LE GOUVERNEMENT DE VICHY
VI. Le souverain légitime et le rebelle
C’EST entre novembre 1942 et août 1944 que s’est joué le sort de la France. (...) La plupart des historiens modernes n’ont pas assez de mots pour fustiger l’État français durant les deux dernières années de son existence : “ état fantoche ”, vassalisé par l’Occupant, “ état milicien ”, rimant avec “ assassin ”, etc. Même parmi les défenseurs du Maréchal Pétain, beaucoup déplorent qu’il soit resté à Vichy, alors qu’il avait la possibilité de gagner l’Afrique du Nord. On rapporte à ce propos la parole du général de Gaulle au colonel Remy :
« Je ne comprendrai jamais pourquoi le Maréchal n’est pas parti pour Alger au mois de novembre 1942. Les Français d’Algérie l’eussent acclamé, les Américains l’eussent embrassé, les Anglais auraient suivi, et nous, pauvre Remy, nous n’aurions pas pesé lourd dans la balance ! » C’est vrai que de Gaulle et ses partisans ne pesaient pas lourd à l’époque. Comment se fait-il alors que ce soient eux qui l’aient emporté ?
Pour le comprendre, nous suivrons en parallèle l’histoire du Maréchal, souverain légitime, aimé de son peuple et héroïquement voué à son salut, et celle du général de Gaulle, dont la révolte s’est nourrie de mensonges, de violences et d’injustices. (...)
LE MARÉCHAL AUX LIENS
Le maréchal Pétain a choisi de rester à Vichy en novembre 1942, parce qu’il était « lié », explique Jean Tracou, son chef de cabinet en 1944. (...)
Il était lié au sol de France comme un paysan à sa terre, par toutes les fibres de son esprit et de son cœur. Il était lié à ses compatriotes par son serment du 17 juin 1940 : « J’ai été avec vous dans les jours glorieux. Chef du gouvernement, je suis et resterai avec vous dans les jours sombres. » Il était lié par la loi du 10 juillet 1940, qui lui avait donné mandat de gouverner le pays, de le relever après sa défaite et lui épargnant le fléau d’une nouvelle guerre. Il était lié par sa fonction de chef d’État qui lui imposait d’assurer la permanence de la Patrie, la continuité de l’État et l’unité autour du pouvoir légitime. Il était lié aussi par la guerre qui continuait, guerre de surprises, de coups de théâtre : pour n’être pas pris au dépourvu, il était nécessaire que le chef restât au poste de commandement et de veille, jusqu’à l’aurore de la délivrance. Il était lié enfin par la pensée des douze cent mille prisonniers, dont le sort et celui de leurs familles dépendait de sa prudence éclairée...
Tous ces “ liens ” concrets, vivants, personnels, l’attachaient au peuple de France, cet ensemble de familles qu’il voulait, disait-il, « gouverner avec amour », et sous le regard de Dieu. (...)
Jamais il ne regrettera d’être resté sur cette route. Le 17 juin 1944, il déclarait à Martin du Gard : « (...) Je veux que tout ce que je suis, tout ce que je représente, tout ce que je rappelle à l’ennemi, serve à protéger les pauvres gens. Je n’ai eu qu’une parole avec les Français. » Parole de chef, de père de la Patrie.
UNE PARADE CONSTITUTIONNELLE
Une difficulté toutefois se posait : l’ennemi ayant envahi la zone libre, au matin du 11 novembre 1942, le chef de l’État français jouissait-il d’une liberté suffisante pour assumer son rôle de père et de protecteur ? Dans quelle mesure pouvait-il encore incarner la souveraineté nationale, sous le contrôle inquisiteur de l’armée allemande ? Dès le 17 novembre, le Maréchal et ses conseillers trouvaient une parade : par l’Acte constitutionnel n° 12, le chef de l’État déléguait ses pleins pouvoirs au chef du gouvernement, en l’occurrence Pierre Laval. Il dissociait la souveraineté nationale, dont il restait, lui, le seul garant, de la gestion de la vie quotidienne des Français, confiée aux soins du chef de gouvernement, qui paraissait le plus capable de négocier avec l’Occupant. Cependant, dans une lettre secrète à Laval, le Maréchal lui rappelait que :
1° Selon la Constitution, c’était au chef de l’État, et à lui seul, qu’était réservé le pouvoir de déclarer la guerre au nom de la France, ou de céder une portion quelconque du territoire français.
