Il est ressuscité !

N° 209 – Mai 2020

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


CAMP NOTRE-DAME DE FATIMA 2019

V. Le secret de Maurras

AU terme d’une longue quête, l’abbé Georges de Nantes, notre Père, pénétra le mystère de l’âme de Maurras écartelée entre sa haine de Notre-Seigneur Jésus-Christ et son dévouement sincère à la France chrétienne et à l’Église qui lui mérita de saint Pie X le titre de « beau défenseur de la foi » ! Laissons notre Père nous instruire lui-même des étapes de sa découverte du secret de Maurras.

Tout a commencé par une admiration sans faille pour cet homme de génie tout appliqué au salut de la France.

« Comment ai-je commencé à connaître Maurras ? Eh bien, à la maison et j’ai commencé à avoir pour lui une estime intellectuelle [...]. Lire Maurras dans le journal chaque matin, chaque jour dans l’Action française, c’était un bain d’intelligence ; il était intelligent et puis il ne pensait qu’à la France [...]. À douze ans (1936), treize ans (1937), quatorze ans (1938), ­dix-huit ans (1942), c’est Maurras qui m’a ouvert l’intelligence. »

« Mais l’Action française était à l’index ! Ses lecteurs n’étaient-ils pas excommuniés ? Le savais-je bien ? Oui, mais de loin, à travers le cristal de la foi et de la piété de mes parents. » (Mémoires et Récits, t. I, p. 189) L’expression est géniale, admirable : la foi catholique “ cristalline ” de ses parents ne recevait pas la moindre “ ombre ” de leur adhésion à Maurras.

Jadis, Maurras avait écrit les Contes du Chemin de Paradis en 1892-1893, des textes antichrétiens qui manifestaient un mépris de l’Évangile. « Mon père et ma mère qui ont été maurrassiens toute leur vie, et ma grand-mère également, ne les avaient jamais lus. » Tout ça, cinquante ans plus tard, entre deux guerres mondiales, était sans rapport avec la chronique politique quotidienne qui définissait les conditions du salut de la France. C’étaient des calomnies de démocrates-chrétiens.

Si Maurras lui ouvrit l’intelligence à l’âge de douze ans, l’amour du Sacré-Cœur le saisit à ­quatorze ans (1938), empoigné pour toujours par le Père de Foucauld, après avoir vu le film de Léon Poirier L’appel du silence : « Je serai moine-­missionnaire. » (Mémoires et Récits, t. I, p. 165-173) Aucune contradiction. Le problème commença à se poser au séminaire.

AU SÉMINAIRE.

L’étape suivante, les études ecclésiastiques, se déroule au séminaire : « Ce fut un continuel enchantement de l’intelligence. » (CRC n° 170) Mais, seul séminariste maurrassien, Georges de Nantes prit la mesure de la détestation que le monde ecclésiastique affichait pour Maurras et l’Action française. Alors il se mit à étudier l’ensemble des dossiers de la condamnation.

« J’ai lu les textes de l’Action française et puis les textes de l’Église, comparés comme cela, en dehors de tout débat, dans ma cellule de moine, de séminariste. J’avais Pourquoi Rome a parlé [...]. Je lisais et je comparais. Une chose me frappait, c’était absolument la justification de l’Action française. Elle était haïe par le pape Pie XI, elle était haïe par les jésuites, elle était haïe par les démocrates-­chrétiens qui voulaient leur revanche contre le Pape qui avait condamné le Sillon, c’est-à-dire la démocratie ­chrétienne : saint Pie X... Bref, il y avait une lutte, une guerre civile en France depuis le début du siècle, depuis Léon XIII qui avait forcé les catholiques français à se rallier à la République, et dans cette guerre civile, l’Action française était véritablement le fer de lance de la réaction, catholique française ou pas catholique, mais toujours est-il française. Et le clergé avait décidé sa mort. Et alors, le trafic des citations, les interprétations scabreuses m’ont écœuré. La manière dont le pape Pie XI a condamné l’Action française sans la condamner tout en la condamnant était tellement fausse que je me suis blindé, moi, dans mon Action française [...].

« J’étais au séminaire, je n’étais pas un traître, je continuais à être Action française, implacablement ! Avec par-ci par-là des textes que je lisais de Maurras qui me paraissaient blasphématoires, oui, vraiment blasphématoires. Mais j’avais dix-huit ans ! Et donc cela ne m’ébranlait pas [...] ; d’autant plus que l’Action française disait qu’on les comprenait mal, que ce n’était pas du tout contre le Christ, mais contre les protestants [...]. Sur le moment, je ne voyais pas pourquoi Maurras aurait passé son temps à injurier Jésus-Christ ou alors vouloir “ établir l’esclavage ”. Donc, c’était ennuyeux, ça ; je ne réalisais pas l’importance. » (Conférence à la Permanence, 11 mars 1993)

C’est pourquoi il passa toute une première étape de sa vie à innocenter Maurras. Cependant, en pleine épuration de 1946, cet attachement faillit le faire renvoyer du séminaire. « C’est miracle que je sois passé et que je sois devenu prêtre. » (Conférence à la Permanence, 11 mars 1993)

De toute l’ardeur de son âme sacerdotale, le jeune abbé de Nantes voulait servir tout à la fois en disciple de Maurras et en fils de saint Pie X ; « défendre le pays, à ma petite place, et réparer un peu l’injustice que l’A. F. a subie depuis 1926 du fait d’un clergé français trop peu éclairé, et dévoyé de sa grande tradition de défense de la cité et de la vraie paix », écrivait-il à son Maître, en 1949. Et, il fut « harponné » par Aspects de la France.

RÉDACTEUR À ASPECTS DE LA FRANCE SOUS LE NOM D’AMICUS.

