« Un mal qui répand la terreur »
La peste à Marseille (1720-1722)
LE Sacré-Cœur n’abandonne pas son dessein de miséricorde sur la France. Il fait éclater sa puissance à Marseille, où le mercantilisme et les idées corrompues ont particulièrement pénétré, où le jansénisme gagne le clergé. Un miracle éclatant va ranimer la flamme de la dévotion au Sacré-Cœur et de là courir à travers tout ce siècle philosophe et libertin, comme un sillage de lumière, parmi les petites âmes de ce royaume et même à la Cour, grâce à Marie Leczinska et à Madame Louise, comme nous le montrera sœur Bénédicte.
Madeleine Rémuzat est née le 29 novembre 1696, d’une famille très pieuse de la haute bourgeoisie de Marseille. Toute jeune encore, une première apparition de Jésus portant sa Croix allume en son cœur un amour ardent de la Passion. Sa première communion éveille une faim insatiable de l’Eucharistie qui ira grandissant toute sa vie : la plupart de ses grâces extraordinaires lui seront données lors de ses communions quotidiennes. À douze ans, le Sacré-Cœur la « choisit comme victime ». Commence, pour elle, une vie de sacrifices et de souffrances incessantes pour le salut des pécheurs. C’est alors qu’elle rencontre le grand évêque de Marseille, Mgr de Belsunce, qui devient son vrai père, pour toute la vie.
Henri-François-Xavier de Belsunce de Castelmoron, issu de la haute aristocratie périgourdine, s’est converti du protestantisme à l’âge de douze ans. Ordonné prêtre à Agen, il se fait tellement remarquer par sa science ecclésiastique et par ses talents, comme grand vicaire de l’évêque d’Agen, que Louis XIV le nomme évêque de Marseille en 1710, à l’âge de trente-neuf ans. Après examen, Mgr de Belsunce se porte garant de la vocation et des voies extraordinaires de Madeleine Rémuzat qui entre à quinze ans aux “ grandes Maries ”, le premier monastère de la Visitation de Marseille, sous le nom de sœur Anne-Madeleine.
UNE SECONDE MARGUERITE-MARIE
« Sa confiance en l’intercession de la Très Sainte Vierge était singulière : il ne se passait aucun jour qu’elle ne lui adressât un grand nombre de prières et elle s’était fait une loi de réciter tous les jours son chapelet. 1 » Toute sa piété était fondée sur l’Eucharistie et le Cœur de Jésus. « Elle en était sans cesse occupée », nous dit Mgr de Belsunce, elle ne connaissait point de plaisir plus sensible sur la terre que celui d’adorer ce divin Cœur, d’en parler, d’en affermir le culte, d’augmenter le nombre de ses adorateurs. »
Le 17 octobre 1713, jour anniversaire de la mort de sainte Marguerite-Marie, – pour bien marquer la continuité de leur vie et de leur mission –, le Sacré-Cœur lui fit connaître sa vocation propre d’apôtre « de son Cœur adorable ».
Dès lors, son zèle ne connaît plus ni repos ni borne : tout d’abord c’est dans son cloître, auprès de ses sœurs, qu’elle rayonne cette dévotion ; puis au parloir, où on se presse pour recueillir ses conseils ; un mot circule dans la ville, qui fait autorité : « La sœur Rémuzat l’a dit. » L’évêque lui-même a recours à ses lumières surnaturelles tant pour les affaires de son diocèse que pour celles de son âme, et il lui voue une admiration et une estime qui ne se démentiront jamais. Pressée enfin par le divin Maître, elle va fonder l’Association de l’Adoration perpétuelle du Sacré-Cœur dont sainte Marguerite-Marie avait eu la première l’idée, mais que sœur Anne-Madeleine va étendre au monde entier, avec l’aide de Mgr de Belsunce. Elle en rédige les statuts, en fixe les prières : c’est à elle que nous devons les Litanies du Sacré-Cœur.
