La Ligue de Contre-Réforme catholique
En février 1970, l'abbé de Nantes annonça sa résolution de fonder la Ligue de Contre-Réforme Catholique. S'il allait créer un nouveau mouvement, c'était pour maintenir les traditionalistes dans une « sagesse surnaturelle ». Il faut certes, expliquait-il, « garder la foi », mais « en restant dans la communion vivante de l'Église et de ses sacrements. » (…) « Le temps vient de nous organiser pour agir, sur le solide fondement de cette fidélité, seule invincible : ni le schisme de droite ni l'hérésie de gauche, l'Église, l'Église seule ! »
UNE LIGNE DOCTRINALE BIEN ÉTABLIE
En avril, l'abbé de Nantes rappela succinctement la ligne doctrinale et pastorale de la CRC, dont le sillon était déjà bien tracé.
« Nous avons été les seuls à nous déclarer intégralement fidèles à l'Église vivante, enseignante, sanctifiante d'aujourd'hui et pour cela même, absolument opposés à la Réforme globale décrétée et soutenue par le pape Paul VI et son concile Vatican II. Personne d'autre, à ma connaissance, n'a écrit au Saint-Père une lettre ouverte pour le prier d'agréer ses sentiments d'obéissance à son Magistère apostolique, mais de vouloir bien admettre ses sentiments non moins vifs d'opposition à la Réforme menée par lui en marge de ses légitimes pouvoirs. Personne, et c'est dommage.
« Notre doctrine est donc ferme et publique. Elle est vécue par nous ouvertement ici. Elle est appliquée aux plus brûlantes questions actuelles, imprimée et diffusée auprès de nos amis depuis quatorze ans. Il suffit de parcourir les six tomes de la collection et d'y lire au hasard telle vieille page pour nous accorder un brevet de clairvoyance et reconnaître que nous avons fait nos preuves. »
En mai 1970, l'abbé de Nantes brossa un portrait du ligueur tel qu'il le concevait. Il fallait posséder toute sa connaissance du mystère de l'Église ainsi qu'un esprit très surnaturel pour montrer, comme il le fit, que le service de la Contre-Réforme catholique exigeait certaines dispositions du cœur et de solides vertus, en premier lieu une charité agissante :
« La lutte contre l'erreur, et assurément contre les personnes qui s'identifient à elle, doit s'accompagner de charité pour les autres, tous les autres, prêtres et fidèles qui demeurent dans la communion catholique, même s'ils pensent ou agissent autrement que nous. Nous désirons les retrouver, non pour les rejeter, et plaise à Dieu que le fond de leur cœur comme du nôtre soit habité par la seule volonté de Lui plaire et de Le servir ! » (…)
« II ne s'agit pas exclusivement de prier et d'étudier la doctrine dans la sécurité de l'intemporel : c'est une mobilisation contre le réformisme en train de détruire l'Église. Il faut du courage, c'est un combat. Mais il ne s'agit pas de se battre à l'aveugle, de diviser et de démolir encore. C'est une tâche de pacification religieuse et de restauration, pour laquelle la piété et la charité nous sont les plus nécessaires. C'est pourquoi notre devise sera celle des Croisés : Dieu le veult, mais avec une sourdine, une retenue, une profondeur qui convient à cette guerre dans la paix, à cette paix sous les armes, à cette rébellion de la fidélité : “ Si Dieu le veult. ” »
L'ŒUVRE PRIMORDIALE DE SANCTIFICATION
L'abbé de Nantes mettait souvent en garde les membres de la Ligue contre un activisme d'opposition intégralement négative, et il les pressait d'entreprendre la réforme de leur propre vie morale et spirituelle. Ses avertissements et ses très nombreuses exhortations à pratiquer une vie religieuse vraie, fervente, alimentée aux sources de la grâce étaient fondés sur une analyse approfondie de la crise de l'Église.
