L'ÉGLISE CATHOLIQUE AUX ÉTATS-UNIS

IV. Un christianisme sans croix (1921-2000)

La cathédrale St-Patrick de New York
La cathédrale St-Patrick
de New York

LE début des années 20 marque indubitablement une nouvelle étape de l’histoire de l’Église aux USA. Ce n’est pas une rupture avec la période précédente, mais au contraire une consolidation de l’œuvre du cardinal Gibbons. Entre 1921 et 1960, les catholiques américains vont conquérir une incontestable citoyenneté américaine, mais à quel prix ?

Pourtant, au début, les préjugés antipapistes demeurent virulents, malgré le patriotisme exemplaire des catholiques pendant la guerre. Le Ku Klux Klan, ressuscité en 1915, regroupe quatre millions cinq cent mille adhérents, sous le slogan : « Américain, Blanc, Protestant » ; il obtient le vote d’une nouvelle législation sur l’immigration, dont le but réel est de freiner l’immigration catholique.

Une partie de la population américaine reste toujours farouchement opposée aux candidatures catholiques pour les hautes fonctions de la nation, même au sein du parti démocrate dont les catholiques sont pourtant des électeurs fidèles. C’est ainsi qu’en 1924, Alfred Smith, le très populaire gouverneur catholique de New York, ne parvient pas à se faire désigner comme candidat démocrate à l’élection présidentielle. Il y réussit en 1928, mais il est battu par le républicain Hoover dont la campagne électorale s’en prit surtout à son catholicisme. Si bien qu’en 1932, le parti démocrate lui préfère de nouveau un protestant, Franklin Roosevelt, qui est élu.

Mais ce dernier attendra 1936 pour oser recevoir officiellement un représentant du Pape, en l’occurrence le cardinal Pacelli, le futur Pie XII. Encore ne l’invite-t-il qu’à sa résidence privée et non pas à la Maison Blanche ! Il faut le déclenchement de la guerre en 1939, pour lui donner l’occasion de nommer, sans trop de remous, un représentant personnel auprès du Vatican, ayant rang d’ambassadeur.

CAPITALISTES MAIS SOCIAUX

En fait, c’est par leur engagement dans le domaine social durant la crise de 1929 que les catholiques vont acquérir un droit de cité incontestable, rendant inopérante l’opposition des protestants fanatiques.

Le Père Ryan
Le Père Ryan

Dès 1920, Mgr Muldoon et le Père Ryan, soutenus par l’épiscopat, s’étaient inquiétés du développement anarchique du capitalisme américain et redoutaient une crise. À leur initiative, fut créée une « école itinérante de la pensée sociale » qui initia des centaines de milliers de personnes à la doctrine sociale de l’Église, appliquée à l’économie américaine et à ses conditions de travail.

Malheureusement, les employeurs catholiques se montrèrent très réticents. La plupart, lancés depuis peu en affaires, ne connaissaient qu’un modèle, celui du capitalisme libéral protestant, qui leur réussissait fort bien.

En revanche, le clergé s’intéressa vivement à ces questions et plusieurs diocèses créèrent des services d’entraide sociale. Beaucoup de religieux et de religieuses entreprirent aussi une formation qui leur permit ensuite d’enseigner la sociologie appliquée.

Aussi, lorsque la crise de 1929 se déclencha, l’Église catholique ne fut pas prise au dépourvu. Elle était déjà en partie organisée pour venir en aide aux chômeurs. On en comptera 4 millions en 1930, 8 millions l’année suivante, 12 millions en 1932.

Les catholiques sont aussi les seuls, sur le moment, à pouvoir proposer des solutions théoriques pour remédier à la crise et empêcher qu’elle se renouvelle. Ils vont savoir se faire entendre.

Le doyen de la nouvelle école des sciences sociales de l’Université catholique d’Amérique, Mgr Francis Haas, fut un des premiers à insister sur la nécessité de développer des syndicats libres qui prépareraient la mise en place d’un système corporatif moderne.

La doctrine sociale de l’Église se répandait sur les ondes grâce aux émissions extrêmement populaires du Père Charles Caughlin, “ le prêtre de la radio ”. Il usa de son influence pour faire élire Roosevelt, mais ensuite, déçu par le New Deal, il forma son propre parti, en s’inspirant de l’exemple de Mussolini. Désavoué par la hiérarchie, le Père Caughlin se retira de la vie publique.

