LE GOUVERNEMENT DE VICHY
Annexe 1
Une résistance contrôlée par le Maréchal Pétain
« NON, je ne peux pas vous suivre, car moi j’ai signé l’armistice et j’honorerai ma signature. » Le Maréchal a parlé d’un ton ferme, qui n’admet pas de réplique. Son interlocuteur insiste pourtant :
– Monsieur le Maréchal, permettez-moi de vous poser une question : est-ce que les Allemands ont observé les conditions d’armistice, en ce qui concerne l’Alsace-Lorraine ?
– Mais non, ils les ont violées sur toute la ligne. »
L’entretien se poursuit assez vivement, jusqu’à ce que le Maréchal, sortant de sa réserve, déclare :
« Trêve de plaisanteries, Monsieur. Je vois que j’ai affaire à un Alsacien de la vieille école à qui l’on peut faire confiance. Non seulement j’approuve ce que vous faites mais je dirai même plus : si vous n’existiez pas, il faudrait vous inventer. »
L’interlocuteur tenace s’appelle Paul Dungler. C’est un Alsacien de trente-neuf ans, catholique et maurrassien. (...)
Dès le lendemain de la défaite, Dungler était décidé à prévenir la mainmise idéologique des nazis sur sa chère province, et à soutenir ceux qui, ayant fui l’Alsace, s’étaient réfugiés en zone libre. Il monta à cette intention un réseau baptisé “ 7ecolonne d’Alsace ”. Parfaitement intégré à la population, au moyen d’un système de cellules étanches, réparties dans les communes, les professions, les familles, elle déjoua pendant les quatre années d’occupation toutes les investigations de la police allemande. Ses membres étaient liés entre eux par un serment de fidélité, de discrétion et d’obéissance à leur chef de cellule respectif. Ces chefs étaient tous des nationalistes catholiques, adhérents ou proches de l’Action française.
Quand Dungler repassa en zone libre, en décembre 1940, ses premiers contacts furent des militaires de l’armée d’armistice qui préparait en secret la revanche. Il gagna sans peine à sa cause le général Frère, qui l’engagea à se rendre à Vichy, auprès des colonels Rivet et Paillole, chefs du Service de renseignement et de contre-espionnage. C’est à l’occasion de ce voyage que Dungler rencontra le chef de l’État.
« IL FAUT SOUTENIR LE GENÊT ! »
Après lui avoir témoigné sa confiance et fait promettre à Dungler de lui fournir des rapports réguliers, le maréchal Pétain s’enquit de sa couverture officielle :
« Avez-vous une façade ?
– Monsieur le Maréchal, un des membres de mon organisation, expulsé d’Alsace, est à l’Office du textile. On a découvert une fibre très utilisable, le genêt, et mon ami m’a fourni pour moi et mon chef d’état-major des cartes d’inspecteur des plantations de genêt. Ma présence est donc justifiée partout, parce que le genêt pousse presque partout.
– Ah ! mais c’est formidable ! s’exclama le Maréchal et, appuyant sur un bouton, il appela Ménétrel :
– Bernard, il y a une question très importante pour la France, c’est la question du genêt. Désormais, nous favoriserons la prospection de cette plante. Vous allez tout de suite verser à cet ami 500 000 F. Pour l’aider à chercher le genêt. Et s’il a encore besoin de fonds, n’oubliez pas qu’il faut soutenir le genêt. »
C’est ainsi que, sous la haute protection du Maréchal, la 7e colonne d’Alsace put étendre ses ramifications dans la France entière, partout où il y avait des Alsaciens. Ses activités étaient multiples : renseignements, passage de la ligne de démarcation pour les prisonniers évadés, les familles juives... toujours en lien avec les services de Vichy, en particulier le colonel Revers, adjoint du général Frère, nommé à la fin de 1941 chef d’état-major de l’amiral Darlan.
Cette concertation constante avec l’armée était un point essentiel de l’action de Dungler. Pour lui, pas de “ résistance ”, – mais le mot n’existait pas encore –, pas de formation paramilitaire sans l’appui de l’armée. Il ne tolérait pas non plus d’action terroriste, dont la population civile aurait fait les frais. Enfin, dans une note d’avril 1942, il mettait en garde son correspondant en Alsace contre le gaullisme, lui rappelant qu’une des conditions du salut était la fidélité au maréchal Pétain.
On comprend que l’histoire de cette résistance alsacienne et pétainiste soit peu connue...
