La nouvelle messe de Paul VI
L A révision du rituel de la messe ayant été décidée par le concile Vatican II, une nouvelle messe, « normative », c'est-à-dire devant servir de référence, fut expérimentée à Rome, lors du synode épiscopal de 1967. Le P. Annibale Bugnini la célébra en italien le 24 octobre, dans la chapelle Sixtine. L'adhésion des membres du Synode ne fut pas unanime. Quand, le 25 octobre, au cours des votes, les évêques répondirent à la question suivante : « La structure générale de la messe dite normative, telle qu'elle a été décrite dans le rapport et la réponse, a-t-elle l'accord des Pères ? » on compta 71 Placet, 43 Non placet et 62 Placet juxta modum. Un quart des membres du Synode la refusait sans transiger.
La messe normative, organisée sous les auspices du Souverain Pontife, n'avait pour toute nouveauté que de sentir fortement l'hérésie. Las ! ni le pape Paul VI ni le Père Bugnini n'allaient reculer malgré l'opposition rencontrée au Synode, et la nouvelle messe fut imposée le 30 novembre 1969.
Toute la question était de savoir “ si les évêques allaient suivre ”. Car si l'Église hiérarchique refusait le nouvel ordo, la décision de Paul VI n'aurait jamais force de loi ; elle tendrait uniquement à manifester aux yeux de tous sa propre hérésie.
Or, en septembre 1969, la Conférence épiscopale italienne décida de surseoir, au moins de deux ans, à l'application du nouvel ordo. Pressé par des membres de l'association Una voce, les cardinaux Ottaviani et Bacci consentirent à signer une supplique au Saint-Père demandant l'abrogation de la constitution Missale romanum, ou au moins l'exequatur entre l'ancien et le nouveau missel (c'est-à-dire l'autorisation d'utiliser l'un ou l'autre).
Paul VI arrivera finalement à sortir victorieux de cette crise. Son intransigeance et ses multiples manœuvres désorienteront et désarmeront les évêques opposés au nouvel ordo.
En France, les évêques l’imposèrent avec une violence morale inouïe à tous les membres de leur clergé, et proscrivaient l'ancien rit.
Tandis que les intégristes réfractaires limitaient le champ de leur contestation au seul domaine de la liturgie, l'abbé de Nantes maintiendra toujours la défense de l'antique messe romaine dans la dépendance d'un combat doctrinal plus vaste et primordial. Il voyait clairement, et c'était son immense supériorité sur les intégristes, que la dégradation et le saccage de la liturgie, comme toutes les autres destructions et corruptions postconciliaires, avaient une cause unique et universelle : la Réforme de l'Église décrétée par le concile Vatican II.
En ces années 70, l'abbé de Nantes, très préoccupé de défendre l'unité de l'Église et soucieux du bien des âmes, voulut détourner les traditionalistes d'un refus outrancier du nouvel ordo missœ afin de les maintenir dans la communion visible, apostolique et hiérarchique de l'Église. Il reprendra très souvent ses démonstrations et ses conclusions sur la validité et la licéité du nouvel ordo, pour contrecarrer les campagnes insensées des intégristes.
Dans une étude parue en juillet 1974 sur le Saint-Sacrifice de la messe, l'abbé de Nantes revenait sur la question de la licéité du nouvel ordo. En voici de larges extraits :
ÉTUDE SUR LA NOUVELLE MESSE
Cette nouvelle messe qui a donné lieu à tellement de critiques sévères de la part d’hommes sérieux, de théologiens, de cardinaux même, est-elle « l’Abomination de la désolation dans le Lieu Saint » ? Si l’on considère ses tenants et aboutissants, n’est-on pas conduit à craindre qu’elle ne soit précisément cette corruption du rite chrétien qui opère, non plus le salut des fidèles mais leur perte, non la sanctification de l’Église mais sa dégradation ? (…)
Il est indubitable que cette RÉVOLUTION LITURGIQUE comporte une dose massive de faits scandaleux, de nouveautés agressivement hérétiques, de menaces directes contre la foi et la piété du peuple fidèle. Les principes en sont modernistes, les fruits en sont détestables, c’est un fait. Il ne faudrait pas cependant que notre indignation, voire notre exaspération nous précipite dans des jugements et des attitudes inconsidérés. Dans la crise affreuse qu’a ouverte l’introduction de cette nouvelle liturgie, désorientant les fidèles, divisant l’Église, nous devons nous efforcer d’atteindre à une conception juste des choses mais nous en remettre au jugement définitif de la Hiérarchie exerçant son pouvoir de magistère suprême, quand elle voudra bien enfin juger solennellement de ses propres réformes à la lumière de la Tradition catholique et au nom du Seigneur.