Dorothy Day
Dorothy Day

Une tout autre figure du catholicisme américain est celle de Dorothy Day. Née en 1897 à Brooklyn, de famille bourgeoise, mais de nature indépendante, féministe, elle devient journaliste et fréquente les milieux anarchistes et socialistes. Convertie au début des années 30, elle rencontre alors Pierre Maurin, un philosophe français, pacifiste, disciple du démocrate-chrétien Marc Sangnier, qui préconise le retour à une vie plus pauvre et naturelle. Ensemble, ils fondent en 1932 “ The Catholic Worker ”, une publication très bon marché qui prône la justice sociale et la philosophie chrétienne du travail. À la même époque, Dorothy Day ouvre la première “ maison d’hospitalité ” qui offre, outre une soupe populaire, des services d’assistance sociale aux pauvres. En quelques années, une trentaine de ces maisons se fondent aux USA. Elle participe aussi à de nombreux mouvements sociaux pour s’opposer aux communistes.

En 1932, un dirigeant catholique d’une compagnie pétrolière, Michaël O’Saughnessy, fonde “ la ligue de justice sociale ” destinée à étudier la doctrine pontificale et à l’appliquer. Il préconise en particulier la formation d’associations d’entreprises afin d’assurer un partage équitable du travail, ainsi que la constitution de caisses de retraite, de maladie, d’aide sociale. Reconnue par soixante-cinq évêques, la ligue a pourtant peu d’adhérents, mais son influence est importante, en particulier lors du New Deal, dont elle défend devant les tribunaux les mesures sociales contestées par une partie du patronat. Elle inspire aussi la loi sur le comité des organisations industrielles, qui permet l’essor rapide du syndicalisme.

Si des catholiques fondent et font prospérer des coopératives de consommateurs, en revanche, toutes leurs tentatives d’unions professionnelles échouent. C’est important à remarquer. Les Américains sont résolument capitalistes et les catholiques n’ont pu finalement qu’humaniser le système sans arriver à le changer. C’est d’ailleurs toute l’ambiguïté de la doctrine sociale de l’Église, en fait celle de Léon XIII influencé par le cardinal Gibbons : doctrine supposément catholique, elle s’accommode en fait d’un système économique hérité de la Réforme protestante !

Déjà soutiens inconditionnels des institutions américaines, les catholiques deviennent donc, dans les années trente, les utiles auxiliaires sociaux du capitalisme américain ; ce qui leur vaut un peu plus de respect et d’estime.

UNE PUISSANTE INSTITUTION

C’est bien connu : tout protestant teinté de calvinisme considère la réussite financière comme un signe de la bénédiction de Dieu. À cette échelle des valeurs, les protestants américains devraient honnêtement conclure que Dieu bénit l’Église catholique ! En effet, de 1920 à 1940, tandis que le clergé augmente ses effectifs, l’Église devient aussi une puissance financière établie sur d’importantes propriétés immobilières et sur la générosité des fidèles. Elle affiche tous les signes extérieurs de la réussite sociale.

Le cardinal Mundelein
Le cardinal Mundelein

C’est le congrès eucharistique de 1926, à Chicago, qui révèle la puissance catholique aux yeux de tous les Américains. Pour sa réussite, le cardinal Mundelein a dépensé des millions de dollars ! Pendant quatre jours, des foules vont multiplier les actes publics de dévotion en l’honneur de l’Eucharistie, sans aucun complexe, ce qui n’est pas du tout dans les habitudes américaines. 10 cardinaux, 257 évêques et archevêques, 2000 prêtres ! À partir de cette date et jusqu’à la guerre, le nombre des conversions est environ de 35 000 par an.

L’Église compte alors près de 20 000 paroisses bien organisées, un clergé respecté par les fidèles quoique peu intellectuel et vivant sans austérité. 18 700 prêtres à la fin de la première guerre mondiale, 22 500 dix ans plus tard. En 1939, on compte 17 000 séminaristes ! 7 600 religieux en 1928, 10 900 en 1939. 40 000 religieuses en 1939, mais réparties entre 100 congrégations différentes dont 4 seulement ont plus de 350 membres. Le nombre d’étudiants fréquentant les universités catholiques est aussi en constante augmentation.