« Je faisais déjà à ce moment-là cette symbiose de notre vraie religion, de notre mysticisme, avec la politique maurrassienne. Eh bien ! on me considérait comme un intempestif. “ À l’A. F. on n’a pas besoin de curés ! ” [...] Je voulais réconcilier les deux branches de la France, à savoir le courant mystique, le courant catholique et puis ce courant qui était pragmatique, si on peut dire, ou empiriste organisateur, et donc que le Christ soit reconnu Roi de France. » (Conférence à la Permanence, 11 mars 1993)

Amicus justifiait donc Maurras de s’en prendre au “ Christ de la Réforme ”, afin de mieux exalter le “ Christ catholique ”, et d’enseigner sous les figures charmantes du Chemin de Paradis une morale stoïcienne de l’équilibre, de l’harmonie, une morale tout à fait grecque. C’est ce qu’il écrivit à son maître, le 20 décembre 1951, soucieux de savoir s’il exposait bien sa pensée dans les conférences qu’il donnait aux jeunes étudiants d’Action française. « Maurras ne voulait pas entendre ce curé mettre en relation la mystique catholique, la mystique chrétienne avec son positivisme [...]. Il ne m’a rien répondu. Je me suis dit : c’est parce que c’est mal foutu, je suis un pauvre type [...]. Il n’a pas de temps à perdre à me répondre. Maintenant je me dis : il ne voulait pas me répondre, précisément parce que je me trompais et qu’il n’était pas du tout pour le christianisme [...]. Donc Maurras me voyant là-dedans a voulu me voir partir. » (Conférence à la Permanence, 11 mars 1993)

Amicus rehaussait le nationalisme intégral d’une forte mystique. Cela convergeait avec la thèse de métaphysique qu’il préparait. « C’est l’empirisme organisateur de Maurras, au regard braqué sur “ l’immense réciprocité de services ” que constitue la communauté humaine, qui m’a délivré du personnalisme de ­Maritain et de son odieux solipsisme, fauteur d’anarchie. Ce qu’on me reprochait comme une honte me paraît aujourd’hui avoir été mon salut spirituel, ma lumière, et je crois que cela constituera un jour pour Maurras un beau titre de gloire [...].

« Je retrouvais mon humanisme dévot et mon humanisme de droite, disons saint François de Sales et le cardinal Pie, saint Pie X et Maurras. Je criais de contentement. » (CRC n° 170)

Mgr Feltin, ayant enfin découvert l’identité de cet Amicus qui, par amour filial et fidélité au Maréchal, osait titrer dans Aspects : “ À la Croix, on crucifie encore ! ” chassa l’abbé de Nantes du diocèse de Paris. Celui-ci informa Maurras le 25 juin 1952 de cette « triste nouvelle » qui l’obligeait à cesser toute « activité politique », tout en assurant son maître de son « indéfectible attachement ».

Maurras gardait jalousement son “ secret ”, l’équipe dirigeante priait l’abbé de ne pas mêler la religion au combat politique, et le cher Père Beaufine, apparemment mourant, le pressait théâtralement de quitter l’Action française ! (cf. Mémoires et Récits, t. II, p. 146-148)

Cela n’entama pas son “ indéfectible attachement ” à la seule et entière vérité. Dès qu’il le put, notre Père reprit du service à l’A. F., engageant Jean-Marc Varaut à fonder A. F. U. et en lui fournissant les meilleurs articles, participant aux camps. Mais ce “ curé ” à la foi incontournable dérangeait trop. « On m’a mis dehors de ­l’Action française ! » (Conférence à la Permanence, 8 octobre 1992)

PREMIER BILAN.

Sous le double patronage de Charles Maurras et du Père de Foucauld, notre Père établissait sa « doctrine de la Contre-­Réforme, doctrine de pure théologie, doctrine de politique, et c’est l’Action française [...], mais c’est l’Action française sacra­lisée [...]. Depuis toujours j’ai été très maurrassien, mais jamais mon maurrassisme n’a déteint sur ma religion. J’ai donc travaillé instinctivement, mettant de l’ordre dans mes pensées, à la christianisation de Maurras. » (Conférence, 31 juillet 1976)

Posant « l’Évangile comme la pierre fondamentale de notre politique », l’abbé de Nantes dépassait Maurras (Sermon, 5 juin 1976, S 30). En fait, il le contredisait. Mais il ne s’en rendait pas compte.

« Quelle est la doctrine du Christ, que le Saint-­Esprit, l’Esprit d’Amour nous rend agréable, admirable, à laquelle il nous attache de tout notre cœur ? C’est qu’il y a paternité et filiation ; que partout où il y a inégalité, ce n’est pas une inégalité de combat, de haine, de lutte, d’antagonisme féroce, irrémédiable, c’est un lien de père et de fils. Toute inégalité est protectrice, disait Maurras. Mais je dis plus que Maurras : toute inégalité est une dérivation de la volonté de Dieu. Toute inégalité est un commencement d’Église, toute hiérarchie est sacrée, et donc toute hiérarchie est admirable, toute hiérarchie est aimable. » (Sermon, 6 juin 1976 ; S 30).

À « je ne sais quel scribouillard » qui accusait notre Père de ne pas être maurrassien, à cause précisément de sa foi catholique, il rétorquait : « Mais moi, je suis supérieur à Maurras ; il faut que chaque catholique se rende compte qu’il a en lui une lumière, une vérité supérieure à la vérité que Maurras, lui, homme sans foi pendant tout le parcours de sa vie, a peu à peu mise à jour. Maurras n’est que politique [...]. Nous aurions tout à fait tort de mettre notre religion à part, car notre religion vient précisément éclairer de sa lumière céleste cette connaissance que nous avons de la société humaine. » (Conférence, juin 1976 ; S 30)

Cette « symbiose de notre vraie religion, de notre mysticisme, avec la politique maurrassienne » trouva son aboutissement dans la Politique totale. Il suffisait « d’adosser la politique naturelle de Maurras à notre Métaphysique totale, ce qui était déjà prometteur, mais de joindre cette haute sagesse, cet art royal à la mystique chrétienne, catholique, qui en vérité l’avait, pendant mille ans et plus, instituée, développée et conservée dans notre royaume de France [...].

« De Jean de Terrevermeille à Charles Maurras et aux 150 Points de notre Phalange catholique, royaliste et communale, c’est toute notre Politique totale qui se trouve constituée. » (CRC n° 195, décembre 1983)

« IL N’Y A QU’UN SALUT, C’EST LA SAINTE VIERGE ! »

Notre Père dénonçait comme « un grand malheur de notre “ droite ”, de notre “ extrême-droite ” contemporaine, de s’être vouée à la politique en mettant à la porte la religion, parce que la religion prétendument gênait notre politique ! [...] Maurras a trouvé la science politique, c’est tellement clair, tellement évident ! Comment n’a-t-il pas persuadé tous ses contemporains ? [...] Tant que le démon régnera, les âmes diront non à vos vérités politiques, parce qu’elles ne veulent pas de la vérité [...].

