LE GÉNÉRAL MIHAILOVITCH
III. La trahison des Alliés
1942-1944
AINSI, Mihailovitch est prêt à tout supporter, tout souffrir pour son pays et pour son roi. Cependant, ce héros serbe a une faiblesse, que sauront cyniquement exploiter ses adversaires : la confiance aveugle qu’il affiche dans les institutions démocratiques, conséquence de sa formation trop exclusivement militaire et trop étrangère aux choses politiques. (…)
De fait, il conservera jusqu’au bout, malgré le cruel démenti des faits, son espérance dans les démocraties occidentales, souhaitant la victoire des Nations Unies sur les régimes totalitaires, comme celle du Bien sur le Mal, et, pour son pays, la restauration pure et simple de la monarchie constitutionnelle qui en avait été le ciment unificateur dans l’entre-deux-guerres. (…)
PREMIERS CONTACTS
La première mission envoyée par Londres à la fin de septembre 1941, est composée de trois officiers yougoslaves, auxquels a été adjoint en dernière heure le capitaine anglais Duane Tyrell, dit Bill Hudson, imposé par le SOE (Special Organisation Executive) britannique. (…) Ce dernier est chargé de “ coordonner les efforts de toutes les forces de résistance contre l’ennemi ”. Un intitulé qui suppose aussi une prise de contact avec les communistes... (…) Après un passage à Ujitse, dont Tito a fait la capitale d’une virtuelle république soviétique yougoslave, Hudson gagne le camp de Ravna Gora où son entrevue avec Mihailovitch sera brève et tendue.
La situation est compliquée : depuis quelque temps, les communistes, prenant prétexte de l’intrusion dans leur zone de combat de collaborateurs qui se font passer pour des tchetniks, se livrent à une guerre sans merci contre les vrais, ceux de Mihailovitch. Et Hudson, qui ne se donne pas la peine de mener une enquête pour démêler l’écheveau, télégraphie alors au Caire d’avoir à cesser toute aide militaire en faveur des royalistes, sous prétexte de ne pas alimenter une guerre civile… C’est le début de la mise en œuvre du dessein machiavélique de W. Churchill.
En janvier 1942, nouvelle mission britannique, mais ses trois membres sont assassinés dans des circonstances mystérieuses, vraisemblablement sur ordre de Tito... Au mois de mars, (…) des rumeurs commencent à circuler, accusant les royalistes de collaboration avec les Allemands, relayées par La Radio libre de Yougoslavie, installée à Moscou. (…)
15 AOÛT 1942 : CHURCHILL À MOSCOU
« Invité à Moscou en août 1942, Churchill entame, avec le chef du Kremlin, des discussions dont la teneur ne sera connue qu’après 1945. L’idée d’un débarquement est au centre des conversations. Staline le réclame, pour soulager le front russe, mais en Europe de l’Ouest – cela pour empêcher, justement, ses alliés occidentaux de libérer avant lui l’Europe de l’Est. (…)
Le soir du 15 août, Churchill a reconnu à l’Union soviétique des intérêts prépondérants en Pologne, en Tchécoslovaquie, en Hongrie, en Roumanie, en Yougoslavie et en Bulgarie. En échange, l’Union soviétique reconnaissait à la Grande-Bretagne un intérêt prépondérant en Grèce. Les deux parties se sont mises d’accord sur un contrôle partagé de l’Autriche. Après cet accord, Churchill a transféré son soutien de la Yougoslavie sur Tito et ses partisans en rejetant Mihailovitch et ses tchetniks.
La Conférence de Téhéran, en novembre 1943, et celle de Yalta en février 1945, ne feront qu’entériner cette diabolique connivence de Churchill avec Staline. (…)
Buisson conclut : « Dès août 1942, Winston Churchill a donc déjà décidé d’abandonner Mihailovitch. (…)»
Churchill persiste et signe
DEUX ans après le criminel accord d'août 1942, le Premier britannique se rendit de nouveau à Moscou, en octobre 1944, pour régler définitivement avec Staline la question de la répartition de leurs zones d'influence respectives.
« Le moment était favorable pour agir, écrit-il dans ses Mémoires. C'est pourquoi je déclarai : réglons nos affaires des Balkans. Vos armées se trouvent en Roumanie et en Bulgarie. Nous avons des intérêts, des missions et des agents dans ces pays. Évitons de nous heurter sur des questions qui n'en valent pas la peine.