On peut ainsi lire dans le livret qui fut imprimé en 1718 pour tous les associés : « L’objet particulier et le plus propre de cette dévotion, c’est le Cœur adorable de Jésus-Christ qui l’a porté à se livrer pour nous à la mort et à se donner à nous dans le Très Saint-Sacrement de l’autel [...].
« La fin qu’on se propose dans cette Association, c’est premièrement de remercier Notre-Seigneur Jésus-Christ de l’amour et des sentiments de tendresse qu’Il a actuellement pour nous dans l’adorable Eucharistie ; deuxièmement, de réparer autant qu’il est en notre pouvoir les indignités et les outrages. » (p. 180-181)
Non seulement Mgr de Belsunce approuve l’Association mais il s’y inscrit le premier, en 1718, ce qui déclenche un mouvement magnifique de dévotion au Sacré-Cœur dans toute la ville. « Le monastère fut comme assiégé, les parloirs ne désemplissaient pas, et plusieurs religieuses suffisaient à peine à recevoir les noms de toutes les personnes qui demandaient à être admises dans la nouvelle confrérie. » (p. 191)
Il faut dire qu’un mois auparavant, lors des Quarante Heures de cette même année 1718, les Marseillais avaient reçu un avertissement céleste : le Saint-Sacrement étant exposé dans l’église des Cordeliers, « tout à coup, Notre-Seigneur Jésus-Christ se montra visiblement dans l’Hostie ; son visage était si éblouissant de majesté, son regard à la fois si tendre et si sévère que personne ne pouvait en soutenir la vue. Les fidèles assemblés dans l’Église demeurèrent terrifiés. » (p. 199-200)
Avant que la nouvelle n’eût franchi le seuil du sanctuaire et à l’heure même où le miracle eucharistique avait lieu, sœur Anne-Madeleine en recevait la connaissance par voie surnaturelle. Dieu lui fit connaître qu’il était irrité contre Marseille et qu’il opérait ce prodige étonnant afin que la ville se convertisse. Sinon, il était prêt à la frapper d’une manière si terrible que l’univers en serait épouvanté.
Hélas ! malgré tous les efforts redoublés de son saint évêque, Marseille, ville riche et prospère, ne revint pas de son immoralisme, ni le clergé de son jansénisme.
1720 : UN FLÉAU APOCALYPTIQUE
La peste fit son entrée dans le port, le 25 mai 1720, dans les flancs du navire de commerce, “ le grand saint Antoine ”, en provenance de Syrie.
Dans l’intérêt du négoce, on fit d’abord silence sur la maladie, malgré les morts, très inquiétantes, à l’arrivée du navire ! Puis, début juillet, il ne fut plus possible de nier l’évidence : c’était bien la peste, qui gagna tous les quartiers de la ville, menaçant les provinces voisines et le royaume tout entier. On entoura la ville d’un cordon sanitaire : plus aucun commerce avec l’extérieur, ni sur terre ni sur mer. Marseille la pestiférée, la maudite, était abandonnée à elle-même. À la maladie s’ajoutaient la famine, le chômage, la misère, le vol et le brigandage. Ce fut alors un spectacle d’horreur, de jour en jour plus affreux. Les symptômes de la maladie étaient effrayants : brûlés de fièvre, criblés de pustules, les malheureux se tordaient de douleurs. La mort survenait en peu de jours, parfois en quelques heures. On compta bientôt trois cents, quatre cents morts par jour, puis huit cents dans les mois les plus chauds de l’été ! Les hôpitaux, très vétustes, étaient absolument insuffisants ; mais la ville, en pleine crise financière due à la faillite de Law, ne pouvait en construire d’autres. On était réduit à la mendicité pour approvisionner les habitants en blé et autres denrées indispensables.
