Le mouvement lefebvriste et son schisme
DU CONCILE Vatican II À LA FONDATION DU SÉMINAIRE D’ÉCÔNE
Monseigneur Marcel Lefebvre, ancien archevêque de Dakar puis de Tulle, et enfin supérieur général des Pères du Saint-Esprit, était l’un des chefs de file de la minorité traditionaliste au Concile. À cette époque, il considérait que l’abbé de Nantes exagérait en affirmant, dès la fin de la première session (décembre 1962), qu’une révolution s’opérait dans l’Église. Lui préférait faire confiance au Pape et travailler à l’amendement des textes conciliaires les plus mauvais. Finalement, il les signa tous, y compris le décret sur la liberté religieuse.
Lorsque le 1er juillet 1968, l’abbé de Nantes, sur ordre de Paul VI, fut sommé de rétracter ses critiques du Pape, du concile Vatican II et des évêques français, et de leur jurer à tous une obéissance entière, inconditionnelle et sans limites, cela sans qu’on lui ait indiqué quelles étaient ses éventuelles erreurs, il alla demander conseil à Mgr Lefebvre. Le prélat le dissuada de signer cette rétractation exorbitante : « Vous ne le pouvez pas. Vous n’en avez pas le droit. Nous-mêmes l’avons écrit en son temps au Souverain Pontife : la cause de tout le mal est dans les Actes du Concile. Soyez ferme dans la vérité. » Toutefois, il laissa notre Père aller seul au Palais du Saint-Office faire savoir à ses juges son non possumus ! Car officiellement, à cette époque, Mgr Lefebvre se présentait comme un fils soumis au pape Paul VI et aux autorités de l’Église.
Quelques semaines plus tard, l’ancien archevêque de Dakar se démit de sa charge de supérieur général des Pères du Saint-Esprit. Depuis la réforme liturgique, en effet, il voulait ouvrir un séminaire. Son raisonnement était simple : le nouvel ordo missæ, plus protestant que catholique, prouvait que la foi se perdait dans l’Église, il fallait donc préparer une élite sacerdotale, de “ vrais prêtres ”, pour la préserver. Ce séminaire était donc, à ses yeux, une œuvre de première nécessité. Afin de ne pas la compromettre et pour obtenir toutes les autorisations canoniques nécessaires, la prudence lui dicta de garder le silence dans les controverses de l’époque.
En novembre 1970, il arriva à ses fins : la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X était canoniquement fondée et le séminaire d’Écône, en Suisse, pouvait ouvrir ses portes.
L’IMPOSSIBLE DÉFENSE DE LA TRADITION
DANS L’OBÉISSANCE AU PAPE Paul VI !
Dès lors, Mgr Lefebvre ne cacha plus son opposition ferme à la nouvelle messe, mais il garda encore le silence sur les erreurs doctrinales des Actes du Concile. « Le problème actuel de la Messe, dit-il en 1972, est un problème extrêmement grave pour la Sainte Église. Tous les efforts que l’on fait pour raccrocher ce qui se perd, pour réorganiser, reconstruire, rebâtir, tout cela est frappé de stérilité, parce qu’on n’a plus la source véritable de la sainteté qui est le Saint-Sacrifice de la Messe. Profané comme il est, il ne donne plus la grâce, il ne fait plus passer la grâce. »
La position adoptée alors par l’abbé de Nantes fut tout à fait différente : sans nier les ambiguïtés du nouveau rit, il en reconnut la validité, puisqu’il était imposé par le Pape et tous les évêques en communion avec lui, ainsi que par toute l’Église. Cependant cela ne le détourna pas de son combat primordial, la dénonciation des erreurs doctrinales qui ont envahi toute l’Église à la faveur du concile Vatican II.
En avril 1973, le fondateur de la Contre-Réforme Catholique se rendit à Rome pour remettre au Saint-Siège son Liber accusationis contre Paul VI. Mgr Lefebvre ne voulut surtout pas s’associer à cette démarche, ni même, de près ou de loin, y paraître impliqué.
Apparemment donc, Mgr Lefebvre était bien loin d’être sur la voie du schisme. N’aimait-il pas dire que sa fondation a pour but de « continuer l’Église de toujours dans la soumission au Saint-Siège et la sauvegarde de notre foi », autrement dit : défendre la foi en demeurant docile au Saint-Siège ? La bibliothèque du séminaire d’Écône ne possédait aucun ouvrage postérieur à 1962 ; on ignorait donc superbement les Actes de Vatican II… pour ne pas avoir à les critiquer.
