L'autorité des révélations privées
I. DIEU, SEUL MAÎTRE DE LA RÉVÉLATION. COMPÉTENCE DE L’ÉGLISE
La hiérarchie de l’Église a compétence et autorité pour juger des apparitions et des demandes du Ciel ainsi que pour examiner la foi et la véracité des voyants. Pour reconnaître la qualité surnaturelle de ces révélations dites privées, elle dispose de ses règles traditionnelles d’enquête, d’investigation et de discernement des esprits.
L’Église est au service des volontés et des œuvres de son Seigneur qui est le seul Maître de sa Révélation. Ce serait du subjectivisme, et cela relèverait de l’hérésie moderniste, que de ramener l’Église au rôle d’un guide des sentiments pieux du peuple et à la seule préoccupation de l’édification des fidèles. L’Église est tenue non seulement de transmettre le dépôt de la Révélation venue des Apôtres, mais encore de l’expliciter en tenant compte des révélations dites privées, lorsque leur fin première est directement apostolique par la transmission d’un message public pour le bien des âmes et pour la réalisation d’un grand dessein providentiel.
RÉVÉLATION PUBLIQUE ET RÉVÉLATIONS PRIVÉES
Depuis l’Ascension du Seigneur, la voie ordinaire de la grâce est la participation à la vie de l’Église et aux sacrements. Toutefois, Dieu reste souverainement libre dans le choix de ses moyens d’enseignement, de gouvernement et de sanctification des âmes et des sociétés. Si l’Église a été amenée à définir les sources de la Révélation que constituent l’Écriture et la Tradition – particulièrement au concile de Trente, contre l’illuminisme protestant qui se prétendait inspiré – elle n’a jamais enseigné que Dieu ne pouvait plus parler, que Notre-Seigneur Jésus-Christ ne pouvait plus gouverner, ni l’Esprit-Saint agir. La Révélation apostolique est close, mais non pas toute Révélation divine.
Depuis deux ou trois cents ans, surtout depuis les apparitions du Sacré-Cœur à Paray-le-Monial et de la Vierge à la rue du Bac, à Lourdes et, éminemment, à Fatima, Dieu se sert incontestablement de ce moyen particulier de grâce en prévision du drame apocalyptique de la fin des temps que ces révélations annoncent. Il s’agit donc non pas d’aides supplémentaires qu’il serait loisible de négliger, mais bien plutôt de secours indispensables que le Ciel accorde dans un besoin extrême comme moyens de salut, en tout premier lieu le chapelet, la dévotion aux Cœurs de Jésus et de Marie. L’Église doit en tenir le plus grand compte, et ses fidèles aussi, par l’autorité de Dieu qui se révèle et qui ne peut ni se tromper ni nous tromper.
Tandis que le dépôt de la Révélation dite publique, contenu dans la Tradition apostolique et dans l’Écriture sainte, se trouve établi par l’inspiration divine et conservé dans l’Église par l’infaillible assistance de l’Esprit-Saint, l’Église hiérarchique doit s’informer des révélations privées pour en juger selon ses lumières ordinaires. Elle devra s’assurer de la réalité des faits, de la sincérité des témoins afin d’opérer le discernement entre ce qui est vérité divine et ce qui est artifice humain ou diabolique. Elle a autorité souveraine en ce domaine et c’est son devoir le plus strict de rendre avec prudence et force un jugement sur chaque cas, puis de satisfaire avec ardeur et exactitude aux volontés divines.
LES RÉVÉLATIONS PRIVÉES OBLIGENT
Quand le fait surnaturel est prouvé, que la demande du Ciel est claire et précise, il serait non seulement téméraire, mais coupable de la part des hommes, et singulièrement des autorités compétentes, de rejeter en tout ou en partie les paroles divines sous les vains prétextes qu’il n’y aurait pas à leur accorder l’assentiment de foi obligatoire ou qu’elles n’agréeraient pas au jugement du siècle ou de la raison.
Dieu, en effet, par ces manifestations particulières, exprime une volonté directe et immédiate, tellement nette et impérative qu’il prend soin précisément de sortir de la voie ordinaire de l’enseignement magistériel et d’ajouter à la révélation dite publique une révélation particulière. Ce caractère, loin d’enlever de l’autorité au message, ne peut que lui donner une valeur exceptionnelle, voire contraignante. L’Église ne saurait alors négliger demandes et promesses du Ciel au motif qu’il ne s’agirait que de dévotions surérogatoires dépassant la simple obligation dominicale, ou de moyens purement pédagogiques pour entretenir une piété plus fervente. Il y aurait une grave négation de la réalité surnaturelle à réduire ainsi les paroles divines à des méthodes psychologiques.