« La troisième cause du mal dont souffre l'Église, c'est le manque de sainteté du peuple chrétien, qui ne laisse paraître nulle part dans le monde quelqu'une de ces réactions, de ces oppositions que la sainteté a toujours suscitées dans l'histoire face aux sectes hérétiques et à la passivité criminelle des Pasteurs. C'est pourquoi, après avoir dénoncé les entreprises des modernistes et la complicité du Pape et des évêques, nous devons nous en prendre à nous-mêmes, nous, religieux et religieuses, prêtres et fidèles, de ce que nous ne sommes pas des saints, ou de ce que nous n'avons pas mérité par nos prières, nos œuvres de pénitence et de miséricorde, notre bonne conduite, que Dieu suscite encore parmi nous une réaction salvatrice. »
LES HEUREUX FRUITS DE L'ADHÉSION À LA CRC
Peu à peu la Ligue se formait. Ses adhérents remplissaient un bulletin d'inscription et s'organisaient en cercles. Avec bonheur, notre Père constatait que les ligueurs bénéficiaient, dès leur engagement, de grands bienfaits spirituels : ils étaient immédiatement payés au centuple.
« Le premier fruit de l'adhésion à la CRC est une profonde sérénité de la foi. L'adhésion à la CRC met fin à bien des perplexités et des scrupules. Comment concilier actuellement deux commandements de l'adorable Volonté de Dieu : garder la foi, défendre la foi vraie, intégrale, et demeurer fils de l'Église, soumis à sa hiérarchie, nourris de ses sacrements ?
« S'inscrire à la CRC, c'est vouloir absolument cette conciliation, s'y engager et s'unir à d'autres pour s'y aider mutuellement. Alors, on se sent plus parfaitement soumis à la Volonté de Dieu. On sait qu'il ne commande pas l'impossible et qu'on y arrivera avec sa grâce et l'aide de la Ligue.
« Les uns se battaient pour la doctrine et du coup ne pratiquaient plus un culte réformé dont ils ne voulaient pas paraître complices. Les autres suivaient aveuglément la Réforme pour continuer à pratiquer leur religion sans tracas. Tous se sentaient en quelque chose mutilés et malheureux. La CRC, pour eux, c'est se remettre en vérité et en grâce avec Dieu.
« Le deuxième bienfait est une nouvelle force de l'espérance, qui est joie dans la croix. Je vous ai avertis que notre grande tentation allait être de désespérer de l'Église visible hiérarchique : ne plus croire faute de rien voir. Isolés, seuls contre tous, ne trouvant pas un prêtre, pas un religieux dans leur entourage, qui soit digne de confiance, les simples fidèles désespèrent.
« L'adhésion à la CRC est certes une source d'épreuves et de renoncements, une croix. Mais il y a aussi dans cette croix une très pure joie. La CRC, c'est, contre toute espérance, l'espérance en l'Église. Y adhérer, en porter l'insigne, c'est crier sa confiance en l'avenir de l'Église visible, et toujours divine, immortelle. Malgré tout.
« Alors, au lieu de se séparer, de se durcir dans l'amertume et le mépris, on se sent appelé à l'aide, à l'action. Un chemin se devine vers l'avenir. Après cette décadence, il y aura un renouveau qui ne sera ni réaction aveugle ni réforme stupide, mais progrès, dans la fidélité au seul service de Dieu et au bien des âmes. Ouvertement, la CRC y travaille, la main tendue à tout évêque, prêtre, catholique de bonne volonté. Et s'ils refusent ? Nous essaierons encore, dans l'espérance. Un jour, Dieu le fera.
« Un troisième bénéfice de notre adhésion est une nouvelle ardeur de la charité fraternelle. L'idée que tout est fini, impossible, glace le cœur. Tirer des plans d'action grandiose, faire de grandes théories, est tout aussi glacial. À ceux qui m'inondent ainsi de vains projets et de paperasses, je dis qu'il vaudrait mieux faire le moindre acte de charité pratique très humble, dans sa propre paroisse et son propre milieu. La perfection de notre charité est là.
« À la CRC nous ne nous énerverons pas à dire qu'il faut “ agir ” et à craindre de ne pas “ réussir ”. Devenons meilleurs, joyeux et courageux dans cette formidable épreuve de l'Église. Alors nous nous aimerons les uns les autres avec plus de chaleur, du fait de notre commune appartenance à la Ligue. Et vous verrez, l'action suivra, la réussite viendra, “ si Dieu le veult ” !
