L’orgueil des réformateurs
Très Saint Père,
L’orgueil des réformateurs qui, dans les siècles passés, se heurta toujours à la fidélité sainte du Magistère Apostolique au Christ son Fondateur, a reçu aujourd’hui de l’Autorité Suprême toute latitude pour « rénover » notre Église traditionnelle et, par un « aggiornamento » décisif, la ramener à l’Évangile, la purifier de tout ce qui, en elle, portait trace d’imperfection séculaire, corriger tout ce qui répugnait au monde moderne et contrevenait à ses exigences. Ainsi, les pionniers glorieux de cette réformation de l’Église projettent de la présenter enfin aux hommes, conforme à l’Utopie dont ils rêvent depuis longtemps. Aux prétendus Réformateurs du XVIe siècle, Protestants chassés de l’Église pour schisme et hérésie, et réduits ainsi à l’attaquer du dehors, aux Modernistes qui complotaient secrètement de changer la foi et les institutions de l’Église en agissant de l’intérieur, mais à l’encontre d’une Hiérarchie qui les réprouvait – de l’encyclique « Pascendi » (1907) et la « Lettre sur le Sillon » (1910) à l’encyclique « Humani Generis » (1950) – font suite depuis le 11 octobre 1962 ces Réformateurs mandatés, Pères Conciliaires ou experts, dont l’œuvre de réinterprétation des dogmes, de refonte de la morale, de modernisation des rites et de la discipline, est considérée dans son principe et sous sa forme la plus générale de « rénovation », par la Hiérarchie elle-même, comme inspirée et conduite par « l’Esprit ». L’Église Romaine, hier encore « une, sainte, catholique et apostolique », est donc « en état de réforme permanente ». Elle change, à une allure accélérée. Elle change de visage et d’âme, sous Votre Pontificat. Elle méritera bientôt le titre envié, mais peu enviable, d’Église Réformée.
Dans cette dérive qui l’emporte loin de son lieu d’origine, dans cette transfiguration (ou défiguration) de son être historique, dans cette ouverture au monde, un fait s’impose à l’attention de Votre Sainteté, celui de la division de l’Église, dans les cœurs et dans les pensées. La compréhension d’un concept ne peut évoluer sans que varie dans la même mesure son extension. Le « peuple de Dieu » de la Nouvelle Réforme n’est plus exactement le même que le peuple fidèle catholique de naguère. Ceux qui prétendent trouver la règle de leur mentalité et de leurs habitudes neuves dans l’Avenir humain, se divisent nécessairement de ceux qui l’ont trouvée à jamais et en plénitude dans le Passé chrétien. Laissons la masse indistincte du troupeau qui accepte tout, l’ancien et le nouveau, avec l’obéissance aveugle et la foi du charbonnier. Son consentement amorphe, ou sollicité par les autorités du jour, ne prouve rien de bon. Le fait de la division éclate aux extrêmes. Ici c’est un groupe résolu de fidèles catholiques qui adhèrent pleinement à l’Église antéconciliaire mais répugnent à entrer dans la nouveauté postconciliaire. Là ce sont des infidèles, des schismatiques ou hérétiques, des excommuniés que, nonobstant leur refus formel d’adhérer à l’Église visible du Christ, cette Église Nouvelle considère comme siens. Prenons deux exemples. Intégralement fidèle à la foi catholique et officiellement tenu (encore) pour membre de l’Église dans la pleine acception du terme, je réprouve cependant de toutes mes forces la Réforme actuelle, ses démolitions comme ses innovations, et suis considéré pour ce motif, pratiquement, comme une sorte de renégat de l’Église « vivante » postconciliaire. En revanche un Pasteur Schutz, quoique formellement hérétique au regard de l’Église-en-état-de-réforme comme l’un des leurs, comme un frère dans lequel habite l’Esprit Nouveau de Dieu ! Me voici empêché par l’Autorité ecclésiastique de célébrer la Sainte Messe dans le diocèse où je réside, quoique prêtre catholique, en raison de mon opposition aux nouveautés, mais Barbarina Oison se voit accorder par Votre Sainteté la communion sacramentelle au Corps du Christ quoique, presbytérienne obstinée, elle ne veuille aucunement appartenir à l’Unique (ancienne) Église du Christ. Ils sont donc membres de l’Église nouvelle, ceux-là que leur hérésie ou leur schisme excluent formellement de la Communion Catholique ? Et combien de temps encore seront comptés parmi les membres du Corps Mystique du Christ les milliers de fidèles et de prêtres qui refusent de passer à la Réforme ?
Cette division n’est pas matérielle ni superficielle. Elle est spirituelle et formelle. Il existe parmi nous deux religions constituant deux Églises, celle de la dogmatique immuable et celle de la pastorale moderne, celle du catholicisme et celle de l’œcuménisme, celle du culte de Dieu en Jésus-Christ et, selon Vos propres expressions, celle du culte de l’Homme dans le monde. Ces deux religions ne sont pas identiques ; celle-ci ne sort pas de celle-là par développement logique, elle prétend d’ailleurs manifester mieux que l’autre le véritable et pur Évangile. Ces deux Églises ne coïncident pas, puisque les fidèles de l’une n’appartiennent pas de ce seul fait à l’autre. Il y a rupture dans la Tradition historique, par superposition ou substitution d’une foi religieuse à une autre. Il y a scission dans la société catholique entre tenants de l’ancienne appartenance et fervents de la nouvelle. Votre Sainteté elle-même n’a pas le pouvoir d’obliger les opposants à embrasser la réforme conciliaire au nom de la foi catholique. Cela dépasse les saintes nécessités de notre religion. Pas davantage n’avez-vous requis le Pasteur Schutz ni Barbarina Oison d’abjurer leur hérésie et de rentrer dans l’Église Unique pour demeurer dans Votre communion et Votre fraternité. Ce double échec, cette impuissance à nous persuader et cette hésitation à les convertir, est de la dernière gravité. Il met en cause les quatre notes divines de l’Église Romaine, entraînée par ses Pontifes dans une mutation qui la déchire et en ébranle les fondements apostoliques.
Ces deux doctrines, formant deux Églises qui ne se recouvrent qu’en partie, trouvent à n’en pas douter leurs sources dans deux pouvoirs distincts, soit qu’on évoque une « Hiérarchie parallèle » dissimulée au voisinage de la Hiérarchie Sacrée, soit plutôt que ces deux pouvoirs subsistent simultanément dans les mêmes personnes constituées en dignité. Avant le Concile, la faction réformiste attaquait « l’intégrisme » du Magistère, mais celui-ci n’en était pas ébranlé et restait fidèle à son unique devoir. Depuis le 11 octobre 1962, Votre Prédécesseur et Vous-même considérez comme deux fonctions conjointes de la Puissance Hiérarchique l’un et l’autre rôle, de conservation et de réforme, de gouvernement de l’Église et de création d’une société œcuménique nouvelle. Les évêques ont admis, tous apparemment, de Vous suivre dans cette double préoccupation. Alors que les prédécesseurs de Votre Sainteté étaient exclusivement les Vicaires de Jésus-Christ, les Pasteurs des fidèles de toute l’Église et d’eux seuls, Votre Personne apparaît pour une part comme le chef légitime de l’Église apostolique et pour une autre comme le fondateur d’une nouvelle communauté, investi d’un autre Esprit. Le Pape Paul VI, 263e successeur de saint Pierre est Notre Souverain Pontife, et nous reconnaissons pleinement son autorité divine selon les anciens canons ; mais il se veut aussi le chef de file du réformisme, le pionnier d’une nouvelle et étrange religion, le promoteur de cette communauté universelle qui doit regrouper « tous les hommes de bonne volonté » sur la base d’un « humanisme transcendant » hérité de la Révolution de 1789 et de sa philosophie maçonnique. Ce sont deux fonctions disparates, contradictoires, et c’est trop pour un même homme. J’ai parlé ici de Paul VI et là de Jean-Baptiste Montini, attribuant à la personne civile tout ce qui ne pouvait relever du Magistère ecclésiastique, pour donner corps à cette distinction nécessaire. Certains ont jugé cette manière irrévérencieuse. Mais ce serait une plus grande faute de confondre avec l’Autorité du Siège Apostolique les initiatives du Prophète d’un quelconque « Mouvement d’Animation Spirituelle de la Démocratie Universelle » (M.A.S.D.U.) qui n’a rien de commun avec l’Église ! Le Prince de ce MASDU n’est pas, en tant que tel, le Successeur de saint Pierre. Malgré l’unité de la personne individuelle, les deux pouvoirs n’ont pas la même source ni la même fin ni la même autorité. Les juifs du B’nai B’rith, les bouddhistes, les soviétiques qui sont accueillis par Vous comme des frères en humanité, invités à collaborer à la construction mondiale de la Paix, ne reconnaissant que le Prince du MASDU, le collègue de M. U’Thant, non le Chef de l’Église du Christ. Nous nous inclinons devant Celui-ci, au contraire, et nous nous soumettons à son autorité, sans reconnaître aucunement Celui-là.
Dans cette situation sans précédent, quel est notre devoir ? où chercher le salut ?
Nous n’avons, nous qui refusons ce déplorable, ce déjà funeste Aggiornamento, aucune raison, aucune obligation, aucun désir de quitter l’unique Église du Christ qui seule a les paroles de la vie éternelle. La maladie qui l’affecte présentement, dans sa Tête et dans ses membres, ne nous la rend que plus chère. Certains qui nous ont invités à partir, parce que nous les gênions dans leur œuvre de réforme, se sont étrangement mépris sur nos sentiments : nous ne serons ni schismatiques ni apostats, quand bien même ils nous pousseraient à bout. La plus sourcilleuse Inquisition ne trouvera pas non plus matière à procès en hérésie dans notre foi qui est, intégralement et simplement, la foi de l’Église « antédiluvienne » pour parler comme les nouveaux théologiens. Car la Réforme conciliaire, on le sait, n’a rien voulu imposer, de ce qu’elle a innové, à notre religion. Resterait l’excommunication. C’est bien de cette arme facile qu’on se sert pour nous perdre de réputation, aux échelons subalternes. Mais Votre Sainteté ne pourrait excommunier de vrais fidèles de l’Église Romaine sans se poser en chef de parti et non plus en Père Commun, mettant les projets et les intérêts d’une secte avant la Foi et la Loi de l’Église même. On n’excommunie pas les vrais catholiques, même rebelles aux opinions et directives du moment, surtout quand on ouvre les bras aux hérétiques et aux infidèles obstinés comme à des fils. Nous sommes et resterons donc catholiques romains.
La solution sera- t-elle de séparer dans un même « Peuple de Dieu » deux communautés, celle des « vieux-catholiques » et celle des « néochrétiens », cette ségrégation laissant la liberté de vivre selon leur foi, leurs rites séculaires et leur discipline, à ceux qui demeurent étrangers, indifférents ou hostiles aux innovations postconciliaires ? Ainsi vivraient côte à côte la Religion catholique de la stricte Observance et la Religion mitigée de l’Aggiornamento. Chacun des deux rameaux se jugerait à ses fruits. Voilà bien où le « pluralisme » devrait paraître légitime aux novateurs. Ils devraient ne pas craindre cette confrontation des doctrines et des liturgies, cette émulation dans l’apostolat, les leurs étant tellement plus adaptés au Monde moderne ! Hélas, cette liberté, Votre Sainteté ne nous la reconnaîtra jamais, pas plus que ne nous la laissent dès maintenant nos évêques. Car ce serait avouer, d’un coup, le caractère arbitraire et improvisé, inutile et incertain, de cette immense refonte de l’Église que les masses et nombre de leurs pasteurs ne subissent que par relâchement, par obéissance ou par contrainte. À brève échéance paraîtraient, en regard du désordre et des divisions, du malaise général et de la décadence que le Concile produit partout, les fruits de grâce excellents, miraculeux, que la stricte observance de l’Église Romaine antéconciliaire obtient immanquablement, en vertu des promesses divines. Il faut que nous ayons tort pour que la Réforme ait raison. Pour qu’elle triomphe il faut que nous soyons réduits à rien, et nous le sommes presque. Notre survivance seule est insupportable à la Secte moderniste qui tient l’Église dans sa main, pour l’étouffer.