N’ayant pas encore découvert le bacille de la peste et son traitement, la médecine en était au même point que les docteurs Purgon et Diafoirus brocardés par Molière cinquante ans auparavant : « Purgare, saignare ». Cela ne faisait que hâter les décès. La désinfection monstre que certains tentèrent en entretenant, pendant trois jours dans toutes les rues et maisons de la ville, des brasiers de soufre pour détruire les molécules pestilentielles répandues dans l’atmosphère, ne fit qu’activer le mal. Il était évident que tout remède humain était impuissant devant le châtiment céleste : mille à quinze cents malheureux succombaient chaque jour ! Par peur de mourir sans secours, les malades se mirent à fuir leurs demeures, pour se diriger vers les infirmeries déjà surchargées.
Alors, on assista à ce spectacle incroyable, que rien ne pût empêcher, de malades organisant un lazaret en pleine rue, un véritable camp de pestiférés au grand air :
« Tout le pavé d’un côté et d’autre était couvert de malades et de mourants étendus sur des matelas sans aucun secours. La ville n’est plus qu’un vaste cimetière qui n’offre à la vue que le triste spectacle de corps morts entassés à monceaux les uns sur les autres. 2 » Mgr de Belsunce en eut jusqu’à deux cents sous ses fenêtres et lorsqu’il sortait, « pour consoler mes pauvres brebis à quoi je n’ai pas manqué chaque jour, raconte-t-il, j’étais en nécessité de marcher sur les cadavres dont les rues étaient remplies » 3.
LE BON PASTEUR
Dans ce malheur universel, ce fut en effet Mgr de Belsunce qui fut le père de la patrie et le salut des pauvres gens. Un contemporain nous en a laissé ce magnifique tableau : « Belsunce ne se borne pas à rester prosterné au pied des autels et à lever les mains au Ciel pour demander à Dieu la grâce de vouloir apaiser sa colère. » Après avoir prescrit des prières publiques, « sa charité est active ». Ayant exhorté son clergé à ne pas craindre la contagion, il donne lui-même l’exemple d’un dévouement héroïque :
« Il est tous les jours sur le pavé, dans tous les quartiers de la ville, et va partout visiter les malades [...]. Les plus misérables, les plus abandonnés, les plus hideux, sont ceux auxquels il va avec le plus d’empressement et sans craindre ces souffles mortels qui portent le poison dans les cœurs. Il les approche, les confesse, les exhorte à la patience, les dispose à la mort, verse dans leurs âmes des consolations célestes ». Il distribue tout ce qu’il peut de sa fortune pour soulager les misères de son cher troupeau ; et pour accroître ses aumônes, il se contente, « comme le peuple, de poisson salé et de pain bis ».
Il soutient de tout son pouvoir le courage des échevins, tout particulièrement dans l’écrasante charge qui leur incombe d’ensevelir les morts. À la fin de l’été 1720, la situation était désespérée : en trois mois, la ville avait été réduite de moitié, avec quarante mille morts. « Il y aura dans moins de huit jours, écrit un contemporain, quinze mille cadavres sur le pavé, tous pourris, par où on sera tout à fait contraint de sortir de la ville et de l’abandonner peut-être pour toujours à la pourriture, au venin et à l’infection qui y croupira. » (Praviel, p. 149).
Les forçats réquisitionnés pour transporter les tombereaux de cadavres ne s’en acquittaient que sous menace de pendaison. Mgr de Belsunce monta lui-même sur la première de ces charrettes de la mort, pour les encourager et réciter des prières tout le long du trajet. Mais il fallut l’intervention du commandant Charles-Claude Andrault de Langeron, sorte de dictateur envoyé par Paris pour remettre de l’ordre dans la ville livrée à l’anarchie, ainsi que le dévouement héroïque du chevalier Roze qui, avec cent hommes, dégagea la place de la Tourette encombrée de deux mille cadavres en putréfaction.
