Il y a vingt ans :

Frère Hugues du Christ-Roi

1956-2002

NOTRE Frère Hugues du Christ-Roi est décédé subitement durant son sommeil, le 13 septembre dernier, dans la vingt-sixième année de sa vie religieuse. La nouvelle s’est vite répandue parmi les amis de notre Communauté. Vos témoignages de sympathie, illustrés de souvenirs divers mais précis, nous rappellent avec émotion les vertus indéniables de notre frère : son perpétuel sourire, son dévouement, son souci du bien des âmes, sa discrétion, sa piété. Fondateur de notre Maison Sainte-Thérèse, il était à l’œuvre ici depuis vingt ans comme sous-prieur, organisateur des sessions et des camps de jeunes. Responsable aussi de tous les travaux, il s’était attiré l’estime des professionnels par son courage inlassable au travail. Mais l’essentiel de sa vie était son attachement à notre Père et à son combat dont il saisissait le drame et qu’il voulait aider de toute son âme religieuse et filiale.

Ses funérailles en ont été marquées, puisque l’évêque de Trois-Rivières est revenu sur l’accord du curé de notre paroisse, pour interdire tout service religieux, non seulement dans la chapelle de notre maison, mais aussi dans toutes les églises du diocèse. Le motif ? Ce religieux était un disciple non repenti de l’abbé de Nantes !

Comme notre Père l’a voulu, suivant en cela sa ligne de conduite habituelle, nous avons obéi à cette décision manifestement injuste et contraire au droit de l’Église, par souci de témoigner de notre soumission à la hiérarchie. Aux médias qui se sont emparés de l’affaire, nous avons opposé le plus strict silence. Nous publions ici le sermon prononcé à la cérémonie qui précéda l’inhumation, par notre frère Bruno de Jésus qui représentait notre Père.

Mes bien chers frères,
Mes sœurs, chers amis,

Notre Père a commencé par dire : « J’y vais ! » Il esquissait déjà un mouvement pour se lever. Puis il est retombé sur sa chaise : « Si j’y vais, je meurs... » Son tout récent voyage l’a épuisé. Pauvre Père, qui tenait encore son fils, son cher fils, dans ses bras, le 11 septembre, pour l’embrasser avant de reprendre l’avion. Il aurait voulu le reprendre dans ses bras avant son ensevelissement.

« Si j’y vais, je meurs... » En fait, ce départ de frère Hugues du Christ-Roi pour le Ciel, c’est une mort pour lui. Et pour chacun d’entre nous. Mais c’est une mort qui parle de Résurrection. Comme la mort si cruelle, si brutale, si douloureuse de Jésus, le soir du Vendredi saint, parlait de Résurrection... au Cœur de la Sainte Vierge, et d’Elle seule. Car Elle seule avait gardé la foi.

Mais nous, mes bien chers frères, nous sommes plus heureux que les Apôtres et que les saintes Femmes, qui pleuraient comme ceux qui n’ont pas d’espérance malgré tous les avertissements que Notre-Seigneur leur avait donnés, car nous faisons grand cas de tous les avertissements donnés à toute l’Église par la Sainte Vierge lors de ses dernières apparitions mariales. C’est pourquoi nous ne devons pas nous étonner de voir s’accomplir la vision du troisième Secret de Fatima, révélé par Jean-Paul II, le 26 juin 2000 :

« et de la même manière moururent les uns après les autres les Évêques, Prêtres, religieux et religieuses, et divers laïcs, des messieurs et des dames de rangs et de conditions différentes. »

« De la même manière », qu’est-ce à dire ? Il nous est dit que cette procession d’évêques, prêtres, religieux et religieuses, laïcs de diverses conditions gravissait une montagne escarpée, au sommet de laquelle était une grande Croix de troncs bruts comme si elle était en chêne-liège avec l’écorce. En tête de la procession marchait « un Évêque vêtu de Blanc », dont les voyants eurent le pressentiment que c’était le Saint-Père.

« Parvenu au sommet de la montagne, prosterné à genoux au pied de la grande Croix, il fut tué par un groupe de soldats qui lui tirèrent plusieurs coups et des flèches, et de la même manière moururent les uns après les autres les Évêques, Prêtres, religieux et religieuses. »

Ce n’est pas ainsi qu’est mort notre frère Hugues, bien qu’il appartînt à cette sainte procession, indubitablement. Mais il n’est pas dit que tous dussent mourir de cette violente et douloureuse façon.

