23 DÉCEMBRE 2018
Préparation à la fête de Noël
SI la nouvelle d’une première conception plonge ordinairement de jeunes époux dans un étonnement profond, dans une admiration et une joie sans borne, que furent les sentiments de Joseph et de Marie ! Au mystère émouvant de la nature se joignait le mystère divin de l’Incarnation. Dès lors toutes leurs pensées et souvent leurs paroles eurent pour objet ce petit que d’avance ils appelaient de son Nom. Durant ce temps de mûrissement du Germe divin leurs langues et leurs cœurs s’habituaient à la douceur de ce Nom béni, Jésus, et de cette présence vivante.
Un respect nouveau envahissait l’âme de saint Joseph pour la Vierge Mère et son fardeau divin. Cette enfant, si fragile, lui semblait revêtue maintenant d’une royauté éternelle. Toute jeune mère apparaît accéder d’un coup à un très haut rang de noblesse, selon la parole de saint Paul : « La femme se sauvera par la maternité », mais il précise : « À condition de persévérer dans la foi, la charité, la sainteté, sans oublier la modestie. » Mais plus encore, Marie paraissait à Joseph revêtue de la dignité même de son Fils et comme irradiée de soleil. Il se perdait dans l’action de grâces pour elle et pour lui, participants sans mérite de cette gloire divine !
Au reste, leurs esprits méditaient. Joseph n’avait pas eu de peine à voir en son épouse l’élue de Dieu et la mère du Sauveur ; simplement, il avait laissé son admiration tendre et son amour très chaste déborder à l’infini. Depuis longtemps il avait deviné en elle une grâce incomparable. Mais d’autres étonnements allaient à l’encontre du mouvement spontané de son cœur. Lui d’abord, qu’était-il autre qu’un charpentier de Nazareth, pauvre, borné et pécheur. La présence de Marie lui avait découvert encore davantage sa misère à lui, en regard de cette perle très pure, de cette fleur ! Et sa famille, davidique bien sûr, était tellement déchue de l’antique splendeur ! Et ce métier, et ce village ! Rien, rien de tout cela ne pouvait correspondre à l’idée qu’on se faisait du Messie, du Roi qui relèverait la maison d’Israël.
Saint Joseph n’était traversé par aucune ombre d’incrédulité, mais simplement, en chef de famille, il demeurait soucieux et voulait agir au mieux des intérêts de l’Enfant. Marie, sans doute, comprenait mieux la souveraineté que déjà son Fils exerçait sur toutes choses. Les nuances des évangiles laissent voir cette différence d’élévation de leurs âmes : lui se voit chargé de disposer les événements au mieux et tâche de ne pas lui nuire par sa honte de Nazaréen et sa misère. Elle, pleine de grâce et le sein lourd d’un enfant royal, sait déjà que Lui seul a tout arrêté et, caché dans le silence, conduit tout au gré de sa sagesse. Elle l’écoute, le bruit de son Cœur sous le sien lui paraît remplir tous les espaces et soumettre l’univers à son mouvement.
Tandis que Joseph raisonne, elle sait que nul ne pourra comprendre sa venue, sa mission, son mystère avant l’Heure de la pleine lumière. Elle préfère contempler et goûter dans la paix cette présence ineffable. Ils se remémorent cependant l’enseignement de la synagogue ; peut-être relisent-ils ensemble les grandes prophéties. Les clartés obscures qu’elles donnent à tous les éblouissent mais dans un mystère impénétrable. Dès qu’ils renoncent aux commentaires de leurs Docteurs – balbutiements d’aveugles –, ils reviennent à la nudité sublime des Oracles et ne savent pas en déchiffrer le sens caché. Ces révélations les comblent d’une grande joie et ils les impriment en leurs cœurs car elles se rapportent à Jésus, mais ils L’attendent désormais pour les leur expliquer.