Durant ces années très agitées de l’après-concile, Mgr Lefebvre rallia à lui un grand nombre de fidèles traditionalistes qui attendaient que les jeunes prêtres formés à Écône leur redonnent la piété des paroisses d’autrefois. Beaucoup de lecteurs de La Contre-Réforme catholique furent séduits eux aussi ; ils préférèrent un bien particulier – garder leur messe de saint Pie V – plutôt que le service du bien commun actuel de l’Église : dénoncer l’hérésie comme le faisait l’abbé de Nantes.
En outre, ce dernier pouvait paraître sur la voie du schisme puisqu’il s’opposait au Concile et au Pape, tandis que Mgr Lefebvre offrait, lui, toutes les garanties de sa soumission à Paul VI.
Mais en réalité, c’était tout le contraire. En effet, l’analyse du déroulement de Vatican II avait permis à l’abbé de Nantes de se rendre compte que les erreurs doctrinales n’avaient pu s’y imposer que par l’action personnelle du pape Paul VI. Il était donc impossible de prétendre former de jeunes prêtres dans la fidélité à la foi catholique tout en se soumettant à ce Pape ! C’était aller inévitablement vers un conflit dont l’issue serait, soit la fermeture du séminaire et le ralliement aux volontés de Paul VI, donc à l’hérésie, soit l’insoumission menant au schisme pour sauver le séminaire. L’abbé de Nantes comprit tout de suite qu’un drame se nouait.
« Ni schisme, ni hérésie », aimait à répéter le théologien de la Contre-Réforme, qui adopta la seule solution catholique, inexpugnable jusqu’au triomphe de la vérité : faire appel à l’autorité souveraine et infaillible du Pape contre le Pape, et se trouver ainsi protégé et gardé dans l’Église du fait même de l’infaillibilité pontificale. Cela, Mgr Lefebvre ne l’a jamais admis.
PAUL VI ORDONNE LA FERMETURE DU SÉMINAIRE D’ÉCÔNE
Dès la fin de l’année 1974, les nuages pourtant s’amoncelaient au-dessus du séminaire d’Écône. Non seulement les évêques français faisaient savoir qu’ils n’accepteraient pas dans leur diocèse les prêtres formés dans ce séminaire, mais Rome y envoya des visiteurs apostoliques. À l’issue d’une première visite canonique, Mgr Lefebvre publia dans la revue Itinéraires une profession de foi à la Rome catholique et éternelle et une vigoureuse opposition à la Rome protestante, libérale et moderniste. Toutefois, remarquait l’abbé de Nantes, « Mgr Lefebvre n’identifie pas expressément, et je crois que cela dépasse même sa pensée, la Réforme en cours, hérétique et vraiment diabolique, avec les Actes de Vatican II qu’il ne rejette pas explicitement comme nous, ni avec les Discours et les Actes de Paul VI ou du moins avec ses pensées et ses convictions profondes. Il laisse à dessein une marge d’imprécision, d’incertitude, entre ce qu’il anathématise et les personnes mêmes, la personne morale du Concile œcuménique et la personne du Pape régnant. »
À partir de cette époque, Mgr Lefebvre justifia certes son refus des réformes liturgiques par des raisons doctrinales, mais sans cesser pour autant de se prétendre soumis au Pape ; ses lettres privées témoignent pourtant qu’il ne se faisait aucune illusion sur Paul VI.
À plusieurs reprises, l’abbé de Nantes lui tendit la perche pour qu’il sorte de cette incohérence aux funestes conséquences, et adopte la position de la CRC. En février 1975, notre Père publia un retentissant éditorial : « Frappe à la tête ». Après y avoir évoqué les derniers actes scandaleux de Paul VI, il en venait à cette conclusion : « Il était à prévoir que capituleraient à la première injonction de l’Autorité supérieure, tous ceux qui juraient de résister à l’emprise du MASDU, de rester fidèles à l’Église de leur baptême, à la Messe de leur ordination, au Credo de Nicée… mais “ en parfaite communion avec le Souverain Pontife ”, dans “ une soumission totale à ses volontés ”. (…) Alors demeure l’ultime remède, l’héroïque, le seul que craigne Celui qui a sciemment et opiniâtrement inverti le sens de sa mission divine et apostolique. Il faut qu’un évêque, lui aussi successeur des Apôtres, membre de l’Église enseignante, collègue de l’Évêque de Rome et comme lui ordonné au bien commun de l’Église, rompe sa communion avec lui tant qu’il n’aura pas fait la preuve de sa fidélité aux charges de son suprême pontificat. »
En première page de cet éditorial, un admirable texte de saint Augustin contre le schisme, cité en encart, manifestait on ne peut plus clairement les intentions de l’abbé de Nantes : proposer au fondateur d’Écône le seul moyen de défendre la foi et d’éviter le schisme.