« Aujourd’hui, il faut que nous aimions Dieu, que nous nous mettions au service de Dieu, que nous aimions les mystères de Dieu, et je vous dis que toute la politique, nous la comprendrons du premier coup [...]. Oui, oui, en faisant une récollection sur la Sainte Vierge ! Entrez donc à plein dans cette dévotion à la Sainte Vierge ! » (Récollection mariale, Le dessein de Dieu, 14 mai 1977)

« Où est le salut aujourd’hui ? Je n’hésite pas à dire que le salut n’est pas d’abord dans la politique, le salut n’est pas d’abord dans l’économie, le salut n’est pas d’abord dans les armes, ni dans la bombe nucléaire, ni dans la bombe à neutrons, ni dans les sous-marins lanceurs d’engins, etc. [...]. Dans la politique, dans l’économie, dans les armes, dans les choses militaires, il n’y a qu’un salut, c’est la Vierge Marie ! [...] D’abord retrouver notre culte à la Vierge Marie. D’abord ? Avant le culte de Dieu ? Oui, parce que Dieu l’a voulu. Dieu a voulu que sa sainte Mère passe avant lui. » (Sermon, 4 mai 1980)

Au-delà de l’empirisme organisateur de Maurras, au-delà de l’humanisme, au-delà de cette sorte de confiance en l’homme, devant l’état catastrophique actuel, notre Père donnait la seule espérance sérieuse : « Dieu régnera. Je voudrais imprimer dans vos âmes le mot de “ règne de Dieu ” [...]. Le Cœur Sacré de Jésus prépare son Règne universel par le Règne universel du Cœur Immaculé de Marie [...]. Le Roi des rois et Seigneur des seigneurs donnera à sa Mère l’honneur d’écraser le démon de son talon immaculé et de donner au monde la paix. » (Sermon, 30 janvier 1985)

POUR SORTIR DU DÉBAT, “ TOUT INSTAURER DANS LE CHRIST ”.

« Nous, gens de droite, nous, légitimistes, nous, d’Action française, nous nous sommes épuisés en démonstrations politiques [...]. Primauté de l’ordre politique par rapport au combat, à l’activisme ; d’abord, restaurer les institutions. Mais enfin, d’abord Jeanne d’Arc avait fait confesser ses soldats ; d’abord, Jeanne d’Arc avait fait prêcher son armée par les capucins, comme le bon Père Joseph fera prêcher les armées au siège de La Rochelle. Et quand les armées se sont converties, quand elles ont dit rosaire sur rosaire par milliers, la ville fut prise. » (Sermon, 28 septembre 1985)

« L’humanisme orgueilleux de Louis XIV qui ne veut pas s’agenouiller devant le Cœur de Jésus s’est prolongé dans l’humanisme de notre Maurras qui n’a pas su s’agenouiller devant le Christ Sauveur et nous entraîner dans cet acte religieux. » (Sermon des vêpres, 28 septembre 1985) La vérité est qu’il n’a pas voulu, comme notre Père va le découvrir.

« Le grand débat où nous sommes après un siècle de luttes épuisantes entre les “ politiques ” et les “ ligueurs ” ; les politiques, cela s’appelle l’Action française, avec son chef agnostique, “ politique d’abord ” et peu importe le Christ-Roi [...]. Les autres en face ce sont les démocrates chrétiens, dont les derniers Papes sont l’illustration la plus brillante [...]. Nous devons tout instaurer dans le Christ, comme le disait Pie X [...]. Il faut que Maurras cède enfin et reconnaisse qu’on ne peut rien faire en France, sinon avec le secours de l’Église catholique et que c’est véritablement un contresens et un blasphème de dire que l’Église catholique peut ne pas être chrétienne, que la grandeur de l’Église catholique lui vient d’ailleurs que du Christ lui-même. » (Sermon, 29 septembre 1986)

LE CHOC DOULOUREUX.

Disciple de Maurras, notre Père n’avait retenu du Chemin de Paradis qu’un enseignement de sagesse, en opposition à tous les désordres de l’époque. Certes, cela pouvait porter contre le Christ si on n’y prenait pas garde ; mais en 1986, il découvrit que le secret de ces contes était une jalousie du Christ, une haine du Christ (12 août 1986, préparation du camp Maurras face à Jésus-Christ). Alors que notre Père avait entrepris cette étude pour « redresser l’A. F. en cherchant le secret intime de Charles Maurras, pour enflammer les cœurs, j’y ai découvert l’Antéchrist enfoui au fond d’un cœur » (explication en Chapitre, 9 octobre 1997).

Quel choc ! « Les frères avaient préparé les conférences sous ma direction, c’était vraiment très approfondi, et là je me suis aperçu que Maurras avait la haine de Jésus-Christ, une haine comme le Satan qui l’habitait. Ça, ça a été pour moi un coup terrible. Je le découvrais et, même dans ce conte d’Eucher de l’île, ce cadavre de jeune homme qui est dans une bauge de marbre au fond de l’étang de Berre, etc., eh bien ! c’est l’Eucharistie. » (Conférence à la Permanence, 11 mars 1993)

ÉTUDE DES CONTES DU CHEMIN DE PARADIS.

Notre Père avait toujours édulcoré ces blasphèmes « pour les faire admettre aux chrétiens, en leur disant : “ Ce n’est pas grave ! ” » À la suite du Père Descoqs, il pensait : « Maurras aime l’Église, il est impossible qu’un jour cela ne l’amène pas à aimer le Christ. » (L’Action française et la démocratie chrétienne, avril 1993, F 33)

« Pour ma part, j’ai joui de ces paroles de blasphèmes, parce que je ne pensais pas que mon Dieu en soit blessé là-haut dans son Ciel [...]. Le Chemin de Paradis est un livre d’une beauté plastique, d’une beauté romantique, d’un style admirable [...]. Ces contes ont, en fait, deux étages. Pendant toute une partie de ma vie, j’ai justifié Maurras et réclamé contre la mise à l’index du Chemin de Paradis. Puis, un jour, la vérité m’est apparue [...]. J’ai été obligé de rendre les armes [...]. Aucun livre, jamais, depuis le commencement du monde, n’a été plus sacrilège que ce livre-là. » (Mutualité, 15 juin 1995, La condamnation de l’A. F.).