2° Le gouvernement ne devait jamais perdre de vue que son devoir était de garantir la sécurité personnelle de tous (souligné) les Français.
3° Il l’engageait, parce qu’il savait que c’était son point faible, à ne pas brader les « traditions spirituelles de la France », en échange d’illusoires compensations.
Certes, le pouvoir du Maréchal sortait gravement amoindri de la crise de novembre 1942. La France n’avait plus de liaison avec ses colonies, puisque la flotte s’était sabordée le 27 novembre à Toulon ; elle n’avait plus d’armée, puisque l’armée d’armistice avait été dissoute par les Allemands. (...) Il n’en reste pas moins vrai que « l’armistice, même violé par le vainqueur, observé par le vaincu pour survivre, nous protège encore, nous sauve un peu de vie par une sorte de miracle quotidien, et nous laisse un avenir ». (...)
Le premier point de la lettre à Laval était pour l’heure le plus crucial. Le gouvernement du Reich avait communiqué au Maréchal une sorte d’ultimatum, lui enjoignant de déclarer la guerre aux États-Unis et à la Grande-Bretagne, et de s’unir à l’Allemagne « pour le meilleur et pour le pire ». Une nouvelle fois, le maréchal Nein répondit par un “ Non ” très clair. (...)
Qu’il accepte, ou qu’il laisse la place à un Gauleiter, et le pays entier basculait dans la tragédie. (...)
LA VIE QUOTIDIENNE DES FRANÇAIS
Le Maréchal obtint pour les prisonniers évadés avant novembre 1942 et réfugiés en zone Sud, de demeurer en liberté, ainsi que les Alsaciens et Lorrains qui s’étaient expatriés en décembre 1940 pour ne pas signer la liste « des droits et devoirs du citoyen allemand ». Le Maréchal s’opposa toujours au port de l’étoile jaune et à la résidence forcée, que les Allemands voulaient imposer aux juifs de la zone Sud. Des incidents regrettables survinrent, les Allemands violèrent plusieurs fois leurs engagements... Le Maréchal ne manqua jamais cependant d’élever une protestation. (...)
Les Chantiers continuèrent leur admirable travail de rénovation et d’encadrement de la jeunesse, jusqu’en juin 1944. (...) Autre exemple : la Corporation paysanne ne vit officiellement le jour qu’en mars 1943, avec l’élection de ses syndics régionaux et locaux. Durant ces mois difficiles, elle donna le meilleur d’elle-même, sous la conduite d’hommes éminents comme Caziot, Guébriant, aidés de toute l’élite des paysans de France. (...)
On pourrait multiplier ainsi les preuves du bienfait procuré par la présence et le sacrifice quotidien du Maréchal. Bien ingrats les Français qui lui ont reproché par la suite d’être resté au milieu d’eux pour leur éviter le pire. (...)
LE TOURNANT FATAL
À Alger, que certains avaient appelé à juste titre “ Vichy-Sud ”, l’amiral Darlan, commandant en chef des forces de l’Afrique française, avait transmis ses consignes à ses subordonnés : « L’armistice est rompu, nous avons notre liberté d’action. Le Maréchal n’étant plus libre de ses décisions, nous pouvons, tout en restant fidèle à sa personne, prendre celles qui sont le plus favorables aux intérêts français. » (...)