« En ce qui concerne la Grande-Bretagne et la Russie, que diriez-vous d'une prédominance de 90 % en Roumanie pour vous et de 50 % pour chacun en Yougoslavie, avec une prédominance de 90 % pour nous en Grèce ? Pendant que l'on traduisait mes paroles, j'écrivais sur une demi-feuille de papier :
« - Roumanie : Russie 90 %, autres 10 %. - Grèce : Grande-Bretagne 90 %, Russie 10 %. - Yougoslavie : 50 % - 50 %. - Hongrie : 50 % - 50 %. - Bulgarie : Russie 75 %, autres 25 %.
« Je poussai le papier devant Staline à qui la traduction avait alors été faite. Il y eut un léger temps d'arrêt, puis il prit son crayon bleu, traça un gros trait en manière d'approbation et me le rendit. Tout fut ainsi réglé en moins de temps qu'il ne le faut pour l'écrire. »
La Pologne et les Pays baltes n'étaient pas mentionnés dans cet odieux marchandage, car ces nations chrétiennes florissantes venaient de tomber à 100 % sous le joug soviétique. Quant au partage fifty-fifty de la Yougoslavie, nous verrons comment Staline ne fut même pas honnête sur ce point avec Churchill ! Tels étaient, dans leur cynisme cruel, les deux pires démons de notre histoire contemporaine.
UN NID D’ESPIONS COMMUNISTES
Le 22 décembre 1942, le colonel Bailey remplace Hudson au quartier général des tchetniks. Membre lui aussi du SOE, le britannique a commencé par recruter « une vingtaine de Canadiens d’origine yougoslave afin de les verser dans le SOE puis de les parachuter en Yougoslavie. Or, les hommes choisis étaient des Croates, presque tous membres du Parti communiste canadien ! » Curieux, non ? Criminel !
De même, la Section Yougoslavie des Services secrets britanniques, installée au Caire, est truffée d’agents communistes dont le but est de favoriser purement et simplement l’instauration d’un régime communiste en Yougoslavie. (…)
« À partir de 1943, la plupart des rapports militaires envoyés par les tchetniks à Londres via Le Caire vont être, soit “ égarés ”, soit falsifiés. Chaque fait de guerre tchetnik sera attribué aux partisans, chaque acte de répression antimonarchiste deviendra une répression anti-communiste. (…)
« LA PERFIDIE BRITANNIQUE »
« Entre Mihailovitch et Bailey, les relations virent peu à peu à l’aigre. Tandis que le général monarchiste ne cache plus sa colère devant le refus des Alliés de lui faire parvenir des secours (armes, médicaments, vêtements, nourriture), le colonel britannique rend compte au Caire, siège de la section yougoslave du SOE, de ses difficultés à mener à bien sa mission secrète : trouver, parmi les tchetniks, un successeur à Mihailovitch (sic !). C’est-à-dire un homme plus accommodant pour la nouvelle ligne politique souhaitée par Churchill. Un homme prêt à s’entendre avec Tito. (…)
« Ayant réussi à connaître la teneur des comptes rendus de Bailey, Draja Mihailovitch sombre dans un découragement profond. Il prononce, le 28 février 1943, un discours qui va marquer un tournant définitif dans ses relations avec la Grande-Bretagne :
« Les Serbes n’ont plus d’amis. Les Anglais nous demandent de combattre dans le cadre de leurs plans sans penser à nous, sans nous aider. Les quatre cents tonnes de matériel que Roosevelt m’avait envoyées sont restées à Malte. Les Anglais veulent faire commerce de sang serbe en échange d’une aide insignifiante. Mais je ne serai jamais complice d’un crime aussi abject et si conforme à la traditionnelle perfidie britannique... Loin d’être invités, le Roi et son gouvernement sont en réalité captifs, oubliés du gouvernement britannique qui, sans aucune honte, piétine la souveraineté yougoslave, traitant directement avec les Soviets de problèmes intéressant au plus haut point notre pays. » (…)
À Londres, Churchill boit du petit lait. Ce discours tombe à point nommé pour justifier sa stratégie d’abandon progressif de Mihailovitch... Un contact direct sera établi avec Tito par le biais d’une mission officielle que dirigera le capitaine Deakin.
LE MYTHE “ TITO ”
Ce Deakin n’est pas un militaire de profession, mais un universitaire, un “ secrétaire ”. C’est lui qui va forger, à la demande de son patron et à l’intention des occidentaux, le mythe de “ Tito grand résistant ”. (…)
Quand il rejoint le quartier général des partisans le 28 mai, il est salué par Tito d’un joyeux : « Vous aurez maintenant l’occasion d’observer qui, des communistes ou de Draja Mihailovitch, combat les Allemands et les Italiens. » (…)
Pendant ce temps, dans le camp des tchetniks, l’envoyé spécial de Roosevelt, « le capitaine Walter S. Mansfield est parachuté, le 18 août 1943. Quelques heures plus tard, il arrive au quartier général de Mihailovitch : des dizaines de petites tentes dressées autour d’un grand feu. Les hommes qui l’accueillent portent tous la barbe et des culottes de paysans. (…)
« L’armement dont disposent les tchetniks, constate Mansfield, est d’une modestie confondante : quelques vieux Springfield 03 américains, des berettas, des Mausers, des pistolets tchèques, des grenades, des mitraillettes, une vingtaine de mortiers. Aucune arme lourde...