Pourtant, remarquez bien l’accomplissement littéral de la prophétie qu’il nous est donné de voir aujourd’hui de nos yeux, avec cet enterrement de notre frère sans Messe et sans prêtre.

Le dernier tableau du Secret nous laisse donc sur cette effrayante vision d’une consomption de l’Église hiérarchique : plus de Pape, plus d’évêques, plus de prêtres.

Eh bien ! c’est ce que nous vivons aujourd’hui, mes bien chers frères, en figure. Je dis bien : en figure. Car il y a encore un Pape et des évêques, et un curé qui tient d’eux tous les pouvoirs légitimes et qui avait même accepté de célébrer les funérailles de frère Hugues, en notre chapelle. Mais Monseigneur l’évêque s’y est opposé. Alors, c’est comme s’il n’y avait plus de prêtre, et nous sommes comme des brebis sans pasteur.

Je n’essaierai pas de vous expliquer la décision de votre évêque : il n’y a pas d’explication. Notre frère Hugues n’est pas excommunié, que je sache ! Mais il y a longtemps que les saints Docteurs de l’Église nous indiquent ce qu’il faut faire en pareil cas, car il n’y a rien de nouveau sous le soleil.

Comme l’écrivait notre Père fondateur à son évêque au lendemain du Concile, dès qu’il a commencé à encourir des sanctions pour son opposition à la réforme de l’Église entreprise par le pape Paul VI :

« Saint Augustin calme nos angoisses, fortifie notre courage, enflamme même notre cœur d’une grande ardeur pour l’effort qui nous est demandé, quand il évoque par exemple le cas de certains excommuniés, “ ceux qui, avec une pieuse ardeur, s’efforcent de s’avancer dans les voies spirituelles... Ils ne sont point hors de l’Église bien que, par suite de la perversité humaine ou de quelque autre nécessité, ils en paraissent rejetés. Et même, ils sont en meilleure situation de donner la preuve de leur attachement à l’Église, là, dehors, plutôt que dedans, si toutefois ils ne s’élèvent point contre elle et s’ils sont, au contraire, fortement enracinés par la charité dans le roc solide de l’unité. ” (De baptismo contra Donatistos, I chap. 17)

Notre Père poursuivait à l’adresse de son évêque :

« Rebelles à la rébellion par amour du Christ et de l’Église, décidés à poursuivre la critique de la critique qui corrode toute notre foi et salit toute notre tradition, c’est ainsi que nous voulons demeurer, envers et contre tout, fidèles catholiques romains. Et si Vous aviez enfin le cœur assez dur pour nous en faire grief et nous jeter dehors, nous aurions encore pour nous consoler les admirables recommandations du grand docteur de la grâce :

Que les personnes étrangères à notre communauté, et les journalistes ici présents, écoutent bien ces paroles de saint Augustin, docteur et Père de l’Église. Ils y trouveront l’explication du silence que nous persistons à opposer aux propos de M. Montreuil, parus ce matin dans le Nouvelliste.

« “ La Divine Providence permet souvent que même des hommes bons soient chassés de la communion chrétienne par les entreprises trop turbulentes d’hommes charnels. S’ils supportent cet affront immérité avec une très grande patience pour la paix de l’Église, s’ils ne fomentent aucune des nouveautés du schisme et de l’hérésie, ils enseignent au monde avec quel véritable attachement et avec quelle sincérité d’amour il faut servir Dieu. Leur volonté est, quand le trouble sera passé, de rentrer dans l’Église. Si on le leur défend, si la tempête persévère, ou si leur retour devait soulever une tempête pareille ou plus violente, ils continuent de vouloir le bien même de ceux qui, par leurs démarches et leurs intrigues, les ont chassés. Sans jamais former de conventicules séparés, ils défendent jusqu’à la mort et ils confirment par leur témoignage la foi qu’ils savent que prêche l’Église catholique. Alors le Père les couronne dans le secret, Lui qui les voit dans le secret. Ces hommes-là sont rares, pourtant les exemples ne manquent pas : et même ils sont plus nombreux qu’on pourrait le croire. ” (Saint Augustin, Liber de vera religione, 11)

Notre Père poursuivait en appliquant ces paroles de saint Augustin à nous autres : « Vous vous étonnez à bon droit, Excellence et Père, que j’ose m’approprier de telles paroles et les appliquer à l’immense famille de mes amis. Pour eux, je puis répondre de leur foi et de leur charité, qui les tiennent enracinés dans l’unité de l’Église.