« Ce jeune homme d’un génie prodigieux [...] enferme, bien cachée, sous une apparence de paganisme serein, la pire des polémiques, la pire des critiques, la plus haineuse des subversions du christianisme. » (Sermon, 1er novembre 1986) Il « s’est juré d’assister à la disparition du christianisme et de recréer un paganisme heureux » (Étude du Chemin de Paradis, Toussaint 1986, PC 33).

Il fallait que ce jeune Maurras soit mené, possédé par quelque démon pour porter aux âmes un tel poison, constate notre Père, qui ajoute : « Imaginez que ce soit un ennemi de l’Église et un ennemi de l’Action française qui ait découvert tout le secret de ces contes jusqu’ici dérobé à la vue des mortels, qui en ait fait un livre... Il faut bien dire que ces contes ont été inspirés par une haine du Christ, non pas une haine-vertige, une haine d’hystérie, mais une haine calculée, une haine attentive aux moindres signes, attentive à sculpter en chaque phrase un sacrilège, un blasphème nouveau [...]. Dieu a permis cela ? En même temps, Il a donné à cet homme la force de contenir ce secret comme dans une chambre forte [...] de travailler au salut de cette nation, de travailler à la contre-révolution et à la contre-réforme universelle, pour que triomphe de nouveau l’Église ! [...] Ce réquisitoire contre le Christ et ce réquisitoire contre l’Église, c’est un esprit de mensonge qui les a inspirés du commencement jusqu’à la fin. » (Sermon, 3 novembre 1986, PC 33) Le jeune Maurras n’avait-il pas annoncé, en 1890, à Mgr Penon qu’il serait un personnage double : « Maintenant, j’avancerai mais masqué, pour ne pas peiner les gens qui sont mes proches, dont je respecte l’âme et la conviction. »

Quel amas de contradictions, dans un même homme, portées à leur paroxysme ! Notre Père réussit à l’éclairer en dévoilant le sens profond du conte de la bonne mort et en l’appliquant à Maurras lui-même :

« Cette âme païenne va dire à Dieu : “ Nous allons faire un marché ; vous me laissez libre d’être un parfait païen et d’instruire le monde de mon paganisme [...]. En contrepartie, je vous reconnais le droit de me juger à la fin des temps et d’user de miséricorde, selon ce que vous enseignez dans l’Église. ” » Selon ce contrat, Dieu le laissera libre d’être un parfait païen, mais il ne réussira en rien et sera malgré lui un instrument du Règne de Dieu. Et, à la fin, Dieu le sauvera...

« Ainsi s’explique la prophétie du pape Pie X : « Il ne sera plus de ce monde quand il se convertira. » Et ainsi s’explique sa vie absolument contradictoire : Maurras n’a pas fait le mal qu’il voulait faire et il a fait le bien qu’il ne voulait pas faire [...]. Sans quoi, il faudrait dire que Pie X n’a rien compris au mystère de cet homme et que, au contraire, Pie XI a eu raison de le condamner, avec tous ceux qui se déchaînaient avec haine contre lui. » (Sermon, 3 novembre 1986, PC 33)

« Il fallait nous débarrasser d’un homme gênant, il fallait que, à travers l’étude impitoyable de ces neuf contes du Chemin de Paradis, nous chassions ­l’Antéchrist afin que le Christ règne. Là, point de pitié, comme il est dit : “ Amicus Plato, magis amica veritas ”. Nous ne prétendons pas dépasser Maurras, mais quand Maurras s’érige en autre Christ, en autre Sauveur de l’humanité, rêve tout jeune de dominer le monde, de dominer la société pour lui enseigner une nouvelle manière de vivre, une nouvelle morale qui, certes, porte remède à l’idéalisme et au romantisme de son âge, mais qu’il le fasse en excluant le Christ de la vie de l’homme personnel et de l’homme social, cela ne peut être, il fallait que nous réglions son compte à Maurras, qu’il nous pardonne ! Que ses mânes aux Champs-Élysées nous pardonnent cette injure. Il fallait le faire, nous l’avons fait.

« Cela dit, il faut considérer à quel point Maurras fut un maître par ailleurs excellent et nous pouvons reprendre ces mêmes contes et en tirer de nouvelles et grandes richesses ; il suffit de les respirer dans le temple de l’Église catholique, il suffit de les entendre dans le corps et le cœur de l’Église, notre mère. » (Sermon, 3 novembre 1986, PC 33)

« En 1898, Maurras tourne la page, il laisse tout cela, mais il le laisse au fond de son cœur sans se rétracter. Il ne s’est pas converti [...]. Il lui aurait suffi de dire que tout cela, c’étaient des folies de jeunesse et, s’en confessant, cela disparaissait en une minute. Il ne l’a jamais voulu. Quand ses ennemis dénoncent ses blasphèmes de jeunesse, il esquive le coup en arguties apaisantes, mais ne les rétracte jamais. Il ne s’est jamais rétracté, du moins dans ces années. » (Conférence : Histoire volontaire de sainte France, 1900, F 28, 1992-1993) Pour poursuivre l’œuvre d’Action française, il fallait qu’il dissimule qu’il était toujours dans les mêmes sentiments.

Dès le début, le jeune abbé de Nantes avait osé poser la question à son Maître : « “ Vous êtes anti-chrétien et vous faites l’éloge de la religion catholique. Quand on vous demande raison de votre anti-christianisme, vous dites que cela n’atteint absolument pas la religion catholique parce que le Christ contre lequel vous en avez, c’est le bizarre Jésus romantique et saint-simonien, le Jésus contre lequel vous en avez, vous dites que c’est le Jésus protestant, mais enfin, c’est le Jésus historique, oui ou non ? ” Il ne m’a pas répondu...

