Marie Leczinska
Reine et apôtre du Sacré-Cœur
REINE PRÉDESTINÉE
C'EST dans un contexte d’infortunes qui annonçait la tourmente révolutionnaire que le Ciel se montra favorable à cette petite princesse de vingt-deux ans arrivée à Versailles en 1725 pour devenir l’épouse du Roi Louis XV. (...)
Mais pourquoi Dieu lui avait-il réservé un trône aussi brillant, qu’attendait-il d’elle ? Elle ne voulait être Reine que « pour faire du bien » au royaume et, faisant siennes les recommandations de son père Stanislas Leczinski, elle n’aurait « d’autre plaisir que d’obéir au Roi, d’autre intérêt que de mériter sa tendresse », se gardant bien de se mêler des affaires de l’État. La disgrâce du duc de Bourbon prouva la sagesse des conseils paternels et, de ce jour jusqu’à sa mort, durant quarante ans de règne, elle ne s’occupera que de l’éducation de ses enfants, et de son domaine propre, à savoir les œuvres de charité et la dévotion au Sacré-Cœur.
Car tel est bien le secret de cette vie, que notre Père nous a livré. Marie Leczinska venait en France pour y propager la dévotion et le culte du Sacré-Cœur, elle qui, dès 1718, aux pires temps de son adolescence traquée, avait trouvé consolation dans le Divin Cœur de Jésus. En 1729, Mgr Languet le publia hautement en la préface de sa Vie de sainte Marguerite-Marie : « Votre Majesté sert d’instrument aux sages desseins de la Providence. »
Quand, aux joies des maternités succéda le drame des infidélités et de la froide indifférence du Roi, le Sacré-Cœur fut son refuge et son soutien. La dévotion révélée à Paray-le Monial n’apprenait-elle pas le pardon des injures pour le salut de ceux qu’on aime ? Loin de s’aigrir et de se refermer sur son chagrin et son humiliation, cette âme d’oraison comprit que le Sacré-Cœur de Notre-Seigneur lui offrait une autre manière d’aimer : dans le sacrifice, l’oubli de soi et le pardon. Laissons-la nous livrer son âme : (...) « Ne serions-nous pas heureux si, en offrant le pardon à des gens qui ne nous le demandent pas, nous leur faisions naître la pensée de le demander à Dieu, qui a été bien plus offensé que nous ? »
Ainsi, elle était toujours là, prête à accourir au moindre appel du Roi, à passer la nuit en prière au pied de son crucifix comme lors de la maladie de Metz, à prier pour le salut de Louis XV, de chacune des maîtresses, à toujours oublier. Quand le Roi l’informera qu’il a nommé Madame de Pompadour « dame du palais, en surnombre », elle lui répondra sur-le-champ : « Sire, j’ai un Roi au Ciel qui me donne la force de souffrir mes maux, et un Roi sur la terre à qui j’obéirai toujours. »
Un jour que le Roi la conjurera de lui pardonner tant de chagrins : « Eh ! ne savez-vous pas, Monsieur, répondit la Reine, que vous n’avez jamais eu besoin de pardon de ma part ? Dieu seul a été offensé ; ne vous occupez, je vous prie, que de Dieu. » (...)
Elle s’entourait d’un cercle d’intimes et dans ce petit groupe sans ambition, sans méchanceté ni intrigue, l’on ne songeait qu’à se complaire. Une grande union d’âme liait la Reine à la prieure du Carmel de Compiègne . (...)