Cependant, les futurs évêques sont choisis pour leurs qualités d’administrateur plus que pour leur zèle apostolique ou leur science théologique. C’est qu’à cette époque, les capacités financières de l’Église et l’opulence de ses institutions ne scandalisent pas.

La pratique religieuse est généralement intense. En 1927, dans les universités catholiques, on estime à 28 % le nombre d’étudiants qui communient plusieurs fois par semaine. C’est aux USA, à partir de 1925, que se généralise la pratique du missel bilingue pour les fidèles. Les paroisses offrent souvent des cours d’études bibliques. Les retraites fermées connaissent un grand succès, ainsi que les neuvaines avec prédication. Des sessions de catéchisme de persévérance sont régulièrement organisées et bien suivies. Des brochures développant des points de doctrine sont abondamment distribuées. Dès 1927, un jeune prêtre, le futur Mgr Fulton Sheen, commence à traiter à la radio de questions de dogme et de morale. En 1939, il existe 600 journaux ou périodiques catholiques.

Pourtant cet effort ne semble avoir que peu d’incidence sur le mode de vie quotidien des fidèles, toujours dominé par l’esprit américain.

L’activité missionnaire ne représente qu’une petite part des préoccupations de l’Église américaine. De même, le peu d’intérêt de l’Église pour la population noire maintenant regroupée en ghettos dans les grandes villes, surprend. Malgré les efforts de certains, en particulier du jésuite John Lafarge et de sa revue America, en 1927, il n’y a que 250 000 catholiques de couleur. Il faut attendre 1936 pour qu’une université catholique accepte d’ouvrir ses portes à un étudiant noir. Le dernier incident raciste notable aux USA se déroulera en 1966, à Chicago et chez les catholiques ! En 1977, il n’y a que 190 prêtres et 900 religieuses de couleur aux USA ! Ce n’est qu’en 1987, que la conférence épiscopale prend des mesures pour remédier définitivement à la ségrégation dans l’Église ; une dizaine de prêtres noirs seront alors élevés à l’épiscopat.

LIBERTÉ RELIGIEUSE ET APOSTASIE

Cette succession de chiffres est cependant impuissante à nous faire saisir à quel point l’Église catholique américaine est très différente de l’Église partout ailleurs dans le monde, et c’est cette différence qui s’accentue dans la première moitié du 20e siècle.

Il faut savoir qu’à cette époque, malgré la présence de plus de 250 dénominations religieuses, pour la plupart protestantes, les États-Unis sont en fait une société areligieuse. Les pasteurs et prédicateurs de ces sectes étant élus par les fidèles, se trouvent dans l’impossibilité pratique de contredire ceux-ci, à moins de résilier leur fonction. De ce simple fait, la “ religion ” s’est vidée de tout contenu objectif et permanent, pour devenir le simple cadre de la vie sociale d’une communauté, ou alors un ensemble de pratiques et d’opinions qui reflètent toujours l’état d’esprit des membres. La vie religieuse des américains fréquentant l’une ou l’autre des dénominations dites chrétiennes, est donc avant tout pragmatique et sans aucune élévation spirituelle. C’est ainsi que la notion de sacrifice a été évacuée de la pensée protestante américaine. La religion est au service de la communauté, au service du bien et du bonheur des fidèles ici-bas.

L’Église catholique aurait pu faire exception à cette règle. Plus nombreuse, avec un clergé mieux formé, sa doctrine et sa vie liturgique lui donnent un “ esprit ” différent de celui des autres dénominations. D’ailleurs, c’est le reproche qu’essuyaient sans cesse tous les catholiques : Église catholique et esprit américain sont incompatibles...

Mais comme l’Église voulut éviter à tout prix l’affrontement, elle fut entraînée à souligner ce qui la rapprochait des autres et à relativiser ses différences. Les catholiques se veulent attachés aux institutions politiques américaines plus que les autres, ils sont patriotes plus que tous les autres, ils se veulent aussi plus attachés à la liberté religieuse que tous les autres.

Le résultat de cette frénésie d’entente avec les autres dénominations religieuses fut un affadissement de la foi catholique. La liberté religieuse, le respect de l’erreur chez les autres, l’acceptation de l’enseignement public neutre, l’exaltation de la démocratie avec ses valeurs de liberté individuelle et de réussite sociale, ont créé un sentiment d’indifférentisme religieux qui, joint à la recherche du confort matériel, a été fatal à la foi d’un grand nombre de catholiques. C’est la cause profonde de ces nombreuses apostasies que l’Église a toujours eu à déplorer aux États-Unis. D’ailleurs, l’américain moyen est persuadé que quitter l’Église et se faire sa propre religion, ce n’est pas devenir moins religieux, puisque toutes les religions doivent être respectées.