« Si c’est le Jésus historique, Maurras blasphème Jésus, et il se disculpe en disant que c’est le Jésus protestant, mais nous, l’Église catholique, nous sommes fondés par le Jésus historique, et s’il insulte le Jésus historique, il insulte l’Église catholique ! On ne peut pas faire la louange de l’Église catholique en disant qu’elle a eu l’immense mérite d’ôter le venin du Magnificat ! [...]

« En toute vérité, je ne peux édulcorer, passer outre les blasphèmes comme l’ont fait nos pères [...]. Ils pensaient que Maurras les avait rétractés. Ils pensaient que la politique maurrassienne n’avait aucun rapport avec ces blasphèmes. Mais si cet homme a blasphémé Jésus-Christ et l’a contre- distingué de l’Église catholique [...], sa restauration monarchique n’avait plus rien de chrétien [...]. Il en ressort une politique qui est absolument étrangère à la religion catholique. Dans son Enquête sur la monarchie, il n’y a pas un mot de Jésus-Christ, il n’y a pas un mot de Dieu, il n’y a pas un mot de religion. » (Conférence à la Permanence, 8 octobre 1992)

« C’est très difficile, à quelqu’un d’Action fran­çaise, de continuer à dire que Maurras a été le sauveur de la France, que toute sa théorie politique est juste, et en même temps de soutenir qu’il est toujours resté dans son incroyance du début comme dominé par un diable en lui-même, parce que je suppose qu’il en souffrait. C’est malgré lui, Maurras c’était comme ça.

« Alors c’est là que j’ose trancher en disant que ce qui est orthodromique, c’est Pie X ne condamnant pas ces bouquins pourtant condamnables, parce que cela desservira ceux qui en France luttent pour l’Église catholique. Et Pie XI faisant le contraire. En fait, c’était la politique de Maurras qui gênait la politique de Pie XI et donc je continue à être contre Pie XI. Mais quand je vois des maurrassiens qui sont absolument agnostiques qui se font gloire de ne pas croire en Jésus-Christ et prétendent que c’est l’héritage de Maurras... » (Conférence à la Permanence, 8 octobre 1992)

D’où cette question qui reste tragique jusqu’à aujourd’hui et elle n’est pas encore résolue :

« ­Fallait-il condamner Maurras ? Fallait-il laisser Maurras développer son Action française, lui-même restant ce païen qu’il avait toujours été ? Que fallait-il faire ? » (L’A. F. et la démocratie chrétienne, avril 1993, F 33)

FALLAIT-IL CONDAMNER MAURRAS ?

« On n’est pas sortis du débat instauré sous Pie X entre les gens de l’Action française et les ­démocrates-chrétiens. Ma vocation a été d’en faire sortir l’Église. Du moins, je m’y suis appliqué... Je n’ai cessé de travailler Maurras, je le connais par cœur, et j’ai ma solution, mais c’est très difficile. (Conférence à la Permanence, 8 octobre 1992)

« J’ai cherché la vérité sur ce point douloureux, j’ai fait des quantités de conférences et je crois que maintenant je suis arrivé à ce que je pense être la vérité définitive [...].

« Ce qu’il faut bien voir quand on étudie l’histoire, c’est le mouvement des idées : Maurras a injurié le Christ en 1894, mais cela ne produira son effet comme une bombe à retardement que dix ou quinze ans plus tard (sous Pie X), et cela produira son effet de déflagration totale trente ans plus tard (1926 : condamnation de l’A. F. par Pie XI).

« Maurras dont nous faisons un maître de la pensée française, la grande pensée politique de notre vingtième siècle, a rapporté d’Athènes une leçon publique : il faut revenir à la monarchie, et une leçon secrète : il faut détruire le christianisme. Voilà le problème du vingtième siècle. » (L’A. F. et la démocratie chrétienne, avril 1993, F 33)

Résolu à anéantir le christianisme et nous ramener à la sagesse païenne, Maurras publie dans Anthinéa sa page sur le Choros. Ce texte « a véritablement bouleversé les prêtres qui l’ont lu, blessé les cœurs sacerdotaux » :

« Par le Christ, la mort de cette civilisation est venue, les ténèbres se sont répandues sur le monde, mais le retour des choses, Koros, la danse perpétuelle de l’univers fait que ce qui est mort renaîtra et que ce qui est vainqueur disparaîtra, et rien ne résiste à la volonté tendue d’un esprit préparé et fort. »

Les abbés-démocrates s’en saisissent pour arrêter l’élan de la jeune Action française [...]. Laberthonnière, moderniste, démocrate avait une haine de Maurras, parce qu’il n’était pas démocrate, parce qu’il n’était pas moderniste ; mais c’était un saint prêtre. Il était démocrate, c’était absurde ; il était moderniste, c’était le fait de sa pensée, mais enfin il aimait Jésus-Christ, et ne pouvait pas supporter la haine qu’il sentait pour Jésus-Christ chez Maurras. » (L’A. F. et la démocratie chrétienne, avril 1993, F 33)

« Que pouvait-on répondre à ça ? Pie X nous sort de l’impasse, en 1908. Il répond : Damnabiles – et maintenant je donne à ce mot toute sa force. Pie X, écœuré de ces blasphèmes, ne peut pas supporter de lire dans un livre qui lui était recommandé par ses meilleurs prêtres des blasphèmes de ce genre : damnabiles, ils sont condamnables, sed non damnandos, mais il ne faut pas les condamner. Pourquoi ? Parce que c’est le meilleur défenseur de la France que Pie X aime et veut restaurer dans sa gloire, de la monarchie. Pie X va prophétiser le retour de la France à sa grande vocation [...]. Si Pie X n’avait pas été là, si Léon XIII avait vécu plus longtemps, si on avait eu comme successeur un autre Pape démocrate, la France était perdue (L’A. F. et la démocratie chrétienne, avril 1993, F 33).

« Damnabiles sed non damnandos », c’est vraiment le plus beau jugement jamais rendu dans un Palais de Justice. » (Mutualité, 15 juin 1995, La condamnation de l’Action ­française)

FALLAIT-IL CONDAMNER L’ACTION FRANÇAISE ?

