8 DÉCEMBRE 2016 - IMMACULÉE-CONCEPTION

Le secret du Cœur de Marie-Immaculée

Vierge enfant de Zurbaran

NOUS sommes dans le temps de l’Avent et nous fêtons aujourd’hui le privilège incomparable de l’Immaculée Conception de notre Mère du Ciel. Comment en ce jour de fête, si cher à nos cœurs, exalter la Vierge Marie ? Il me semble que chaque fois, nous n’avons qu’à revenir au principe, à la source, à la raison la plus simple de tout sans chercher des choses compliquées, mieux comprendre, mieux savourer, mieux aimer ce qui est essentiel. Dans le Cœur de la Vierge Marie, il y a une chose essentielle, c’est qu’elle aimait Dieu.

Elle aimait Dieu comme un être de l’Ancien Testament, comme ces pauvres d’Israël qui ont chanté les psaumes déjà pouvaient l’aimer avant les lumières du Nouveau Testament. Elle aimait Dieu avec toutes les lumières de la Sagesse divine dont son âme était remplie, avec cette plénitude de grâces qui lui avait été annoncée par l’Ange au moment de l’Annonciation : elle aimait Dieu. Elle l’aimait d’une tendresse, d’une affection, d’une révérence, d’un dévouement, d’une générosité, d’une admiration, d’une adoration entière.

Évidemment, nous ne pouvons pas imaginer ce qu’était cet amour unique, souverain, cet amour plus que de prédilection que le Cœur de cette Vierge si sensible et si tendre pouvait avoir pour Dieu. Mais elle l’aimait, parce qu’elle le connaissait. Voilà ce qui nous manque tellement à chacun d’entre nous ! Si nous le connaissions comme Il nous connaît, comme la Vierge le connaissait, il est sûr que nous serions très aidés. Du moins, admirons comment la Vierge Marie, dès son tout jeune âge, à cause de cette Immaculée Conception qui était son privilège absolument incomparable, s’est dirigée vers le Cœur de Dieu, comme une flèche vers son but. Ou plus exactement comme une enfant, comme une fille, pleine de grâce, de sagesse et d’amour, se précipite sur le cœur de son père. Car elle l’a appelé son Père, avant même que le Christ le lui enseigne : la Vierge Marie s’est donnée à Dieu comme un enfant fait retour à son père. Amour unique de l’Immaculée Conception !

Qu’elle est heureuse ! Et qu’elles sont bienheureuses toutes les âmes qui peuvent se dire enfants de Marie sur cet essentiel, qui ont trouvé leur paix, la paix de leur cœur, et aussi la joie et les délices spirituelles de leur cœur et de leurs reins, pour parler comme les psaumes, c’est-à-dire l’assouvissement de tous leurs désirs, le contentement de toute leur tendresse, dans le Cœur de Dieu et en Lui seul ! La Vierge Marie vivait de Dieu, elle vivait avec Dieu, quoique ce mot de Dieu me paraisse quelque peu révérenciel, je préférerais dire : avec son Père du Ciel. Elle vivait pour Lui, elle ne vivait que de Lui et elle était heureuse.

Voilà la première leçon du Cœur de notre Mère. Ah ! Si nous pouvions, si Dieu nous en faisait la grâce, trouver un jour cet amour unique et souverain, comme nous lui ressemblerions et comme, à notre tour, nous pourrions mieux la comprendre, dans cette félicité qui est la sienne, au moment où elle quitte ses parents, elle monte les degrés du Temple et elle se consacre à son Dieu pour toujours ! Et je prétends – je vous l’ai répété cent fois – que quels que soient notre condition, notre âge ou notre vocation, notre unique but dans la vie, notre unique fin, ce par quoi nous terminerons tous pour en vivre dans l’éternité, c’est cette souveraineté de l’Amour de Dieu pour lequel notre cœur est fait, il n’est fait que pour lui : saint Augustin parle comme les psaumes : « Notre cœur demeure inquiet et reste inassouvi, tant qu’il ne se repose pas, tant qu’il ne s’est pas jeté en Toi, Seigneur ! » Et je pense que déjà beaucoup d’entre vous ont fait ce passage des amours passagères et particulières à l’amour infini de notre Père qui est dans les Cieux.

Elle aimait Dieu, elle aimait Dieu seul. Comment a-t-elle pu aimer d’autres êtres que Dieu seul ? Tout simplement dans la mesure où Dieu les lui a donnés à aimer. Elle a aimé, elle aime toujours, son bon prochain, celui qu’elle a reçu de Dieu son Père, pour l’Incarnation et dans l’Incarnation. Et ce sont ces deux admirables figures ; l’une est admirable, l’autre est adorable, ces deux amis et prochains de la Vierge Marie, eux-mêmes incomparables parmi les incomparables : saint Joseph et l’Enfant Jésus. Quelle est heureuse, cette femme qui, s’étant consacrée à Dieu seul, ne trouvant son bonheur et sa paix que dans le Cœur de Dieu, a reçu de son Père céleste un époux magnifique, le Juste par excellence de l’Ancien Testament : Joseph ; et un Enfant merveilleux, un Enfant du miracle : le Fils de Dieu lui-même ! Mais examinons comment un Cœur tout donné à Dieu, invinciblement consacré à Dieu seul a pu aimer, aussi et en plus, un époux et un enfant. Cela aussi est bien simple, mais ce sont des choses si simples qu’elles sont savoureuses et tellement mystérieuses...