Pour le moment, voici ce qu’un chrétien ordinaire, honnête, sans aveuglement ni passion, me semble pouvoir tenir pour sûr et certain.
1. DANS L’INTENTION DE SES AUTEURS, cette nouvelle messe nous paraît franchement hérétique. Il existe bien des preuves de cette intention perverse qui a provoqué et conduit la réforme de la messe, en déterminant chaque détail et tout l’ensemble, suppressions, corrections, additions. La définition de la messe que donne le fameux ARTICLE 7, au principe même du nouvel ordo, est absolument luthérienne ou pire, moderniste : « La Cène dominicale ou Messe est la synaxe sacrée ou assemblée du peuple de Dieu se réunissant sous la présidence du prêtre pour célébrer le mémorial du Seigneur. C’est pourquoi vaut éminemment pour l’assemblée locale de la sainte Église la promesse du Christ ; là où deux ou trois seront réunis en mon nom je serai au milieu d’eux. » Voilà qui suffit à déclarer ce nouvel Ordo anathème, placé sous le signe impudent de l’hérésie. (…)
Le Missel des dimanches de 1973 joue astucieusement d’une difficulté que le Magistère infaillible a depuis toujours résolue, pour amener les fidèles à refuser le caractère sacrificiel de la messe, de chaque messe, et ne plus reconnaître, selon l’Épître aux Hébreux, qu’un seul sacrifice, comme les protestants, celui de la Croix. Incitation flagrante à l’hérésie !
Tout cela, avec malice, va à la corruption de la foi catholique qui définit la Sainte Messe le renouvellement du Sacrifice du Christ rendu vraiment, réellement et substantiellement présent par le pouvoir du Prêtre seul habilité à opérer ce Sacrement. L’intention hérétique est donc certaine.
Le soupçon se porte dès lors légitimement sur toutes les modifications apportées au rit romain antique et l’impression se trouve alors renforcée d’une persévérante intention de déformation protestante et même de « sécularisation », de profanation humaniste. (…)
Les auteurs de cette nouvelle messe sont-ils donc ouvertement et formellement hérétiques ? Bien que nous les en ayons accusés pour les provoquer à sortir des brumes et ténèbres dont ils entourent leurs démarches, et bien qu’ils n’aient pas daigné nous répondre, la plus cruelle, la plus fantastique incertitude continue de régner sur ce point capital.
Paul VI, bon premier, a professé dans son encyclique MYSTERIUM FIDEI de 1965 et dans son CREDO de 1968 toute la doctrine catholique. D’autre part, le fameux Article 7 a été modifié dans un sens orthodoxe, ce qui est tout de même considérable ! On pourrait multiplier les preuves, à tous les échelons, d’un maintien, au moins apparent, de la foi, coexistant avec la réforme des rites. (…)
L’affirmation de la vérité juxtaposée à l’erreur maintenue ne saurait nous satisfaire. (…) Le silence du Pape et des Évêques en face de nos accusations n’est pas ignorance ni dédain mais refus délibéré de se déclarer et de faire la lumière. Parce que l’œuvre entreprise est ténébreuse. On ne veut pas ? On ne peut pas répondre ! Mais la marche à l’hérésie s’accélère. L’Évêque de Rome dans son propre diocèse, nos Évêques partout, acceptent toutes sortes de messes jusqu’aux plus scandaleuses, aux plus douteuses, même les messes blasphématoires et pire, invalides. Tout est permis, rien n’est puni. SEULE LA MESSE ROMAINE MILLÉNAIRE, dite de Saint Pie V, EST INTERDITE. J’ai démontré sans réplique possible dans ma conférence de Nancy, “ L’Interdit jeté sur la Messe Romaine ” (CRC n° 33, juin 1970, ), que cette sévérité unilatérale et cette unique fureur démontraient l’intention hérétique et la haine de la foi des meneurs de cette révolution. (…)
Nous tenons donc en suspicion légitime d’hérésie les inventeurs de ce nouveau missel, en premier lieu Celui qui est dans ces matières le législateur unique et souverain, le Pape Paul VI. Pourtant nous ajoutons : adhuc sub judice lis est, la chose est encore en jugement, la cause n’est pas jugée. Nos doutes, nos critiques, nos accusations ne peuvent tenir lieu de sentence ecclésiastique ni divine. Ils le savent bien ceux qui sont tout à la fois les Novateurs que nous accusons et les Juges qui refusent d’examiner leur propre cause. Mais nous ne pouvons passer outre, n’étant ni leurs supérieurs ni leurs juges.