Il n’existe donc, il ne saurait exister, aujourd’hui comme hier, avant comme après ce nouveau Déluge, ou cette « Nouvelle Pentecôte », qu’une seule et indivisible Église, celle de Jésus-Christ, jamais réformée, à laquelle appartiennent de plein droit tous et chacun de ceux qui confessent la foi des Apôtres et se rangent sous l’Autorité sainte du Siège Romain. En deçà comme au-delà sont les schismes et les hérésies, des novateurs et des dissidents. Si la réforme décidée par ce Pontificat et ce Concile est le développement logique et surnaturel de ce qui a été professé et pratiqué, toujours et partout, qu’on le dise, et qu’on le prouve en réduisant d’abord au silence ceux qui enseignent le mépris du passé de l’Église dont ils font table rase. Et qu’on ne parle plus de « Réforme de l’Église » ! Alors nous retrouverons la paix et l’unité d’antan. Solution impossible ! Le Modernisme est irréductible au dépôt de la foi, l’Église Nouvelle se bâtit sur les ruines de l’Antique, la Réforme s’oppose en général et dans le détail à la Tradition, comme le prétendu bien nouveau et la perfection pastorale au mal séculaire et au péché ancien de l’Église. Alors, il n’y a de salut que dans l’oubli, l’abolition, la rétractation de toutes ces modes et ces fables mondaines qui auront un instant occulté le Mystère divin de la Sainte Église. Qu’est- ce que cinq ans d’aberration collective et d’orgueil insensé en regard de la Sagesse bimillénaire de la Hiérarchie apostolique ?
Tôt ou tard et quoi qu’il en coûte, Votre Souverain Magistère devra en venir à ces mesures extrêmes. Chaque jour qui passe aggrave la confusion et compromet l’avenir...
En concluant ainsi au rejet pur et simple de cette « Seconde Réforme », ma main ne tremble pas. Ce qui arrive dans l’Église depuis l’ouverture du Concile est œuvre de propagande et s’impose comme un engouement futile, le caprice d’un jour. Les puissances mondaines que ces nouveautés enchantent les acclament à grand bruit. Cette apparence d’adhésion générale, d’enthousiasme universel, contribue à entraîner le troupeau et semble même à beaucoup de Pasteurs « un signe de Dieu », mais cela ne peut faire impression sur des esprits réfléchis. Au contraire, bien des choses leur paraissent suspectes dans cet étrange Concile, et peut-être les Évêques y ont-ils été victimes d’un « brigandage » tel qu’on en trouve peu dans l’histoire de l’Église. Abusant de la vieillesse d’un Pape, on se servit de sa voix pour fixer à l’Assemblée œcuménique le plus insolite, le plus inattendu des programmes, celui de la Réforme de l’Église elle-même, au lieu de la répression des erreurs et des fautes de ses membres. Dès ce moment, toute l’œuvre conciliaire était dévoyée. Des théologiens, un concile, un pape même, « un ange » dirait saint Paul, nul n’a inspiration ni grâce pour réformer ce que Jésus-Christ Lui-même a institué et renverser ce que son Esprit-Saint a créé dans la suite des siècles. Le pouvoir religieux de la Hiérarchie s’arrête au seuil de ce sacrilège, de soi nul et non avenu. Dépositaires et Docteurs de la foi, Pasteurs chargés d’opérer le salut des âmes par la grâce et la loi du Christ, le Pape et les Évêques vivants ne sont pas, selon saint François de Sales, les seigneurs propriétaires de l’Église mais ses administrateurs. Ils n’ont reçu ni ne recevront jamais mission d’en assurer la métamorphose, et la formule révolutionnaire, partout répétée, d’une « Église nouvelle pour un monde nouveau » ne vient pas de Dieu. La pierre angulaire de l’Église c’est le Christ, et nul autre. Une seule Pentecôte a suffi, toute autre ne pourrait venir que d’un autre Esprit, d’un Antichrist.
Chose étonnante, il ne s’est trouvé personne pour s’opposer dès le principe à un tel programme. Tous ont accepté d’entreprendre cette œuvre pour laquelle ils n’avaient nulle compétence juridique ni lumières divines, œuvre qui n’était pas à tenter ni même à désirer. Ainsi se sont-ils égarés dans des voies de perdition, et avec eux toute l’Église jusqu’à ce jour. Les nouvelles doctrines ne se sont pas accordées aux dogmes révélés, les innovations dites pastorales ont porté atteinte aux institutions séculaires et ne les ont pas remplacées. Rien n’est sorti de bon ni de fort d’une telle autocritique, d’aucuns disent de cette « autodestruction » du christianisme. Le Concile est terminé mais la manie du changement universel et perpétuel s’est répandue partout, accumulant les ruines. C’est donc à cette orientation subversive, à cette fièvre de réforme qu’il faut enfin s’opposer. Les conséquences sont trop visibles, si l’erreur de principe l’était moins. Il est temps de revenir de cette immense méprise qui offusque si gravement l’aspect divin de l’Église et le caractère infaillible de sa Hiérarchie apostolique. Il est urgent de réhabiliter l’ordre de la Tradition catholique et de développer une doctrine de contre-réforme, si l’on veut sauver l’Église.
Un Évêque a cru bon de me faire savoir l’indignation de ses Collègues français et même européens à la lecture de mes critiques des débats conciliaires. « L’ÉGLISE N’A PAS BESOIN DE RÉFORMATEURS MAIS DE SAINTS » m’écrivait-il. Paradoxalement, c’était exactement tout le fond de ma pensée, et de celle d’une multitude de prêtres et de fidèles qu’effrayait l’ébranlement de toutes choses dont l’Assemblée conciliaire donnait le spectacle. C’est encore la substance de cette Lettre ouverte que j’ose adresser à Votre Sainteté. Je suis persuadé que la bonne foi des Pères Conciliaires s’est laissée surprendre par une théorie subtile de la réforme nécessaire et continue des institutions ecclésiastiques comme des formules dogmatiques, théorie que de savants théologiens ont su leur présenter comme étant « la dialectique même de la vie ». L’erreur est là. Elle tient toute dans le renversement de la maxime de ce bon Évêque, ou de cette autre, venue du fond des âges : « L’ÉGLISE TOUJOURS SAINTE EST SANS CESSE À RÉFORMER ». Cela s’entendait aisément, avant que des agitateurs n’aient corrompu le Sens commun de l’Église. Sainte dans ses institutions, infaillible dans sa doctrine, l’Église est sans cesse à corriger, à purifier, à redresser dans ses membres pécheurs et faillibles. Mais voici la révolution de notre âge, voici que la Tête et les membres de l’Église s’imaginent aujourd’hui être sages et saints, inspirés, infaillibles, et décident la réforme des institutions et doctrines séculaires, qu’ils jugent pécheresses et défaillantes ! Les saints, les parfaits de cette génération vont purifier l’Église de ses désordres et de ses abus millénaires, pour la rendre enfin ce qu’elle n’était plus, un « signe dressé parmi les nations », la Lumière du monde !
L’IDÉE CENTRALE DE CE PONTIFICAT ET DE CE CONCILE :
LE PROJET D’UNE RÉFORME DE L’ÉGLISE
Le 11 octobre 1962, l’Église Catholique Romaine réunie en Concile œcuménique a décidé d’entreprendre sa propre réforme : « optatam totius Ecclesiae renovationem », la mise à neuf désirée de l’Église entière. Ce sera une « nouvelle Pentecôte », une mue sans autre précédent, dit-on, que la transformation du Judaïsme en Christianisme accomplie par le Christ et le Collège Apostolique. C’est Jean XXIII qui l’annonce. L’imprécision même de son discours confère à l’idée d’un renouvellement universel sa puissance de déflagration formidable. Dès ce jour le Parti de la Subversion l’emporte ; ses audaces sont d’avance privilégiées. Le Pape écarte « les prophètes de malheur » et jette ainsi le discrédit sur ceux qui veillent à la pureté de la doctrine et qui tiennent aux institutions séculaires ; on ne leur mesurera plus les avanies. En renonçant à « brandir les armes de la sévérité » pour « recourir au remède de la miséricorde », il assure d’une totale impunité les prophètes d’erreur et de désordre. Les faux docteurs profiteront aussitôt de cette étrange magnanimité pour parler fort et s’imposer. Le Pape, lui, Prophète de bonheur, annonçait au Concile un succès inouï, miraculeux, sans d’ailleurs en rien préciser : « Aujourd’hui l’Église, enfin libérée de tous les obstacles profanes d’autrefois, peut, depuis cette basilique vaticane, comme un second Cénacle (!), faire entendre sa voix pleine de majesté et de gravité. » Le Concile partira à la recherche de cette merveilleuse rénovation muni, pour principe directeur, d’un mot magique qui promettait tout mais ne disait rien : Aggiornamento. Le jour de la clôture de la première session, le 8 décembre 1962, l’enthousiasme réformiste du Pape est à son comble, alors que le Concile piétine : « Ce sera alors vraiment la nouvelle Pentecôte si attendue... Ce sera un nouveau bond en avant... »
On a prétendu que le Cardinal Montini avait inspiré le discours du 11 octobre. Toujours est-il que Votre Sainteté connaissait, mieux que son Prédécesseur, le programme précis qui viendrait remplir le cadre vide de la réforme annoncée. À Bethléem, le 6 janvier 1964, Vous en laissiez deviner le caractère radical et l’ampleur : « Nous vivons l’heure historique où l’Église du Christ doit vivre son unité profonde et visible... Nous devons achever notre Concile œcuménique ; Nous devons assurer à la vie de l’Église une nouvelle façon de sentir, de vouloir et de se comporter (je souligne à dessein ces propos stupéfiants) ; lui faire retrouver une beauté spirituelle sous tous les aspects : dans le domaine de la pensée et de la parole, dans la prière et les méthodes d’éducation, dans l’art et la législation canonique. Il faudra un effort unanime auquel tous les groupements devront apporter leur collaboration. Que chacun entende l’appel que lui adresse le Christ par Notre voix ». La Réforme sera donc totale et totalitaire. L’Église n’avait jamais entendu le Christ lui adresser un tel appel par la bouche d’un Pape.
Votre Sainteté soutenait le réformisme, dès lors il mena le Concile souverainement. On s’engagea dans les voies d’une nouvelle formulation et même d’une réinterprétation des dogmes, selon le vœu exprimé dans le discours du 11 octobre (texte italien) : « Il faut que cette doctrine certaine et immuable, qui doit être respectée fidèlement, soit étudiée et exposée suivant les méthodes et la présentation dont use la pensée moderne. Car autre est la substance de la doctrine antique contenue dans le dépôt de la foi, autre la formulation dont on la revêt, en se réglant, pour les formes et les proportions, sur les besoins d’un magistère et d’un style surtout pastoral. » Cette effarante explication avait introduit au cœur du Concile la plus pernicieuse erreur et la plus importante des revendications du Modernisme. Dès l’ouverture de la deuxième session, le 29 septembre 1963, Votre Sainteté décidait l’adaptation des institutions ecclésiastiques au monde moderne dans l’abandon ou la correction des traditions séculaires. C’était la seconde des revendications du Modernisme. Vous disiez : « Oui, le Concile tend à un renouveau de l’Église. Mais ne nous méprenons pas sur les désirs que Nous exprimons : ils n’impliquent pas l’aveu que l’Église d’aujourd’hui puisse être accusée d’infidélité substantielle (je souligne ce « substantielle ») à la pensée de son divin Fondateur. Au contraire, la découverte approfondie de sa fidélité substantielle envers le Christ la remplit de gratitude et d’humilité, et lui infuse la force de corriger les imperfections qui sont dues à la faiblesse humaine (... et voilà ouvert aux démolisseurs l’immense domaine de l’infidélité... « accidentelle » de l’Église à son divin Fondateur !). Le renouveau visé par le Concile ne consiste donc pas en un bouleversement de la vie présente de l’Église, ni en une rupture avec sa tradition dans ce qu’elle a d’essentiel et de vénérable, mais il est plutôt un hommage rendu à cette tradition, dans l’acte même qui veut la débarrasser de tout ce qu’il y a en elle de caduc et de défectueux, pour la rendre authentique et féconde. » Après un hommage rapide à la tradition, de fait, on fit un grand débarras.
