27 DÉCEMBRE 2016

La Sainte Famille, modèle idéal
de nos saintes affections

Sainte Famille par Murillo

IL est bien risqué d’étudier les plus brûlants problèmes du chrétien dans le monde, sans en chercher les solutions de principe dans l’exemple de Nazareth. Le sceptique en discutera, mais pour nous qui croyons, la vie de Notre-Seigneur demeure un modèle parfait et universel. À travers tous les changements de temps et de situations, par une volonté divine expresse, les chrétiens trouveront toujours dans l’Évangile leur meilleure règle de vie. Exigeante certes, mais plus attirante encore, la sainteté qui nous y est proposée n’a pas été toujours atteinte par nos pères. Il faut dire cependant qu’ils en ont été élevés au-dessus d’eux-mêmes.

Jésus, Marie, Joseph, nos saints modèles, donnez-nous de vous ressembler, à force de vous contempler !

La première leçon qu’ils nous donnent, c’est l’amour dont ils s’aiment. Grâce à Dieu qui a bien fait la nature humaine et qui l’a recréée d’une manière plus admirable encore, nous connaissons beaucoup de familles où l’on s’aime bien. Cette affection est un bienfait céleste dont trop souvent nous n’apprécions le prix que lorsque nous l’avons perdu. Je ne puis être le témoin d’un véritable bonheur familial sans en être très heureux. Il semble alors que, dans la grande lutte engagée contre l’homme, le bien a gagné, l’ordre l’a emporté sur le désordre, et que le monde a réussi. « Voyez comme ils s’aiment », disait-on des premiers chrétiens, et partout où cette charité se voit encore, c’est le signe d’une victoire de Dieu. Cherchons, nous ne trouverons rien de meilleur au cœur ni même de plus exaltant pour l’esprit, ni rien de plus utile, oui, de pratiquement utile dans le monde des hommes, que l’amour mutuel, dans nos communautés religieuses comme dans nos familles. La remarque paraît banale et ne l’est plus du tout, dans un temps où les vertus cardinales sont négligées au profit de nouvelles valeurs, brillantes, mais des plus contestables !

Jésus, Marie, Joseph s’aimaient tendrement. Si nous commencions par imiter cette grande tendresse ?

Nous n’avons pas tant de peine à savoir les lois de cette sainte affection qu’à en imaginer le cours. Ils ont connu ce transport affectif, ces élans du cœur, cette extase qui détache de soi-même pour faire vivre sans cesse celui qui aime auprès des objets de sa tendresse. Ils s’aimaient ! Entendons-le une fois encore, nous dont les pensées vont souvent à croire que Dieu est contre l’amour et que sa Loi conspire sans cesse à nous priver de cette débordante, de cette souveraine allégresse alors qu’il ne nous a rien proposé d’autre que d’aimer, nous aussi, comme Lui-même a aimé le premier !

Cet amour, dans ces nobles cœurs, rencontrait sur sa route les autres vertus chrétiennes, non comme des obstacles ou des limites, mais bien comme des aides et des suivantes qui le grandissaient encore. En tout premier lieu la parfaite pureté, qui paraît si naturelle aux cœurs purs, si dramatiquement inaccessible à beaucoup d’autres... Cette chasteté, la plus admirable fleur du bouquet de l’oubli de soi, n’était pas un moyen ni une condition obligée de l’affection paisible et grandissante de Joseph et de Marie ; elle en était la marque et le témoignage.

Ces deux, ces trois Cœurs nous donnent à connaître la nature même, l’essence du parfait amour que le Philosophe appelle amour de bienveillance ou d’amitié. Il consiste à ne plus songer même à soi, à ne plus rechercher ni son propre intérêt ni son plaisir, tant la présence et le bien et la joie de l’être aimé sont chers à notre cœur. Joseph et Marie ne s’aimaient pas à la mesure de la complaisance ou du plaisir qu’ils trouvaient l’un dans l’autre, comme nous imaginons. Si cela était, leur affection n’aurait rien d’exemplaire et nous devrions attendre longtemps pour nous aimer les uns les autres comme eux, attendre d’être tous parfaits et agréables à voir et à vivre !

Leur amour était un attachement, un dévouement mutuel, décidés au jour de leur union, dans la vue de l’adorable volonté de Dieu qui les avait voués l’un à l’autre. Voilà en quoi nous pouvons tous les imiter, en aimant, en entourant de tendresse et de sollicitude celui ou celle, et ceux que Dieu nous a donné de rencontrer et qui nous sont unis depuis lors par des liens sacrés. La complaisance mutuelle, le bonheur viennent ensuite, à des degrés divers, mais l’amour ne dépend pas des fluctuations de nos sentiments ou de nos plaisirs.

Ainsi la religion est-elle le fondement de tout amour véritable et durable. Saint Joseph, Sainte Marie admirent en leur cœur, comme un don de Dieu inépuisable et merveilleux, cette existence proche et cette familiarité de leur conjoint, son mystère et sa vocation, beaucoup plus précieux à chacun que soi-même. Il ne l’a pas conquise, Elle ne l’a pas séduit et je ne sais pas s’ils se sont plu tout d’abord. Mais ils se sont compris, dans une entente d’esprit et une union de cœur sans pareilles que la vie commune ne fit qu’augmenter encore. Ils sont bien les modèles des époux chrétiens !

Jésus nous donne un exemple semblable, d’amour filial. Avant d’accomplir de grandes choses pour les hommes ses frères, il nous donne, trente ans durant, l’exemple d’un cœur plein de tendresses pour ces deux êtres très humbles qui étaient ses parents de la terre. Oui, toute son affection, ses intentions, son dévouement eurent pour seul objet, pendant la presque totalité de sa vie, le contentement de Marie et de Joseph. Il les admirait, avec des yeux divins. Il s’émerveillait de leur bonté, de leur dévouement, de leurs vertus, lui qui était la Sagesse infinie et leur Créateur. Qui dira la leçon de cet enfouissement ? Un Dieu venu sur terre n’a pas eu trop de trente ans pour exprimer à deux de ses créatures l’amour dont il les aimait. Mais, à cela, des milliards d’autres ont appris ce qu’était l’amour !

Cet exemple est saisissant. Les cœurs les plus ardents, les plus purs que le monde ait jamais connus, se sont aimés les uns les autres tout au long de leur vie, au lieu de se consumer en rêves immenses, d’amour de l’humanité, de passion généreuse pour de lointains inconnus. Ils ont préféré souder fortement les anneaux de leurs alliances prochaines, plutôt que de se croire responsables de toute la chaîne. C’est ainsi d’abord qu’ils nous ont aidés à consolider nos liens...

Leçon de réalisme dans l’amour : à contre-courant, elle nous recommande d’aimer, à la ressemblance de la Sainte Famille, le petit nombre de nos proches, mais de les aimer bien. Une trop grande dispersion nuit à la fidélité, à la générosité de l’amour, et finalement ne sert à rien ni à personne. Ce doit être une loi générale, une loi de nature que l’Évangile ne bouleverse pas, ce dévouement de l’homme à son unique épouse et de leurs deux vies à la couronne de leurs enfants. Nazareth nous en assure, et je ne connais point de bons prêtres ni de bons religieux qui n’aient d’abord le même amour intime de leurs confrères ou de leur communauté avant de répandre, selon leur vocation, la surabondance de leur charité sur le peuple des fidèles. Jésus, trente ans, s’est absorbé dans le dévouement à Marie et à Joseph. C’est de là qu’il est parti pour sauver tous les hommes...

Abbé Georges de Nantes
Extraits de la Lettre à mes Amis n° 221, de janvier 1966