Ils font profession de foi catholique, ils déclarent toujours célébrer la Messe, ils se considèrent comme fidèles du Christ et membres de l’Église. Ils sont d’ailleurs non seulement la majorité, notion démocratique ici sans valeur, mais la totalité de la hiérarchie, c’est-à-dire la part essentielle de l’Église, tandis que nous, les opposants, n’en sommes même pas une fraction, chose absolument unique dans toute l’histoire de l’Église ! Ils n’ont pas quitté l’Église : ils ne se sont pas déclarés schismatiques. Ils n’en ont pas été chassés : par qui le seraient-ils ? Ils sont à eux seuls toute l’Église, pape et évêques ! Nous les accusons, mais nous ne sommes rien puisque pas un seul Évêque au monde n’a donné force hiérarchique et corps ecclésial à notre rupture de confiance en les excluant de sa communion ! Ainsi l’affaire est en suspens. L’intention hérétique est flagrante et pourtant ceux qui la nourrissent sont l’autorité dans l’Église à laquelle nous devons tous nous soumettre !
2. LA NOUVELLE MESSE EN ELLE-MÊME ne peut être jugée absolument comme ses auteurs. (…) Il y a eu dans mon attitude vis-à-vis de ce Missel un changement total, qui se situe entre Pâques 69 et Pâques 70. Voici pourquoi.
Cette nouvelle messe a d’abord paru comme une « messe expérimentale », messe de Mgr Bugnini, qui n’avait pour toute nouveauté que de sentir fortement l’hérésie. La vouloir, la choisir de préférence à l’autre, en user exclusivement, c’était alors rechercher l’hérésie, s’y complaire, s’y enfermer. Je déclarai à cette époque la messe de Bugnini irrecevable, hérétique. Depuis l’inventeur jusqu’au consommateur, toute la lignée de ses partisans faisait œuvre de protestantisation dans l’Église. Puis, le 3 avril 1969, le Pape promulgue ce rite et le prend à son compte ; il le propose à l’Église entière. Pour ceux qui connaissent bien les fondements du droit canonique, il y avait, à partir de ce funeste jour, deux possibilités.
Ou bien l’Église ne recevrait pas cette originalité suspecte, la décision de Paul VI n’aurait jamais force de loi et au contraire elle tendrait à manifester aux yeux de tous sa propre hérésie personnelle. Cela aurait pu être, si des dizaines de Cardinaux et des centaines d’Évêques pressentis ne s’étaient abstenus par lâcheté de signer la fameuse Lettre dite « des cardinaux » que je décidai de jeter prématurément dans le public le 15 octobre 1969 pour empêcher les deux cardinaux Bacci et Ottaviani de reprendre leur signature, effrayés qu’ils étaient de se retrouver seuls. Ce Missel mort-né, si l’opposition l’avait arrêté, figurerait aujourd’hui parmi les documents et pièces à conviction du Procès en hérésie intenté à Paul VI, Bugnini et consors. Il serait connu comme un rit hérétique.
Ou bien nous nous battrions en vain contre cette promulgation de Paul VI, nous n’arriverions pas à coller à ce nouveau rit si suspect l’étiquette infamante d’hérésie. Il est vrai que nous nous sommes battus. C’est la Contre-Réforme Catholique qui a traduit et publié en langue française le Bref Examen Critique et l’a répandu à 30 000 exemplaires dans un Dossier accablant pour le Législateur... Pourtant, l’ensemble de l’Église hiérarchique ne réagirait pas, au contraire elle accepterait la liturgie nouvelle. Alors, il faudrait changer d’optique — c’est là le point délicat ? — et admettre que l’attention et l’intention de l’Église adoptant ce nouveau rit ne pourraient plus dès lors être identifiées et confondues avec celles des fabricants du rit et de son Promoteur... Pour n’avoir pas compris cela, aux antipodes de l’opinion deux partis également aberrants se formèrent : l’un concluait à la parfaite orthodoxie de cette nouvelle liturgie reçue par toute l’Église, l’autre à l’apostasie de toute l’Église qui l’avait reçue sans broncher.