Telle fut donc la décision prise et tenue : entreprendre la réforme de l’Église, dans toute sa manière d’être, de penser, de vouloir, d’agir, pour lui faire retrouver une vitalité et une beauté spirituelle qu’elle avait jadis perdues. Et telle fut la garantie qui couvrit ce projet audacieux et toute son exécution : les formules seraient changées mais non la doctrine, seule la forme serait nouvelle et non le fond, le rajeunissement et la purification des institutions secondaires et humaines ne devront en aucun cas porter atteinte à la substance divine et intangible de l’Église. Le Pape affirmait que cette rénovation était possible, souhaitable, voulue de Dieu et vouée au succès. Le Concile s’engagea avec enthousiasme dans cette activité réformiste que Votre Sainteté trouvait à exprimer en images saisissantes « L’Église veut se voir dans le Christ comme dans un miroir : si ce regard révélait quelque ombre, quelque déficience sur le visage de l’Église ou sur sa robe nuptiale, que devrait-elle faire d’instinct et courageusement ? C’est clair : elle devrait se réformer, se corriger, s’efforcer de recouvrer cette conformité avec son divin Modèle qui constitue son devoir fondamental. »
Jamais Votre Sainteté n’est revenue, ni aucun évêque à ma connaissance, sur ce principe de la réforme et, face à l’immense gâchis qui en est résulté, nos Évêques et Vous-même avez invoqué seulement cette limite à ne pas franchir, cette mesure à garder, cette distinction à faire entre l’essentiel et le secondaire, entre la Tradition et les traditions, entre la Structure et les superstructures. Dès le 18 novembre 1965, Votre attitude définitive est prise : « C’est le moment du véritable aggiornamento, préconisé par Notre vénéré prédécesseur Jean XXIII. Celui-ci, en employant ce mot-programme, n’y mettait certainement pas la signification que d’aucuns tentent de lui donner, et qui permettrait de « relativiser », selon la mentalité du monde, tout ce qui touche à l’Église, dogme, lois, structures, traditions, alors qu’il y a dans ce mot un sens si vif et si ferme de la permanence de la doctrine et des structures de l’Église, que celle-ci en fait l’idée maîtresse de sa pensée et de son action. Aggiornamento signifiera donc désormais pour nous pénétration éclairée dans l’esprit du Concile et fidèle mise en application des directives qu’il a tracées d’une manière si heureuse et si sainte. Nous pensons que c’est dans cette ligne que doit se développer l’esprit nouveau de l’Église. » Ainsi les Actes du Concile sont donnés comme la loi stable de la réforme à entreprendre et le programme une fois pour toutes arrêté de l’aggiornamento. Mais à quinze jours de la clôture du Concile, ce mot magique n’a toujours pas reçu de définition claire et n’a donc ni limites, ni raison, ni fin. On ne fait pas sa part à la révolution. Du vent de tant de discours va s’élever bientôt une tempête que nul ne pourra plus se flatter d’apaiser. Reste à revenir sur tout ce programme de réforme de l’Église pour le désavouer et l’abandonner comme une tentative inouïe, impraticable et de surcroit illégitime. On ne réforme pas l’Église.
N’est-ce pas à ces conclusions radicales que nous achemine le très ferme avertissement qu’adressait en Votre Nom le Cardinal Secrétaire d’État à l’inquiétant Congrès de théologie de Toronto, en août dernier ? Il me semble y entendre l’annonce encore lointaine de la Contre-Réforme qui sauvera l’Église du XXe siècle en péril : « Dès ses origines, l’Église a dû déplorer la naissance en son sein de tentatives variées de fausses réformes et d’innovations déconcertantes, accomplies souvent sous le fallacieux prétexte d’une plus grande conformité à l’esprit et à la doctrine de l’Évangile et pour la rendre plus apte à accomplir sa mission dans le monde. Le Seigneur Lui-même avait prédit à ses disciples la venue de faux prophètes (Mt 24, 11). Les Apôtres ne manquèrent pas de dénoncer leurs premières apparitions au sein de la communauté des croyants (cf. Tt 1 : 10 ; 2 Jn 1 : 7) et de nombreux appels à la vigilance contre les propagateurs de nouveautés funestes furent lancés par les Conciles, les Papes et les évêques. »
Puisse Votre Sainteté avancer héroïquement sur les traces de tant de saints Pontifes et Docteurs de l’Église !
1 – DU CARACTÈRE INOUÏ DE CE PROJET DE « RÉFORME DE L’ÉGLISE »
L’Assemblée Conciliaire n’a pas choisi librement cette voie d’une réforme de l’Église. Elle y a été engagée par un discours du Pape et par les intrigues notoires du parti moderniste. Si elle l’a acceptée cependant, c’est parce qu’elle a été abusée par le sens équivoque de ces mots de réforme, de renouveau, et autres similaires dont on l’a assourdie. Les Évêques n’ont pas été avertis du caractère absolument singulier et novateur de l’entreprise dans laquelle on les engageait. Sans doute entendre parler du Concile comme d’une seconde Pentecôte et d’un nouveau Cénacle aurait dû les inquiéter plus que les flatter et les enivrer, comme d’un vin nouveau qui n’avait rien d’une infusion soudaine de l’Esprit-Saint. Mais les mots de « réforme » et de « réformateur » se sont appliqués à tant de Saints, à tant de grands Papes et de Conciles que le projet, formulé par la voix du Souverain Pontife, leur parut s’inscrire dans la meilleure tradition de l’Église. Et c’est en cela que la masse des évêques fut sciemment trompée. Ils étaient excusables de n’avoir jamais connu ou d’avoir oublié la théorie du Modernisme, et plus précisément la justification du semi-modernisme que tentait le R. P. Congar, dès 1950, dans son livre « Vraie et fausse Réforme dans l’Église », livre que je combattis et dénonçai aussitôt comme des plus dangereux et que le Saint-Office devait bientôt faire retirer du commerce. Les éclaircissements nécessaires qu’on refusa au Concile, « l’un de ceux qui firent le plus pour le Concile » les avait d’avance fournis, précisant : a) la réforme de type classique, qu’il n’y avait pas lieu d’entreprendre de nos jours ; b) la réforme que nul n’avait le droit de réclamer ni de tenter ; c) et, à mi-chemin de l’une vers l’autre, la réforme que le semi-modernisme voulait à toute force réaliser, dès les années 1945-1950, avec la Hiérarchie, sans elle ou malgré elle. Or la pensée d’une telle réforme, le R. P. Congar l’avoue bien, est proprement inouïe dans l’histoire de l’Église. Ces réformistes sont des novateurs. Voilà ce qui n’a pas été avoué aux Pères conciliaires, angariés dans ce mouvement par surprise.
A) « RÉFORME » ET « RÉFORMATEURS » CATHOLIQUES.
Entendue dans son sens honnête et traditionnel, l’œuvre de réforme, des Ordres religieux, du Clergé ou même de l’Église, concerne les abus et désordres moraux qui s’introduisent dans toute communauté religieuse du fait de ses membres les moins bons. « Réformer, au moyen-âge, c’est former à nouveau une chose déjà existante mais déformée ; c’est ramener à une forme primitive, supposée excellente et vigoureuse, une institution affaiblie par le temps, minée et corrompue par les abus » (L. Celier, cité par Congar, VFR, p. 357). En ce sens le premier et l’incomparable « Réformateur », c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même, selon la parole de saint Thomas : « Incarnatio Christi est reformativa totius humanae naturae » (IIIa, q. 2, a. 11). Toutes les réformes que l’Église a entreprises ou reconnues ont été celles d’abus et de désordres moraux, de décadences et de déviations, passés en habitude parfois depuis longtemps mais réprouvés sans trêve par la meilleure, par la plus saine partie de la Hiérarchie et du peuple chrétien. Parallèlement, les erreurs introduites dans la spéculation et la prédication de l’Église donnaient lieu, non à des réformes, mais à des condamnations, comme étant toujours demeurées étrangères à la véritable communion catholique. « Les réformes s’exerçaient dans l’ordre de la vie de l’Église, non dans celui de sa structure : dogmes, sacrements, constitution hiérarchique. Cela limitait assez généralement les réformes à celles des abus, par une plus stricte application des canons déjà existants ou, s’il le fallait, la promulgation de nouveaux décrets... De toute façon – c’est une constatation classique – on réformait des mœurs, non la doctrine : de celle-ci, transmise par la tradition, on condamnait au contraire toute tentative de transformation. » (ibid.).
Voilà qui est clair, noble, parfait. Quand l’Église engage une telle réforme, elle sait où elle va. Les difficultés et les obstacles peuvent être redoutables, mais elle tient une rampe ferme et peut compter sur l’aide de Dieu. C’est ainsi que tous les saints Papes et Conciles réformateurs, antérieurs à notre « Nouvelle Pentecôte », ont pris pour programme de condamner les erreurs et de réformer les abus qui s’étaient introduits dans la société chrétienne du fait de la malice ou de la faiblesse des hommes. Ces réformes s’imposaient en vertu de normes doctrinales et morales connues, au nom de la Tradition de l’Église considérée par tous comme intangible, exemplaire, sacrée. La meilleure partie de l’Épiscopat, lors de la convocation du Concile, entendait incontestablement s’appliquer avec zèle surnaturel et avec courage à une telle œuvre. Les préparations du Concile témoignent de la qualité et du nombre de ces vrais Pasteurs selon le Cœur de Dieu. Jean XXIII lui-même imaginait ainsi le « renouveau » qu’il souhaitait et dont le Synode romain lui parut le modèle et l’annonce. Ces évêques furent déçus, ils furent trompés dans leurs espérances. Le Parti réformiste ne voulait pas de cette réforme-là qui aurait commencé par sa propre condamnation. Déjà en 1950 le R. P. Congar détournait de s’engager dans de telles voies. Le temps de jeter l’anathème n’est plus et, disait-il, « quant aux abus, si criants encore au XVIe siècle, il n’y en a plus guère ; ils semblent avoir été liés avec une situation où l’Église, « sainte Église », était riche et puissante... C’est un fait, notre temps s’intéresse moins aux péchés moraux des hommes d’Église, qu’aux fautes et manques à l’égard des requêtes du temps » (Sainte Église, p. 131). Argument étonnant, qui sera repris sans fin pour donner quelque apparence d’honnêteté à ce refus formel de procéder d’abord à la condamnation des erreurs et à la répression des abus. Raison suprême : le Monde n’attend pas cela de l’Église, mais (au contraire !) qu’elle se reforme à sa mesure et à sa convenance. Le Concile n’eut pas la permission d’en discuter et d’en décider lui-même, librement. L’œuvre classique et sainte pour laquelle sont faits les conciles lui fut interdite. Il en a été de même dans tous les conciles de brigands du IVe siècle qui excommunièrent les Docteurs de la Foi, Athanase, Hilaire et les autres. Cette similitude de procédé indique clairement que nos réformistes auraient été les premières victimes de toute juste épuration de l’Église et que leur « réforme » y aurait trouvé dès le premier jour sa définitive condamnation. On a donc détourné le Concile de ce devoir capital, mais on n’a pas osé toutefois lui expliquer que la réforme qu’il allait entreprendre en serait exactement le contre-pied. La bonne foi des Pères était trahie.
B) « RÉFORME » ET « RÉFORMATEURS » DISSIDENTS.
À l’opposé de la sainte réforme catholique, les réformes qui mettent en cause ce que le R. P. Congar appelle « la structure de l’Église » sont évidemment irrecevables. Ceux qui, dans la suite des siècles, réclamèrent et entreprirent pareille subversion s’exclurent de l’Église du seul fait qu’ils portaient atteinte aux dogmes de la foi et aux institutions fondamentales, bref, à l’héritage du Christ. Notre savant expert soutient que toutes ces « fausses réformes » ont glissé d’une (prétendue) réforme des abus à une altération substantielle de la foi, à une subversion radicale de la vie sacramentelle, à une contestation de l’Autorité Apostolique. Il est important de noter qu’il rangeait alors explicitement le Modernisme, réprimé par saint Pie X, parmi ces « fausses réformes » qui portent atteinte à « la structure » et sont donc inadmissibles. En revanche, « le courant actuel de réformisme et de rénovation... semble parfaitement sain », le R. P. Congar s’en portait garant : « je témoigne (!) que, pour mon compte, je ne connais pas un seul cas où une activité réformiste procéderait de présupposés modernistes ou aurait quelque accointance avec des positions modernistes. Le donné de la foi, la tradition apostolique, la structure hiérarchique de l’Église ne sont nullement mis en question. Si elles l’étaient en telle ou telle façon, ce serait par pure inadvertance, par ignorance, sans la connaissance et la pertinacité qui font le schismatique et l’hérétique. Il n’y a rien de « révolutionnaire » dans le réformisme actuel... Le mouvement réformiste actuel vient beaucoup plus de la pureté de l’Église que de son impureté. Le spectacle que donne présentement l’Église est beau et réconfortant » (VFR, pp. 569-571). C’était écrit en 1950.
