LE GÉNÉRAL MIHAILOVITCH
II. Le Chouan de Serbie
1941-1942
TRENTE HÉROS
LA Serbie est l’une des régions les plus accidentées de la péninsule Balkanique. Les plissements de terrain y forment un réseau parfois inextricable qui cloisonne la contrée en une série de vallées profondes et étroites, extrêmement propices à la guérilla, dans laquelle les Serbes ont excellé de tout temps.
C’est en Choumadia, berceau historique de la libération du joug ottoman au début du XIXe siècle, que Mihailovitch a décidé d’installer son quartier général de Ravna Gora, le 9 mai 1941.
L’ESPRIT DE RAVNA GORA
Les officiers et les soldats qui le rejoignaient trouvaient son quartier général qui n’était qu’une chaumière de deux pièces.
« Des hommes maigres aux uniformes usés. La vie dangereuse et les combats ont laissé leurs marques. On comprend tout de suite que nul ici ne s’est amusé ces dernières semaines, mais une bonne atmosphère générale règne. On rit, on plaisante et si le respect et la discipline ne sont pas exactement les mêmes qu’à la caserne, on sent que la parole des supérieurs compte plus que jamais. »
Mihailovitch se montre comme un père pour ces hommes qui ont décidé de tout sacrifier pour lui. Un esprit bon enfant règne à Ravna Gora. La piété non plus n’est pas absente chez ces rudes guerriers barbus et chevelus, à vrai dire elle rayonne de leur chef : jamais on ne commence un repas sans la bénédiction rituelle, et Mihailovitch veille toujours à ce que soient servis en priorité les malades et les blessés. (…)
UNE STRATÉGIE EXPECTANTE
« Hitler, explique Mihailovitch à ses compagnons, perdra cette guerre. Son ambition démesurée et sa folie le perdront. (…) Ses victoires si aisées aujourd’hui ne sont que la certitude, pour moi, du commencement de sa défaite inéluctable.
« Nous avons perdu la guerre mais le peuple se révoltera bientôt. Il cherchera à se venger et nous devons être prêts à canaliser et orienter cette rébellion légitime. Pour le moment, je ne cherche pas la lutte directe contre l’occupant. Je prépare une organisation militaire et civile qui permettra à chaque futur combattant de savoir où est sa place, qui est son chef et ce qu’il doit faire. (…)
Pour mener à bien ce pari aventureux, Mihailovitch fait établir un réseau de communication. Des courriers quittent chaque jour Ravna Gora pour rejoindre Belgrade et les principales villes avoisinantes. Leur mission : établir des listes de militaires ayant échappé aux Allemands, entrer en contact avec eux et les inviter à se rendre au quartier général du commandement des détachements tchetniks de l’Armée yougoslave – tel est le nom de l’organisation mise sur pied par Draja, soucieux de souligner par là qu’il dirige une armée régulière représentant militairement le gouvernement en exil et non une troupe de hors-la-loi comme le prétendent les Allemands. »
Le 6 septembre, pour l’anniversaire du roi Pierre, Le colonel Mihailovitch prononce une allocution où il professe sa fidélité au Roi et demande au peuple patience et sagesse. L’admirable est qu’il est compris et suivi. Non seulement des centaines de tchetniks, bientôt ils seront des milliers ! à lui obéir comme un seul homme, mais aussi des paysans des campagnes qui l’aident et le vénèrent comme un sauveur providentiel. (…)
GÉNOCIDE SERBE EN CROATIE
Bientôt l’affreuse nouvelle parvient à Ravna Gora : les oustachis sous les ordres d’Ante Pavelitch, qu’Hitler et Mussolini ont placé à la tête du nouvel “ état indépendant de Croatie ”, ont déclenché une véritable extermination à l’encontre des Serbes, spécialement en Bosnie-Herzégovine, où ces derniers forment 67 % de la population. (…)
Au cours de l’été 1941, des centaines de milliers de Serbes – hommes, femmes, enfants – sont massacrés dans toute la Croatie : torturés, écorchés vifs, pendus, décapités, hachés en morceaux [...]. Une horreur absolue. Un génocide dont l’ampleur effraie même les Allemands. (…)
Mihailovitch ne peut, durant l’été 1941, envoyer qu’une petite unité au secours des Serbes révoltés de Bosnie. Il est remarquable que le chef des tchetniks tienne, en dépit de ces crimes abominables, à garder l’appellation d’ “Armée yougoslave ”, ainsi qu’il l’explique : « J’ai vécu les bestialités des oustachis aveuglés par la haine ou la folie. Il n’empêche que nous avons tous prêté serment au roi de Yougoslavie et à la Yougoslavie. Nous ne pouvons trahir ce serment. Mais nous pouvons nous jurer de ne pas déposer les armes avant que les criminels ne soient châtiés. »
RÉVOLUTION SOUS COUVERT DE RÉSISTANCE
Jusqu’en juin 1941, les communistes de Yougoslavie, (…) se sont manifestés par leur esprit défaitiste et collaborateur, pacte germano-soviétique oblige ! Leur chef, Josip Broz, alias Tito, d’origine croate, est un stalinien zélé. Lors du coup d’État du 27 mars 1941, ses directives constituent une véritable trahison :
« Désorganiser la résistance de l’Armée yougoslave de telle façon que la défaite apparaisse comme le résultat de l’incompétence du corps des officiers dont l’autorité sera détruite une fois pour toutes... Prêter toute l’assistance nécessaire aux oustachis et autres organisations séparatistes dans la mesure où elles contribuent au renversement rapide du régime... »
Mais, dès le mois de juillet, les consignes changent, il s’agit d’aider le grand frère soviétique agressé par la barbarie nazie : « L’heure de la lutte pour la libération contre l’envahisseur fasciste a sonné ! » Les communistes déclenchent alors une véritable insurrection à travers tout le pays, multipliant les désordres, terrorisant les paysans, tuant leurs adversaires en les traitant de “ collaborateurs ”, saccageant les récoltes, brûlant les mairies... Bref, un terrorisme sauvage qui met bientôt la Serbie à feu et à sang.