« Trois chefs d’accusation : son fondateur et son chef était païen, c’est Maurras ; sa politique était naturaliste, son action était immorale.

« C’est vrai ? c’est faux ? Je me suis battu moi-même contre moi-même toute ma vie, allant d’un parti à l’autre. Je peux en parler, je suis d’Action française, je suis catholique et je crois être arrivé maintenant à soupeser d’une manière équitable les responsabilités, les torts des uns et des autres.

« La première bataille entre l’A. F. et l’Église a eu lieu entre 1900 et 1914 ; elle est absolument décisive pour nous faire choisir notre parti. Elle s’est terminée grâce à saint Pie X. La deuxième bataille, c’est après la guerre. » (Conférence à la Mutualité, 15 juin 1995, La condamnation de l’Action ­française) Le temps de l’enfance de Georges de Nantes né le 3 avril 1924, l’année de la victoire du cartel des Gauches.

« Quand j’étais enfant, on me disait : Maurras n’a pas la foi, Maurras, c’est le Sauveur de la France. Oui, mais, disait papa, il faut la grâce pour avoir la foi ; et papa emboîtait le pas à tous les théologiens de l’A. F. qui se faisaient une religion “ fausse ”, en disant que Maurras n’a pas la grâce, on ne peut pas lui reprocher de ne pas croire en Dieu [...]. Pendant ce temps, la France est tombée dans le laïcisme. » (Sermon, 7 novembre 1999)

« Maurras ne croit pas en Dieu. Mais savoir que Dieu existe n’est pas une question ! Vous n’avez qu’à lire les 150 Points : l’existence de Dieu est non seulement une démonstration philosophique, mais c’est une intuition naturelle ! Nous sommes certains que Dieu existe. On ne peut pas dire que Dieu n’existe pas sans pécher. Maurras s’est acharné dans cet “ agnosticisme ” et l’a proclamé dans des termes injurieux [...].

« Mais, il fallait attaquer cette fois, non pas Maurras, mais l’Action française elle-même. Le Pape a choisi de l’attaquer sur un sujet nouveau qui avait été difficilement abordé par les curés démocrates qui, eux-mêmes, étaient très fautifs sur ce sujet-là et qui est un sujet difficile à trancher : c’est le naturalisme.

« L’Action française est naturaliste, c’est-à-dire qu’elle n’aligne pas sa politique avec la morale chrétienne, parce que quand on ne croit pas en Dieu, quand on ne croit pas en Jésus-Christ, on ne peut pas faire appel à la foi, aux lumières surnaturelles que l’Église a reçues de son Fondateur, Jésus-Christ [...]. On va faire une politique, mais empirique, à la suite de tous les positivistes du dix-neuvième siècle [...]. Cet empirisme organisateur a produit une œuvre magnifique, à savoir que, pendant cinquante ans, l’Action française a été le maître à penser, la lumière pour toute la France et même au-delà de la France, tellement la politique de Maurras était, je n’ose pas dire divine, mais cela mériterait presque ce qualificatif [...]. Les théologiens lâchés par Pie XI contre l’Action française ont commencé à remuer ce problème des rapports entre la nature et la surnature, dont on ne pouvait pas sortir [...]. Il aurait fallu répondre : Maurras, sa politique ? Elle est toujours pratiquement en accord avec notre foi catholique !

« Mais à partir du moment où on disait : “ On n’a pas besoin de la foi ”, on était justiciable des condamnations de l’Église. » (Conférence à la Mutualité, 15 juin 1995, La condamnation de l’A. F.)

« Maurras a bien démontré que la politique c’est une science, c’est comme la géométrie, c’est une science et une physique sociale [...]. Cela nous a été très pernicieux, car il a fait ce qu’il appelle une politique naturelle et c’est vrai qu’il a trouvé des lois essentielles de la vie politique, mais la lumière surnaturelle, toute l’innervation de la politique française par la sainteté, le Sacre de Reims, pas un mot ! » (Conférence à la Permanence, 8 octobre 1992) À Aspects de la France, tous disaient : « On fait de la politique, on fait “ le salut de la France qui est le principe premier de toute notre réflexion. ” Il ne reste plus que la politique, qu’une politique stérilisée, mais la religion, notre religion à nous n’avait plus sa place [...]. Le principe premier de toute notre réflexion, c’est mettre la France à la place de Jésus-Christ. Et aussi c’est perdre les lumières surnaturelles très nécessaires pour faire une juste politique. » (Conférence à la Permanence, 11 mars 1993)

« L’Action française s’est durcie et s’est persuadée qu’il n’y avait qu’une question politique. Elle s’est fait une conscience vierge à trop bon prix. Quand on est catholique et qu’on suit un maître qui a horreur de Jésus-Christ, c’est vrai que c’est difficile et que Dieu ne donne pas ses grâces. » (Conférence à la Mutualité, 14 décembre 1995)

« Je suis prêt à quitter Maurras dans la mesure où son laïcisme, son naturalisme font obstacle au règne du Christ et de sa Sainte Mère. Je suis prêt à le faire dans la mesure où j’y serai obligé, parce que, entre Jésus-Christ et Maurras, mon choix est fait et il ne peut y avoir de salut de l’Église, de la France, de nos âmes que dans l’obéissance au Sacré-Cœur et le Sacré-Cœur ne veut pas de la démocratie ; mais il ne veut pas non plus un retour au paganisme et au naturalisme anciens. » (Sermon des vêpres, 2 juillet 1995)

« Nous sommes obligés, je le dis chaque fois avec chagrin et avec crainte et tremblement, obligés de donner tort à Maurras et à l’Action française, à cause de leur naturalisme. Ils vont bien à la messe s’ils sont catholiques, avec beaucoup de piété, mais quand ils font de la politique, ils oublient tout cela, pour faire de l’empirisme organisateur [...].

« Penser que ce mouvement, qui a eu tellement de dévouement pour la patrie pendant cinquante ans (on peut même dire quatre-vingt-dix ans puisqu’il a commencé en 1900) est sans fruit ! Pourquoi sans fruit ? Parce que Dieu n’y était pas. Il était là, mais dans le tiroir. Dieu n’est pas fait pour être mis dans le tiroir. » (Sermon, 6 novembre 1997)

CONSÉQUENCES ET RETOURS SUR DES “ FORMULES ASEPTISÉES ”.