LA MISÉRICORDE DU SACRÉ-CŒUR
Au cœur de la ville, comme de véritables arches de Noé, les deux monastères de la Visitation traversèrent le déluge sans qu’aucune sœur périsse. « La protection dont notre très honorée Mère s’est servie pour nous garantir de la peste, tient à proclamer une visitandine, ont été beaucoup de prières, neuvaines, processions et pratiques de vertu ; de bénir l’air tous les jours avec une image miraculeuse de la Sainte Vierge et prendre de l’eau où il y avait des reliques de notre saint Fondateur. 4 »
Sœur Anne-Madeleine « s’offrit un million de fois à son Dieu pour être sa victime » et elle souffrit mort et passion durant cette peste, soutenue cependant par la promesse qu’elle avait reçue du Sacré-Cœur : qu’Il tirerait gloire de ce fléau. Enfin, le 17 octobre 1720, le Sacré-Cœur fit connaître à sa chère confidente « que la miséricorde avait eu plus de part que la justice au dessein qu’Il s’était proposé en affligeant cette ville de la contagion ; qu’Il voulait purger l’Église de Marseille des erreurs dont elle est infectée, en lui ouvrant son Cœur adorable comme la source de toute vérité ; qu’il demandait une fête solennelle au jour qu’Il s’est choisi lui-même [...] pour honorer son Sacré-Cœur ; qu’en attendant qu’on lui rendît l’honneur qu’Il demandait, il fallait que chaque fidèle se dévouât, par une prière au choix de l’évêque, à honorer selon le dessein de Dieu, le Cœur adorable de son Fils ; que par ce moyen, ils seraient délivrés de la contagion, et qu’enfin tous ceux qui s’adonneraient à cette dévotion ne manqueraient de secours que lorsque ce Sacré-Cœur manquerait de puissance. » (ibid., p. 263)
PREMIÈRE CONSÉCRATION, IMPARFAITE...
Mgr de Belsunce répondit avec empressement, et à la lettre, à toutes les demandes du Sacré-Cœur. Dans d’émouvantes cérémonies publiques, il fit amende honorable, puis consacra la ville et tout son diocèse au Sacré-Cœur. Il institua solennellement la fête du Sacré-Cœur comme fête d’obligation. « J’espère que le Cœur de Jésus aura été touché des larmes du pasteur et du troupeau réunis pour apaiser sa colère », écrit-il. En effet, dès ce même jour, la mortalité diminua d’une façon « prompte, sensible et continuelle ».
Mais le Ciel n’était pas entièrement satisfait : les échevins, dont beaucoup étaient soit jansénistes soit rationalistes, n’avaient pas participé à la cérémonie. Ils s’opposèrent à la réouverture des églises demandée par Mgr de Belsunce, et furent soutenus par une décision bien digne du Régent son auteur : « Son Altesse royale croit qu’en ouvrant (les églises), pour y remettre de la chaux, il en pourrait sortir des exhalaisons capables de ranimer la maladie ; et désire pour cette raison qu’on les fasse au contraire sceller le plus solidement qu’il sera possible avec défense de les ouvrir qu’après une année expirée. » (Praviel, p. 196)
1722. RECHUTE. LE VŒU DES ÉCHEVINS
La fin du fléau fut, hélas ! suivie d’un grand débordement de débauche, prétexte pour les jansénistes à relever la tête. En conséquence, le 1er mai 1722, la peste réapparaissait à Marseille. Notre Père explique : « Le corps de la ville ne sera converti que quand l’âme sera gagnée. Or, l’âme de Marseille, ce sont les échevins, bourgeoisie dominante qui n’a pas participé à la cérémonie de consécration. Le fléau recommence donc. Il ne reculera définitivement que lorsque les échevins donneront l’exemple et engageront publiquement la ville au Sacré-Cœur. »