« Après quelques jours passés avec les tchetniks, Mansfield adresse son premier rapport : il est enthousiaste. Impressionné par les coups de main du capitaine Kalabitch et la discipline avec laquelle les 100 000 hommes dont dispose, selon lui, Mihailovitch, obéissent à leur chef, l’officier américain invite l’OSS [Office of Strategic Service] à lui adjoindre rapidement d’autres collègues. Ce seront le lieutenant-colonel Albert Seitz, le lieutenant Musulin et le colonel McDowell, qui arriveront en septembre 1943.
La capitulation italienne, signée le 8 septembre 1943, a d’importantes répercussions sur le théâtre d’opération yougoslave : le désarmement des soldats italiens tenant garnison sur le territoire de l’ex-Yougoslavie est l’occasion rêvée pour les résistants de récupérer armes et munitions dont ils manquent cruellement. Or, par une série de manœuvres scandaleuses, on voit les missions alliées privilégier systématiquement les partisans au détriment des tchetniks. (…)
Mihailovitch ne se fait maintenant plus aucune illusion sur le but poursuivi par Tito, lorsqu’il écrit à son Roi : « J’ai acquis la ferme conviction que la destruction des forces de l’Axe ne représente qu’un problème secondaire qui lui sert, grâce à une habile et large propagande, à cacher son but véritable : la prise de pouvoir dans notre pays à tout prix. (…)
À TÉHÉRAN, STALINE OBTIENT TOUT
Churchill et Roosevelt s’envolent pour Téhéran où les a convoqués Staline.
« Le principal objectif de Staline, explique Buisson, est de “ libérer ” l’Europe centrale et orientale afin d’y favoriser l’instauration de “ régimes frères ”. (…)
Staline, qui a déclaré sans ambages : « Draja Mihailovitch est un traître aux Nations Unies et l’allié des forces de l’Axe », obtient de ses interlocuteurs l’assurance de l’abandon définitif de “ l’Armée yougoslave dans la Patrie ”, c’est-à-dire la condamnation à terme de la seule résistance nationale non communiste capable de rivaliser avec celle des partis communistes en Europe balkanique. (…)
LA TRAHISON CONSOMMÉE
Les partisans, équipés, armés, financés par les grandes puissances, ne vont pas tarder à conquérir la Yougoslavie dont les Allemands se détournent peu à peu, préoccupés qu’ils sont par le renforcement de la façade ouest de leur empire menacé par un débarquement et par l’avancée inexorable de l’Armée rouge sur le front de l’est.
À Londres, Churchill prononce, le 22 février 1944, à la tribune du Parlement, un discours qui officialise la position du gouvernement sur la question yougoslave. Le leader des partisans y est peint avec un enthousiasme dithyrambique.
Sur le terrain, la réalité est toute différente. Tito, attaqué le 25 mai dans son repaire de Drvar, en Bosnie occidentale, par plusieurs divisions allemandes, bat précipitamment en retraite, et ne doit son salut in extremis qu’à l’intervention d’un avion anglais qui le transporte avec tout son état-major dans l’île de Vis, en Adriatique. (…)
Mais voici qu’en mai 1944, les opérations alliées sur le front italien s’accélèrent. La superbe victoire du Garigliano remportée le 13 mai par le Corps expéditionnaire français du général Juin, ouvre aux Alliés des perspectives stratégiques grandioses (cf. notre carte, p. ) :
Il faudrait tendre la main aux forces yougoslaves non détruites et tenant le maquis de l’héroïque général Mihailovitch, pénétrer en Autriche jusqu’à Vienne et bientôt jusqu’en Allemagne méridionale par Dresde et la vallée de l’Elbe.
Hélas ! les Armées d’Italie sont arrêtées sur l’Arno, au nord de Rome libérée le 5 juin tandis qu’à l’ouest, le débarquement en Normandie ouvre un nouveau front. Les Balkans et l’Europe centrale seront libérés par l’Armée rouge, comme convenu avec Staline. Cette criminelle “ erreur stratégique ” consomme la trahison des démocraties occidentales fascinées par la Russie soviétique. (…)