« Souvent j’ai pensé que toutes ces formules de Maurras, et à l’emporte-pièce, étaient aseptisées pour devenir précisément des formules qu’on apprend en camp entre étudiants ; c’est clair, on devient tous maurrassiens [...]. Mais en creusant un peu, ces fameux slogans ne sont pas seulement neutres, mais ils sont vicieux. Et le compromis nationaliste c’est la bonne manière de faire disparaître les forces catholiques. » (Conférence à la Permanence, 1993)

Notre Père discernait bien : « Les poilus avaient un amour de la France que nous n’avons plus. Je comprends pourquoi Maurras, à ce moment-là, disait qu’il fallait un compromis nationaliste, à savoir que, par-dessus toutes leurs différences, catholiques, protestants, francs-maçons, les Français avaient en commun l’amour de la France. À cette époque, c’était vrai. Maurras le disait, les poilus l’ont prouvé. » (Sermon, 20 novembre 1994)

Mais en définitive : « Les meilleurs de nos contemporains ont commencé par faire ce qu’il ne faut pas faire : un compromis nationaliste avec les gens qui croient et ceux qui ne croient pas. On étudie le relèvement de la patrie, la restauration de la monarchie sans qu’il soit question de la Sainte Vierge, de Jésus-Christ, pour ne troubler personne, juste un coup de chapeau à l’Église comme un instrument de la restauration nationale, du redressement français, mais sans le moindre besoin de croire au mystère du Christ, fondateur de l’Église. On s’est trompé dès le point de départ. » (Congrès-Toussaint 1995)

« C’est la leçon saisissante de la vraie Jeanne d’Arc qui m’a donné le courage de rompre une fidélité de toujours avec la pensée de Maurras “ agnostique ”, et avec un combat d’A. F. d’où la foi en Jésus-Christ était exclue au prétexte d’un nécessaire “ compromis nationaliste ” et d’un “ Politique d’abord ” qu’aura abominé Jeanne d’Arc jusque dans la pensée des conseillers du roi et de Charles VII lui-même. » (CRC n° 322, mai 1996)

La raison de l’échec n’est plus alors imputable au « guignon français ».

« Depuis 1880, 1890, vraiment, nous ratons tout. C’est tellement vrai que je me suis rappelé que Charles Maurras avait écrit un livre qu’il avait appelé Le guignon français. Maurras appelait cela le guignon français. Il montrait qu’on avait raté toutes nos chances. » (Sermon, 22 novembre 1992)

« Ce n’est pas un guignon, c’est une manière de penser d’un homme qui n’a pas la foi. Maurras n’avait pas la foi. Ce n’est pas un guignon, c’est que les Français sont menés par des pasteurs qui sont républicains, qui sont démocrates, qui ne veulent pas du retour à l’ancienne société dont Dieu était le chef, même nos évêques ! Léon XIII nous a ralliés à la République, au pouvoir de l’homme, au culte, à la liberté de l’homme. » (Sermon, 1er janvier 1994)

Maurras a bien démontré que la démocratie était absurde, mais il fallait ajouter qu’elle était impie. « Voilà pourquoi notre France rongée par la démocratie ne peut recevoir les grâces dont le Cœur de Jésus déborde. » (Sermon, 9 juin 1991)

« De plus en plus, je pense que dans l’analyse de Maurras, il y avait une lacune telle que Maurras n’a rien produit. Pourquoi ? Parce que Maurras a fait la démonstration de l’absurdité de la démocratie, système aberrant, comme une géométrie peut être aberrante. Il avait absolument raison ; et pourtant cela n’a pas converti un seul Français, parce qu’il s’est contenté de remplacer un système par un autre, méconnaissant que cette République est une antireligion, un régime de Satan [...]. Maurras dit bien que la République est absurde, c’est évident. Mais ce système est beaucoup plus, il est impie [...].

« Vous voyez à quel point dans cette perspective le culte du Sacré-Cœur et le culte du Cœur Immaculé de Marie trouvent leur place. » (Sermon, 14 juillet 1993)

« Maurras a échoué et, cependant, d’échec en échec il a toujours conservé l’espérance. Il a dit “ Tout désespoir en politique est une sottise absolue ” ; admirable formule, mais ce n’est qu’une formule. » (Sermon, 30 janvier 1985)

« Je ne dirai plus jamais la parole de cet incroyant de Maurras : En politique, le désespoir est une sottise absolue. Ce n’est pas vrai ! [...]. C’est un mot optimiste d’un nationaliste qui voulait, par les seules forces de l’homme, sauver la France. Il ne l’a pas sauvée, elle se perd. En politique, dans les affaires familiales, dans la vie économique, le désespoir aujourd’hui, c’est la conclusion normale d’une étude scientifique de la situation où nous sommes [...]. Alors, on se tourne vers Dieu et on reçoit de Dieu une force, dont Dieu est le seul objet, le seul garant. C’est Dieu qui nous donne de croire encore aux promesses de Fatima, aux promesses de Jésus-Christ. » (Sermon, 20 janvier 1995)

RELECTURES DÉSENCHANTÉES.

À la lumière de toutes ces découvertes, notre Père revisita la Préface de Maurras au livre de Xavier Vallat, Le nez de Cléopâtre. Il y trouva la confirmation de ses analyses et la légitimité du futur Mouvement Freppel.

« Les fondateurs de l’Action française, fils de républicains, de révolutionnaires, et autres, se sont groupés sur une certaine base commune : “ la ferveur de leur foi française et leur notion équilibrée de l’intérêt politique français ”. Ces textes, je les ai pratiqués pendant cinquante ans, j’ai cru à cela jusqu’au jour où je me suis dit : qu’est-ce qu’une foi française ? [...]