Pourrait-on encore l’affirmer en 1967 ? Certainement pas. Votre Sainteté se plaint sans cesse du « dépassement des limites autorisées par l’autorité légitime en matière d’innovations » (4-11-65). Elle prend le contre-pied des affirmations du R. P. Congar qui écrivait : « Nous savons que cette crise, qui est réelle, et cette autocritique n’ont en réalité rien à voir avec le modernisme du début du siècle... Il ne s’agit pas du dogme... Les sacrements ne sont pas mis en cause... On ne met pas davantage en question l’autorité hiérarchique... Finalement il ne s’agit pas du christianisme lui-même. Ce qui est mis en question, ce sont certains traits du visage temporel qu’il a reçu d’un autre monde historique que celui dans lequel nous avons conscience d’être entrés » (pp. 40, 183-186). C’est un fait évident, incontestable et reconnu par tous : une « fausse réforme » se développe à l’heure actuelle dans l’Église, qui met en cause, même si elle s’en défend avec énergie, « la structure », disons la Religion Catholique elle-même. Votre Sainteté use, certes, de toute la puissance de Sa parole pour attester que cette « mentalité faussement postconciliaire » n’a rien à voir avec l’authentique et admirable renouveau de l’Église. Cependant, cette inadmissible et désastreuse Révolution entretient avec la Réforme conciliaire et postconciliaire des rapports étroits : mêmes partisans, même vocabulaire, programmes similaires, développement parallèle dans le temps et dans l’espace. L’une à l’autre se prêtent un mutuel secours. Enfin, et plus que tout, modernisme et semi-modernisme, réformisme « faussement postconciliaire » et réformisme « authentiquement postconciliaire » ont les mêmes principes et ne font qu’un seul et même courant opposé au traditionalisme, dans la prétention de mener à bien aujourd’hui un sensationnel renouvellement de toute l’Église.
Retenons déjà cette constatation historique : toute réforme qui glisse jusqu’à porter atteinte au dogme, aux sacrements, à l’Autorité hiérarchique est une « fausse réforme ». Bien évidemment, personne parmi les réformateurs de 1950, de 1962 ou de 1967 ne veut ou, s’il le veut, n’avouera qu’il veut changer « la structure de l’Église ». Les modernistes, qui le voulaient, ne révélèrent jamais leurs véritables intentions. Une telle déclaration les aurait jetés dehors. Une réforme peut donc se présenter comme modérée, acceptable et progressive, pourtant être fausse, détestable, ruineuse, selon les descriptions du R. P. Congar. Cela suffit pour penser déjà que la distinction entre le réformisme conciliaire, qui serait tempéré, et l’autre qui ne le serait pas n’a aucune importance pour notre propos : la Réforme actuelle, en bloc, a glissé dans cette subversion profonde de l’Église que le R. P. Congar déclare caractéristique des « fausses réformes ». Et c’est de tous les réformistes que nous disons aujourd’hui, répétant le mot admirable de Barthélémy Arnoldi : « S’ILS N’AVAIENT VOULU QUE RÉFORMER LES ABUS RÉELS, J’AURAIS ÉTÉ AVEC EUX, MAIS ILS ONT VOULU CHANGER LA DOCTRINE ET LA PRIÈRE DE L’ÉGLISE » (cf. Denifle, II, p. 17). Reste que le Concile n’a pas voulu cela. Que voulait-il donc qui l’aura mené là où il ne voulait pas aller ?
C) « RÉFORME » ET « RÉFORMISTES » DE Vatican II.
L’aggiornamento réclamé du Concile ne devait certes pas toucher à « l’essentiel » du Christianisme. Il devait cependant s’occuper de bien autre chose que de la simple répression des erreurs et des abus individuels. Le renouveau devait être cherché dans une profonde réforme des institutions. Le Concile devait mettre en question, « courageusement », toutes « les structures historiques et concrètes » dans lesquelles s’est matérialisé et peu à peu immobilisé le Message spirituel du Christ à travers les siècles : traditions, mentalités, habitudes, rites... Une telle « révision de vie » collective et générale sera, de l’aveu commun, une entière nouveauté dans l’histoire. Mais elle est inspirée par une intense charité pastorale : « La crise, l’autocritique actuelles, explique le R. P. Congar, ne procèdent pas d’une théorie sur la structure dogmatique, sacramentelle et hiérarchique de l’Église, mais de constatations dans l’ordre des faits considérés sous l’angle apostolique ». Or, « l’analyse de la situation présente aboutit à la critique de certaines des formes ou des structures que présente actuellement le christianisme, les ayant reçues de l’histoire. Car c’est de cela qu’il s’agit » (p. 184). La structure ne change pas, et elle demeure inaccessible à la révision critique (?), mais les structures, elles, sont contingentes, mouvantes, et doivent évoluer selon le cours du monde et les signes du temps. Des siècles de mentalité « fixiste » les avaient canonisées, durcies, figées. Notre « évolutionnisme » saura briser ce cadre juridique pour réinventer des formes nouvelles, vivantes et dynamiques adaptées à notre temps. Les réalités sociales sont en perpétuel mouvement. Les institutions de l’Église elles-mêmes ont évolué au cours des siècles, malgré le conservatisme de la Hiérarchie. Le réformisme actuel procède d’une prise de conscience de cette dialectique historique par les hommes d’Église les plus intelligents et les plus généreux. Ils veulent en saisir la direction et opérer consciemment les transformations qu’impose à l’Église la grande mutation du monde moderne.
Le zèle pastoral du Concile a été ainsi conditionné dès l’abord, par une certaine théorie de l’évolution générale des institutions humaines, théorie hégélienne et marxiste, mais non pas chrétienne. « Au fond, affirme le R. P. Congar, tout mouvement actif dans l’Église engage un dépassement de ce qu’on tenait avant lui et s’opère grâce à une interrogation nouvelle des sources et des principes animateurs permanents de la société ecclésiale » (p. 21). Pour la première fois la Hiérarchie va prendre l’initiative de ce « ressourcement » et de ce « renouvellement » au lieu d’en laisser l’initiative au peuple fidèle. La Hiérarchie fonde son action de réforme sur cette « sorte de dialectique, inhérente à tout développement, où la réalité acquise est à la fois niée et affirmée, dépassée et accomplie, et qui restera, positis ponendis, la loi de l’Église elle-même » (p. 142), et le R. P. Congar légiférait déjà pour le Concile quand il écrivait : « Pas de pleine adaptation, pas de pleine réforme d’adaptation sans que l’Église, soutenue par un élan de ressourcement évangélique, n’accepte très généreusement de s’harmoniser aux structures d’un monde nouveau et d’une société renouvelée, qu’elle doit aussi baptiser. » C’est ce que le R. P. Chenu appelle de son côté une « révolution temporelle pour le salut éternel » (cf. VFR, p. 114). « Vraiment, aux moments tournants des grandes « époques », le problème sociologique de la vie ecclésiale est un problème très profond, et celui d’un réformisme porté jusqu’à ce niveau-là est intimement lié avec les impératifs mêmes de l’Évangile. » (VFR, p. 191). C’est exactement la dernière proposition (condamnée) du Syllabus : « LE PONTIFE ROMAIN PEUT ET DOIT SE RÉCONCILIER ET COMPOSER AVEC LE PROGRÉS, LE LIBÉRALISME ET LE MONDE MODERNE ». C’est donc un « impératif évangélique » de franchir par une réforme très profonde des structures cette nouvelle étape du progrès dialectique de l’Église. Faute de quoi, dit-on, ce serait l’échec, le vieillissement, la mort de l’Église.
Voilà exactement tracé d’avance le programme du réformisme conciliaire : un « ressourcement évangélique », dans l’abandon des formules archaïques et des institutions périmées, pour une « harmonisation » de la foi et de la vie de l’Église avec notre « société renouvelée ». Mais voilà surtout exposé le soubassement philosophique de cette réforme. Le programme est inouï : jamais le Magistère ni jamais aucun saint n’avait envisagé pareille refonte de toutes les « structures historiques et concrètes » de l’Église. Mais plus inouïe encore est l’idée même d’un tel renouvellement. Plus que l’activité réformiste, conciliaire et postconciliaire, c’est la théorie qui la recommande et qui l’impose, dont on doit affirmer qu’elle est étrangère à la Tradition catholique. L’Écriture Sainte ne la connaît pas, ni les Pères ni le Magistère. Ou s’ils connaissent cet évolutionnisme, c’est pour le condamner. Il est donc exorbitant que tout ce système néo moderniste ait été imposé au Corps Épiscopal comme une suite d’évidences... nouvellement découvertes mais absolument indiscutables ! C’est sur cette base pourrie que l’œuvre conciliaire est bâtie. Car l’idée d’une évolution dialectique continue et progressive des institutions et doctrines dans l’Église est foncièrement opposée à notre foi. De même le principe subséquent, selon lequel les formes temporelles et concrètes données au pur Message de Jésus-Christ dans la suite des siècles seraient nécessairement caduques et d’ailleurs affectées de l’impureté des époques révolues. Et encore, la distinction de l’essentiel et de l’accidentel dans les traditions ecclésiastiques, l’un demeurant immuable et intangible, l’autre devant être sans cesse renouvelé et adapté au siècle. Tout ce corps de préjugés modernistes a été imposé aux Évêques sans discussion. Là est la forfaiture. Enfin, qui pouvait garantir, du haut de son infaillibilité personnelle, que cette mise en cause de tout l’être historique de l’Église, de toute sa tradition vivante, ne porterait pas atteinte au dogme, aux sacrements, à la constitution divine de l’Église ? Qui le pouvait, quand déjà le principe même de cette réforme en constituait une violation certaine et portait atteinte à la Sainteté de l’Église ! Peut-être les Novateurs étaient-ils « sincères » dans leurs grands rêves de renouvellement universel. Mais ils n’avaient pas le droit de dissimuler aux Pères du Concile que leur « Aggiornamento » s’inspirait d’une sociologie étrangère à la Tradition Catholique et condamnée par le Magistère Apostolique.
Très Saint Père,
La subtile « phénoménologie », développée par le P. Congar, des « vraies et fausses Réformes dans l’Église », a certainement obscurci à dessein les vérités les plus claires comme elle a séduit les esprits peu avertis, en présentant comme normale, possible et salutaire une « réforme des institutions » qui ne mettrait aucunement en péril l’Institution même, divine, de l’Église. Cette affirmation du théologien est formellement démentie par l’expérience de Vatican II et par ses suites. Il n’y a donc que deux sortes de réforme dans l’Église. L’une est classique, c’est une œuvre de lumière, de justice et de sainteté. Elle consiste dans la condamnation des erreurs et la correction des abus des hommes d’Église. Elle ramène ceux-ci à la Vérité et à la Loi de Dieu enseignées par la Tradition. L’autre est celle des schismatiques et des hérétiques anciens. C’est la réforme des novateurs modernistes d’aujourd’hui. Elle prétend à la refonte des institutions de l’Église et au bouleversement de ses traditions au gré des conceptions et des désirs des hommes d’Église ou du monde actuel. Du jour où le Concile fut engagé sans débat ni sans avertissement dans cette voie mal famée, violence lui était faite et toute la suite de son action en demeure entachée, sans doute, de nullité.
La nouveauté a toujours été réputée périlleuse dans l’Église, combien devrait l’être celle-là qui érige le changement à la hauteur d’un principe suprême d’action et la nouveauté à la hauteur d’un idéal absolu ! Mais il n’était pas nécessaire aux sages et aux saints d’en faire l’expérience. Cela se sait de foi divine et certaine : tout ce qui est inouï dans la tradition de l’Église est aussi bien insensé et impie. C’est ce que je me propose maintenant de Vous démontrer.
2 – DU CARACTÈRE INSENSÉ DE CE PROJET DE « RÉFORME DE L’ÉGLISE ».
À quelqu’un qui s’étonnait de la voir si passionnément ennemie de notre traditionalisme, une jeune novice dominicaine, d’ailleurs de très bonne famille catholique, répondait naïvement : « Je sens que je n’aurais pas pu vivre dans l’Église juridique d’il y a vingt ans ». Le mot est étonnant : elle n’aurait pas pu vivre ! Dans un air si confiné ! Avant que Jean XXIII n’ait ouvert les fenêtres ! Voilà l’état d’esprit de notre génération « réformée ». Les innovations des anciens hérétiques étaient ponctuelles, voire sérielles. La réforme actuelle, conciliaire et postconciliaire, est globale. Elle prend la suite des agressions perpétrées de siècle en siècle contre l’Église. Pire, elle en est le confluent. Ce ne sont pas telle et telle institutions qui sont menacées, c’est l’ensemble, irrespirable dit-on, de notre « mentalité » et de nos « habitudes ». C’est « l’esprit préconciliaire », comme le déclare Votre ami le cardinal Pellegrino, dont Vatican II a voulu le complet renouvellement comme une œuvre urgente, infaillible, merveilleuse. Luther et Calvin, en comparaison, ne sont que des enfants de chœur ! Si l’Église entendait remédier à l’un ou l’autre de ces inconvénients précis, reconnus, qu’entraîne fatalement le vieillissement des institutions humaines, même les meilleures, tous s’en féliciteraient. De telles améliorations sont dictées par la nature des choses et s’accomplissent dans le sens de la Tradition. Mais entreprendre la réforme de l’Église visible dans toute sa liturgie, dans toutes ses formules dogmatiques et ses lois morales, dans l’ensemble de son droit canonique, dans le vaste système de ses institutions monastiques, missionnaires, éducatives, caritatives, dans ses rapports généraux avec le monde et les pouvoirs politiques, Très Saint Père, je ne l’écris que sous la contrainte de la vérité, c’est un rêve absurde, c’est une œuvre funeste, c’est une erreur monumentale.
