Réfutation du sédévacantisme
En juillet 1969, l’abbé de Nantes reçut chez lui le père Guérard des Lauriers (o.p.) et l’abbé Coache, les futurs chefs du mouvement sédécavacantiste. Pour eux, la cause était entendue, la nouvelle messe, dite de Paul VI, étant invalide, le Pape n’était plus pape, son siège était donc vacant (Sedens vacans), comme aussi celui de tous les évêques de la catholicité. (…)
Les fermes mises en garde de l’abbé de Nantes contre toute dissidence schismatique, à partir de l’été 1969, contraignirent ces réfractaires à une certaine retenue. Toutefois les quelques prêtres intégristes qui prétendaient jouer un rôle de chef de file et de docteur, ne renoncèrent nullement à leurs desseins, et quand l’abbé Coache commença à dévoiler et à tenter de justifier ses convictions sédévacantistes, l’abbé de Nantes le prit nommément à partie : (…)
« Ce schisme intégriste se reconnaît à trois erreurs dogmatiques :
1. L’affirmation que Paul VI est déchu du Souverain Pontificat pour cause d’hérésie.
2. L’affirmation corrélative de la déchéance des évêques unis à Paul VI, pour le même motif.
3. La prétention de constituer des églises isolées dont les prêtres assumeraient de manière extraordinaire toute la juridiction pastorale, indépendamment de toute autorité ecclésiastique officielle, locale ou romaine. »
Mgr Lefebvre, de son côté, refusant farouchement d’adopter la sage position de l’abbé de Nantes et de faire appel du pape au pape, comme le droit canonique pourtant le lui permettait, se laissa, peu à peu et malgré ses palinodies, gagner par l’esprit sédévacantiste des pères Guérard des Lauriers, de l’abbé Coache et de quelques autres, ce qui provoqua une grave crise interne dans son séminaire en 1977. Le supérieur du séminaire d’Écône, le chanoine Berthod, ainsi que de nombreux professeurs et élèves, quittèrent alors Mgr Lefebvre.
Une personne proche de Mgr Lefebvre, qui vivait dans son séminaire depuis plusieurs années, écrira à l’abbé de Nantes le 15 août 1977 : « Je fais partie de ceux - et combien nombreux ! - qui prennent leurs dispositions pour quitter son orientation qui n’est plus d’Église romaine. Nous savons bien que, depuis le début de sa fondation, vous en prévoyiez le dénouement. N’est-il pas douloureux de voir Monseigneur si bien manœuvré par des Pères Guérard, Barbara, Coache, sans oublier dom Augustin, tout ce monde-là gravitant - j’allais dire grenouillant - à l’ombre épiscopale, tous flatteurs, dirigeant savamment quelques prêtres, sans doute de bonne foi, mais de si peu de bon sens et parfois d’intelligence ; ceux-ci ayant obtenu la confiance de Monseigneur, sont devenus les hauts dirigeants du séminaire imposant leur faux libéralisme et leurs conceptions antiromaines de l’Église. »
Tout ce qui arrivait avait été prévu par l’abbé de Nantes. Il ne cessa d’expliquer aux pauvres fidèles désorientés par Mgr Lefebvre et les sédévacantistes, les bienfaits de sa ligne de ligne de crête : ni schisme, ni hérésie, et de réfuter les arguments qu’au fil des ans les sédévacantistes avancèrent pour contester l’autorité et la légitimité du Pape régnant. Ainsi, en février 1982, peu après le sacre schismatique du Père Guérard des Lauriers, l’abbé de Nantes dévoila et dénonça leur erreur.
Il commença par rappeler en quelles circonstances l’on peut et l’on doit s’opposer aux exigences de ses supérieurs, et même du Pape et des évêques, sans pour autant mettre en cause leur autorité légitime :
« 1. Un simple fidèle, un prêtre, un évêque peuvent et doivent parfois désobéir aux ordres qui leur sont donnés par leurs supérieurs, et par le Pape lui-même, non pour préserver leur intérêt personnel, ou leur apostolat menacé, mais lorsque les ordres donnés vont à l’encontre de la foi, de la loi morale ou de la charité. Une fois, deux fois, cent fois, sur un ou sur mille points, tout autant qu’il le faudra. Des saints en ont donné l’exemple.