Quand il fut lâchement assassiné, le 24 décembre 1942, dans son bureau de l’amirauté, à Alger... Jour funeste dans l’orthodromie de douce et sainte France. Car, dans la personne de son “ Dauphin ”, c’était le Maréchal qui était visé, et son œuvre, jusque-là visiblement bénie par la Providence, qui s’en trouvait compromise. Qui avait donc commandité le crime ? Celui à qui il profitait...
On sait maintenant que c’est Churchill et son Intelligence Service qui procurèrent les fonds nécessaires à l’assassinat de l’amiral Darlan, mais que c’est le général de Gaulle qui en fut l’instigateur direct. (...) Déjà l’ombre d’un nouveau pouvoir se profilait sur Alger, fondé sur l’argent, le mensonge et le meurtre...
LA FRANCE PRÉTENDUE “ LIBRE ”
Mais que représentait de Gaulle en ce mois de décembre 1942 ? Militairement rien, ou presque rien. Depuis près de deux ans et demi qu’il se prétendait “ la France libre ” ou “ la France combattante ”, il n’avait réussi à grouper autour de lui que quelques milliers d’hommes. En vérité, il n’était pas aimé de l’armée. Aucun de ceux qui avaient combattu sous ses ordres en mai-juin 1940 ne l’avait suivi à Londres, à l’exception de son chef d’état-major. (...)
Dès ses premiers discours à Londres, il mentit, parlant de capitulation au lieu d’armistice. Toute sa propagande ne sera qu’un constant mensonge sur les faits, l’élaboration d’un “ mythe ”. (...) Être l’hôte de sa Gracieuse Majesté, dépendre financièrement du Premier ministre britannique, devait conduire nécessairement à donner des gages : l’attaque de Dakar, en septembre 1940, suivie de la prise de l’Afrique Équatoriale Française, pièce indispensable dans la carte impériale anglaise, en furent les premiers.
Dans son orgueil froissé de se voir ainsi dépendant des Anglo-Saxons, de Gaulle multipliera les manifestations de son caractère exécrable, à tel point que, plusieurs fois, Churchill voudra se débarrasser de lui. Quant à Roosevelt, il avait pour le chef des soi-disant “ Français libres ” le plus profond mépris : « Il a passé son temps à faire des discours au lieu de se battre. » Ou alors, s’il se battait, c’était contre Vichy.
VICHY, VOILÀ L’ENNEMI !
Au général d’aviation Odic, qui lui déclarait à Londres en décembre 1941 que tout devait être fait pour éviter une éventuelle alliance franco-allemande, le général de Gaulle rétorquait : « Il faut au contraire que la France soit aux côtés de l’Allemagne afin de prouver la culpabilité des hommes de Vichy. »
En juin 1941, de Gaulle prit prétexte du transit de quelques avions allemands par nos bases du Levant, pour attaquer les troupes du général Dentz, stationnées en Syrie et au Liban, et fidèles au gouvernement de Vichy. Le général félon était à une nouvelle croisée des chemins. Ayant rassemblé dans un camp de Palestine les éléments d’une division légère, il pouvait les engager sur la frontière égypto-libyenne, où les Anglais se battaient contre Rommel, occasion d’en découdre une bonne fois avec le véritable ennemi, ou bien s’en prendre aux Français de Vichy. Aveuglé par sa passion, il prit le second parti. (...)
À coups de radio-messages, la propagande gaulliste, enveloppée dans le drapeau de la démocratie et de la liberté, s’insinua dans les âmes, trop contentes de se distraire des dures réalités en écoutant les sirènes de Londres. La révolution de 1944, avec l’appui des communistes, sera l’aboutissement de cette propagande.
L’ALLIANCE TÉNÉBREUSE
Dès l’entrée en guerre de la Russie, en juin 1941, dans la foulée de Churchill et de Roosevelt qui offraient sans condition leurs bons services à l'“ ami ” Staline, de Gaulle n’eut de cesse de se faire reconnaître politiquement par Moscou, ce qu’il n’avait pas encore obtenu de la part des Alliés ! Il pensa même s’établir à Moscou. Mais les faveurs se méritent.