Comme je voyageai en Espagne et à Rome, en février 1970, je dus me rendre à l’évidence que la loi du Pape avait été reçue par l’Église entière. Dès juillet 69, je l’avais prévu... C’était LA LEÇON DES ÉGLISES (CRC n° 30). On m’a dit : vous devenez démocrate. Pas du tout ! Mais il se produisait un événement dont nous n’étions pas maîtres. Une minorité acceptait la nouvelle messe avec enthousiasme pour ce qu’elle comportait d’hérétique ; les autres, tous les autres l’acceptaient cependant pour ce qu’elle conservait de catholique, par obéissance, confiance aveugle ou lâcheté. Le Pape promulguant, l’Église acceptant, la messe nouvelle cessait d’être signée Bugnini pour devenir messe catholique romaine. Le concours du Pape et de l’Église hiérarchique entière — pas un seul évêque n’avait condamné officiellement le rit nouveau — donnait à cette messe l’estampille catholique. Après quoi, c’est le sens catholique, c’est l’interprétation, la signification catholique qui l’emportaient nécessairement en tous les points équivoques. L’intention catholique de l’Église l’emportait dès lors sur l’intention des louches fabricants de ce machin, élevé ainsi à la dignité de rit romain catholique nouveau.
Les choses ont changé, non de notre fait ; du fait de l’Église. Nous avons donc changé d’appréciation et c’était bien normal. Au lieu de souligner exclusivement les nouveautés inquiétantes et d’en dénoncer l’interprétation voulue par leurs inventeurs, j’ai dû remarquer l’essentiel inchangé de la messe et la possibilité d’une interprétation catholique des parties même les plus équivoques. (…)
D’où mon appréciation définitive du cadeau empoisonné de Paul VI en vertu de la loi de la Foi : tout rit promulgué par l’Autorité Souveraine de l’Église et accepté par l’ensemble de la Hiérarchie catholique est, de nécessité de foi, théologiquement et canoniquement licite, quand bien même secondairement ou indirectement il présenterait de graves équivoques et constituerait un grand danger pour les âmes.
LA NOUVELLE MESSE EST VALIDE
Valide, la nouvelle messe l'est certainement, très largement, pour trois raisons :
En sa MATIÈRE qui est bien le pain et le vin comme le Christ l’a institué. (…)
En sa FORME qui consiste dans les paroles de la consécration, conservées sans changement essentiel. Notons que la traduction injustifiable du « pro multis » en diverses langues par des locutions signifiant « pour tous » ne peut pas être considérée comme une modification de signification essentielle compromettant la validité du rit. Le penserait-on que l’usage actuel, reçu par l’Église, serait un argument en faveur de la validité plus fort que toutes nos raisons... (…)
EN SON PRÊTRE DONT L’INTENTION est bien toujours de « faire ce que fait l’Église ». Ce dernier point, très vivement contesté par les « invalidistes » [intégristes] actuels, est pourtant tout à fait sûr. (…) Aujourd’hui, tout prêtre qui dit la nouvelle messe, la « célébration eucharistique », a l’intention de faire ce que fait l’Église et célèbre validement, puisque ce rit lui vient de l’unique Église du Christ.
Cela ne va pas dans le sens de nos impressions et de nos sentiments spontanés parce que nous faisons du prêtre, que nous voyons, l’auteur principal du Saint-Sacrifice. Nos impressions nous trompent, il n’en est que l’agent secondaire y la cause instrumentale. L’AGENT PRINCIPAL, c’est « le Christ et l’Église », explique saint Thomas ; il opère quand le prêtre, son serviteur, effectue correctement les gestes et les paroles qui lui sont prescrits... (…)
Concluons. Les paroles de la consécration dites sur le pain et le vin par un vrai prêtre sont la forme précise et complète du Saint-Sacrifice par laquelle s’exprime parfaitement l’intention de l’Église qui opère validement le sacrement par la main et la voix du prêtre. L’intention de celui-ci est suffisamment exprimée par ces paroles de la consécration pour qu’il n’y ait aucun doute sur l’efficacité du sacrement. Or, cet essentiel, Paul VI n’a pas osé y toucher, et d’ailleurs la Toute-puissance de Dieu ne le lui aurait pas permis, ne le lui aurait pas laissé faire !