Mgr Fulton Sheen
Mgr Fulton Sheen

La liberté religieuse, acceptée par l’Église, a donc consolidé les 250 dénominations religieuses sur un pied d’égalité avec elle ! Et cela sous le regard du pouvoir politique dominé par la franc-maçonnerie, surplombant le tout de sa neutralité, autrement dit de son opposition au Règne du Christ !

Les fidèles et le clergé subissent eux aussi la force d’attraction de l’esprit américain. Le matérialisme ambiant corrompt chez eux l’idéal évangélique, et si l’Église a montré un tel intérêt pour la justice sociale c’est aussi avec le souci de montrer qu’elle n’est pas ennemi du bonheur humain ici-bas. Même les plus animés du désir de convertir leurs compatriotes, comme le populaire Mgr Fulton Sheen, développent une apologétique centrée surtout sur la convergence du catholicisme et de l’idéal américain.

C’est ainsi que, même dans l’Église catholique, l’importance de la Croix du Christ s’estompa, tandis que les vertus familiales ou conviviales, le respect des autres devenaient l’idéal de la religion.

Cet affadissement du zèle religieux est un des mauvais fruits de la liberté religieuse. Les catholiques américains croient, certes, que le salut des âmes est acquis par le Christ sur la Croix, mais pratiquement l’adhésion de foi à son unique Église ne leur paraît pas nécessaire pour autant, alors ne nous étonnons pas de les voir assurés de leur salut malgré le relâchement de leur vie. Il est d’ailleurs remarquable que cette populeuse Église américaine ait produit si peu de saints, comparée à l’Église canadienne-française ! De même, il n’y aura pratiquement pas de littérature catholique, ni d’art catholique aux États-Unis.

En acceptant la liberté religieuse, l’Église américaine s’est privée du catholicisme intégral, elle est devenue dès les années trente, un mouvement d’animation spirituelle de la démocratie.

L’HEURE CATHOLIQUE

Cela est encore plus visible au lendemain de la Seconde Guerre mondiale au cours de laquelle les évêques ont soutenu inconditionnellement le gouvernement. Ils se sont abstenus de toute critique des bombardements civils et de la bombe atomique, et ils ont approuvé l’alliance avec la Russie de Staline, malgré les condamnations du communisme.

Dans son livre “ Les catholiques des États-Unis ”, Marcel Launay intitule son chapitre consacré à l’après-guerre : “ L’heure catholique ”. Le titre est bien choisi puisque l’Église est alors certainement l’institution la plus vivante du pays. Dans de nombreux domaines, les catholiques s’emparent des premières places. Et pourtant...

Si, après la guerre, les deux tiers des Américains sont inscrits dans une dénomination religieuse, alors qu’ils étaient moins de la moitié à l’être avant la guerre, les catholiques, qui constituaient un peu plus de 20 % de la population en 1940, n’en représentent toujours que 23 % après 1945. Pourtant, la moitié des immigrants de ces années-là sont catholiques, et leur arrivée fait croître la population américaine d’1,7 % par an ! Le pourcentage des catholiques devrait donc augmenter bien davantage… En réalité, l’accroissement naturel de la population, l’arrivée des immigrants et les conversions compensent à peine le nombre des apostasies. Même au plus haut de la vague des conversions (1958), il est évalué à 7 % du nombre des baptisés !

C’est cependant l’arrivée dans les paroisses des réfugiés de l’Europe de l’Est qui précipite un changement du comportement des catholiques dans la société américaine. Très bien accueillis, vite assimilés, ils font le récit de leurs tourments causés par les communistes, ce qui provoque chez leurs coreligionnaires un intérêt subit pour la politique tant nationale qu’internationale.