A) C’EST UN RÊVE.
L’idée d’une telle réforme, explique le P. Congar, jaillit sous l’aiguillon de « l’autocritique » (VFR, pp. 22 à 59) par laquelle des individus, laies ou théologiens, évêques ou pape même, s’irritent de ce que l’Église réelle, en tout elle-même, ne corresponde pas à leurs désirs, ne soit pas à la hauteur de leur idéal. Les difficultés de leur apostolat entretiennent en eux « un malaise latent » (p. 40). Ils rendent responsable de leurs échecs l’inadaptation globale de l’Église d’hier au Monde de demain. Cette opposition, dans l’Église à l’Église même, se déclare « prophétique ». Le protestantisme poursuivait la chimère d’un retour au Pur Évangile, et le modernisme celle d’une ouverture à la société moderne. Notre prophétisme conciliaire poursuit ces deux lièvres comme si l’un et l’autre couraient le même chemin ! Il veut, pour y réussir, changer « les structures historiques et concrètes » de l’Église, c’est-à-dire tout l’ensemble millénaire de sa pensée, de son culte, de sa vie sociale. Pour lui substituer quoi ?... Autre chose qui n’existe encore qu’à l’état de rêve : des structures futuristes et abstraites ! Décréter une telle réforme, c’est préférer le conceptuel au réel, l’imaginaire au concret, le factice au traditionnel.
« Il y a, énonce dangereusement le P. Congar, une liaison d’ailleurs parfaitement saine et normale entre le courant d’autocritique réformiste et une certaine attitude « révolutionnaire » : il y a attitude révolutionnaire dès là qu’on envisage de changer la figure d’un « monde », de considérer certaines formes de vie comme périmées et de vouloir en substituer d’autres » (p. 49). Telle doit être... « une histoire pleinement militante. Car une des lois de la temporalité humaine ou de l’histoire, est que les choses ne vivent et ne se développent que dans la contradiction et par elle. Hegel a perçu une profonde vérité... Et ce programme de réalisation dynamique exige de l’Église une attitude correspondante » (Sainte Église, p. 149). L’aveu est de taille ! Le réformisme actuel baigne tout entier dans l’illusion révolutionnaire, cette psychose collective de bouleversement universel qui travaille l’humanité moderne et envahit maintenant une Église laïcisée et socialisée. Ce n’est pas une politique ni une théologie, c’est une maladie mentale.
Nos Réformateurs – et désormais je m’abstiendrai, par respect, de faire aucune citation – sont mécontents de tout, contents de rien. Leurs critiques incohérentes du latin, du chapelet, de la Curie, du Syllabus, de la tiare, etc. etc. dérivent d’une « contestation » universelle. Qu’il se trouve au jardin de l’Église quelque fruit amer, c’est possible. Mais que tous le soient, non ! On préfère croire que nos dégoûtés ont la langue mauvaise. L’inquiétude les ronge d’ailleurs avant même de se fixer sur quelque objet précis. D’où la fortune de ces slogans imbéciles qui ont tenu lieu de principes « pastoraux » au Concile : Constantinisme ! Triomphalisme ! Juridisme ! Immobilisme ! Formalisme ! Des injures si vaines perdent toute signification objective et ne sont pas des instruments de travail sérieux. C’est un vomissement de bile acide qui dénote une foi, ou un foie, malade. Dégoûtés de l’Église réelle, pour des raisons vagues, nos Réformateurs ont montré par le caractère également vague de leurs propositions constructives, par l’incroyable pauvreté de leurs idées, qu’ils ne savent pas mieux ce qu’ils veulent. Ils prétendent à « l’authenticité »... Qu’est-ce que cela veut dire ? Et c’est bien encore la maladie de notre temps, d’imaginer que tout ce qu’il veut et qu’il se promet arrivera sans défaillance comme il l’a rêvé. L’analyse des programmes conciliaires et des œuvres subséquentes rejoint l’observation clinique de la paranoïa. Les projets sont théoriques, nébuleux, impraticables, bref inexistants. On organise l’anarchie. Le subjectif l’a décidément emporté sur l’objectif : la valeur suprême, c’est la nouveauté. Peu importe ce que c’est, pourvu que ce soit Autre Chose. L’accord des Actes et Décrets conciliaires avec la Foi, la Loi, la raison, la tradition ou l’expérience importait moins que l’appât du sensationnel. Seule comptait l’appréciation esthétique, l’enthousiasme sentimental pour le nouveau, l’extravagant.
B) C’EST UNE ŒUVRE FUNESTE.
Des hommes pervers dirigent certainement toute cette folle aventure, et ils savent vers quelle apostasie. Mais le gros de la troupe est aveuglément soumis à cette psychose collective : ce dégoût de l’ancien, ce goût du nouveau, cette fièvre de changement. Un tel comportement conduit à des décisions proprement absurdes. Le caprice, la mode du jour, la surenchère de la critique ne peuvent mener qu’à des destructions certaines, pour des reconstructions douteuses.
- La plupart du temps, la vie ne présente que de simples alternatives : le oui et le non, la porte ouverte ou fermée ; le mariage des prêtres ou le célibat ; la communion à genoux ou debout ; le Canon de la Messe à voix haute ou basse. La mythomanie réformiste imagine toujours qu’il existe un large éventail de solutions inédites à ces problèmes éternels, qu’on peut renouveler indéfiniment l’expression des vérités immuables, que toutes sortes d’institutions pourront s’élever sur les ruines des antiques. Rien n’est plus faux. Le rejet a priori de la solution traditionnelle conduit la plupart du temps, sans plus de réflexion ni de liberté, à la solution contraire. L’autre avait été recherchée et choisie pour sa vérité, sa bonté. Celle-ci n’a de grâce que sa nouveauté. À tous coups, la Réforme va se fourvoyer. Mais c’est une rage ! Et que dire quand on préfère à l’être, le néant. Quand on abandonne par exemple le trésor incomparable du grégorien et de la grande polyphonie avant d’avoir rien créé qui les remplace, qu’une centaine de sinistres rengaines ? De tels choix sont proprement insensés, et criminels.
- Dans tout le domaine de la vie morale, la perfection est à mi-chemin des extrêmes. L’Église, à force de progrès tâtonnants, avait trouvé des formules d’équilibre stable, de compromis prudents et fermes. La « perfectomanie » des Réformateurs a tôt fait de taxer cette modération de médiocrité ou de péché, et de courir aux attitudes radicales, du trop ou du pas du tout quand ce n’est pas les deux tout ensemble ! Arbitraire et démagogie jumelés se substituent maintenant aux sereines et complexes dispositions du « juridisme séculaire ». Voyez encore comme les mêmes Réformistes exaltent l’exubérance de la liturgie orientale, hiératique, secrète, lointaine et fastidieuse, en même temps que l’austérité protestante, désacralisée, désolante, vernaculaire et pragmatique... contre le chef-d’œuvre d’harmonie et de discrétion de notre Liturgie romaine. Le dépit seul s’obstine à de telles inconséquences, qui n’en demeurent pas moins désastreuses !
- Dans toute la vie proprement théologale, le progrès monte et culmine en un sommet dont il n’est pas possible de bouger sans tomber. L’intelligence de la foi cerne méthodiquement la vérité mystérieuse et la fixe dans des formules de plus en plus simples, satisfaisantes, admirables. La sainteté découvre pareillement, d’expérience, les étapes du Chemin de la Perfection et en décrit avec de plus en plus de clarté et de ferveur communicative le pèlerinage obligé. Comme dans les records sportifs, un jour vient où nul ne peut faire mieux, même en s’efforçant. Mais la mégalomanie s’acharne contre les formules et les habitudes formées par les siècles. Ce mépris rend les novateurs étrangers au mouvement même du progrès dont cette sagesse est le fruit. Et de vouloir d’autres formules que « consubstantiel » ou « transsubstantiation » ; et de prétendre à la « démythisation » de la Résurrection du Christ ou de la Virginité de Marie ; et de repenser la missiologie, etc. Allez donc faire mieux, en fait de spiritualité, que l’Imitation de Jésus-Christ, ou inventer des voies mystiques contraires à Saint Jean de la Croix ! Bouger de ces cimes, c’est choir. Et l’on dégringole dans d’innommables précipices, par manie du changement. Telle est bien l’aventure de ce Concile qui prétendit réinterpréter les dogmes, retrouver une religion pour l’Homme d’un Monde nouveau ! Rien n’est nouveau sous le soleil...
Ainsi tout projet de réforme globale, jailli d’une maladive paranoïa, est voué à la laideur, à l’erreur et au vice. Infailliblement. Dans le vide imaginatif qui succède au dégoût et au mépris de ce qui est, c’est le goût des choses du monde, l’attrait de la facilité, les contentements de l’être charnel qui l’emporteront à tous coups. Monsieur Guitton a beau répéter que les facilités de la Réforme conciliaire sont plus admirablement difficiles que la difficulté des lois qu’elle a renversées, nous sourions du sophisme courtisan. Toute réforme de ce genre se solde par une décadence. Dans un autre climat, hautement traditionaliste, l’adaptation au monde aurait pu signifier quelque effort salutaire d’apostolat, ajoutant aux choses divines un humanisme, une « philanthropie » (Tit 3 : 4) qui les rende accessibles à tous. Mais sur un pareil terrain de névrose révolutionnaire n’a pu champignonner qu’une conformation au monde, dans l’évacuation de tout ce qui retenait la substance divine de la religion chrétienne. La nouveauté recherchée à tout prix se solde par la perte totale du vrai, du bien, du beau, qui sont éminemment choses de tradition.
C) C’EST UNE ERREUR MONUMENTALE.
Mais voici le plus scandaleux. Cette guerre à toutes nos traditions catholiques se fait au nom même de l’Église, pour lui rendre son « authenticité spirituelle » ! C’est pour son amour et par souci de sa pureté évangélique que nos Réformateurs s’en prennent à tout le détail de sa vie ! Ils sont passionnés de ses profondeurs, ils la recherchent dans sa source, non dans les eaux mêlées d’aujourd’hui qui charrient les boues et les déjections des siècles et des civilisations mortes. Loin d’altérer le Dessein de Dieu sur le monde, l’Aggiornamento doit le restituer dans sa beauté première. Ainsi, Votre Sainteté l’a cent fois garanti, le changement n’atteindrait que le visible non l’invisible, les institutions historiques et non la structure essentielle, l’œuvre des hommes non celle de Dieu, l’Église sociologique et son « corps de péché » mais jamais en aucun cas le fonds divin, l’âme mystérieuse qui y est retenue prisonnière. En deux mots, philosophiques, non la Substance mais ses accidents. L’Église est parfaite, aimable, satisfaisante, dans sa substance. Elle est impure, décevante, inadaptée, déclinante, dans ses accidents. Quel étrange zèle, quel inquiétant amour ! Je crois entendre Pascal en rire : « Et comment aimer le corps ou l’âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu’elles sont périssables ? car aimerait-on la substance de l’âme d’une personne, abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On n’aime donc personne, mais seulement des qualités » (Pensées, 323). C’est par le chemin de ses qualités que nous accédons à l’amour d’une personne ! Pour moi, j’aime l’Église dans sa liturgie, dans ses dogmes et leurs anathèmes, pour ses fêtes et pour ses saints, dans ses lois et son code de Droit canonique, même si l’on en retourne les canons contre moi ; je l’aime dans son catéchisme, ses basiliques, ses cloîtres, enfin tout, il n’est rien qui ne me soit souverain bien ! Mon amour de l’Église n’est pas hypocrite ni sophistiqué. Je suis attaché à toutes ces expressions « historiques et concrètes » qu’elle me propose de son Cœur invisible et secret. N’est-ce pas l’aimer elle-même ?... Et voilà maintenant nos Réformateurs. Ils abhorrent tant de choses ecclésiastiques, et jusqu’à ce mot même, que la liste en serait sans fin. Pêle-mêle, sa Monarchie, la dévotion au Sacré-Cœur, l’encens, l’École libre, les tables de communion, saint Thomas, le Cardinal Ottaviani, Fatima. Tout le détail ? Certes ! Le contingent et le périssable ? Je l’accorde ! Mais enfin, qu’est-ce donc que l’Église hors de tous ces signes choisis et consacrés de sa vie séculaire ? Quelle Église aiment-ils quand ils méprisent et veulent changer tout ce qu’elle a conçu, désiré et créé au long des âges ? Le sens commun répond avec Pascal : une abstraction, un ectoplasme que chacun recrée à sa fantaisie mais qui permet de passer l’Église Notre Mère à la toise de l’Évangile individuel.