« En ce sens, la CRC est une “ pieuse union ”, l'expression est désuète mais admirable. Là est notre réconfort, le point de départ de véritables conversions et d'ascensions spirituelles. Or, on n'a jamais vu dans l'Église de tels progrès n'être pas suivis d'immenses conquêtes. Nos œuvres, selon saint Paul, jailliront du dynamisme de notre foi si nous sommes unis dans la charité. »
L'INSIGNE CRC
« Les étendards du Roi s'avancent
Cœur transpercé porte sa croix
Les trois lettres signifient le choix
D'argent, de pourpre et d'or... espérance ! »
Sous cet exergue, l'abbé de Nantes expliquera bientôt la riche signification de l'insigne CRC.
« Nous n'avons rien à taire, nous n'avons pas à nous cacher. Nous avançons, bannières déployées. Notre insigne est une flamme, ce sont les étendards du Christ-Roi.
« Le Cœur et la Croix. L'essentiel, c'est la croix plantée en plein cœur. Elle s'élève, fragile, et attire dans le ciel. Ce symbole de nos Mystères nous est commun avec tous nos frères catholiques : c'est le Cœur Sacré de Jésus et sa croix rédemptrice. Sur notre insigne, ils ne s'imposent pas d'abord, parce que nous n'avons pas l'exclusivité de ces trésors. Tout notre Credo, le vrai, tient en ces symboles sacrés : le culte parfait rendu par le Seigneur Jésus à Son Père et notre Père, l'amour de Dieu même, pour nous et pour notre salut. N'oublions pas : Marie, le Cœur transpercé, au pied de la Croix. Pour les spirituels, c'est l'illustration de la parole mystique : “ Ô Jésus, est-il une joie plus grande que celle de souffrir pour votre amour ? ” (sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus). Pour les apostoliques, c'est le signe que choisit Charles de Foucauld, frère universel, notre père et notre modèle. Et pour le militaire, c'est encore l'insigne des Vendéens dont les guerres étaient avant tout une levée en masse pour la défense de la foi.
« C.R.C. Le sigle déjà familier sonne bien. Mais surtout il résume tout notre programme. Il désigne une Ligue, il forme une famille. Tout cela est déjà connu. Reste sa signification cachée. Du jour où les choses d'Église rentreront dans l'ordre, quand, l'obstacle écarté, notre Contre-Réforme n'aura plus à combattre ce qu'alors toute l'Église aura rejeté, nous serons libérés du fardeau de la lutte... CRC voudra encore signifier le même service de l'Église, mais pacifique. Cela sera quelque chose comme “ Cercles de la Restauration Catholique ”. Heureux de n'avoir plus à combattre, nous n'aspirerons qu'à devenir des unions diocésaines et paroissiales au service de nos évêques et de nos prêtres, ne faisant plus avec eux qu'une seule âme, une seule pensée et un seul cœur. Et certains pourront dire alors ce que sera la vraie Réforme, celle qui ramène les enfants au cœur des Pères et les hommes d'Église au culte de leur Tradition sacrée.
« D'argent, de pourpre et d'or. Ce sont les couleurs du trône de Dieu, dans le Cantique des cantiques. Le fond est d'argent, signe de pureté, d'innocence gardée ou retrouvée, car les vrais soldats de l'Église doivent honorer l'état de grâce. Et si vous apercevez dans le ciel lumineux quelque traîne d'azur, c'est en mémoire de la Vierge notre Mère et notre patronne. Les signes sont de pourpre, car rien de décisif ne vaut, dans les œuvres de Dieu, que par le Sang du Christ et celui des martyrs, mêlé au sien. Rouge éblouissant, pour faire honte à notre lâcheté, selon saint Paul aux Hébreux : “ Vous n'avez pas encore résisté jusqu'au sang dans votre lutte contre le péché. ” (12,4)
« Mais l'or l'environne et nimbe tout, car, par la Croix, les frères de Jésus s'avancent vers la Gloire : “ Per crucem ad lucem ”, et la persécution pour le Nom du Christ est déjà une béatitude.
« Tel est l'insigne, tel est le programme. (…) »
Extrait de Pour l'Église tome 3, p. 141-176