La foule des indigents qui se précipitait à la rencontre de Marie Leczinska formait autour d’elle « le régiment de la Reine ». Les traits abondent de ses aumônes toujours faites « pour l’amour de Dieu ». Elle ne paraissait occupée que des besoins du peuple : « Il vaut mieux écouter ceux qui nous crient de loin, “soulagez notre misère”, que ceux qui nous disent à l’oreille, “augmentez notre fortune”. » Elle renvoya plusieurs fois sans ménagement des solliciteurs : « Les trésors de l’Etat ne sont pas nos trésors. » Elle visitait les hôpitaux, exhortait les malades à la confiance en Dieu notre Père, leur prodiguait elle-même les soins. Le soir, elle était à son devoir, à la cour, assistant aux spectacles « rassasiée de plaisirs et vide de joie ». Elle offrait à tous cette sérénité que peint la paix de l’âme, puisée précisément dans cette extase des œuvres. « La seule chose qui puisse dédommager des assujettissements du trône, c’est le plaisir de faire du bien. » Ce fut cette fidélité au devoir d’état compris comme l’expression de la volonté divine, que la Reine inculqua à ses filles. Madame Louise en témoigne : « Le train de vie si opposé à la vie que je menais au couvent [à Fontevrault], me fatiguait beaucoup et m’échauffait le sang. Mais j’étais à la cour, et je le faisais sans me plaindre, contre mes inclinations et au préjudice de ma santé. » Ainsi se comprend la soumission à la représentation royale et aux exigences de l’étiquette dont la Reine ne se départit jamais pendant plus de quarante ans.
Mais les beaux esprits y allaient de leurs sarcasmes ; les jansénistes dénonçaient le clan jésuitique, et les « lumières » s’imaginaient déjouer la cabale dévote qui essayait de ramener le Roi à Dieu. (...)
Autour d’elle, elle ne supportait pas que ses dames affichassent un air d’incrédulité à la mode du temps. Elle se vit obligée de congédier une autre qui faisait ouvertement profession de jansénisme sans en vouloir démordre.
Elle eut le courage de retirer sa pension à Voltaire dès qu’elle sut qu’on l’avait trompée et elle l’avoua publiquement. De même, elle avait protégé le fils de son bon médecin Helvétius, mais dès qu’il fit paraître son livre De l’Esprit, elle lui ordonna de quitter son service.
Cette Reine artiste, intelligente et cultivée – elle parlait six langues dont le latin – dénonça la première l’Encyclopédie. Après l’avoir feuilletée, refermant le livre, elle déclara : « Voilà du mauvais, dit-elle, et du très mauvais. C’est ce que j’avais toujours craint. »
« L’on nous vante beaucoup, dans ce siècle, le progrès des lumières ; mais l’œil de la religion ne découvre que le progrès des ténèbres », disait-elle tristement.
LA REINE ET LE SACRÉ-CŒUR
Apôtre inlassable du Sacré-Cœur, elle demande au pape Benoît XIII, en 1726, un an à peine après son mariage, d’autoriser la Messe du Sacré-Cœur dans tout le royaume... Elle réitère cette demande, demeurée sans effet, en 1740, auprès du pape Benoît XIV qui lui envoie pour toute réponse des images brodées d’or et de soie ! (...)
En grande affliction, elle vit la destruction des jésuites comme le triomphe des jansénistes et des philosophes, les deux maux contre lesquels elle n’avait cessé de prier. Elle vit en cet arrêt la fin de la religion. (...)
En 1765, le pape Clément XIII accordait enfin aux évêques de Pologne, soutenus par la reine de France, une messe et un office propre en l’honneur du Sacré-Cœur. C’était le moment où l’Assemblée du clergé de France tenait à Paris ses assises. La Reine en profita pour presser les prélats de suivre cet exemple et c’est avec enthousiasme que tous les évêques du royaume l’établirent dans leurs diocèses, aux applaudissements du clergé et du peuple. (...)
Elle avait accompli sa mission ; elle comprenait pourquoi le Sacré-Cœur de Jésus l’avait choisie pour Reine de France.
Aux inquiétudes pour le royaume s’ajoutaient les deuils frappant douloureusement ses plus proches. Après tant de chagrins, d’humiliations cachées en son cœur tout donné au Cœur de Jésus, la Reine connut une dernière intimité avec le Roi. La marquise de Pompadour était morte, Louis XV lui revenait, elle avait gagné par son sacrifice son amour maintenant éternel. Elle s’éteignit en 1768, à l’âge de 65 ans, victime de la tuberculose.
Extraits de la CRC tome 31, n° 352, janvier 1999, p. 26-30