Pour être lui-même reconnu par l’Union soviétique, il devait au préalable reconnaître la part prépondérante que les communistes revendiquaient dans la Résistance intérieure. Ceux-ci, pour faire oublier leur connivence avec les nazis, avaient créé un “ Front national ” de libération intérieure, qui usa, dès le mois d’août 1941, de l’arme terroriste. On tuait des Allemands au coin des rues, dans le métro, sur la place publique, sans s’inquiéter des représailles. On souhaitait même ces dernières brutales, massives, pour créer dans la population un sentiment d’exaspération, propice au soulèvement révolutionnaire. (...)
Même si de Gaulle n’y trouvait pas son compte, il fut obligé de composer. De là naquit une monstrueuse alliance entre le général et les communistes à la solde de Moscou. À seule fin de leur plaire, il déclarait le 18 septembre 1941 : « La France, toute la France se redresse dans la résistance en attendant qu’elle le fasse dans la vengeance organisée [sic !]. » (...)
Celui-ci déclarait encore en mai 1942 : « C’est avec les Soviets que je rebâtirai la France et l’Europe ! » Le 28 septembre suivant, Staline reconnaissait le Comité de Londres comme « seul qualifié pour représenter les intérêts de la France ». En réponse, un Comité National de la Résistance (C. N. R.) se constituait en France par l’entremise de Jean Moulin, manœuvré par des agents du K. G. B. Comme par hasard, ce Comité était composé en majorité de communistes, avec la complicité des démocrates-chrétiens, tel Georges Bidault.
De Gaulle intervint plusieurs fois, au cours de cette année 1942, pour que soit satisfaite l’exigence de Staline d’ouverture d’un second front à l’Ouest, lui permettant d’avancer ses pions à l’Est. Mais les récriminations et le chantage permanent du général de Gaulle avaient tellement lassé la patience de Churchill et de Roosevelt qu’ils ne le mirent même pas au courant du débarquement en Afrique du Nord. C’est pourtant là que tout allait se jouer.
Pas de chance pour de Gaulle, Darlan était à Alger ce jour-là et prenait le pouvoir au nom du Maréchal. Le général rebelle n’avait alors qu’une chose à faire : rentrer dans le rang, se faire pardonner ses injures et les combats fratricides qu’il avait provoqués, et commencer à se battre vraiment contre l’Allemagne. Ou alors... se débarrasser de celui qui faisait obstacle à ses plans et à son ambition. Ce qu’il fit.
LES MANŒUVRES D’ALGER
Le lendemain même de l’assassinat de Darlan, le chef de la prétendue “ France Libre ” écrivait au général Giraud, qui avait pris la succession de l’amiral à la tête du Conseil d’Empire, en lui disant qu’il leur fallait « trouver ensemble les moyens d’établir un pouvoir central commun ».
Giraud n’était pas une “ tête politique ”. Il aimait à répéter qu’il n’avait qu’« un seul but : la victoire ». Soit ! mais, par son aveuglement il favorisa les entreprises de celui qui n’avait qu’un seul but : le pouvoir. En outre, la faute de Giraud avait été de lier son sort aux Américains, avant même le débarquement en Afrique du Nord, sans en référer au Maréchal.
À l’instigation de Churchill, Giraud et de Gaulle se rencontrèrent à Anfa, près de Casablanca, le 24 janvier 1943. De Gaulle, hautain et cassant, refusa tout compromis : Giraud devait se mettre aux ordres. Ce dernier refusa, évidemment, mais, de retour à Alger, il voulut donner des gages de sa bonne volonté : il libéra un certain nombre de détenus politiques, dont les vingt-sept députés communistes incarcérés en 1939 par Daladier pour sabotage de la défense nationale. Il prit aussi comme conseiller économique Jean Monnet, agent gaulliste déguisé, démocrate-chrétien de surcroît.
