie à une vierge un requérant ailé. En effet, il donne les gages et reçoit la dot, celui qui apporte la grâce ; il rapporte la foi jurée et remet les présents de la vertu, celui qui a tôt fait de résoudre l’engagement pris par la Vierge.
« Le médiateur vole en hâte vers la fiancée pour écarter, pour éloigner de la fiancée de Dieu le désir de fiançailles humaines ; non pour arracher la Vierge à Joseph, mais pour la restituer à Jésus-Christ, à qui elle fut donnée en gage dès le sein maternel. Jésus-Christ reçoit donc sa fiancée, il ne ravit pas celle d’un autre ni ne cause de séparation quand il s’unit toute sa création dans un corps unique. »
Frère Bruno de Jésus-Marie
Conférence du cours de Théologie Totale de l’abbé Georges de Nantes, prononcée à Paris, salle de la Mutualité, le 10 février 1987 (sigle ThT 5 sur le site VOD de la Contre-réforme catholique)