« C’est pourquoi, désireux de servir encore l’Église et conscient de mon indignité personnelle, je me prosterne à Vos pieds de représentant de Jésus-Christ et de successeur des Apôtres, pour vous exprimer mon très filial et très humble respect. » (Lettre à mes amis n° 220, p. 9)

C’est encore ce qu’a fait notre frère Pierre avant-hier, dans sa réponse à Mgr l’évêque de Trois-Rivières.

D’ailleurs, Notre-Dame, dans le troisième Secret, nous donne l’exemple. Elle ne parle ni du Concile ni de Paul VI, ni de Jean-Paul II, et c’est pourquoi les intégristes disent que le troisième Secret est tronqué, n’est pas intégral. Ils n’ont donc pas compris le Secret de Marie : cette Mère de Miséricorde a reçu de son Père et notre Père qui la conçut éternellement, le ministère de la compassion et non pas celui de la justice et de la vengeance. C’est pourquoi elle ne veut point avoir connaissance du crime d’apostasie commis par ces Papes et ce Concile. Elle a seulement voulu nous montrer l’image du vrai Prêtre, du saint Pontife, du saint Évêque, Albino Luciani, l’incomparable patriarche de Venise devenu le pape Jean-Paul Ier.

Et la vision se termine ainsi :

« Sous les deux bras de la Croix, il y avait deux Anges, chacun avec un vase de cristal à la main, dans lequel ils recueillaient le sang des Martyrs, et avec lequel ils arrosaient les âmes qui s’approchaient de Dieu. »

Notre frère Hugues est mort « de la même manière » apparente que le pape Jean-Paul Ier auquel il avait une si grande dévotion comme toute notre communauté : subitement, de grand matin, sans bruit, au mois de septembre. Et prématurément, dans la pleine force de l’âge, au moment où il donnait toute sa mesure dans le service de l’Église. Et nous le voyons maintenant s’approcher de Dieu pour son jugement particulier, arrosé du sang de ce Pape martyr, et de celui du Père de Foucauld, notre vénéré Père, le modèle de notre communauté.

La mort de notre frère Hugues nous a fait voir en quelques jours le peu d’importance de bien des choses, en nous rappelant soudain, au beau milieu de nos occupations, la pensée de la mort. Un article de notre Règle prévoit cette échéance :

« À leur mort, les frères seront enterrés dans leur costume religieux, à même la terre. Leur tombe demeurera sans aucune distinction : une croix et l’inscription de leur nom et de leurs dates. Le Seigneur ne doit-il pas les éveiller sous peu et les juger Lui-même ?

« Que la vanité ne trouve pas à s’exercer dans la mort. »

Nous n’avons pas encore les dispenses voulues autorisant l’application littérale de cet article de notre Règle, mais il nous dicte les sentiments qui doivent être les nôtres aujourd’hui :

« Le Seigneur ne doit-il pas les éveiller sous peu et les juger Lui-même ? » Telle est notre foi. Merveilleuse espérance ! À ces seuls mots, le cœur bondit vers celui que nous pleurons aujourd’hui, sûrs que nous sommes de le retrouver – bientôt – plus beau, plus resplendissant, plus glorieux et souriant, pour toujours, toujours, toujours... Et beaucoup de choses en sont ramenées à leur vraie valeur, beaucoup de choses de la vie quotidienne, beaucoup de paroles inutiles... C’est pourquoi j’ai envie de me taire. Mais j’ai encore quelque chose à dire.

*
*       *

Au Ciel, frère Hugues a été accueilli par Jean-Paul Ier, par le Père de Foucauld...

... Et par un troisième saint : son propre père, Bruno de Nantes, mort lui aussi subitement, le 6 octobre 1966. Il y a trente-six ans qu’il attend son garçon, après lui avoir montré le chemin, comme à ses dix autres enfants. Je me souviens des larmes de notre Père lisant le télégramme : « Bruno décédé ce matin », et vendredi dernier... c’était de même ! Je me croyais ramené trente-six ans en arrière, lorsque j’entendis frère Pierre me dire dans un sanglot, au téléphone : « Frère Hugues est décédé ce matin. »

Et tout a recommencé, comme il y a trente-six ans : au reçu du télégramme, « un moment, j’ai perdu de vue le reste du monde, écrivait notre Père en 1966, ne voyant plus que le visage, le beau visage aimé de mon jeune frère qui venait de mourir, le matin de sa fête, loin de moi ! » Pour nous autres, il en fut de même l’autre vendredi : « Je me jetai sur les routes de la douleur [cela seul a changé, impossible, cette fois, pauvre Père !]. Auprès de lui, je retrouvai ce que j’aime le plus au monde, une mère, une épouse en pleurs, et dix petits orphelins priant auprès de “ papa qui était si gentil et qui est au Ciel maintenant ”. »

Aujourd’hui, c’est de même, mais c’est l’un des petits orphelins qui est parti à son tour pour rejoindre son père en Paradis, tandis que les autres sont devenus à leur tour pères et mères de tout un petit monde de neveux et de nièces qui pleurent aujourd’hui oncle Hugues « qui était si gentil et qui est au Ciel maintenant ».