Ce fut à l’instigation de Monnet que Giraud prononça le 14 mars 1943 un discours “ démocratique ”, dans lequel il déclarait abrogées les lois de Vichy, et rétablies la légalité et l’idéologie républicaines, dénonçant par la même occasion l’armistice de 1940. Cette clause, apparemment rituelle, le livrait pieds et poings liés à son rival : à partir du moment où l’on contestait l’armistice, toujours en vigueur en Métropole, il n’y avait plus d’État français qui tienne et le pouvoir du maréchal Pétain perdait sa raison d’être. Il fallait destituer et condamner ceux qui lui avaient obéi et qui continuaient à se réclamer de lui.
Depuis Londres, de Gaulle dépêcha à Alger son féal Catroux, de façon à circonvenir Giraud, et non seulement prendre le pouvoir, mais aussi faire prévaloir le plan soviétique d’invasion de la France par l’Ouest. Puis, à la mi-mai 1943, il donnait l’ordre à Jean Moulin d’envoyer depuis la France un télégramme à Alger au nom du C.N.R., censé parler au nom de tous les “ résistants ” de France, pour exiger une rencontre au sommet des deux généraux. La manœuvre était habile : Giraud, tout auréolé de sa récente victoire de Tunisie, était tenu de composer avec de Gaulle, qui représentait la “ France résistante ”. Une fois de plus, il bluffait : outre que le C.N.R. était loin de représenter la France “ résistante ”, Moulin n’avait même pas pris la peine de réunir le Comité pour envoyer le télégramme !
De Gaulle atterrit le 30 mai à Alger, où il fut reçu par Giraud. Dès le lendemain, il posait ses conditions, réclamant les têtes de Boisson, Noguès, Bergeret et Peyrouton, déclarés “ Français indignes ” parce que serviteurs du Maréchal ! Giraud céda, une fois de plus, et c’est ainsi que, le 3 juin, était créé un Comité exécutif au nom prédestiné : C.F.L.N., Comité français de libération nationale. Au début, Giraud voulut en assurer la coprésidence avec de Gaulle, mais, très vite, il fut mis en minorité et cantonné dans les affaires strictement militaires, comme l’équipement de l’Armée d’Afrique et la préparation des opérations. Une campagne médiatique fut même orchestrée contre lui, parce qu’il osait s’en prendre aux F.F.L. de Leclerc, qui refusaient de s’intégrer à l’Armée d’Afrique, et usaient des moyens les plus ignobles pour débaucher les troupes loyalistes.
L’ÉPURATION COMMENCE À ALGER
Le 21 juillet, de Gaulle profitait d’un voyage de Giraud aux États-Unis, pour limoger quatre cents officiers de la vaillante Armée d’Afrique, trop maréchaliste à son goût. L’ordonnance du 18 août 1943 institua une commission d’épuration, présidée par le démocrate-chrétien François de Menthon. Devaient « être traduits en justice, dès que les circonstances le permettraient, le maréchal Pétain et ses ministres, tous ceux qui avaient capitulé ou porté atteinte à la Constitution, tous ceux qui collaboraient avec l’ennemi ». Rien de moins ! Le général Giraud signa sans protester, l’esprit tout absorbé par les préparatifs de l’opération de Corse.
Ainsi se succédèrent les fameuses “ Ordonnances d’Alger ”, dignes des ordonnances du Comité de salut public sous la Terreur ! En septembre 1943, une Assemblée consultative était élue de toutes pièces, regroupant des représentants de la “ Résistance ” venus de France, des conseillers généraux de l’Empire, – ceux, bien entendu, qui avaient fait allégeance au nouveau pouvoir – ainsi que d’anciens sénateurs et députés, regroupés en trois groupes parlementaires : communistes, socialistes, et républicains populaires autrement dit démocrates-chrétiens. Le régime des partis était de retour. Le principal “ travail ” de cette Assemblée, dépourvue de toute légalité, était de préparer l’insurrection, l’épuration des “ traîtres ”, et le rétablissement de la République en France. (...)