RÉVÉLATIONS DU SACRÉ-CŒUR ET DU CŒUR IMMACULÉ DE MARIE
La fête du Sacré-Cœur, le culte du Sacré-Cœur, les demandes du Sacré-Cœur et les conditions qui y sont jointes ne sont pas simplement de “ bonnes choses ” que l’Église aurait utilisées pour répondre aux excès du jansénisme, et qui seraient laissées à notre jugement ; il s’agit là du secret même de Dieu, de sa volonté la plus chère, du sens qu’il veut donner à l’histoire contemporaine, du dévoilement complet de son dessein de miséricorde. Dans cette suite, se situent les révélations du Cœur Immaculé de Marie à Fatima. Ce serait, c’est un crime et par conséquent une malédiction pour les hommes d’Église et singulièrement pour les autorités constituées, de mépriser les ultimes révélations de Dieu.
II. LA RÉALITÉ DES FAITS SURNATURELS DES APPARITIONS
ET LE DEGRÉ DE FOI QU’IL CONVIENT DE LEUR ACCORDER
L’Église oblige ses fidèles à croire aux apparitions et aux faits surnaturels qui ont suivi l’Ascension du Seigneur : par exemple et tout d’abord aux événements extraordinaires des temps apostoliques, marquées par la descente du Saint-Esprit sur les Apôtres, le jour de la Pentecôte, les récits rapportés dans les Actes des Apôtres, les visions de saint Étienne, de saint Paul, visions certaines, réelles, comme celles de saint Jean dans l’Apocalypse, ainsi que toutes les manifestations de puissance du Seigneur et de son Esprit dans la communauté primitive. Si, dans les âges qui suivirent, Dieu a voulu que l’Église vive de la foi transmise par les Apôtres et garantie par le Magistère, néanmoins, il ne l’a pas laissée dépourvue de toutes grâces extraordinaires dont la sainteté de la Chrétienté témoigne abondamment jusqu’à notre époque moderne.
Telles sont particulièrement les apparitions de Paray-le-Monial, de la rue du Bac, de Lourdes, de Fatima.
Il est certain qu’un fidèle qui oserait refuser, de manière délibérée, son consentement intime à la réalité de ces apparitions, commettrait une faute grave contre la foi. Les faits étant réels, les messages véridiques, l’intelligence et la volonté des hommes sont tenues par de telles révélations. (...)
LES APPARITIONS, DES PHÉNOMÈNES SUBJECTIFS ?
Il est scandaleux pour la foi des fidèles de présenter les apparitions comme des phénomènes subjectifs et de ne voir, dans l’approbation de l’Église, qu’un simple encouragement à une forme de spiritualité qui n’entre pas dans le champ des vérités de foi définies. Même si ces faits, en tant que tels, ne font pas et ne feront jamais l’objet d’une définition dogmatique, ils restent néanmoins des faits surnaturels, des révélations divines qui correspondent à des dogmes déjà définis ou encore à définir, qui les illustrent de la manière la plus adéquate, au point d’en être la meilleure présentation, la plus authentique confirmation du Ciel.
Telle la Vierge de Lourdes se nommant l'“ Immaculée Conception ”, dogme défini quatre ans auparavant par le pape Pie IX. Telles les apparitions du Sacré-Cœur illustrant les dogmes relatifs à la rédemption, à la réparation, à la justice et à la miséricorde, à la valeur infinie des pensées, des sentiments, des agissements de la sainte Humanité du Christ, et singulièrement de son Cœur. Il est souverainement offensant pour le Cœur Sacré de Jésus de voir des théologiens réduire ses apparitions à des impressions subjectives, les traiter comme des incitations à une forme de spiritualité où ce Cœur ne serait plus qu’un symbole, sans qu’il y ait à donner foi à la réalité de sa présence et la vérité de son message. (...)
Il relève d’un détestable esprit d’incrédulité de prétendre que lors de son apparition à Catherine Labouré, rue du Bac, le corps glorieux de la Vierge Marie n’était pas présent physiquement ni assis réellement dans le fauteuil, au motif qu’un appareil photographique n’aurait rien pris sur la pellicule. Qu’en sait-on ? Tout porte à croire le contraire, et tenir la chose attestée en suspicion n’est pas d’une grande loyauté envers Dieu !
III. RÉVÉLATION ET THÉOLOGIE DE L’HISTOIRE
Dire qu’il n’y a plus de phénomènes significatifs depuis l’Ascension du Seigneur, c’est supprimer de l’histoire le plan du salut. Tout, au contraire, a un sens et une orientation : le dessein divin se révèle ; l’histoire court vers le deuxième avènement du Christ qui la clora par le jugement final ; elle est toute remplie de la lutte entre les deux cités. Le pouvoir du Christ s’étend par la Chrétienté. Satan sait qu’il va être jeté définitivement dans l’étang de feu et il excite l’homme à la suprême apostasie. La sainteté de l’Église se manifeste au milieu des tribulations. C’est une erreur grave que de refuser de voir l’histoire sous cette lumière véritable de la foi. (...).