LA NOUVELLE MESSE EST LICITE
LICITE, la Nouvelle Messe l’est certainement aussi, parce qu’il est licite, par définition, de faire ce que prescrit ou ce que permet l’autorité souveraine de l’Église. Hier, il était interdit de manger de la viande le vendredi, il était tenu pour sacrilège qu’un laïc touche de sa main l’Eucharistie, etc. Aujourd’hui l’Église l’autorise. Si l’Église l’autorise, ce n’est plus un péché. Car quelle autorité au monde pourrait déclarer illicite au nom de Dieu, c’est-à-dire interdit, ce que l’Autorité Souveraine de l’Église permet, elle qui nous gouverne tous au nom de Dieu ? (…)
La Nouvelle Messe est donc licite, puisque l’Autorité Souveraine qui juge du licite et de l’illicite dans l’unique Église de Dieu, en dehors de laquelle il ne peut y avoir pour nous de salut, l’a déclarée telle. Et quiconque la déclare illicite en vertu de sa conscience érigée en loi universelle, la déclare un péché, la juge une désobéissance à Dieu, empiète sur l’autorité de l’Église, se met à la place du Pape et juge ses frères selon sa propre loi. Tel est bien le péché de schisme.
CETTE NOUVELLE MESSE EST MAUVAISE ET DANGEREUSE
Comment puis-je encore dire cela d’une messe que je viens de déclarer VALIDE, bonne, très bonne, ET LICITE, permise, sans péché ? N’est-ce pas là une contradiction formelle, une position insoutenable, un manque de logique, comme on m’en accuse de plusieurs côtés ? Car, de nos jours, le simplisme est roi. Ou la nouvelle messe est toute bonne, ou elle est intégralement mauvaise ; point de demi-mesure !
Je lis pourtant dans la Somme Théologique : « La même action, en tant qu’elle vient de la mauvaise intention du serviteur, peut être mauvaise, et bonne en tant qu’elle vient de la bonne intention du maître. » (IIIa, qu. 82, art. 6, ad 3). (…)
Dans la messe, il faut considérer le maître qui opère et le serviteur qui le sert, en sous-ordre. Si le serviteur est impie, ce qu’il fait en tant que serviteur est impie quant à sa propre personne et lui vaudra la malédiction divine, mais en tant qu’il tient la place du Christ, ce qu’il fait est très bon et procure bénédiction et grâces à l’Église et à ceux qui y cherchent précisément l’œuvre du Christ et non celle de l’homme.
Dans le cas de la nouvelle messe il est vrai, à la différence de l’antique qui était en elle-même totalement sainte et sanctifiante, le bien et le mal sont juxtaposés dans le rit lui-même et donc dans ses effets. C’est une erreur de croire que tout ce que propose ou impose l’Église est nécessairement parfait, et cela conduit à l’erreur connexe de ne plus reconnaître l’Église et son autorité légitime partout où nous croyons découvrir quelque imperfection, quelque indignité.
Cette Messe de Paul VI nous vient bien de l’Église, son noyau essentiel est saint, et pourtant certaines de ses parties cérémoniales, l’ensemble de ses nouveautés, sont douteuses, sentent l’hérésie, produisent un malaise et un danger pour la foi et la vraie piété. L’Église est divine et humaine ; certaines de ses créations se ressentent cruellement de son élément humain ; c’est bien le cas de ce rit nouveau, équivoque à force d’œcuménisme, nocif à force de sécularisation humaniste et de profanation...
Bonne en tant qu’elle vient de Dieu, qu’elle est fidèle à l’institution divine du Sacrement par le Christ, la nouvelle messe est mauvaise en tant qu’elle contient et véhicule les idées et les intentions malignes des Novateurs, et surtout par comparaison avec le rit romain millénaire.
Elle estompe le caractère sacrificiel, elle atténue la Présence réelle, elle abrège tout ce qui exprime le culte rendu à Dieu. Elle présente même certaines expressions réductrices ou obscures allant à la corruption de la foi catholique. Au contraire, elle outre démesurément la participation de l’homme, du peuple, à la liturgie, tendant à créer un climat de fête profane et de simple rencontré fraternelle. Ainsi et pour tout dire en un mot, les parties cérémoniales qui, autrefois, préparaient et illustraient l’essentiel du sacrement, aujourd’hui l’étouffent, le supplantent et tendent à le contredire. De culte divin, la messe devient culte humain pour ne pas dire culte de l’homme par l’homme.