C’est exactement ce que Mgr de Belsunce s’empresse de leur écrire : « Les précautions que Monsieur le gouverneur et vous prenez pour arrêter le progrès de ce qui cause nos justes alarmes, sont dignes du zèle et de la sagesse des Pères de la patrie ; mais vous le savez, Messieurs, vos soins, vos peines, vos travaux deviendront bien inutiles si Dieu lui-même ne daigne les bénir. Je viens donc vous exhorter aujourd’hui de commencer par un acte de religion qui soit capable de désarmer le bras vengeur qui paraît s’élever de nouveau contre nous. Vous vous souvenez sans doute qu’au jour de la Toussaint de l’année 1720, je consacrai cette ville et ce diocèse au Sacré-Cœur de Jésus [...] et que, dès ce même jour, nos maux diminuèrent sensiblement, continuellement et sans rechute ; mais vous devez vous souvenir aussi que Messieurs les échevins ne purent alors paraître entrer dans cette consécration [...]. Pour réparer cela, Messieurs, je crois devoir vous proposer de faire incessamment [...] un vœu stable au Divin Cœur de notre Sauveur. 5 »
Cette fois, les échevins répondirent avec conviction : « S’il fallait des exemples pour nous persuader que tous les efforts des hommes sont vains contre les progrès de la contagion et que le fléau de la colère de Dieu ne peut être arrêté que par des actes de religion [...], il n’en faudrait en effet pas d’autres que celui que Monsieur l’Évêque nous cite dans la lettre, puisque tout le monde vit alors, réellement et de fait, que le mal baissa continuellement jusqu’à sa fin, dès le jour de la consécration qu’il fit de cette ville au Sacré-Cœur de Jésus [...]. Sur quoi il a été unanimement délibéré que nous, échevins, ferons un vœu ferme, stable et irrévocable entre les mains de Monsieur l’Évêque, par lequel en ladite qualité, nous engagerons nous et nos successeurs à perpétuité, d’aller toutes les années au jour duquel il a fixé la fête du Sacré-Cœur de Jésus, entendre la sainte Messe dans l’église du premier monastère de la Visitation, dite des Grandes- Maries, y communier et offrir en réparation des crimes commis en cette ville un cierge ou flambeau de cire blanche du poids de quatre livres, orné de l’écusson de la ville, pour brûler ce jour-là devant le Saint-Sacrement, et d’assister sur le soir du même jour à une procession générale d’actions de grâces, que nous prierons et requerrons Monsieur l’Évêque de vouloir établir aussi à perpétuité. »
La cérémonie eut lieu le 12 juin 1722, en la fête du Sacré-Cœur, au milieu d’un grand concours de peuple « plus attiré par la dévotion que par la curiosité ». C’en était fait : Marseille était devenue officiellement la ville du Sacré-Cœur et elle jouit promptement de ce glorieux privilège. Dès le 12 juin, la peste diminua si sensiblement qu’on ne pouvait s’empêcher de crier au prodige. La délivrance, cette fois, fut définitive : jamais la peste ne reparut à Marseille.
LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR SE PROPAGE
Ce miracle eut un grand retentissement dans tout le royaume et déclencha une extension prodigieuse du culte du Sacré-Cœur, en France et dans tout l’univers. Les régions avoisinantes : Toulon, Aix, Arles, Carpentras, Avignon, se consacrèrent au Sacré-Cœur ; les confréries du Sacré-Cœur se développèrent merveilleusement : il y en avait deux cents en 1717 et, en 1765, on en comptait mille cent « jusque dans le Levant, en Syrie, au Caire, en Perse, aux Indes, à la Martinique, à la Guadalupe, à Saint-Domingue, etc. » Mgr de Belsunce se réjouissait du progrès de la dévotion au Sacré-Cœur dans le bon peuple, mais, comme Anne-Madeleine, il aurait désiré davantage : que le Pape étende l’établissement de cette fête à toute l’Église. Il multipliera les suppliques à cet effet, mais il devra attendre encore trente-cinq ans l’approbation romaine.
Refusant les offres avantageuses de cardinalat, le saint évêque resta toujours fidèle à sa chère ville de Marseille, ne cessant de lui rappeler le tribut de reconnaissance qu’elle devait au Sacré-Cœur. Nous sommes fiers de le compter parmi les ancêtres de notre Père !