Le cardinal Spellman
Le cardinal Spellman

Toutefois, la hiérarchie catholique reste, quant à elle, et pour longtemps encore, le soutien du système américain sans partisanerie. Le cardinal Spellman, archevêque de New York, qui est la figure la plus éminente de l’épiscopat de l’époque, déclarait : « L’Amérique à laquelle j’accorde l’entière capacité de dévouement de mon cœur est le héraut de Dieu dans l’histoire, proclamant au monde la dignité, le devoir et la destinée des nations sous un gouvernement libre. », et il ajoutait : « Tout vrai américain a la vocation sainte de partir en croisade pour cet esprit qu’est l’Amérique. »

Ce qui est nouveau, c’est l’engagement des catholiques dans l’action politique : d’exceptionnel, il devient plus fréquent. Dans l’entourage de Truman et d’Eisenhower, des catholiques sont aux postes les plus hauts. En 1958, année où le catholique John Kennedy accède au Sénat, 43 membres du Congrès sur 534 sont catholiques. 7 catholiques sont aussi élus à des postes de gouverneur. Dans le monde des affaires, ils sont de même plus nombreux à réussir.

Mais c’est surtout à l’occasion des campagnes anticommunistes que les catholiques prennent l’habitude de participer à des actions d’envergure nationale. Le sénateur Mc Carthy, le champion de l’anticommunisme de 1950 à 1954, est un catholique pratiquant. Même après les mises en garde de l’épiscopat contre les déviations de son combat, et son retrait de la vie politique, l’anticommunisme reste enraciné chez les catholiques. Il faut mentionner le développement remarquable de l’Armée Bleue, qui fait connaître le message de Fatima.

 John Kennedy
John Kennedy

En 1960, John Kennedy est élu président après une campagne où, pour la dernière fois, ont resurgi les préjugés anticatholiques. Malgré cela, 75 à 81 % des juifs, 61 à 68 % des Noirs, mais également 38 à 46 % des protestants, ont voté pour lui comme l’ont fait 70 à 80 % des catholiques. Cette élection marque un tournant : la popularité du jeune président aidant, être catholique n’est plus maintenant un obstacle à la réussite sociale.

Dans les années suivantes, l’épiscopat soutient la guerre du Vietnam qu’il déclare guerre juste. La jeunesse catholique ne rejoindra que peu à peu le mouvement pacifiste au premier rang duquel se trouvent Dorothy Day et le moine trappiste, écrivain, Thomas Merton. La vie intellectuelle s’est beaucoup développée autour des universités catholiques, mais elle est influencée par les penseurs personnalistes français qui ont séjourné aux États-Unis durant la guerre, notamment Jacques Maritain, dont les théories s’accordent si bien avec le christianisme sans croix américain.

Thomas Merton
Thomas Merton

Par contre, l’œcuménisme est complètement absent du panorama catholique de ces années-là. Vivant pacifiquement côte à côte, personne n’éprouve le besoin de faire l’union ! La première étude en faveur de l’œcuménisme n’est publiée qu’en 1957, et la première rencontre officielle avec des luthériens n’a lieu qu’en 1965.

Alors, en quoi l’américain catholique se distingue-t-il des autres américains ? Il n’est pas exagéré de dire que c’est essentiellement par sa participation régulière à la messe dominicale. C’est une participation très enthousiaste, conquérante aussi puisqu’elle est souvent la cause des conversions du protestantisme. Même les immigrés catholiques venant de pays où l’assistance à la messe est plus épisodique, adoptent, au contact de leur paroisse d’accueil, une pratique plus régulière.

À la veille du Concile, l’Église américaine était donc une institution puissante, riche, reposant sur un épiscopat uni. Elle assurait à ses fidèles une vie liturgique florissante ainsi que quantité de services et d’œuvres de charité. Cela étant, il semble bien que la seule ambition des catholiques ait été de réussir leur vie sociale comme les meilleurs de leurs concitoyens.

LE CONCILE VATICAN II

La convocation du Concile Vatican II surprit l’épiscopat américain. Si l’on excepte les cardinaux Cushing de Boston, O’Hara de Philadelphie, les archevêques Schulte d’Indianapolis, Rummel de Nouvelle Orléans et Meyer de Chicago, qui sont ouverts aux nouveautés, tous les évêques sont conservateurs, notamment le plus prestigieux d’entre eux, le cardinal Spellman de New York. Sur 200 évêques, 149 répondirent aux questionnaires qui devaient préparer les débats conciliaires ; 58 y demandent un usage plus grand de la langue vernaculaire dans la liturgie, 52 souhaitent une réforme des séminaires pour les adapter davantage au monde moderne, 16 réclament un diaconat permanent pour les hommes mariés. Mais leur souci général est l’érosion de la discipline chez les fidèles. Fait notable : aucun d’entre eux ne fait preuve d’intérêt pour les questions concernant l’Église universelle.