* Voir un extrait de l'entrevue de Mgr Lefebvre avec trois cardinaux romains
Malheureusement, Mgr Lefebvre n’en fit rien, au contraire. Le 3 mars suivant, il était convoqué à Rome devant une commission de trois cardinaux en proie à une obsession : empêcher que Mgr Lefebvre s’associe au combat doctrinal de l’abbé de Nantes. Aussi voulurent-ils à tout prix qu’il écrive au Pape pour lui exprimer sa pleine communion. La retranscription de cette comparution est accablante pour Mgr Lefebvre : il ne sait que répondre à ses interlocuteurs qui le somment d’accepter toute la réforme liturgique et tout le Concile, au nom de l’obéissance au Pape dont il se targue.
Ce ne fut pas suffisant pour ouvrir les yeux de Mgr Lefebvre sur la faiblesse de sa position ! Au contraire, il s’obstina à faire preuve de soumission à Paul VI et pour cela, quelques jours plus tard, il désavouait publiquement l’abbé de Nantes en feignant de croire qu’il l’appelait au schisme vis-à-vis de Rome !
À partir de ce jour, notre Père ne pouvait plus rien pour empêcher la dérive de Mgr Lefebvre et de ceux qui le suivaient de confiance, jusqu’à la rupture avec Rome.
Le 6 mai 1975, le décret d’érection de la Fraternité Saint-Pie X était retiré, et le séminaire d’Écône perdait du même coup le droit à l’existence. Le 15 mai, lors d’une conférence publique à Paris, l’abbé de Nantes expliqua à ses auditeurs que si Mgr Lefebvre entrait en rébellion sans déclarer ouvertement les raisons dogmatiques de son refus de la réforme conciliaire, il créerait « un schisme implicite, larvé, mais qui n’en serait pas moins réel. Un évêque ne peut pas légitimement cesser tout à coup d’obéir et maintenir l’existence d’un séminaire contre la décision de l’évêque du lieu et contre la volonté des autorités romaines. »
L’abbé de Nantes observait aussi qu’à opposer la Rome de toujours à celle d’aujourd’hui, sans faire appel au jugement infaillible du Pape, Mgr Lefebvre se posait, lui, en juge souverain !
LA RÉBELLION OUVERTE
Le 29 juin 1975, Paul VI écrivit au fondateur d’Écône pour lui demander un acte public d’obéissance : la fermeture du séminaire. Mgr Lefebvre laissa la lettre sans réponse. Le 8 septembre, Paul VI lui écrivit de nouveau pour s’étonner de ce silence et laisser entendre qu’un refus d’obéissance serait sanctionné. Quelques jours plus tard, dans un acte formel d’insoumission, le séminaire d’Écône rouvrait ses portes.
En octobre, le Saint-Siège informa les conférences épiscopales du monde entier que les fondations de Mgr Lefebvre avaient perdu le droit à l’existence. Or, au même moment, Mgr Lefebvre proclamait : « Non, il n’y a pas de conflit réel avec le Pape. Paul VI n’est pas hostile à la Fraternité Saint-Pie X. Ce sont les évêques de France, les membres de la coterie française du Vatican, les prélats proches du Pape, à savoir Mgr Benelli, le cardinal Villot, qui veulent détruire le séminaire d’Écône. » Ou encore : « Mon séminaire est l’expression la plus claire d’une attitude d’obéissance au Pape successeur de Pierre et vicaire de Jésus-Christ ».
En juin 1976, Paul VI lui interdisait expressément de procéder à de nouvelles ordinations. Mgr Lefebvre répondit en renouvelant sa soumission et l’assurance de sa pleine communion de pensée et de foi, il demanda aussi au Saint-Père de permettre un dialogue avec des cardinaux, ne doutant pas alors que les difficultés s’aplaniraient.
Le 29 juin, nonobstant l’interdiction, Mgr Lefebvre conféra l’ordination à quinze prêtres. Ordinations certes valides, mais illicites. Alors, le 22 juillet, la sanction tomba : le fondateur du séminaire d’Écône était frappé de suspense a divinis.
Mais à cette époque, il reçut indéniablement encore un large soutien parmi les fidèles traditionalistes qui ne comprenaient pas la sévérité du Pape, alors que n’importe quel désordre pouvait exister dans l’Église sans être sanctionné.