Les effets s’en faisaient déjà sentir en métropole.
MAQUISARDS ET MILICIENS
Bombardements aériens par les Alliés, arrestations et réquisitions de main-d’œuvre par les Allemands, insultes et outrages des “ Français qui parlent aux Français ” sur les ondes de la B.B.C., coups de main des réfractaires au S.T.O. ayant pris le maquis, vols, pillages, meurtres : tel était le lot quotidien de nouvelles qui arrivait à Vichy. La police régulière, débordée, n’osait même plus intervenir dans certaines zones, où commençait à régner la terreur.
Afin d’enrayer la généralisation de cette anarchie et empêcher que les Allemands ne prennent en main la répression antiterroriste, le gouvernement Laval autorisa, en janvier 1943, Joseph Darnand, héros de 1918 et de 1940, à créer la Milice française. Ses effectifs ne dépassèrent jamais les trente mille, avec une majorité issue des rangs du Service d’ordre légionnaire, lui-même issu de la Légion française des combattants. C’étaient pour la plupart de bons Français, épris d’ordre et d’idéal, qui ne demandaient qu’à servir le Maréchal et la Révolution nationale. Il est vrai que, dans leurs rangs, se glissèrent des gens de sac et de corde... N’ayant pas d’armes, la Milice commença par encaisser les coups : rien qu’en 1943, trois cents miliciens furent abattus par les maquisards communistes. Alors, un jour, ils voulurent rendre coup pour coup. En janvier 1944, un millier de francs-gardes reçurent des armes. C’était entrer dans la fatale spirale de la violence, ajouter au mal de l’anarchie le mal d’une sanglante répression. (...)
« TENIR JUSQU’À LA FIN »
Voir sa légitimité remise en cause par le nouveau pouvoir installé à Alger inquiétait le Maréchal, parce qu’il savait que cette légitimité, et tout simplement la légalité qu’il s’efforçait de respecter, étaient les garanties de la paix civile.
Quand il apprit que les anciens ministres du Front populaire affluaient à Alger, le Maréchal déclara : « Croyez-vous que les méthodes et les hommes qui ont conduit le pays au désastre pourraient lui rendre sa grandeur ? Je vous le dis avec toute la conviction dont je suis pénétré ; si la paix qu’attendent ces mauvais Français consiste à revenir aux mœurs politiques, économiques et sociales d’avant-guerre, la France ne se relèvera pas. »
Il n’avait pas à renforcer sa légitimité, parce qu’il l’incarnait. Sa popularité était toujours aussi grande, en 1944, comme en témoignent les films d’archives. Beaucoup croyaient en effet, ou voulaient croire, à une collusion secrète entre Pétain et de Gaulle. Au fond, disaient-ils, les deux chefs s’entendent : les injures de l’un, l’indifférence de l’autre sont faits pour tromper l’Occupant. (...)
Le Maréchal cherchait coûte que coûte à maintenir l’unité française, tant en Métropole que dans l’Empire, afin de rendre possible, après la tourmente, le retour au bercail des dissidents, dans la réconciliation de tous les Français. (...)
Le Maréchal régnait, mais ne gouvernait plus. (...) Il ne voulait plus assister au Conseil des ministres, que les Allemands avaient remanié à leur façon, en janvier 1944. La nomination de Darnand au secrétariat du Maintien de l’ordre, ainsi que celle de Philippe Henriot à l’Information, ne lui avait pas agréé. Encore moins, au moins de mars suivant, celle de Marcel Déat, le héraut de la collaboration parisienne, au ministère du Travail ! Pour ajouter à sa solitude, l’ami Romier mourait le 5 janvier 1944. (...)