Tout de même saint Joseph fut content de voir qu’il fallait monter à Bethléem, car c’était justement ce qu’il méditait pour que s’accomplisse une prophétie. Marie souriait de voir ainsi la Providence s’ajuster aux pensées très sages de son admirable époux. Ils partirent sans penser à leurs fatigues, car tout alors leur paraissait légère peine et contribuait à les rapprocher encore, s’il était possible ! Ils exerçaient vis-à-vis l’un de l’autre cette exquise charité que Jésus venait demander à la terre. Lui prenait soin d’elle et, de sa douce voix, aux inflexions tendres, elle le plaignait de tant de mal qu’il se donnait, et du souci qu’il avait, car il s’en faisait pour sûr ! Heureusement qu’elle demeurait pour lui une source de paix, de confiance en Dieu qui n’abandonne jamais ses enfants, ni surtout Son Enfant. Je vous laisse imaginer, Chrétiens, ces échanges indéfinis de sentiments affectueux et ces prières communes au long du chemin !
Ils arrivèrent enfin, et ce fut une grande stupéfaction pour Joseph que nulle maison ne s’ouvre devant eux. N’est-ce pas le Messie, fils de David, qui allait naître ici ce soir ? Jusqu’au bout de ses recherches hâtives et fatiguées, car tout de même ils étaient bien las ! il crut que tant de rebuffades le mèneraient à mieux, qu’un miracle... mais il fallut se résigner à chercher au plus bas et trouver une bergerie, une étable où, sans apparat, on serait du moins seuls et tranquilles. Après coup, ils découvraient là certaines convenances et, ne pouvant deviner par avance les desseins de la Sagesse divine, tout de même ils les reconnaissaient dans tout ce qui arrivait. Ainsi Jésus dirigeait tout, et ses parents commençaient à s’instruire de ses leçons. Il voulait donc naître pauvre, dans l’obscurité, dans la nuit, mais à Bethléem selon les prophéties !
Restait l’inquiétude de l’accouchement dont Joseph parla en termes délicats à son épouse. Mais elle, remplie de l’Esprit-Saint, lui répondit avec cette souveraine pudeur que seule pouvait avoir une Vierge Mère, de n’avoir à rien craindre ni de chercher personne. Ce doux enfant, disait-elle, saurait bien venir au monde comme il était descendu dans son sein, non point en fils d’Adam mais comme fils de Dieu. Son époux crut en ses paroles et son inquiétude se changea en joie.
C’est alors qu’après un temps assez long d’extase, Marie l’appela doucement et mit sur ses genoux, selon l’usage ancestral, sur ses genoux de père légitime, l’Enfant qu’elle lui donnait. Je crois qu’une lumière céleste envahissait l’étable et pénétrait les êtres jusqu’à les transfigurer ; qu’une musique céleste aussi accueillait le Sauveur et versait son ineffable douceur dans les cœurs de Joseph et de Marie, dès avant qu’elles aillent éveiller les bergers. Un grand moment, Jésus ne fut qu’à eux, trop excessive récompense, tandis que la cour céleste descendait l’adorer, et vénérer pour la première fois ses parents de la terre.
J’aime voir Jésus dans les bras de Joseph et la Vierge qui les regarde songe ainsi que Dieu a vraiment donné aux hommes son propre fils. Émerveillé de sa ressemblance avec sa mère, Joseph suppute l’abîme de ce mystère qui a fait d’une femme, de sa propre femme le sanctuaire de la paternité divine même. Cet enfant de Marie n’était pas né d’une volonté d’homme, ni d’un hasard de la nature, mais de la volonté et de l’être même de Dieu, il était fils de Dieu. Lui, Joseph, le charpentier de Nazareth et l’époux de la Vierge Marie, le prenant pour fils en portait témoignage, et Marie le lui confiant acceptait cette foi nouvelle et la soutenait admirablement de sa confiance même.
Jésus souriait aux anges et se préparait à sa mission humaine tandis que ses messagers s’envolaient vers les bergeries de la plaine.
Abbé Georges de Nantes
Extraits de Lettre à mes Amis n° 104, 19 mars 1962