Pour y aider les théories « philosophiques » ne manquent pas et toutes également fausses.
- Le Rationalisme... Cette distinction mirifique entre substance et accidents n’est ici qu’un exercice de pédants. Ou plutôt elle a toujours été ce système, de toutes les « protestations » du XVIe et de toutes les « contestations » du XXe siècle, qui permet de rejeter ce qui déplaît comme matière à libre opinion, en affectant de conserver l’essentiel, le fonds commun, immuable et nécessaire. La Théologie distingue certes des degrés dans ses certitudes, mais elle sait que la vérité n’est pas à découper et retailler au gré de la raison individuelle. L’Autorité de l’Église reconnaît des différences dans l’importance de ses rites, dans l’obligation de ses lois, dans la nécessité de ses institutions, elle n’en affirme pas moins la cohérence vitale et la fécondité de tout l’ensemble. Jamais la raison individuelle ne pourra tracer la frontière de l’essentiel et du secondaire, de l’éternel et du périmé. Nul ne saura si bien l’Âme de l’Église qu’il puisse connaître qu’il faut rejeter ceci et conserver cela de son Corps. Rien n’est inutile, rien n’est indifférent. Mais nos Réformateurs trouvent parasite, étranger, hostile à la « substance » de l’Église, exactement tout ce qu’ils n’ont su comprendre, goûter ni admettre. Pauvre Église ainsi ramenée à son « essence », comptabilisée par mille petits cerveaux humains !
Son manteau ne tient pas à l’Église ? Eh, sans doute ! Mais elle l’a choisi, elle le porte et elle y tient. Ainsi ce manteau, c’est un peu de l’Église ! Et cette parole, et ce geste. Et ces souvenirs du temps passé... Elle aime l’encens ? elle est occidentalisée ? À la bonne heure ! Elle prie en latin sur une musique grégorienne ? Admirable ! Et ce cheveu sur son cou, ces rides, cette lumière dans ses yeux ne sont-ils pas émouvants ? Vouloir lui arracher et changer tout cela, c’est le pire attentat que ses fils aient jamais médité contre elle. Lequel d’entre nous oserait soumettre le visage de sa mère à une opération de chirurgie esthétique ? Celui qui n’aime pas le visage n’aime pas l’âme ni la personne.
- Le Matérialisme dialectique... La Réforme s’attaque aux formules des dogmes, aux institutions et à la discipline de l’Église comme à des revêtements qui lui auraient été imposés par violence séculière et lui seraient demeurés contraires. L’analyse dialectique de son histoire ferait apparaître une tension constante entre la force intemporelle de l’Évangile et les forces oppressives des mentalités et des intérêts humains avec lesquels il fallut composer. L’Église, ainsi « aliénée », attendait ses libérateurs ! Les Pères Conciliaires en ont pris le rôle. Ils allaient trancher hardiment dans cet enchevêtrement de vertus divines et de vices sociaux qu’on appelait encore « Chrétienté ». « L’Église n’est pas mariée au capitalisme ! » s’exclame Votre ami, Dom Helder Camara, mais c’est pour la contraindre à se faire violer par le socialisme... Gorgé de cette dialectique, le Concile a mené sa Réforme au nom de la Pauvreté, de la Justice et de la Paix, en étroite synchronisation avec la Révolution mondiale communiste... Libérée de ces « aliénations », l’Église tombe dans le marxisme. Est-ce le corps, est-ce l’âme qui est changé, à Vous, Très Saint Père, d’en décider.
- L’Évolutionnisme biologique... Ce sont les pensées les plus incontrôlables, les plus abracadabrantes qui passionnent le plus aisément les foules. Il est vrai que la nature, en quelques rares merveilles, nous montre des êtres vivants passer par des métamorphoses étonnantes. Telle cette chenille qui devient papillon et paraissait aux Pères de l’Église un symbole de la Résurrection. Eh bien ! notre Concile s’est persuadé que la saison était venue d’une grandiose mutation de l’Église. Sous son souffle recréateur, elle allait abandonner sa vieille peau et en reconstituer une autre, nouvelle pour un monde nouveau. Une telle croyance permet de jeter par-dessus bord les saluts du Saint-Sacrement, les manuels de théologie, la doctrine sociale des papes, les statues, que sais- je ? Tout peut partir. Et le Pape même... La vie se crée des formes nouvelles ! Elle les invente à mesure. Nos Évêques, ainsi décérébrés, ont accepté, croyant à une métempsycose admirable, de renfermer l’Église dans les peaux mortes et les bandelettes funèbres du judaïsme, du protestantisme, du libéralisme, du modernisme, dans toutes les erreurs et les désordres que le Magistère antique avait su écarter ou briser. Tel est bien le salaire de ce sot orgueil !
Cette Réforme est donc insensée, en son essence même. Elle ignore la réalité incomparable, visible et mystique, de l’Église. Elle la met en pièces par la violente dichotomie de la substance et des accidents, par l’absurde mépris de la Lettre qu’il faudrait changer pour retrouver un Esprit qui l’aurait désertée ! Cette dialectique est la matrice de toutes les erreurs révolutionnaires. Sans doute le Christ a-t-il institué l’Église dans sa forme essentielle et le reste est venu par la suite, au cours de l’histoire et par le travail des hommes. Mais ce pur Évangile incarné dans cette chair de l’Église n’en est plus séparable ; il n’est plus accessible à personne, et ceux qui prétendent le retrouver dans la « Seule Écriture » ne font qu’opposer une reconstruction de leur fantaisie à la vivante et définitive construction de la Tradition catholique. Les réalisations concrètes que la suite des temps apporta au dépôt n’ont pas été plaquées du dehors ni imposées à l’Église ; elles ont mûri en elle et furent les manifestations de son Âme profonde, substantielles, caractéristiques ou singulières. Nos Réformateurs oublient que l’Église était vivante avant eux, et qu’elle l’est sans eux ! Elle s’est donné, d’elle-même et dans la continuité de son être, des institutions qui développèrent ses virtualités divines. Le renouvellement forcé qu’ils veulent lui faire subir marque, au contraire, l’invasion d’une « lettre », humaine, inerte, sans rapport avec son « Esprit » vivifiant !
Cette réforme, qui atteindrait les structures traditionnelles sans blesser l’être profond de l’Église, est donc irréalisable. Si les plus minces coutumes ou manières de vivre sont décriées et abrogées, l’Église y perdra quelque chose de sa personnalité ; si ce sont de grandes institutions, comme les dévotions eucharistique et mariale, le célibat ecclésiastique, le chant grégorien, son caractère propre et unique en sera atteint, sa substance profonde en sera occultée ; si enfin ce sont les structures profondes, et ce qu’on critique globalement sous les dénominations péjoratives de « mentalité » ou d’« habitudes » préconciliaires, alors les œuvres vives de son Mystère en seront mortellement atteintes. À tous coups, c’est la religion elle-même qui sera changée. Le Parti conciliaire prétendait, en théorie, modifier tout l’extérieur de l’Église pour le ramener au pur Évangile intérieur. En pratique, le voilà occupé à en changer l’« esprit », tout en monopolisant et conservant ce qu’il y a de plus humain en elle, son armature sociale, sa puissance, ses richesses, qu’il aime avec passion. On s’est emparé de l’Église en disant qu’on allait en purifier le Corps matériel pour en sauver l’Âme, mais on en arrive à s’attacher au Pouvoir, aux honneurs et aux richesses, alors que déjà on a changé d’âme.
L’Église est de ces substances supérieures, vivantes, spirituelles, dont la nature ne se fixe ni ne se développe que sous la constante orientation immanente d’une âme qui échappe elle-même à l’observation comme à toute emprise. C’est l’erreur de nos Réformistes d’imaginer l’Église comme une maison que des hommes construisent sur plan. Ils prétendent consulter le plan pour corriger les erreurs des anciens bâtisseurs. Tous les hérétiques ont ainsi comparé la réalité historique de l’Église à quelque plan évangélique reconstitué par leur esprit propre. Mais le véritable Plan divin est inaccessible à l’homme ; seule le connaît l’Âme de l’Église qui assure le passage vital de l’Institution originelle évangélique à l’être visible actuel. Attaquer cette relation de l’un à l’autre, tout cet espace de siècles qui sépare et bien plutôt unit l’Église (préconciliaire) à l’Évangile, c’est contredire toute la Tradition Apostolique, c’est pécher contre l’Esprit-Saint qui est l’Âme de l’Église. C’est la plus grande des impiétés, la faute irrémissible.
3 – DU CARACTÈRE IMPIE DE CETTE VOLONTÉ DE « RÉFORME DE L’ÉGLISE ».
L’Aggiornamento de la religion a pris, dans les préoccupations de la Hiérarchie catholique, la place de la Conversion des âmes à Jésus-Christ. C’est une passion de nouveauté, c’est un engouement absurde. On lit, à propos de tout et de rien : « Pour la première fois, un Concile... Pour la première fois dans l’histoire, le Pape... » Enfantin quand il est question de voyage en avion ou de discours télévisé, cela devient grave lorsqu’il s’agit de réconciliation avec le Judaïsme, de collaboration avec les États communistes, de gouvernement collégial de l’Église, d’initiation sexuelle à l’école des Sœurs, etc. ALORS LA NOUVEAUTÉ EST UNE MUTATION, ET LA MUTATION ENTRAINE UNE ALTÉRATION DE LA RELIGION DES PÈRES, LE PARTI PRIS DE FAIRE DU NEUF À GRANDE ÉCHELLE MÈNE NÉCESSAIREMENT À L’INFIDÉLITÉ. Les détails ne sont plus seuls discutés, mais les principes qui les gouvernent tous. La réforme globale invoque un « esprit » nouveau qui réprouve et remplace cet « esprit préconciliaire » auquel l’Église devait toutes les « formes, pratiques ou habitudes du catholicisme historique », comme dit le P. Congar, qui ajoute aussitôt : « on dirait plus exactement, des catholiques, d’un certain monde catholique historique, de certaines réalités historico-sociales du catholicisme » (p. 50). Ainsi se serait interposé entre l’Esprit-Saint et nous je ne sais quel « esprit », stupide et décadent, qui aurait imprégné toutes les formes de notre vie religieuse quotidienne. La Réforme conciliaire s’est juré d’éteindre l’esprit du catholicisme traditionnel.
Il ne s’agit donc plus de ces développements logiques, de ces progrès sans secousses qui firent la gloire de l’Église, ne se déjugeant jamais, grandissant toujours. Il s’agit d’une brusque modification de pensée et de comportement, d’une « conversion... à l’Homme, au Monde, à la Révolution sociale », comme le préconise le Cardinal Léger. L’Église d’hier n’était pas seulement dépassée, périmée, elle était donc impure et mauvaise. Ses lenteurs, ses faiblesses étaient coupables. Il faut adapter l’Église au Monde, ce qu’elle n’avait ni su ni voulu faire. Mais il faut pour cela, parait-il, la « recentrer sur le Christ » ! Et voilà depuis cinq ans les hommes d’Église tout occupés à la conversion de l’Église !