Progressive dans l’Ancien Testament, la révélation aboutit au Nouveau Testament. Le Christ est la révélation plénière de Dieu. Les Apôtres jouissaient du privilège de l’inspiration directe de Dieu pour exprimer cette révélation. Le Magistère de l’Église ne jouira plus, par la suite, que de l’assistance positive de l’Esprit-Saint lui garantissant dans des conditions déterminées l’infaillibilité, pour garder, enseigner et expliciter le dépôt de la foi. C’est dans ce sens qu’il est dit par les théologiens que la Révélation est close avec la mort du dernier Apôtre, c’est-à-dire qu’il n’est pas possible d’inventer une nouvelle religion, de prétendre créer un nouveau christianisme, de se dire illuminé par une nouvelle Pentecôte, ce qui fut l’ambition exorbitante du concile Vatican II. La règle de la foi doit être toujours l’unique norme des jugements de l’Église.
Ces affirmations ne sauraient empêcher le Christ glorieux de continuer et de se révéler selon ses volontés. (...)
Le Nouveau Testament a certes ouvert une nouvelle ère historique, mais il serait faux d’en conclure que Dieu, du coup, serait chassé de l’histoire, qu’il se retirerait des événements. Le texte de l’Apocalypse nous prouve le contraire. Dieu choisit d’autres moyens conformes à ce temps de grâce où Jésus est Roi. La société chrétienne est née du baptême des gentils. Après la chute de l’Empire romain, l’Église a pourvu cette société d’institutions aptes à la sanctifier. Elle créa des rois chrétiens, singulièrement et premièrement les rois qui devaient régner sur la France, fille aînée de l’Église par le baptême du premier d’entre eux, Clovis, converti du paganisme à la foi catholique exacte. Les rois étaient la main temporelle de l’autorité divine, au service de l’Église. Rois par la grâce de Dieu, les rois de France étaient oints pour cette mission ; ils étaient à l’image des rois de Juda. Être roi dans le Nouveau Testament, c’est participer, par la grâce de la Nouvelle Alliance, à la royauté du Christ lui-même, alors que les rois de l’Ancienne Alliance n’étaient qu’une anticipation et une figure de cette même royauté. Il y a donc bien une suite dans l’histoire, une ressemblance et une homogénéité voulues par Dieu.
IV. LES APPARITIONS ET L’HISTOIRE
L’EXEMPLE DE SAINTE JEANNE D’ARC
Sainte Jeanne d’Arc était inspirée par le Ciel. Sa sainteté personnelle, le caractère inouï et surnaturel de son entreprise, les signes, les miracles, les prophéties qui ont jalonné son action, les témoignages qui l’ont garantie, particulièrement son martyre subi pour sa foi indéfectible en la véracité de ses Voix, le jugement de l’Église enfin authentifiant sa mission, confirment cette inspiration. Nier cette inspiration et la réduire à des choix temporels contingents, c’est refuser par rationalisme moderniste de reconnaître un signe évident du Ciel. (...) Sainte Jeanne d’Arc est donc une pure manifestation de sagesse surnaturelle qui montre que Dieu reste le guide et le maître de l’histoire et que Jésus veut régner par les Rois et singulièrement par les Rois de France, ses lieutenants. (...)
Dieu dans sa sagesse peut adapter les apparitions et révélations aux personnes, aux temps, aux lieux, comme aux messages qu’elles transmettent et aux intentions qu’elles portent. Mais il est d’un mauvais esprit moderniste d’en tirer que les apparitions et révélations dépendent d’un ensemble de données subjectives ou n’en sont que l’émanation, et de conclure d’une manière générale que la foi est tributaire de données sociologiques et psychologiques. La théorie de l’inculturation de la foi est typiquement moderniste. La foi catholique, les révélations divines véritables sont l’expression même de la vérité de Dieu à laquelle toute intelligence humaine peut et doit adhérer objectivement. (...)