UNE INTELLIGENCE POLITIQUE
En avril 1942, l’évasion du général Giraud de la forteresse de Königstein réussit grâce à l’efficacité de la 7e colonne d’Alsace. Mais Dungler devait se montrer de plus en plus discret. La francisque qu’il arborait au revers de son veston lui permettait certes de franchir sans encombre les contrôles. Mais, un jour, la police de Pucheu, perquisitionnant à son domicile, y trouva un poste émetteur et des armes. Il fallut alors l’intervention directe du Maréchal pour libérer Dungler. (...)
Quelques mois auparavant, il lui avait fait un rapport sur l’organisation de l’Allemagne après la victoire. Ce rapport révélait en Dungler un spécialiste éminent de la question allemande. (...)
L’intelligence politique de Dungler éclate encore dans l’entretien qu’il eut, au mois de mai 1942, avec le général Giraud. Celui-ci l’ayant insidieusement critiqué pour son combat “ politique ”, la réponse fut cinglante :
« [...]Non seulement la question politique a son importance mais elle est cent fois plus importante que la question militaire [...]. Avec des pensées creuses ou remplies de vent, le Machiavel de Londres ne fera qu’une bouchée de vous, s’il vient à s’opposer à vous ! [...] »
Giraud ne tint aucun compte de l’avertissement. La suite a donné raison à Paul Dungler qui, dès l’invasion de la zone libre par l’armée allemande, dut plonger dans la clandestinité. Il demeurait cependant en liaison avec les chefs de l’Organisation de la Résistance de l’Armée (O. R. A.), créée par le général Frère.
ÉMISSAIRE DU MARÉCHAL À ALGER
Apprenant en juillet 1943 que son ami Dungler devait se rendre à Alger pour y négocier la livraison d’équipements et d’armes pour ses “ Groupes mobiles d’Alsace ”, le Maréchal, non seulement lui facilita le passage en Afrique du Nord, mais le chargea d’une mission auprès des généraux Giraud et de Gaulle :
« Je leur ai déjà envoyé plusieurs émissaires, mais ils ont été plus ou moins défaillants, mais vous, avec votre sale caractère d’Alsacien, je sais que vous allez transmettre mon message. Vous leur direz que je sais qu’il y a chez la plupart des officiers qui m’ont juré fidélité un grave problème de conscience. Pour un officier, un serment c’est un serment, et l’écho de leur malaise est venu jusqu’à moi. Vous direz au général Giraud et au général de Gaulle que ce serment qu’ils ont porté sur ma tête, je le reporte sur leur tête... Je leur propose à tous les deux que nous nous réunissions à la libération de Paris, sous l’Arc de Triomphe, où je leur transmettrai mes pouvoirs, ces pouvoirs que j’ai reçus légitimement, puis je me retirerai sans rien revendiquer personnellement. »
À Alger, Dungler ne fut pas écouté, ni par Giraud qui, se refusant à “ faire de la politique ”, se laissait dévorer par son rival, jusqu’à se rallier à sa “ politique ” ! ni par de Gaulle, qui n’admettait pas que Dungler n’adhérât pas à son Comité national de la résistance (C.N.R). L’Alsacien fut même l’objet d’une tentative d’assassinat. Il dut aux Américains de pouvoir rentrer clandestinement en France, où il rendit compte au Maréchal, par l’entremise de Ménétrel, de l’échec de sa mission. « Bernard, quel gâchis ! » murmura le Maréchal.
Dungler fut arrêté à Nice en février 1944, au cours d’une mission périlleuse qu’il remplissait, avec l’accord du Maréchal, auprès d’officiers de l’Abwehr qui complotaient un coup d’État contre Hitler ! Cette arrestation eut de graves effets sur l’évolution de sa 7e colonne d’Alsace, rebaptisé “ réseau Martial ”. Son successeur décida, pour obtenir des armes, de faire allégeance au C.N.R. Les Alsaciens regroupés dans le Sud-Ouest eurent alors la surprise de se voir placés sous les ordres de Malraux, l’ancien des Brigades internationales ! Les bons offices d’un prêtre démocrate-chrétien fit taire les objections qui s’élevaient dans les rangs de nos Alsaciens catholiques.
Tous se battirent courageusement et participèrent à la libération de l’Alsace, en lien avec la Ire Armée du général de Lattre. (...)
frère Thomas de Notre-Dame du Perpétuel Secours
Extraits de Il est ressuscité ! n° 36, juillet 2005, p. 23-24