L’abbé de Nantes, sans craindre le mécontentement d’une partie de ses lecteurs, publia deux éditoriaux qui retraçaient l’histoire de la Fraternité Saint-Pie X en soulignant les déplorables erreurs de son fondateur, et il avertissait qu’il était désormais « non seulement inutile, mais coupable » de soutenir les fondations de Mgr Lefebvre. Il réfuta la distinction entre “ l’Église de toujours ” et “ l’Église réformée et libérale ”, qu’aimait à faire l’ancien archevêque de Dakar pour se justifier, et il publia, au contraire, une très ferme profession de foi en l’unique et éternelle Église : « L’Église est Unique, Sainte, Catholique et Apostolique. Je le crois sur la Parole de Dieu, d’une certitude absolue, pour la vie, comme si je voyais l’invisible, par une nuit obscure. Parler, agir à l’encontre, ou même désirer que les choses soient autres, constituerait pour nous une faute, un péché contre l’Église et donc contre le Christ-Dieu, car celui qui blesse l’Épouse atteint du même coup l’Époux. Et cela, aucun prétexte d’amitié ou d’intérêt ne le permet. »
Tout le drame d’Écône, expliqua une nouvelle fois l’abbé de Nantes, résultait du dessein conçu par Mgr Lefebvre d’instituer une « Église officieuse, discrète, humble, silencieuse, Église fidèle qui maintiendrait la Tradition dans les traditions qui en sont le véhicule ordinaire. (…) Le processus des deux Églises parallèles, concurrentes, inconciliables, était lancé, sous la fiction transparente de la soumission au Pape, de l’amour et de la vénération de sa personne, prisonnière de son entourage ou de son personnage. (…) Comme Mgr Lefebvre allait de ville en ville, d’Australie au Canada, pour faire connaître son œuvre et encourager les fidèles, on lui demanda les sacrements. C’est alors qu’insouciant des saints canons de l’Église qu’il violait, mais en toute tranquillité de conscience, il commença d’agir partout en évêque sans l’autorisation de personne. Et non seulement il confirmait mais il reconfirmait les enfants dont les parents doutaient que la Confirmation fût valide ! Il n’en fit pas mystère. Pour satisfaire au besoin des âmes, loi suprême !»
Mgr Lefebvre remettait donc pratiquement aux fidèles le soin de décider de la validité des formules et de la droiture des intentions des célébrants, selon leurs impressions ! Une telle « suspicion générale, écrivit encore l’abbé de Nantes, a été ressentie par le clergé du monde entier comme un affront et, plus gravement, comme une atteinte à la légitimité de l’Église visible dans son institution organisée, hiérarchique, et dans ses sacrements quotidiennement, universellement distribués. »
Le pire est que jamais Mgr Lefebvre ne reconnaîtra son erreur. Et comme il persista à feindre d’ignorer les démonstrations théologiques du fondateur de la Contre-Réforme qui établissaient les erreurs doctrinales de Paul VI dès les débuts de son pontificat, il ne put donner d’unité doctrinale à sa Fraternité sacerdotale. De cette attitude pour le moins irrationnelle de Mgr Lefebvre, il résulta de profondes divisions au sein du mouvement lefebvriste, qui se dissimulaient derrière un commun attachement à la messe de saint Pie V. C’est ainsi que, par exemple, de jeunes prêtres ordonnés à Écône rejoignirent des communautés sédevacantistes le lendemain de leur ordination, et qu’aujourd’hui certains lefebvristes veulent le rapprochement avec Benoît XVI tandis que d’autres l’anathématisent.
LA CONSOMMATION DU SCHISME
Avec l’arrivée de Jean-Paul II sur le trône pontifical, la situation n’évolua pas, malgré les attentes que quelques propos du nouveau Pape avaient créées. Il n’était pas question évidemment de revenir sur la réforme liturgique, et pas davantage sur les erreurs du concile Vatican II qui étaient celles aussi de l’archevêque de Cracovie devenu Pape ! Les discussions entre le Saint-Siège, souvent représenté par le cardinal Ratzinger, et Mgr Lefebvre trainèrent en longueur au point que ce dernier en vint à soupçonner Rome d’attendre sa mort pour que la résistance intégriste se résorbe d’elle-même, faute d’évêque pour ordonner les séminaristes.
Aussi, en 1984, publia-t-il avec l’évêque brésilien Mgr Castro-Mayer, une critique doctrinale des erreurs conciliaires. Enfin ! Notre Père salua cette initiative, c’était ce qu’il aurait fallu faire depuis longtemps. Mais malheureusement Mgr Lefebvre assortissait son texte de la menace de sacrer des évêques pour lui succéder… ce faisant, il manifestait plus que jamais un esprit schismatique ! Jean-Paul II avait là un beau prétexte pour refuser l’examen doctrinal qu’il ne voulait à aucun prix, et pour cause.