Comment la mort de Bruno de Nantes était-elle arrivée ? « Oh ! dans une simplicité d’Évangile, poursuivait notre Père dans sa Lettre. Il s’était levé le matin, dispos. L’alarmante maladie de cœur d’il y a deux ans semblait se faire un peu oublier depuis quelque temps. Il avait dirigé la grande prière en famille et joué avec les enfants qui, ce matin-là, étaient en congé. Vers 11 heures, un voisin lui avait cherché querelle pour des rejetons de prunier qui poussaient en bordure d’un champ. Il en avait été contristé et, aussitôt, avait voulu y aller voir avec un ami paysan qu’il surnommait affectueusement Pépé . Son épouse les accompagne à la voiture ; en démarrant, il lui dit, mi-plaisant, mi-sérieux :  Qu’est-ce que ça veut dire, Pépé ?... Ça veut dire Prière-Pénitence !  Un instant après, il tombait doucement dans cette terre tant travaillée, tant aimée. »

Si je rappelle ces événements anciens, mes bien chers frères, c’est non seulement parce que les choses se sont passées de la même façon pour frère Hugues, d’un point de vue clinique – même maladie de cœur – mais c’est parce que ces événements sont en relation avec la même tragédie dans l’Église, à quarante ans de distance ! De son frère Bruno, notre Père écrivait en effet, en 1966, à ses amis :

« Ce frère, cet ami, était des vôtres. En plein accord avec nous, il voulait de toute son âme que je continue, avec sagesse mais avec force et sans désemparer, ce combat pour la foi. À cause de ses enfants. C’était son souci lancinant. Il craignait pour eux une seule chose, la dépravation de leurs âmes par des éducateurs modernistes. Gentiment, il corrigeait déjà les moindres déviations de la pensée plus encore que les petits désordres de la conduite. »

La suite est tellement d’actualité ! non seulement parce que frère Hugues faisait la même chose avec vos enfants, comme si c’étaient les siens, mais parce que c’est la réponse à notre souci d’aujourd’hui, où le président G. Bush peut demain mettre le feu au Moyen-Orient en frappant l’Irak : – Je cite ce récit qui date, je le répète, de 1966 : « L’autre soir, ramenant ses filles de leur collège, il commence à réciter une dizaine de chapelet dans l’auto. Une d’elles, huit ans, qui nous l’a raconté par hasard, lui dit :

 La sœur a dit qu’il fallait prier pour la paix.

 Oui, répond-il. Eh bien ! nous allons prier pour la conversion des pécheurs, parce que ce sont nos péchés qui sont cause de la guerre. Si les pécheurs se convertissent, Dieu donnera la paix, sinon, non. 

« Il voulut faire plus, et je dois le dire à cause de l’immense dette qui résulte de ce sublime et lourd secret. » Notre Père raconta ensuite comment son frère Bruno s’offrit en victime pour lui, son frère prêtre, et son combat... et aussi pour ses enfants, parce que, me disait-il un jour : « Pour faire du bien à ses enfants, il faut être au Ciel. »

Le 6 octobre 1966, il partait pour le Ciel, afin d’œuvrer « pour Georges » et « pour ses enfants », et il a si bien travaillé qu’aujourd’hui, trente-six ans après, les deux causes n’en font qu’une. Ses enfants et petits-enfants se sont tellement fondus dans la Phalange de l’Immaculée, sous la houlette souriante de leur mère et grand-mère, que frère Hugues succède à son père dans une étonnante continuité des desseins de miséricorde du Cœur de Jésus et de Marie sur cette famille, notre famille.

Le 25 août 1966, Mgr Le Couëdic fulminait la suspens, la fameuse suspense, qui “ suspend ” les pouvoirs de juridiction de notre Père, c’est-à-dire le pouvoir de pardonner les péchés et de célébrer le sacrement de mariage, et que l’évêque de Trois-Rivières dit aujourd’hui, 21 septembre 2002, être transformée en excommunication et interdit, c’est-à-dire en interdiction de recevoir les sacrements pour nous, frères, sœurs, filles et fils, amis de l’abbé de Nantes...