Ses plus fidèles serviteurs étaient arrêtés et déportés, tels Bouthillier ou le général La Porte du Theil. (...)
UNE LUTTE DE TOUS LES INSTANTS
À Vichy, le Maréchal conservait, dans ces jours de peines et d’angoisse, toute sa lucidité, malgré son grand âge : 88 ans ! L’intelligence était intacte, même si elle ne parvenait plus à s’imposer, et encore ! À Vichy, l’Allemand Renthe-Finck était chargé de surveiller le Maréchal. (...)
Le président du Conseil avait à lutter pied à pied contre les exigences des Allemands, en particulier du dénommé Sauckel, qui le harcelait pour obtenir l’envoi de travailleurs français de plus en plus nombreux en Allemagne. (...) Au début de 1944, il réclama un million de travailleurs, à raison de 90 000 par mois, plus un autre million qui serait affecté à la construction des Murs de l’Atlantique et de la Méditerranée, que les Allemands édifiaient fébrilement pour s’opposer à tout débarquement allié. Laval réussit, par quel artifice, au prix de quelles concessions ? à faire partir seulement 11 000 ouvriers sur les 2 000 000 demandés ! Et Tracou, qui fait ses comptes pour les quatre années d’occupation, arrive à un total de 640 000 Français partis en Allemagne au titre du S. T. O., contre 710 000 prisonniers libérés et rentrés dans leurs foyers. C’était un résultat unique, dans toute l’Europe occupée par les Allemands.
On pourrait en dire autant des juifs français, dont 5 % seulement furent déportés. (...)
Il y avait aussi la question des maquis, qui s’agitaient de plus en plus à mesure que la nouvelle d’un débarquement allié se précisait. Or, le gouvernement français savait que les Allemands étaient décidés à réduire brutalement ces maquis, pour n’être pas pris sur leurs arrières, et les fit prévenir. (…)
VOYAGES EN FRANCE BOMBARDÉE
Les Français réservèrent un accueil triomphal au Maréchal pendant la tournée qu’il entreprit, au printemps 1944, pour visiter les villes touchées par les bombardements alliés, et y réconforter les populations. Ces bombardements firent plus de 65 000 victimes civiles, ainsi que 75 000 grièvement blessés. En tout, 590 000 tonnes de bombes furent déversées sur la France, causant des ravages considérables, d’une efficacité militaire nulle. En visitant ces villes sinistrées et leurs hôpitaux, le Maréchal était souvent tellement ému qu’il n’arrivait plus à parler.
Un premier voyage l’amena à Paris, par Orléans et Rambouillet. On vit la foule des Parisiens se porter spontanément sur le parvis de Notre-Dame, puis à l’Hôtel de ville, pour l’acclamer (ci-contre). De là, il se rendit à Rouen, puis dans l’Est de la France, à Belfort, Nancy le 26 mai (ci-dessous), Épinal, Dijon. C’est à Lyon, le 6 juin, qu’il apprit la nouvelle du débarquement. Cela ne l’empêcha pas de repasser par Saint-Étienne, où la réception enthousiaste des ouvriers dépassa tout ce qui avait été vu jusque-là.
On sentait que l’heure de la délivrance était proche, et tous en attribuaient le mérite au vieux Maréchal. (...)
Le message prévu pour le jour du débarquement appelait au calme : « Français, demeurez fermes à vos postes pour maintenir la vie de la nation et accomplir les tâches qui vous incombent. N’aggravez pas nos malheurs par des actes qui risqueraient d’appeler sur vous de tragiques représailles... » Ces consignes étaient exactement les mêmes que celles du général Eisenhower, commandant en chef des troupes alliées, données aux populations civiles françaises. Tandis que, de Londres, de Gaulle sommait tous les Français, et surtout les militaires, de « combattre par tous les moyens dont ils disposent ». Avec les conséquences que l’on connaît à Tulle et à Oradour-sur-Glane...