Quant à sœur Anne-Madeleine, les consolations célestes succédant aux grandes épreuves de la peste, achevèrent de la configurer à sainte Marguerite-Marie : en la fête de la Purification de la Très Sainte Vierge, « il m’a semblé que Jésus-Christ se présentait à moi et que, m’enlevant mon cœur, Il le mettait dans le sien qui m’a paru être une fournaise ardente, où mon cœur s’est trouvé en un instant changé en feu. Après quoi, m’ayant remis mon cœur à sa place naturelle, j’ai éprouvé les mêmes douleurs qu’on sent quand on applique le feu à quelque partie du corps. 6 » Il lui en resta la trace d’un petit cœur vermeil miraculeusement gravé sur la peau.
Elle continua à remplir son office d’apôtre du Sacré-Cœur, en particulier auprès des visitandines gagnées au jansénisme et que, sur ordre du Roi, on avait dû chasser de leur monastère. On fit assaut de prières au Sacré-Cœur, « et, par une espèce de miracle », toutes les sœurs égarées se convertirent par « un changement si prompt, si entier et si peu attendu » qu’elles purent reprendre la vie régulière dans leur monastère de Castellane.
Enfin, à l’âge de trente-trois ans, comme son Divin Maître, ainsi qu’elle en avait reçu l’assurance depuis son tout jeune âge, Anne-Madeleine mourut, le 15 février 1730, « s’abîmant » avec bonheur « dans le Sacré-Cœur de Jésus », selon ses dernières paroles. Les faveurs spirituelles et temporelles obtenues par son intercession abondèrent aussitôt : on travailla très vite à sa béatification. Le triomphe public et notoire de la propagatrice du Sacré-Cœur suscita la même haine que la Vie de sainte Marguerite-Marie de Mgr Languet.
Grâce à leur journal, “ Les Nouvelles ecclésiastiques ”, les jansénistes répandirent partout en France des factums outrageants contre Mgr de Belsunce et « sa prétendue sainte », accusée d’être « une quiétiste, une prostituée, une obsédée, une ensorcelée, un monstre d’abomination » (ibid., p. 78). Leur but, expliqua Mgr de Belsunce, n’est pas de faire connaître la vérité sur la sainte visitandine, mais « de décrier en général et les personnes qui font profession de dévotion et la dévotion elle-même » (ibid., p. 64), de permettre aux libertins et aux hérétiques d’insulter notre sainte religion. Finalement, cette campagne ne fit qu’accroître le rayonnement d’Anne-Madeleine Rémuzat qui sera déclarée vénérable en 1886.
La délivrance miraculeuse de Marseille par le Sacré-Cœur, dès lors qu’on Lui obéissait entièrement, encouragea les âmes durant tout le XVIIIe siècle, leur apparaissant « comme la répétition générale de ce que toute la France devrait faire », dit notre Père 7. Une prière retrouvée dans le portefeuille de Madame Élisabeth, écrite de sa main, exprimera cette conviction à la fin du siècle. Nous la retrouverons ; elle demeure, aujourd’hui plus que jamais, d’une brûlante actualité et fonde toute notre espérance.
Contre-Réforme Catholique n° 350, octobre 1998
La propagatrice de la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, la vénérable Anne-Madeleine Rémuzat, religieuse professe de la Visitation Sainte-Marie au premier monastère de Marseille, d’après les documents de l’Ordre, 1894, p. 77.
Armand Praviel, Belsunce et la peste de Marseille, éditions Spes, Paris 1938, p. 117.
La vénérable A.-M. Rémuzat, p. 275. – (3) Ibid., p. 243-244.
La vénérable A.-M. Rémuzat, p. 289-290.
La vénérable A.-M. Rémuzat, p. 333.
L 73, Heure sainte prêchée à Reims en 1991 : Quel châtiment, pour le péché des Rois très Chrétiens et de leurs peuples ? enregistrée sur cassettes sous le sigle
L 73. Cf. A 39 : La peste de Marseille arrêtée par Mgr de Belsunce au nom du Sacré-Cœur.