Bien sûr, c’est erroné et coupable d’un point de vue canonique. Mais essayons de comprendre, non pas la logique de Monseigneur, mais la volonté de Dieu, le dessein de Dieu non seulement sur l’âme de notre bon frère Hugues, mais sur nos âmes à nous qui avons la grâce et le privilège de nous trouver autour de son saint corps, saint parce que sanctifié par les sacrements de l’Église durant toute sa vie, cela, Monseigneur ne peut pas l’effacer...

Pour comprendre donc, revenons une dernière fois aux événements passés :

En août 1966, donc, raconte notre Père, « heureusement, mon frère Bruno était auprès de moi quand j’eus à apprendre à ma mère quelles terribles sanctions allaient fondre sur nous, et déjà la presse jetait notre nom en pâture à l’opinion. En sortant, il me dit :

 – Que pouvons-nous faire ? 

« Et je me souviens lui avoir répondu :

 Rien, mais prier, et consoler maman. 

« Quand on ne peut plus agir, reste à prier et à souffrir, c’est tout le secret de l’Évangile. Prière, Pénitence, les deux mots chers à la Vierge Marie, erraient encore sur ses lèvres quand la mort vint le prendre dans la sérénité d’un admirable matin d’automne, jour de fête », jour de sa fête.

Poursuivons notre parallèle, en révélant tous nos secrets, avec la permission de frère Pierre.

Savez-vous quelles furent les dernières paroles de frère Hugues ? Il les prononça le soir du 12 septembre, en la fête du Saint Nom de Marie. Il faut vous dire que le soir, les frères, s’ils ont commis quelque faute pendant la journée, viennent s’en accuser auprès de leur frère prieur, c’est une tradition immémoriale de la vie monastique. C’est ce qu’on appelle “ la coulpe ”. Un bon moine aime faire sa coulpe, comme un enfant ne peut s’endormir sans demander pardon des sottises de la journée. Le soir du 12 septembre, donc, frère Hugues est venu à la coulpe pour s’accuser « de n’avoir pas suffisamment prononcé le Saint Nom de Marie en oraisons jaillissantes » ! c’est-à-dire dans son cœur, dans le secret et la spontanéité de son cœur. Puis il est monté se coucher, dans le grand silence monastique. Ce furent donc ses dernières paroles. Mais vous devinez bien qu’avant de s’endormir, il a multiplié les oraisons jaillissantes pour invoquer le nom de Marie ! en réparation de ses “ oublis ” de la journée ! Puis, il s’est endormi. Et à l’heure de se lever pour aller à la chapelle faire une heure sainte, comme chaque vendredi, au petit matin, c’est son âme qui a jailli de son corps, pour aller se reposer sur le Cœur de Marie.

Ce qui est extraordinaire, mes bien chers frères, et doit nous “ édifier ” aujourd’hui, c’est-à-dire nous faire du bien, nous faire repartir meilleurs de cette cérémonie, c’est de voir comment le fils a très réellement rejoint son père sur le Cœur de la Sainte Vierge. De son frère Bruno, notre Père disait qu’il était « un de ces catholiques ordinaires qui ont mis en pratique si pleinement la loi du Seigneur qu’ils atteignent comme sans travail à une sorte de sainteté. »

À relire ces paroles, qui ne reconnaîtrait aujourd’hui notre frère Hugues ? C’est vraiment le cas de dire : tel père, tel fils ! Tous ceux qui l’ont connu en conviendront. Vous surtout, chers amis Canadiens qui l’aviez adopté pour l’un des vôtres depuis vingt ans ! Pour nous, les frères et les sœurs, qui l’avons vu mettre en pratique si pleinement notre Règle monastique, non pas sans travail, mais par un effort constant sur lui-même, c’est tellement évident que c’en est poignant ! Au sens précis du mot : ce qui me point le cœur, ce qui le transperce, c’est de penser à mes lâchetés, manquements à la Règle et négligences. Ah ! oui, c’est à pleurer...

Mais aussi, quelle émulation ! Larmes fécondes si elles nous incitent à nous convertir, à devenir des saints, avec l’aide souriante de ce nouvel intercesseur, hier encore près de nous, aujourd’hui auprès de Dieu, plus priant et plus puissant qu’hier, tout dévoué à notre combat.

Ainsi soit-il !

La Renaissance Catholique n° 101, octobre 2002