En conséquence, ses effets sont mêlés et contraires, en eux-mêmes, sans parler encore des dispositions diverses des ministres et des participants. (…)
DANS SON ÉGLISE, LE CHRIST EST LE PLUS FORT
Attaquée du dehors, par l’humanisme athée et le laïcisme d’État, abolie par l’hérésie protestante, la Sainte Messe est au-dedans de l’Église désormais l’objet des manipulations de Satan par la disgrâce d’un Pape et d’un Épiscopat novateurs, suiveurs des hérésies moderniste et progressiste. (…)
Quel combat terrible au sein de l’Église ! Le démon cherche l’ABOLITION DU SAINT-SACRIFICE et y échoue car le Christ, plus fort que lui, ne le permettra jamais. Mais les ministres du démon s’efforcent du moins de soustraire les fidèles à l’influence sainte du Sacrement. Et là, ils réussissent apparemment très bien. Ils font oublier la Croix du Christ et ils détournent l’Église d’en renouveler attentivement le mystère. Prêtres et fidèles, oublieux de leur vocation, insouciants de conversion et privés de la force de l’Eucharistie, se laissent vaincre par les divinités païennes que la Chrétienté avait proscrites, de l’hédonisme, de l’anarchie et de la violence.
Que ferons-nous dans cette guerre des Deux Étendards, pour servir le Christ et aider les âmes ?
1. NOUS MAINTIENDRONS AUTANT QUE NOUS POURRONS LE RIT ROMAIN MILLÉNAIRE DE LA MESSE. Il est évident que cette “ Messe de Saint Pie V ” comme tout autre rit immémorial d’Orient et d’Occident, est intégralement vraie et sanctifiante. La foi y est clairement professée, le culte y est digne et inspire une vraie piété, nulle ambigüité, perversité, profanation ne peut s’y glisser. (…)
Il faut avouer, avec une infinie tristesse, que parfois des messes traditionnelles se font dans un tel climat d’intolérance qu’il s’y mêle tout autant de péché au légitime et saint Sacrifice que dans l’autre parti. Le péché n’est pas le même, voilà tout. Ici le schisme et le crime contre la charité, là l’hérésie et le crime contre la foi !
2. NOUS ADMETTRONS DONC LA LÉGITIMITÉ CATHOLIQUE DE LA NOUVELLE MESSE, avec respect pour le Christ qui en est le Souverain Prêtre, avec estime pour l’Église qui la célèbre dans la foi, avec charité pour la multitude des prêtres et des fidèles trop soumis aux ordres du Pape et des Évêques. Il est important aussi d’être présent là où sont encore le Christ et l’Église, ne serait-ce que pour y soutenir le sentiment et la vertu d’une exacte fidélité à l’essentiel. IL FAUT QUE NOS PAROISSES CONTINUENT ! (…)
3. MAIS, TOUS UNIS, NOUS DEVONS RÉCLAMER DU PAPE LA FIN D’UN SI GRAND DÉSORDRE. Nous devrions nous retrouver tous d’accord pour remonter à la cause du mal et pour crier au Pape, seul Législateur, d’une voix unanime et puissante : (…) Il est urgent et nécessaire que vous mettiez fin à cette crise, en ramenant la foi, la loi, l’ordre et l’unité liturgique dans toute l’Église en pleine décadence. Comment ? À vous de voir. Mais il le faut, et tout de suite ! Déjà les réformistes se détachent de Rome et n’en font qu’à leur guise, tandis que les traditionalistes songent à sauver leur vraie Messe hors de l’Église. C’est grand’pitié !
Peut-être rappellerais-je la proposition de Charles-Quint, d’un « intérim », au plus fort des Guerres de Religion : chacun resterait en paix, dans l’opinion et le rit où il se trouvait, jusqu’à la convocation d’un Concile Général qui statuerait souverainement. Je souhaiterais que nous ayons la patience et la charité mutuelle de ne pas nous excommunier d’un parti à l’autre du fait de notre rit, pour nous associer dans un appel commun à l’Autorité infaillible du Pape et, avec lui, du Concile à venir, afin que soit restaurée dans toute sa vérité et sa dignité la Liturgie du Saint-Sacrifice de la Messe au cœur de l’Église. (…)
Demain, dans la décomposition du monde matérialiste, dans la guerre, les révolutions, la persécution, ceux qui vivent dans la grâce du Sacrifice Eucharistique demeureront fidèles et sauveront l’Église. Ceux qui s’étaient fait une liturgie pour leur plaisir ou leur rancune et qui ne recevaient déjà plus les fruits de la Messe apostasieront. Ce sera la révélation des cœurs et nous paierons tous alors le salaire détestable de cette révolution liturgique unique dans l’histoire de l’Église. (…)
Extrait de la CRC n° 82, juillet 1974, p. 9-16