« 2. Un simple fidèle et, bien plus, un prêtre, voire un évêque, plus encore un cardinal, et tout spécialement les membres du clergé romain, peuvent et doivent s’opposer jusqu’à combattre ouvertement toute erreur d’un supérieur, fût-il pape, jusqu’à en réclamer le jugement par l’autorité suprême et infaillible de l’Église, en vue de la correction de l’hérésiarque ou de sa déposition. C’est ce que nous avons déjà fait par notre Liber accusationis, porté à Rome en 1973.
« 3. Mais quelles que soient les fautes personnelles, les crimes, les forfaitures, quels que soient les actes schismatiques et les enseignements hérétiques dont les personnes constituées en autorité se rendent coupables à nos yeux, nul d’entre nous n’est habilité de son propre mouvement, de par sa décision personnelle à déclarer déchu de sa charge et dépouillé de ses pouvoirs un membre quelconque de la hiérarchie.
« Verrions-nous pire, et déjà ce que nous voyons est difficilement supportable, nous devrions demeurer dans cette soumission aux Pasteurs de l’Église, mais rebelles à leur rébellion, opposants à leurs schismes et à leurs hérésies. Nous souvenant que Jésus-Christ ressuscité est le souverain Seigneur et maître de son Église et qu’il sait, lui, ce qu’il a à faire en pareils cas, sans que nous ayons l’audace de prétendre nous substituer à sa justice et à son jugement. C’est ce qui rend coupable la conduite des pasteurs intégristes assumant des juridictions sur les peuples, selon leur caprice, comme si le Christ les en chargeait. »
Ces principes mènent à la réfutation de l’erreur sédévacantiste : « Là-dessus sont apparus des archiapôtres, prétendant qu’il est illogique et même contradictoire de désobéir au Pape et aux évêques dans leurs décisions réformistes, de critiquer et dénoncer leurs erreurs dogmatiques et morales, en continuant pourtant de reconnaître leur autorité et leurs pouvoirs disciplinaires sur nous et sur l’ensemble du peuple fidèle. On ne pouvait, faut-il le dire, plus stupidement mettre en fâcheuse position de révolte et de schisme, une opposition qui, jusqu’alors, avait tout le droit pour elle et toute la vérité.
« L’argument byzantin apporté à l’appui de ce schisme déclaré, mérite à peine d’être rapporté : “ Tout acte du Magistère ordinaire de l’Église est, de soi, infaillible ; or le Pape et les évêques conciliaires enseignent, au nom de leur Magistère ordinaire, des nouveautés qui sont très certainement hérétiques : donc ils ne peuvent être vrai Pape et vrais évêques de l’Église du Christ. ”
« On peut opposer à ce syllogisme, d’une rigueur plus apparente que réelle, plusieurs autres raisonnements de plus grande prudence.
« On peut conclure que le Pape et les évêques se targuent bien à tort de leur “ Magistère ordinaire ”, lorsqu’ils énoncent des nouveautés époustouflantes. Ou alors que la notion de Magistère ordinaire recèle une réelle ambiguïté, les uns l’entendant comme leur magistère authentique, qui n’est aucunement garanti contre l’erreur, les autres comme le magistère constant et universel de l’Église, qui, de fait, est infaillible.
« Mon opinion est la suivante. La seule infaillibilité claire, décisive, indiscutable, est celle des définitions dogmatiques accompagnées d’anathèmes, promulguées par le Magistère extraordinaire ou solennel. L’infaillibilité diffuse du Magistère ordinaire ne couvre que les enseignements dont il n’est discuté par personne qu’ils ont été et sont ceux de toute l’Église enseignante, toujours et partout, reçus comme tels par le peuple fidèle, selon son “ sens de la foi ”, sans contestation ni violence.
« Rien de toutes les folies modernes déversées sur nous depuis vingt ans ne relève, évidemment, du Magistère ordinaire. Même si, par une nouvelle imposture, ceux qui les débitent nous le veulent faire croire ! » (…)
Le schisme que l’abbé de Nantes avait vu venir dès 1969, qu’il n’a cessé de dénoncer, est maintenant officiellement consommé. Son analyse n’a rien perdu de sa tragique vérité, comme n’ont rien perdu aussi de leur actualité, les solutions qu’il a préconisées pour refaire l’union de l’Église au-delà de tout schisme et hérésie dans l’unité de la vérité et charité retrouvée.
Extrait de Pour l'Église tome 4, p. 335-337