SAINTE MARGUERITE-MARIE
La lettre de sainte Marguerite-Marie à la Mère de Saumaise datée du 17 juin 1689, vendredi après l’octave du Saint-Sacrement, fait partie des collections des lettres admises et authentifiées avec ses autres écrits, lors du procès de béatification. Au surplus, elle est confirmée par deux autres lettres portant sur le même sujet, l’une d’août 1689 à la même, l’autre du 15 septembre au P. Croiset son confesseur... et par bien plus encore : les révélations de Fatima deux siècles plus tard, comparant l’attitude des Pontifes romains à celle des Rois de France. Sainte Marguerite-Marie précise qu’il s’agit d’une affaire extraordinaire qui la confond, car elle dépasse toutes les révélations antérieures qui lui furent faites. Mais elle écrit avec assurance : « Il régnera, cet aimable Cœur, malgré Satan et ses suppôts... » Le Sacré-Cœur veut « entrer avec pompe et magnificence dans la maison des princes et des rois pour y être honoré autant qu’il y a été outragé en sa passion ». Le Roi de France, Louis XIV, est prédestiné, choisi pour cette mission d’une importance historique capitale : « Fais savoir au fils aîné de mon Sacré Cœur... que, comme sa naissance temporelle a été obtenue par la dévotion aux mérites de ma sainte enfance, de même il obtiendra sa naissance de grâce et de gloire éternelle par la consécration qu’il fera de lui-même à mon Cœur adorable qui veut triompher du sien et par son entremise, être peint dans ses étendards et gravé dans ses armes. » La demande est extrêmement précise : Dieu veut « un édifice où serait le tableau de ce divin Cœur pour y recevoir la consécration et les hommages du roi et de toute la cour ». De plus, le Sacré-Cœur choisit le roi « comme son fidèle ami pour faire autoriser la messe en son honneur par le Saint-Siège apostolique et en obtenir tous les autres privilèges qui doivent accompagner la dévotion de ce divin Cœur ». Le Sacré-Cœur fait alors les plus étonnantes promesses au roi : le monarque triomphera de ses ennemis intérieurs et extérieurs qui sont les ennemis mêmes de l’Église.
Tels furent, tels sont les projets du Sacré-Cœur. L’histoire moderne en dépend tout entière. Rien dans ce message qui ne soit net, clair, précis, authentifié par la canonisation.
Pour n’y avoir pas répondu, les rois de France, et la France elle-même, furent châtiés... Ne pas attacher d’importance à ces révélations, refuser ce message du Ciel, ne voir dans ces paroles que propos anecdotiques et bizarreries de voyants, c’est continuer dans la même incrédulité et commettre un péché grave contre le Sacré-Cœur, qui a pourtant montré qu’on ne l’outrageait pas impunément.
Il y a objectivement un dessein de Dieu dans l’histoire et plus particulièrement dans l’histoire de France. Chaque nation a sa vocation. Les grands pontifes, à travers les siècles, l’ont rappelé, singulièrement à propos de la France ; saint Pie X l’a fait en termes prophétiques. La France est attachée par un lien privilégié au Sacré-Cœur et à Notre-Dame. Les apparitions et révélations du XIXe siècle n’ont fait que corroborer ce dessein de Dieu. Dans ce siècle de détresse et de châtiments, la piété populaire en fut renouvelée. La France repentante comprenait qu’elle n’avait de salut que dans les Saints Cœurs de Jésus et de Marie. (...)
FATIMA
Soixante-dix mille personnes ont été témoins des prodiges de Fatima. Le tournoiement et la chute du soleil sont des miracles apocalyptiques, c’est-à-dire, propres à une révélation et, plus exactement, à une révélation de la fin des temps. Le message de Fatima, tel que l’ont rapporté les voyants, singulièrement la voyante survivante, sœur Lucie, s’impose donc à l’Église. Il ne saurait être considéré comme une simple richesse spirituelle. Il domine le siècle et l’explique dans la suite des révélations du Sacré-Cœur à Paray-le-Monial. Le Cœur de Jésus veut mettre en avant pour le salut de l’humanité pécheresse le Cœur Immaculé de Marie. En refusant son hommage à ce Cœur, en faisant obstacle à la dévotion réparatrice des cinq premiers samedis du mois, en s’opposant à la consécration de la Russie, ou pire encore, en feignant de réaliser les demandes tout en les méprisant, la hiérarchie de l’Église bafoue directement la volonté de Dieu clairement manifestée.
Rien n’est plus sûr ni plus essentiel que d’obéir aux volontés de Notre-Seigneur et de Notre-Dame. Ce que la sagesse de l’Église réprouve, c’est la recherche curieuse et maladive de l’extraordinaire, c’est la fausse mystique qui dégoûte de la pratique quotidienne des vertus. Il est scandaleux de dévaluer et de mépriser les messages des apparitions véritables et les pèlerinages sous les faux prétextes qu’il ne s’agirait que de croyances ou de pratiques secondaires relevant d’une mystique subjective ou d’une ferveur populaire irréfléchie.
Extrait de la CRC n° 266, juillet 1990