Cardinal Cushing, Cardinal O’Hara, Mgr Rummel, Mgr Meyer

Si l’épiscopat américain brille par sa discrétion durant la première session du Concile, le débat sur la liberté religieuse va le pousser au premier plan. La minorité progressiste veut en effet se servir de l’exemple américain comme caution pour faire accepter la nouveauté ! C’est d’ailleurs un jésuite américain, le Père J.C. Murray, nommé expert à partir de la deuxième session, qui fut l’une des chevilles ouvrières de la Déclaration sur la liberté religieuse. C’est lui qui proposa de fonder ce droit sur ce principe : « La dignité de l’homme consiste dans l’usage responsable de sa liberté. »

Fr. Murray, s.j.
Fr. Murray, s.j.

Les débats conciliaires ont été très largement couverts par les médias de tout bord, aux États-Unis. On comprend pourquoi : Vatican II, c’est le triomphe dans l’Église, de la Réforme, de l’esprit américain, donc des principes de la franc-maçonnerie. Pour s’en être accommodé pendant deux siècles, au nom de la liberté religieuse et de la séparation de la religion et de l’État, l’épiscopat américain a été leur cheval de Troie au Concile !

En retour, les évêques s’attendaient à un afflux de conversions. Leurs concitoyens ne pouvaient plus douter : Vatican II, en décrétant l’ouverture au monde, l’œcuménisme, une religion qui concourt à l’épanouissement de l’Homme, et surtout en adoptant le principe de la liberté religieuse, attestait solennellement qu’il n’y avait pas d’opposition entre l’esprit américain et le catholicisme. Les Américains pouvaient en être fiers. L’Église américaine conciliaire allait maintenant conquérir l’Amérique, le rêve du cardinal Gibbons se réaliserait…

LA CRISE POST-CONCILIAIRE

Il n’en fut rien. Apparemment, c’est paradoxal ! Vatican II adopte la religion catholique américaine… et les catholiques américains ne s’y reconnaissent plus. C’est que leur religion reposait, comme nous l’avons vu, sur la liturgie et sur l’autorité épiscopale. Or, le Concile change la liturgie et entraîne une contestation de l’autorité épiscopale… les piliers du catholicisme américain s’effondrent !

Beaucoup de catholiques désertent l’Église après la promulgation du nouveau rite de la messe qui ressemble beaucoup trop au culte protestant ! La pratique dominicale s’effondre jusqu’à 40 %, tandis que 14 % des baptisés apostasient. Durant les dix années qui suivent le Concile, 15 000 prêtres quittent le ministère, les congrégations masculines perdent la moitié de leurs effectifs, presque autant chez les religieuses, ce qui provoque la fermeture de nombreux établissements scolaires et hospitaliers. À la même époque, la Cour suprême accentue la laïcité des institutions publiques.

Quant à l’épiscopat, presque entièrement renouvelé dans les dix années après le Concile, il est attaqué essentiellement sur trois points.

Le plus sensible est celui du contrôle des naissances. Alors qu’en 1950, 80 % des femmes catholiques se soumettaient à la morale catholique, elles ne sont plus que 9 % en 1980. Plusieurs théologiens américains, en particulier le Père Curran, contestent ouvertement les positions romaines.

Des religieuses réclament avec véhémence une réforme de la vie religieuse et une participation à la prise des décisions dans l’Église. Elles se heurtent le plus souvent à une ferme fin de non-recevoir de l’épiscopat, mais aussi à une minorité importante de leurs consœurs. Il en résulte la division de beaucoup de congrégations : la majorité quitte pour former des groupes autonomes non canoniques, tandis que la minorité reste mais doit réduire les activités de la communauté.

Daniel Berrigan, S.J.
Daniel Berrigan, s.j.