UN CONTRE-POUVOIR À ALGER
En ce mois de juin 1944, chacun poursuivait son objectif : le Maréchal la paix prochaine et l’union des Français, de Gaulle la conquête du pouvoir. Le 3 juin en effet, le C. F. L. N. prenait officiellement le titre de “ Gouvernement Provisoire de la République française ” (G.P.R.F.). (...) Deux mois auparavant, il avait introduit deux communistes dans son pseudo-gouvernement. C’était la première fois dans l’histoire de la France que des communistes participaient aux affaires ! (...)
Tous les jours, partaient d’Alger pour les comités de résistance de la Métropole, en même temps que des consignes d’insurrection révolutionnaire, des listes de noms de ceux qui devaient être abattus. (...)
LA MYSTIFICATION DU REBELLE
Le général de Gaulle jouait dangereusement, non seulement avec les sentiments mais aussi avec la conscience des Français. Il avouera un jour que « la France libre, la France combattante, c’est l’histoire d’un bluff qui a réussi ». Sa prise de pouvoir, en août 1944, fut en effet une énorme mystification.
En mai 43, il avait réussi à faire croire à l’Afrique du Nord, qu’il avait derrière lui toute la France “ résistante ”. Un an plus tard, en juin 1944, il se retournait vers les Français de la métropole et les pressait de se rallier à lui, parce qu’il avait derrière lui, disait-il, l’Empire, les Forces armées et les Alliés. Mais il avait eu soin auparavant d’ôter tout commandement opérationnel au général Giraud et, de peur que les généraux du Corps expéditionnaire français en Italie ne l’empêchassent de réaliser ses desseins, il les arrêta net dans leur élan.
Dans le même temps, le Maréchal suivait lui aussi l’avance de l’Armée d’Afrique, son Armée, espérant qu’elle allait renouveler l’exploit de Franchet d’Esperey en octobre 1918 : que les Alliés allaient porter leur effort principal contre l’Allemagne du Sud, par Budapest et par Vienne. Car, disait-il, « il est important que les Alliés atteignent la capitale allemande avant les Soviétiques. » De Gaulle avait promis exactement le contraire à Maïsky, l’ambassadeur soviétique à Londres ! (...)
Le 14 juillet 1944, sachant que ses jours étaient comptés, le Maréchal rédigea un dernier message résumant ce qu’il avait fait pour les Français pendant quatre ans :
« Loyalement, mais sans compromis, je n’ai eu qu’un but : vous protéger du pire... Je subis la plus grande contrainte qu’il puisse être donné à un homme de souffrir. C’est avec joie que je l’accepte, si elle est la condition de notre salut... »
Le 20 août 1944, le chef de l’État français était arrêté par les Allemands et emmené prisonnier en Allemagne. Son sacrifice était consommé.
Cinq jours plus tard, à Paris, de Gaulle, porté par la vague d’euphorie qui accompagnait la libération de la capitale, prenait le pouvoir. Pendant ce temps, près de Belfort, le Maréchal prisonnier, mais toujours souverain légitime, recevait un dernier hommage de son peuple par la bouche d’un simple maire de village :
« Monsieur le Maréchal, vous avez pu croire que votre œuvre n’a pas été comprise. Vous avez remarqué cependant que la population, qui a été prévenue de votre arrivée, s’est portée d’un élan spontané sur votre passage pour manifester sa sympathie à l’égard du chef vénéré que vous restez [...]. Nous savons qu’il n’y a qu’une France, celle de nos ancêtres, celle qu’ont bâti nos rois, celle qu’ont construit les ouvriers de nos cathédrales, la France des paysans de nos campagnes...
« Vous nous avez donné l’exemple, monsieur le Maréchal. Dieu, et Lui seul, pourra vous donner cette récompense vraiment digne de vous et de votre œuvre. »
frère Thomas de Notre-Dame du Perpétuel Secours
Extraits de Il est ressuscité ! n° 36, juillet 2005, p. 13-22