Qui ne se souvient des discours dont Votre Sainteté accompagna le lancement de la Réforme liturgique, « nouvelle pédagogie spirituelle ». Les fidèles y sont invités à devenir « membre vivant et agissant du Corps mystique, et non plus membre inconscient, inerte et passif ». « La nouvelle constitution liturgique, disiez-Vous, ouvre des horizons religieux et spirituels extraordinaires : profondeur et authenticité doctrinales, logique chrétienne rationnelle, pureté et richesse des éléments cultuel et artistique, conformité au caractère et aux besoins de l’homme moderne », et vous opposiez cette rare merveille aux « mentalités habituelles » selon lesquelles, souvent, « les cérémonies ne sont rien d’autre que l’accomplissement de rites extérieurs, et la pratique religieuse n’exige rien d’autre qu’une assistance passive et distraite » (13 janvier 1965). À Vous entendre, Très Saint Père, c’est la naissance de la lumière, du sein des ténèbres de l’Église antépaulinienne ! Et cent fois l’autosatisfaction des Novateurs tourne en mépris de leurs Prédécesseurs, ouvertement. Encore Votre allocution du 12 juillet dernier : « Le Concile a donné à l’Église une grande et difficile consigne, celle de rétablir le pont entre elle et l’homme d’aujourd’hui... Cela suppose en tout cas que pour le moment ce pont n’existe pas, ou bien qu’il est peu praticable, sinon complètement effondré. Si nous y réfléchissons bien, cet état de choses représente un terrible et immense drame historique, social et spirituel. Cela veut dire que, dans l’état actuel des choses, l’Église ne sait plus présenter le Christ au monde d’une façon et dans une mesure suffisante ». SI NOUS Y RÉFLÉCHISSONS BIEN... CELA SUPPOSE... CE TERRIBLE ET IMMENSE DRAME HISTORIQUE, SPIRITUEL ET SOCIAL : L’ÉGLISE ANTÉPAULINIENNE À FAILLI À SA MISSION DIVINE, HISTORIQUE, SPIRITUELLE ET SOCIALE !
Si le « grand mouvement » de la Réforme conciliaire était « nécessaire, opportun, providentiel, novateur et aussi – Nous l’espérons – consolateur » (Votre discours du 1er mars 1965), c’est que la tradition ecclésiastique qu’il bouleverse de fond en comble, avait perdu « authenticité, profondeur, logique, pureté, richesse, efficacité, modernité » (Votre discours du 13 janvier 1965). Plus les Novateurs se font grands, plus ils accablent l’Église antique, jusqu’à demander pardon de ses fautes, non à Dieu mais aux hommes, aux hérétiques, aux schismatiques, aux juifs, aux païens, aux athées eux-mêmes. La génération présente accuse de péché l’Église des siècles, dans ce qu’elle a institué et enseigné, mais plus encore dans la fidélité obstinée qu’elle a déployée pour consacrer et conserver toutes ses traditions, à l’encontre de tous les Réformateurs et rebelles. Le Pape et le Corps Épiscopal de ce temps de malheur et de honte se sont dressés contre leurs Pères dans la foi et leurs Augustes Prédécesseurs dans l’Autorité, les accusant d’avoir manqué de zèle pour l’Évangile et d’amour pour les hommes. Mais voici que leur Seconde Réforme est venue, purifiant l’Église de son péché séculaire.
Anathème, Très Saint Père, anathèmes ceux qui maudissent l’Église Sainte, Apostolique.
A) LES RÉFORMATEURS ACCUSENT DE PÉCHÉ L’ÉGLISE HIÉRARCHIQUE.
Car c’est bien du péché de l’Église qu’il s’agit. Dans son article « Comment l’Église Sainte doit se renouveler », dès 1961, le P. Congar préparait les voies au Concile : « Il faut distinguer, disait-il, les péchés au sens moral et propre du mot, et les limites, retards, fautes historiques ; on pourrait dire les péchés et les misères ». Celles-ci sont attribuables à la collectivité. Ce sont « des fautes, des manquements, des incompréhensions, des médiocrités. » (Sainte Église, p. 146). L’impiété du Docteur conciliaire avance à petits pas : « On peut imputer à l’Église en ce sens concret du mot, des misères, des retards et des absences, bref des fautes historiques... des situations qui attirent le jugement de Dieu ». Voilà Dieu contre l’Église ! Et voici nos Réformistes justiciers de Dieu : « L’OBJET PRINCIPAL DE LA FONCTION RÉFORMISTE », C’EST TOUT CE « DOMAINE DES FAUTES HISTORICO-SOCIALES DE L’ÉGLISE » (VFR, p. 113). « Les hommes d’Église ont maintes fois failli » (p. 120) et leurs œuvres mauvaises sont passées en institutions et doctrines, alourdissant ces « misères historiques ». Telle est l’idée centrale du P. Congar... et du Concile congarien de Vatican II qui s’est donné pour tâche de laver l’Église de ses souillures. À voir l’étendue du massacre effectué depuis cinq ans dans l’héritage chrétien, on mesure l’immensité de ce « péché de l’Église » !
Bien sûr, nous savons « la distinction fondamentale entre la faiblesse des hommes d’Église et la pureté de l’Église elle-même ». Mais le P. Congar triche quand il ajoute aussitôt cette autre distinction, qui ne lui est pas du tout identique : « Entre l’espèce de dévaluation que subissent les réalités ecclésiales lorsqu’elles sont exercées par des hommes, et ces activités elles-mêmes envisagées dans leur essence même et dans leur principe » (p. 127). Ce déshonorant tour de passe-passe exile « la pureté » dans des hauteurs métaphysiques tandis qu’il enferme les structures historiques dans la zone du « péché » humain ! Toute la Réalité de l’Église serait donc misérable, l’Abstraction seule serait sainte ! Menés par de tels « experts », les Réformateurs considèrent comme fautives les traditions ecclésiastiques, encore unanimement honorées et gardées jusqu’au 11 octobre 1962. S’élevant en juges de l’Église, au nom de leur Science, et de leur Conscience qu’illumine « l’Esprit », ils prétendent la purifier de sa misère héréditaire. Ainsi la Science juge l’Église : « L’histoire est une grande maîtresse de justice et de vérité. Elle permet de distinguer les choses et leur conditionnement concret. C’est elle qui détient les critères selon lesquels il convient d’apprécier avec justice et objectivité tout ce qui, dans l’exercice des pouvoirs de l’Église, constitue la part des hommes » (p. 123-124). Et l’Esprit juge l’Institution : la Réforme est l’œuvre des prophètes qui « ont, éveillée en eux, la force invincible de la conscience », qui jugent à l’aide de « critères spirituels procédant d’un sens à la fois très évangélique et très réaliste des choses », qui « parlent au nom de Dieu » (p. 196-228).
Sous le feu de cette critique inspirée, la Hiérarchie ne tient pas le beau rôle. Lisez Congar : « C’est pourquoi il y a toujours eu et il y aura toujours un certain heurt du prophétisme et du formalisme ou du ritualisme : choses auxquelles le sacerdoce est incliné par état » (p. 202). Pape et évêques sont du côté du péché de l’Église : « La Hiérarchie n’a pas toujours écouté volontiers les appels à une mise en question de l’état de choses, des structures historiques et concrètes, plan intermédiaire entre celui des simples abus et de la structure ». De quoi on l’excuse à demi : « Le fait s’explique sans doute par le lien plus ou moins étroit qui existe entre LES structures historiques et LA structure : celles-là étant la forme concrète – relative, certes, dans bien des cas – dans laquelle un élément de la structure se réalise historiquement » (p. 358). À demi seulement : « Le scandale vient souvent de ce que, constatant dans la vie historique de l’Église tant d’imperfection, on se heurte chez elle à une espèce d’intransigeance dans laquelle on verrait volontiers de l’orgueil » (p. 125). La rumeur infâme, secrètement répandue sous Pie XII, est devenue comme la légende héroïque des Temps Nouveaux : les vices des institutions sont les stigmates des fautes séculaires de la Hiérarchie, heureusement signalées et contredites par les courageux Prophètes de la Réforme. Odieusement persécutés par des Papes et des Évêques que leurs protestations atteignaient de plein fouet, les voici maintenant Maîtres de l’Église pour la délivrer du Mal !
Le 11 octobre 1962, la Hiérarchie a rallié le Prophétisme, volte soudaine d’une portée incalculable. Au Magistère qui s’était consacré à ses fonctions de conservation du dépôt sacré et de développement des institutions traditionnelles, succède « un nouveau type » d’évêques et de Pape, dixit Congar, jaloux d’exercer en personne cette vocation prophétique d’autocritique et de renouvellement de l’Église. Non que la Hiérarchie abandonne ses premières responsabilités ou qu’elle renonce à maintenir la Tradition apostolique. Mais, elle s’en libère suffisamment pour tout juger de haut, mettre le péché à découvert, dans la lumière infuse de l’Esprit prophétique. De proche en proche – venue d’en-bas, venue d’en-haut, qui peut le dire ? – cette enivrante « mission » excite clercs et laïcs. Morigéner, corriger, émonder l’Église séculaire, quel jeu passionnant ! Quant à ceux qui n’y entrent pas, les voilà bientôt considérés comme les défenseurs coupables du péché séculaire de l’Église. Être traditionaliste, c’est le seul péché que dénonce notre époque conciliaire. L’attachement aux formules et aux rites anciens est la seule passion dont on veuille encore convertir les hommes ! Tant il est vrai qu’aux yeux des Réformateurs le canal principal de l’infection originelle, c’est la tradition de l’Église !
B) LA TRADITION ECCLÉSIASTIQUE EST L’ŒUVRE DE L’ESPRIT-SAINT
ET DU MAGISTÈRE APOSTOLIQUE. ELLE EST SAINTE !
Prétendre juger l’ensemble des institutions et coutumes catholiques, critiquer les formules et l’esprit de la doctrine séculaire, c’est tout à la fois s’accorder la plénitude de la Sagesse et la refuser à la Hiérarchie antique. Déclarer que maintes structures historiques « attirent le jugement de Dieu », c’est refuser au Magistère antérieur cet Esprit de Force et de Sainteté qu’on s’attribue à soi-même par charisme prophétique. Ainsi les Réformateurs contemporains prétendent posséder en eux-mêmes les critères infaillibles qui leur permettront d’opérer, dans les traditions mêlées de l’Église, un tri salutaire entre ce qui est « misères, retards, absences » et ce qui est digne de l’Évangile et mérite de survivre. Ils osent même créer de toutes pièces rites et pensers nouveaux qui seront, a priori, tous « authentiques, valables, pastoraux ». C’est vraiment, même pour un Pape ou pour un Concile, s’attribuer l’exclusivité du Saint-Esprit. C’est supposer – ô suprême impiété, étonnant blasphème – que sa mission, annoncée par Jésus-Christ, commence avec notre génération. Comme si les péchés anciens pesaient encore sur nous, jamais encore répudiés !
Les Anciens ont beaucoup péché, entachant de malice et de vice leurs œuvres acceptables ou saintes. Les fautes des papes et des évêques comme les désordres généraux de la Chrétienté ont dû être portés, en chaque époque, au compte de l’Église. Nul ne le conteste. Inutile d’insister, toute cette « hommerie », pour parler comme Montaigne, fut l’œuvre de l’Église en ses membres pécheurs. Des cyniques parlent alors de « l’Église-Corps de péché ». Libre à eux. L’Église peut être couverte de pustules, de blessures et de souillures, rongée par des lèpres et des cancers, envahie comme de microbes par ses ennemis. Elle l’a été. Elle l’est peut-être plus encore à cette heure. Mais si toute la réalité de l’Église consistait en cela avant que n’arrivent au secours la chirurgie et la médecine de nos Réformateurs, il y a beau temps qu’elle en serait morte !
Or l’Église est vivante. Pas depuis 1962. Depuis Jésus-Christ. L’Église est maintenue, orientée, soignée, purifiée par cette âme toute-puissante et sainte qui lui a été donnée, le Saint-Esprit. Pas le 11 octobre 1962. Le jour de la première et définitive Pentecôte. Cet Esprit de Sagesse assiste la Hiérarchie et secourt le bon peuple chrétien de telle sorte que le bien se fait malgré le mal, qu’il l’emporte sur lui et demeure en définitive seul. Pas depuis cinq ans. Chaque jour depuis le Commencement. Les fonctions de la vie, assimilation, élimination, croissance et reproduction s’y accomplissent régulièrement, infailliblement, depuis toujours, bien avant Vatican II ! Le Corps élimine les toxines des vices et les corps étrangers des erreurs, cicatrise les plaies des divisions, réduit les cancers des hérésies. Au même moment, il assimile les œuvres bonnes des Saints et les immortalise dans ses institutions. Ainsi il croit et se renouvelle dans la jeunesse inépuisable des générations. Alors, si la Hiérarchie a péché, autant et plus que le peuple fidèle, laissant imputer ses fautes à l’Église, elle a su elle-même en effacer les traces. Par la grâce propre de son Magistère, il n’en est rien demeuré dans la sainte tradition. Le Saint-Esprit lui a donné le discernement de ce qui est bon et la vertu de ne rien garder qui ne soit parfait. Ainsi l’histoire juge souverainement. Non pas la science historique au nom de laquelle le P. Congar prétend rouvrir et reprendre à rebours tous les grands procès de jadis. Mais l’Histoire de l’Église elle-même opère au long des siècles, dans le matériau chaotique des apports humains incessants, cette sélection et cette estimation des choses qui n’est plus à refaire. S’il y a dans l’Église un prophétisme certain il est là, et non dans les consciences modernes des novateurs.