L’opposition à la guerre du Vietnam, enfin, cristallise la remise en cause de l’autorité épiscopale. Tandis que les évêques se gardent de toute intervention sur le terrain politique, de plus en plus de catholiques contestent le bien-fondé de cette guerre, et même de toute guerre. C’est le mouvement pacifiste catholique dont les frères Berrigan, Daniel le jésuite et Philipp le joséphite, sont alors les figures de proue. La tournure des évènements au Vietnam leur donne raison. Aussi l’épiscopat se rallie-t-il et ose intervenir dans le domaine de la politique étrangère pour condamner l’armement nucléaire. Ce qui ne se fait pas d’ailleurs sans résistance à l’intérieur même de l’Église, puisqu’un nombre important de catholiques restés anticommunistes, considèrent ces prises de position trop favorables à la politique de Moscou.

Autre nouveauté de l’Église américaine post-conciliaire : la naissance du mouvement charismatique catholique, en août 1966, à l’Université Duquesne à Pittsburg, dirigée par des Pères du Saint-Esprit, puis à l’Université Notre-Dame des Pères de Sainte-Croix. Directement inspiré – c’est le cas de le dire – du pentecôtisme protestant, il se développe rapidement : en une dizaine d’années, 3000 groupes de prières réunissent un million de fidèles aux USA.

Il faudrait parler aussi de la fin de la ségrégation raciale vis-à-vis des noirs et de l’intérêt porté maintenant aux hispanophones, catholiques à 90 %, dont le nombre a augmenté de 61 % alors que la population américaine augmentait de 11 %. Bien que 15 % d’entre eux soient passés au protestantisme, les hispanophones représentent actuellement le tiers des catholiques américains.

Cardinal O’Connor
Cardinal O’Connor

Il ne faut cependant pas imaginer que cette accélération de la désorientation de l’Église américaine au lendemain du Concile se soit faite sans résistance. Outre les fidèles qui ont rejoints les rangs lefebvristes, un noyau conservateur, attaché à la dignité du culte et à la morale, est resté dans les paroisses. Il a permis une notable reprise en main après la présidence de Carter qui fut, aux yeux de beaucoup, un autre effondrement américain après celui du Vietnam.

En politique, ces catholiques soutiennent le républicain Reagan ; en morale, ils adoptent les prises de position de Jean-Paul II. Avec une fermeté encore inconnue, ils interviennent dans le débat politique, au nom de la morale catholique. Le cardinal O’Connor de New York ose même donner une consigne de vote aux catholiques contre les candidats qui acceptent la loi sur l’avortement ! Pour la première fois, un évêque remet donc en cause le principe de la séparation. Ce ne fut qu’épisodique, mais l’Église avait fait la démonstration qu’elle est désormais une force politique avec laquelle il faut compter.

Quant à la pratique religieuse, elle est remontée à 53 % et c’est aux USA que les catholiques ont, proportionnellement, le plus de prêtres : 11,7 prêtres pour 10 000 catholiques. Cependant, la proportion des catholiques au sein de la population américaine ne cesse de baisser pour rejoindre actuellement celle d’avant la Seconde Guerre mondiale.

Les scandales de mœurs de ces dernières années ont compromis ce qui passait aux yeux de certains pour une renaissance. Les progressistes en profitent pour critiquer l’épiscopat réactionnaire et essayer de le déstabiliser, tandis que la franc-maçonnerie et ce qui reste du protestantisme fanatique ne manquent pas cette occasion d’attaquer l’Église.

Il n’empêche que pour certains traditionalistes effrayés de l’écroulement général de l’Église en occident, l’Église américaine peut paraître un modèle. Un modèle de catholicisme intégral ? Certes pas, ou alors il faudrait soutenir que l’Évangile et la vie des saints annoncent le way of life américain ! Mais elle est certainement un modèle de la religion conciliaire dans l’Église. Car, notre Père l’a démontré sans jamais avoir été réfuté, il y a actuellement au sein de l’unique Église fondée par Jésus-Christ, deux religions qui s’affrontent : la religion catholique centrée sur la Croix du Christ, la religion conciliaire fondée sur la liberté religieuse et le culte de l’Homme. L’histoire de l’Église américaine nous persuade que cette dernière, loin de bâtir un monde meilleur, est la complice des destructeurs de l’ordre catholique et n’engendre que des ruines.

Heureusement, Notre-Dame de Fatima, pour laquelle beaucoup d’américains eurent une grande dévotion, triomphera du cœur du Saint-Père, le poussera à désavouer la liberté religieuse, alors l’Église catholique renaîtra aussi aux États-Unis.

RC n° 145, février 2007, p. 1-6