De 1984 à 1988, l’abbé de Nantes ne perdit pas une occasion de revenir sur le sujet pour expliquer inlassablement qu’on ne résoudra pas la crise de la foi dans l’Église en faisant schisme : on ne guérit pas un mal par un autre mal. Mais ce fut en vain.
Le 30 juin 1988, Mgr Lefebvre donna la consécration épiscopale à quatre prêtres de sa Fraternité sacerdotale, sans mandat pontifical et contre la volonté du Souverain Pontife. Ainsi consomma-t-il indubitablement sa rupture avec l’Église. Notre Père commenta : « Le parti au pouvoir n’attendait que cette faute, et l’excommunication est tombée. D’abord latæ sententiæ, liée par le droit à l’acte criminel, puis, sans délai, suivie et renforcée par la même censure, ferendæ sententiæ.(…) Même si elle émane d’une hiérarchie indigne et si elle s’accompagne d’imprécations et de sollicitations à forte coloration sectaire et moderniste, cette sanction est légale, elle vient de l’Autorité légitime, elle est donc “ liée dans le Ciel ”, comme elle l’a été “ sur la terre ” par Pierre et les Apôtres en leurs seuls vrais successeurs. (…) Nul en effet ne peut constituer une hiérarchie autonome, en aucune circonstance et pour aucune raison, sans blesser l’unité, nier la sainteté, trahir l’apostolicité, briser la catholicité de l’Église. À pareille loi, nul ne peut se soustraire. »
ÉGLISE CONTRE ÉGLISE
Tout schisme dérive vite en hérésie, et plusieurs héritiers de Mgr Lefebvre aggraveront sa conception et sa théologie déficientes de l’Église. Car Mgr Lefebvre, formé au Séminaire français de Rome, avait adhéré à la doctrine qu’on y enseignait, touchant l’indéfectibilité presque absolue des Papes et l’assistance, voire l’inspiration du Saint-Esprit préservant le Siège apostolique de tout égarement. D’où sa confiance aveugle en Rome, pendant le Concile ; puis son désarroi lorsqu’il comprit que Paul VI était pour le moins complice de l’hérésie. Comme il ne voyait pas du tout que la constitution et les institutions divines de l’Église permettaient de faire face à cette situation, par un appel du Pape au Pape, il commença à dire : « L’Église est là où est la vraie foi », et il en arriva bientôt à douter que l’Église subsistât en dehors de sa Fraternité sacerdotale.
La Fraternité Saint-Pie X s’organisa comme si elle prétendait s’octroyer les pouvoirs du Pape et de la Curie romaine : en 1991, du vivant de Mgr Lefebvre, elle institua des tribunaux ecclésiastiques en s’attribuant un véritable pouvoir pour gouverner les fidèles. En vertu de l’adage Ecclesia supplet, mais étendu au-delà des cas prévus par le Droit canon, les dirigeants de la Fraternité usurpaient ainsi les pouvoirs de juridiction réservés au Pape pour accorder les dispenses aux empêchements de mariage, annuler les mariages, dispenser des vœux religieux, lever les censures ecclésiastiques, y compris les excommunications. Mgr Lefebvre, dans une lettre du 15 janvier 1991, affirmait que les Commissions canoniques de la Fraternité devaient, « dans une certaine mesure, suppléer à la défection des Congrégations romaines. ». On apprit aussi que la Fraternité obligeait ses fidèles à prendre l’engagement de ne s’adresser à aucun tribunal ecclésiastique officiel pour lui faire examiner ou juger leur cause. Bref, la Fraternité Saint-Pie X construisait Église contre Église. (…)
Assurément, comme l’écrivait l’abbé de Nantes en 1988, au lendemain de la consécration des quatre évêques par Mgr Lefebvre, « le schisme tire sa malice intrinsèque de la constitution sacramentelle d’une église à côté de l’Église, et d’un magistère intrus, se faisant juge et pasteur suprême sur une partie du peuple, en face et à l’encontre du magistère romain ».
LA LIGNE DE CRÊTE DÉSERTÉE.
L’abbé de Nantes avait prévu depuis plus de vingt ans les funestes conséquences de la réaction outrée des intégristes :
« Le schisme de droite, écrivait-il en mars 1970, risque maintenant de compromettre l’avenir de l’Église, parce qu’il agira comme repoussoir sur les masses dégoûtées du modernisme qui, par détestation du schisme, par horreur de la sécession, reflueront en désordre sous le pouvoir des réformateurs. »
Le schisme de Mgr Lefebvre eut cet effet répulsif…
Extrait de la RC n° 136, mars 2006, p. 1-6