Comment la Vierge Marie a-t-elle aimé saint Joseph ? Comme un époux providentiel.

Il faut bien nous convaincre de cette certitude que la Vierge Marie, toute consacrée à Dieu, n’a ouvert son cœur à saint Joseph, qui lui était envoyé par la main de Dieu même, que dans la mesure et dans l’intention qui avaient présidé à cette rencontre. Peut-être y eut-il des événements humains qui furent les instruments de la Providence, ce sont les parents qui s’entremirent, afin que la Vierge pût vivre sous le toit d’un homme qui la protège et qui lui donne le sens de son existence, sociale du moins : l’époux providentiel. Mais elle n’a aimé en Joseph que celui qui était là pour lui permettre d’accomplir sa vocation, elle l’a aimé d’un amour ordonné à sa fin qui était de la garder toute à Dieu, de la conduire toute à Dieu, de la soutenir dans sa recherche unique de Dieu. Elle a aimé saint Joseph comme une figure de Dieu, comme un serviteur de Dieu, comme un employé de Dieu auprès d’elle, si j’ose dire, d’un immense amour d’épouse pour son époux. Elle l’a aimé d’un amour qui était tellement immense, tellement parfait, tellement loyal et généreux, que cet amour était une splendeur de pureté, d’oubli de soi, de générosité et donc, de joie et d’admiration. Saint Joseph ! À Nazareth !

Et l’Enfant Jésus ? Là encore, quelle leçon ! dans cette chose si simple qu’elle a aimé Jésus, non pas comme son enfant, jamais ! Tant de femmes s’adorent dans leurs enfants et vont se rechercher en eux. Nous avons tous à prendre une leçon de ces personnages quasi célestes. La Vierge Marie a toujours aimé Jésus comme le Fils de Dieu, tout simplement, c’est-à-dire que son amour de Dieu lui dictait l’amour de ce Jésus qui n’était pas tant à elle qu’à Dieu qu’elle aimait. Et c’est par amour de Dieu qu’elle l’a accepté, qu’elle l’a nourri de son sein, enfanté, éduqué et conservé. C’était toujours à cause de cet amour unique de Dieu que son amour se reportait sur Jésus, parce qu’il était le Fils de Dieu, l’image de Dieu auprès d’elle. Et quand Jésus a grandi, il est devenu de plus en plus grand sur l’horizon de son cœur, et tout son amour de Dieu se transposait dans l’amour de son Fils qu’elle adorait comme Fils de Dieu et Dieu lui-même.

Cet amour aussi était ordonné à sa fin, c’est-à-dire qu’il était tout ordonné à faire grandir Jésus pour le service de Dieu, pour la vocation qui était la sienne : la vie publique, le renoncement de la séparation du dernier jour à Nazareth à l’âge de trente ans, la prédication au milieu des ennemis, la Passion et la mort de la Croix. Et jamais la Vierge Marie n’a eu un seul instant pour l’Enfant Jésus, aussi étrange que cela nous paraisse, cet amour de jouissance mutuelle où l’on se cherche dans la beauté même de son propre enfant, dans les sourires de son enfant où l’on retrouve son propre sourire, où l’on se cherche soi-même. Jamais ! Et tellement, que cet amour lui-même, comme je venais de dire de l’amour de saint Joseph, était tout pour Dieu, en Dieu, avec Dieu et tel que Dieu même aimait Jésus. À cause de cela, c’était un amour heureux, un amour parfaitement pur, un amour parfaitement aimable.

Que de leçons nous avons à prendre là ! Mais ne prenons pas les choses de la terre vers le Ciel. Ayons le courage de dire que tant que je n’aimerai pas Dieu, de toute mon âme, de tout mon esprit, de tout mon cœur, de toutes mes forces, je n’arriverai jamais à aimer mon prochain, bon ou mauvais – l’un est aussi dangereux que l’autre, dans cet ordre de l’égoïsme –, purement, généreusement, de telle manière que je lui donne la joie et la paix auxquelles il a droit, et que j’y trouve moi-même ma paix, ma joie et ma sérénité. Il est impossible d’y arriver par nos propres forces.

Voilà pourquoi nous devons demander la grâce d’aimer Dieu, d’aimer notre Père céleste, de l’aimer si bien que nous trouvions en Lui notre repos. Qu’il nous donne la grâce d’une illumination, et qu’il embrase notre cœur, afin que nous comprenions qu’il est, qu’il doit être et qu’il peut être pour chacun d’entre nous, la paix, la joie, l’unique amour de nos vies, et tout le reste nous sera donné par surcroît, par l’intermédiaire, par la médiation de la Très Sainte Vierge Marie.

Abbé Georges de Nantes
Extraits du sermon du 15 août 1981