Ainsi la Tradition sans cesse envahie, et couverte si l’on veut, par le péché actuel des hommes d’Église, s’en garde miraculeusement indemne, comme un corps vigoureux se garde sain et exempt de mal bien qu’il consomme sans cesse tant de choses dont il ne retient que le meilleur et dont il évacue le reste. Au grand dam du P. Congar et pour la confusion de tant de héros conciliaires, les événements historiques ont déjà reçu leurs exactes proportions et pris leur valeur définitive dans la tradition. Il est infailliblement vrai que l’Église était du côté de Jeanne d’Arc, mais non pas avec l’évêque Cauchon et le tribunal de la Sainte Inquisition qui en avaient pourtant toutes les apparences. Au contraire, elle était bien avec le Cardinal Humbert de Moyenmoutier et non avec Michel Cérulaire. Il n’y a pas de réhabilitation à espérer. Il n’y a pas d’Appel au Grand Juge à l’encontre des saintes traditions de l’Église ! Pareillement, la question du célibat ecclésiastique est tranchée, et celle du latin, et celle de l’Autorité et de l’obéissance dans l’Église. Non ! pas de scandales, pas d’énormes injustices ni de séculaires maldonnes, rien, rien qui justifie le grand arroi d’un Concile Réformateur ou d’un Pape Novateur. Déjà l’Âme Sainte de l’Église a tout éclairé, tranché, épuré, ordonné, souverainement, de l’intérieur, par une œuvre de Hiérarchie sereine, apostolique et romaine, où préside la Charité. Si les hommes d’Église ont failli il y a beau temps que leur Mère et Maîtresse s’est séparée de leurs péchés dont ils semblaient l’avoir chargée. L’Église antique n’est plus pour nous que la très Sainte Épouse du Christ qui nous donne à l’envi tous ses trésors dans la Tradition.
C) LE PÉCHÉ DE L’ÉGLISE EST AUJOURD’HUI.
ET LE PÉCHÉ DE L’ÉGLISE DEPUIS CINQ ANS, C’EST LA RÉFORME !
Nous retournons aux Réformateurs actuels toutes les injures dont ils accablent les hommes d’Église du passé. Si les autres ont péché, pourquoi pas eux ? Si les autres ont prétendu imposer aux structures mêmes de l’Église leurs erreurs et leurs injustices, par déclarations et par décrets, et eux donc ? Le P. Congar affirme : « Une tentation des hommes d’Église est certainement d’identifier de fait, dans leur esprit, ce qu’ils font concrètement avec la fonction sacrée en soi » (VFR, p. 118). Vrai du passé cela l’est plus encore maintenant ! Aujourd’hui, plus que jamais dans l’histoire, les hommes d’Église impriment la marque de leur péché dans les structures et institutions qu’ils nous imposent. Mais la différence capitale est que l’héritage des siècles passés est maintenant purifié de tous péchés, tandis que notre triste aujourd’hui est encore sous la puissance du péché des hommes qui nous gouvernent, aussi bien que de leurs vertus. Les apports de chaque matin ne sont encore que l’œuvre faillible des gens dont la sainteté n’est pas certaine et qui ne sont pas en tout indéfectibles. De ce mélange brut, exceptons les définitions solennelles du Magistère Extraordinaire. Et encore les rappels autorisés que le Magistère Ordinaire fera de la Doctrine immuable et des Lois de l’Église. Au reste, nous voyons moins clair. Et si Votre Sainteté ainsi que Nos Collèges Épiscopaux nous imposent leurs nouveautés comme nécessairement saintes, également obligatoires, infailliblement heureuses, cette violence ne sera que le signe du péché des hommes fait péché de l’Église.
Le temps manque, qui permettrait l’activité sélective de la Tradition ! Où sont les Athanase et les Hilaire, les Augustin et les Thomas de notre génération ? Où sont les Arius, les Luther et les Henri VIII, Les Lamennais et les Loisy ? Nul n’en a le discernement immédiat. Rien n’est encore trié et définitivement arrêté par l’Église même. Comment agir dès lors, comment peser et examiner toutes choses nouvelles, sinon par rapport à ces traditions de notre foi, à cette « mentalité » et à ces « habitudes » préconciliaires dont nous savons qu’elles sont exemptes d’impureté et vraiment saintes ! Les Novateurs excitent chacun à choisir et à rejeter dans les traditions ecclésiastiques selon les lumières prophétiques de la conscience individuelle... et selon les orientations actuelles de l’Autorité. C’est le monde renversé ! S’il faut se garder de l’erreur et du péché, ce ne peut être que ceux de l’Église actuelle, et cela ne peut se juger que par rapport à nos saintes traditions et doctrines séculaires.
À cela se connaît que parmi d’autres, incertains ou particuliers, le grand péché de l’Église moderne, c’est la Réforme ! Si le péché de l’Église, en chaque époque, se connaît par son opposition aux Traditions éprouvées des Pères, y a-t-il plus grand péché, péché plus essentiel, que cette œuvre de Réforme précisément intentée à l’encontre de ces Traditions ? Dans la mesure où un homme, un groupe d’hommes, je dis même un Pape ou un Concile, fût-il œcuménique, se porte examinateur, juge et accusateur de la Tradition ecclésiastique, il s’élève contre l’Esprit-Saint qui est le Consécrateur de cette Tradition purifiée. Aussi vrai que l’Église Hiérarchique est sainte dans sa fonction magistrale et apostolique de discernement des œuvres et des pensées humaines selon Dieu, aussi vrai ceux qui prétendent la juger et la passer à la toise de leurs critiques scientifiques ou prophétiques pèchent contre l’Église. Et si leur autorité personnelle a pouvoir d’imposer leurs volontés au peuple fidèle, voilà bien le « superpéché » de l’Église ! On n’en appelle pas des volontés séculaires de la Hiérarchie au jugement de l’A.C.O., de Mgr. Elchinger ou du Cardinal Béa. Et même pas des décisions de Léon XIII sur les Ordinations anglicanes au libre jugement de Votre Sainteté, ni des enseignements de Pie IX et de Pie X à l’appréciation de Vatican II. Le péché de l’Église est peut-être ici, peut-être là, et nous ne savons pas sûrement si la sainteté était en Pie XII ou en Jean XXIII, ou dans les deux. Mais le Péché de l’Église est certainement là où sa Tradition est systématiquement bafouée, l’Esprit de Satan est partout où les œuvres infaillibles de l’Esprit-Saint de Dieu sont passées au crible du jugement des hommes, novateurs et révolutionnaires.
Telle est l’impiété inouïe de ce Réformisme passé en Loi Suprême de « l’Église Nouvelle ». Elle ébranle l’Église apostolique jusqu’en ses fondements. Ceux qui osent juger les jugements de l’Église portent atteinte à la judicature même, présente et passée. L’Autorité actuelle se renie du moment qu’elle conteste l’Autorité d’où elle tire toute son assurance. Votre Pouvoir apostolique n’a de légitimité que dans cette continuité et cette dépendance. Tel est le mystère divin du Magistère ecclésiastique, le miracle permanent de son unité, de sa sainteté, de sa catholicité, de son apostolicité. Toute prétendue Réforme de l’Église est donc sacrilège et celle-ci est le péché magistral, le Péché de l’Église du XXe siècle.
Très Saint Père,
Depuis cinq ans aujourd’hui, 11 octobre 1967, le péché de ces hommes pervers que dénonçait saint Pie X, les Modernistes, est devenu officiellement le péché de l’Église. Cette terrible conclusion nous dicte à la fois notre espérance et notre devoir.
Notre espérance ! Nous savons, avec le P. Congar, jusqu’à quels sommets peut monter le péché de l’Église et jusqu’à quelles extrémités il peut aller. Pour qu’il prévale un moment, il suffit que la masse des évêques et – ce qu’à Dieu ne plaise – le Souverain Pontife veuillent imposer à tout le peuple fidèle, en vertu de leurs Pouvoirs sacrés, de suivre leurs propres désordres ou les caprices de leur propre pensée. Cela s’est vu et se reverra. Mais nous savons aussi, ce que l’Expert du Concile parait avoir oublié ou ne plus croire, qu’imposés par humaine violence au Corps Mystique de Jésus-Christ, ces doctrines et ces décrets lui demeurent profondément étrangers et que, de tout l’instinct sacré qui le fait vivre, il lutte contre cet envahissement et souffre le martyre tant qu’il ne l’a pas repoussé. Le péché est une corruption spirituelle, une souillure. Un corps sain et vigoureux élimine ce qui tend à le corrompre, une personne propre se lave de ce qui la souille. Ainsi l’Église réelle, dans sa vie profonde, travaille obscurément à sauver sa Tradition de cette Réforme qui la ruine, et repousse obstinément toutes les erreurs, tous les vices, tous les désordres qui fourmillent dans la plaie ouverte de l’Aggiornamento conciliaire.
Nous avons confiance, une confiance fondée sur dix-neuf siècles de continuité, dans le même esprit, les mêmes volontés, les mêmes sentiments. L’Église a déjà connu cent fois les attaques de cette maladie la plus habituelle à l’humanité, l’Orgueil, comme de l’autre qui l’accompagne honteusement, la Luxure. Elle a su réduire les dissidences, elle a su refuser les innovations et combattre toutes les décadences. Chaque fois son véritable progrès, un instant retardé par ces prétendus Réformes et Renouveaux, a résulté de l’énergique réduction qu’elle a opérée de tout schisme et de toute hérésie. « la règle de l’antiquité exclut l’altération, non le progrès », écrit le Cardinal Journet dans son Traité de « L’Église du Verbe Incarné », citant saint Vincent de Lérins qui louait ceux qui, au concile de Rimini, « préférèrent la foi antique à de perfides innovations et se préservèrent ainsi de la contagion du fléau » (t. I, p. 690). De ces traditionalistes intègres est venu et viendra demain encore le salut de l’Église.
Même si nous ne voyons pas cette énergie du Magistère apostolique en œuvre actuellement contre les perfides innovations de cette Réforme, nous y croyons. Il est certes effrayant de voir le monde entier se ruer dans l’apostasie et l’Église officielle suivre presque sans résistance. Mais notre foi demeure inébranlable : L’Esprit-Saint, Âme incréée de l’Église, déverse ses divines énergies dans Votre Magistère et celui des Évêques catholiques, Âme créée de l’Église ; et ces énergies repousseront infailliblement l’invasion d’hérésie, de schisme et d’infidélité de la seconde Réforme comme jadis elles l’ont fait de l’Autre, du XVIe siècle. Déjà Vos angoisses et Vos plaintes sont le signe de la Foi. Votre action sainte rencontrera en nous comme en tous les vrais chrétiens une adhésion parfaite.
Notre devoir ! Puisque cette Réforme est satanique dans son essence, impie dans ses manifestations et ses lois, nous nous en garderons fermement comme du plus grand des péchés. Nous discernerons de notre mieux, selon le critère infaillible de la Tradition, ce qui procède de Votre Magistère coutumier et catholique pour nous y soumettre, et ce qui vient de cette autorité usurpée pour la Réforme de l’Église, que nous tiendrons toujours pour nul et non avenu. Nous sommes Vos fidèles et obéissants serviteurs dans tout ce qui relève de la Sainte Réforme des mœurs et de la condamnation des erreurs qui infestent le Corps de l’Église, en sa Tête et en ses membres, en nous tous, pécheurs. Et plus encore nous sommes Vos fils affectueux et confiants pour la grande œuvre de Contre-Réforme qui marquera le relèvement et le progrès miraculeux de l’Église en cette seconde moitié du Vingtième Siècle. Avec cette Église valeureuse qui résiste et qui lutte contre le Péché, à notre infime place, selon notre modeste vocation, nous nous opposons au flot d’erreurs et de vices qui déferle sous la couverture de deux Papes et d’un Concile Œcuménique Réformateurs.
Mais c’est de Votre Esprit prophétique, Très Saint Père, et par Votre Voix infaillible que nous espérons entendre prochainement la parole réconfortante de Jésus à ses Apôtres, dans la nuit de l’Agonie : « Confiance, j’ai vaincu le monde ».
Très Saint Père,
Je suis, de votre Sainteté, le très humble et très obéissant serviteur.
Georges de Nantes
En notre Maison Saint-Joseph, 10 – Saint-parres-lès-vaudes,
le 11 octobre 1967.