LE CHEF ET LE BANDIT
Épouvanté des effets désastreux de pareille “ stratégie ”, – en représailles, les Allemands ont décidé que pour un soldat tué, cinquante Serbes seraient exécutés ; en octobre, le chiffre sera porté à cent ! – Mihailovitch veut persuader Tito que l’heure de l’insurrection générale n’est pas venue, mais qu’il faut s’y préparer méthodiquement. Peine perdue, la sagesse du soldat se heurte à la logique révolutionnaire de l’affidé de Moscou. (…)
PRODROMES DE GUERRE CIVILE
C’est avec cynisme que les partisans communistes multiplient les provocations contre l’occupant... et contre les tchetniks, jusqu’à provoquer de nouveaux carnages. (…)
Le peuple serbe, sans se plaindre, gravit son calvaire, suivant bravement son sauveur...
Si encore la situation était claire, mais elle se complique encore avec l’arrivée de faux tchetniks, recrutés par un collaborateur zélé des Allemands, Kosta Petchanac, qui attaquent délibérément les partisans : « Les communistes ripostent en prenant d’assaut un village proche tenu par les tchetniks de Mihailovitch. En quelques heures, toute la région bascule dans une série d’affrontements entre partisans et monarchistes. Mihailovitch appelle Tito pour le conjurer de retenir ses hommes : pas de réponse. Cette fois, la guerre civile, dont les deux chefs résistants se renverront la responsabilité [on sait qui des deux ment], quatre ans et demi durant, a bel et bien commencé. Elle fera des dizaines de milliers de victimes. » (…)
“ L’ARMÉE YOUGOSLAVE DANS LA PATRIE ”
Au début du mois de décembre 1941, les Allemands attaquent Ravna Gora. Prévenu à temps, Mihailovitch disperse ses hommes, évitant de justesse d’être lui-même capturé, grâce au sacrifice d’un de ses hommes qui s’est fait passer pour lui. (…)
À peine a-t-il rejoint ses tchetniks que son opérateur radio l’informe : « Apprenez, mon colonel, que le roi Pierre vient de vous nommer général de brigade commandant l’Armée yougoslave dans la Patrie.» (…)
« Pour le général monarchiste, il ne fait aucun doute que les Alliés se préparent à lui apporter une aide d’envergure. La BBC, il le sait, ne cesse de vanter le courage et l’activisme des tchetniks yougoslaves. (…)
Tito, pendant ce temps, multiplie les ordres meurtriers à l’encontre des monarchistes. (…)
Mihailovitch en rend compte à son gouvernement en mai 1942 : « Les communistes sont le principal obstacle à l’instauration d’une force nationale unifiée. Leur principal objectif est une révolution socialiste. Rien d’autre n’a d’importance à leurs yeux. »
LES OPÉRATIONS DE L’ÉTÉ 1942
Harcelé par les Allemands, Mihailovitch doit une nouvelle fois quitter Ravna Gora et même sa chère Serbie. Il se rend en juin 1942 au Monténégro, pour préparer une tête de pont en vue d’un éventuel débarquement allié. (…)
D’autre part, il suit de très près l’évolution des combats en Cyrénaïque entre l’Afrika Korps de Rommel et les troupes anglaises. Il sait qu’une grande partie des approvisionnements de l’Armée allemande passe par les Balkans, via les ports d’Athènes et de Salonique. Il ordonne alors le sabotage systématique des lignes de chemin de fer yougoslaves utilisées par les convois allemands (voir la carte ci-haut). Son appel est entendu : la vie du pays est brusquement paralysée, plus de 35 % des locomotives, 50 % des wagons sont immobilisés ou détruits. Non seulement cette guérilla active compromet le ravitaillement des troupes de Rommel, mais elle oblige aussi la Wehrmacht à maintenir en ex-Yougoslavie sept divisions, qui auraient pu être des plus utiles sur le front de l’est.
Si bien qu’Himmler, chef de la police du Reich, écrit le 17 juillet au général Müller : « La base de notre succès en Serbie et dans toute l’Europe orientale réside dans la liquidation de Mihailovitch. » (…)
RECONNU, MAIS DÉJÀ TRAHI…
Mais c’est l’attitude ambiguë des émissaires de Churchill qui inquiète Mihailovitch sur les dispositions du premier Ministre britannique à son égard. Le malheureux ne sait pas encore que, pour complaire à Staline, Churchill l’a déjà trahi au profit de Tito ! (…)
« La fin de journée est le moment préféré de Mihailovitch. Pendant qu’on prépare la soupe, il réunit ses lieutenants pour une causerie où chacun prend la parole. Assis sur une souche, sa pipe à la main, il répond de sa voix douce et calme aux angoisses et aux espoirs de ses hommes. “ Mon général, notre lutte vaut-elle vraiment tous ces sacrifices ?
– Nos souffrances sont immenses, mais c’est par le Golgotha que l’on atteint la Résurrection. »