« On a enfin compris avec l’Action française qu’il fallait travailler la politique avec sa raison et non pas avec sa foi. Oh ! oh ! comment vous dites ? Oui, avec sa raison et non pas avec sa foi. J’ai avalé cela pendant quarante ans, aujourd’hui je le dégurgite. La foi nous arrête, avec la raison on peut inventer n’importe quoi. » Et si Maurras cite “ le grand Sainte-Beuve ”, affirmant que “ la France est le premier et le plus sacré des principes ”, notre Père repartit : « Non, Monsieur. Si à l’âge de seize ans j’avais réfléchi comme je réfléchis aujourd’hui, lisant les premières œuvres de Maurras, je ne me serais pas fait tellement enthousiaste. Comment, la France est le premier et le plus sacré des principes ? Non, c’est la religion ! Qu’est-ce que la France en dehors de la religion catholique ? C’est la barbarie. Donc ce n’est pas le premier principe, c’est le second [...]. Ayant dit cela, Maurras a créé un système nouveau, un système aberrant qui est un système de droite areligieux [...].

« La vue de Sainte-Beuve n’est qu’un rationalisme, un naturalisme, un laïcisme politique. L’esprit de Maurras, à ce moment-là, en 1944, n’a pas bougé d’un millimètre, c’est un esprit laïc. »

Alors que Xavier Vallat, Blanc du Midi, appuie sa politique sur sa foi catholique, Maurras « quand il veut faire de la politique un peu fondée sur quelque chose, a deux instincts qui le mènent. Il y a dégradation de la certitude [...]. “ L’Action française est née de ma réflexion sur mes instincts, un instinct qui me fait aimer passionnément la France, et un instinct qui me fait haïr passionnément l’Allemagne avec son christianisme, son idée d’infini, ” etc. [...] Il n’a pas à faire allégeance à cette tradition légitimiste. Il est un commencement absolu, et il faut que toute la France reparte d’un pied nouveau, sur le commandement de Maurras [...]. Il cite Freppel et il passe.

« Nous, nous nous y arrêtons et nous constatons que Maurras n’avait rien inventé, que Freppel avait déjà tout découvert, sauf que Freppel mettait tout cela en union avec sa foi catholique immémoriale. Maurras le met à côté de cette religion catholique jusqu’à lui prendre tous ses trésors, par exemple Jeanne d’Arc, qui n’est plus du tout celle qui est garante de l’aide de Dieu à la France, mais qui est “ la ” précurseur de Maurras, ayant compris que si l’on veut sauver la France, il faut d’abord faire le Roi. Maurras retrouve la juste idée de la monarchie, non du côté de la sacristie, mais en passant par l’école laïque. »

« Je tourne la page et je vois l’éloge de la CRC ! textuel ! Maurras a fait l’éloge de la CRC, parce qu’elle n’existait pas, mais du jour où elle existait, il a considéré que c’était le pire ennemi de son œuvre. “ Ce n’est point pour le plaisir d’une démonstration que se sont trouvés rapprochées dans le premier Centre allemand la religion, l’autonomie des États secondaires, les fidélités dynastiques, et, dans l’ancienne Union conservatrice française le monarchisme, le patriotisme, le catholicisme, inscrits de fondation sur le même programme, parce que dérivés d’une même source historique ”, non seulement historique ; qui remonte à Clovis et qui passe par Jeanne d’Arc, mais d’une même source révélée parce que c’est notre sainte religion qui a créé cette politique, héritée des Romains et transfigurée par la grâce [...]. Ce sont nos 150 Points qui tous se tiennent l’un à l’autre [...]. “ Qui en cédait un, découvrait tous les autres. ” Et Maurras donc, en cédant sur la religion, en disant que nous ne discuterons pas de religion chez nous, que ça n’a pas cours, ce qui importe c’est “ la foi en la France ”, il divisait. Ce qu’il condamne là, il le faisait.

« Maurras termine : “ Mais l’espérance de la monarchie française est invincible. Ce sera pour la prochaine génération : Vive Henri VI ! ” L’espérance de la monarchie française invincible ? Jeanne d’Arc prouve que non. Que valait le gentil Dauphin sans Jeanne d’Arc ? Il faut que les gens d’Action française se convertissent, ou bien c’est la fin de la France. Nous leur tendons la main une dernière fois. ” » (Mouvement Freppel – Mutualité 12 mai 1996, L 96)

En cette même année 1996, notre Père étudiait la théologie de Duns Scot et citait le bienheureux : « L’Être infini est le plus parfait concept que nous ayons de Dieu ».

Or, « Dès la Préface de son Chemin de Paradis, en 1895, prenant occasion de je ne sais quelle “ astrologie de l’infini ”, le jeune Martégal s’indignait : “ J’ai surtout en horreur ces derniers Allemands (du Zentrum !). L’Infini ! comme ils disent. Le sentiment de l’Infini ! Rien que ces sons absurdes et ces formes honteuses devraient induire à rétablir la belle notion du fini [...]. Définitions certaines, comme chantèrent nos poètes, et justes confins hors desquels s’étend un obscène chaos. ” (p. XII-XIII) [...]

« Jeune prêtre et disciple de Maurras en même temps que d’Aristote, j’ai fait chorus avec l’un et avec l’autre dans leur culte de l’ordre, de la perfection de la nature et de la raison, contre “ les sons absurdes et les formes honteuses ” de l’infini d’en bas. Pour mieux en distinguer, pour mieux leur opposer notre Dieu, seul indemne de la critique maurrassienne, l’infiniment Parfait reconnu par saint Thomas. Il ne me restait qu’à en convaincre mon Maître et qu’il se convertisse ! J’attribuais mon échec à ma jeunesse et à mon insuffisance.

« Aujourd’hui, sans moins aimer et aider l’ordre et la sage vertu des âmes et des cités, toujours animé de la même horreur de l’infini d’en bas, honte des “ trois R ”, Réforme, Romantisme et Révolution, j’ai appris du bienheureux Jean Duns à soumettre toutes mes pensées aux révélations de notre grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ, dans l’infini de sa Sainteté et de sa Gloire. Et dans cette lumière nouvelle, j’ai ressenti l’horreur inaperçue de ce savant blasphème : le néo-païen de notre âge, distinguant parfaitement l’infini d’en bas, tout opposé à l’ordre humain, de l’Infini d’en haut, Celui qu’adorent les chrétiens, le jetait aux ordures sous le nom odieux d’ “ obscène chaos ”, hélas !

Que devait penser l’Infinie Puissance et l’Infinie Bonté qui règne dans les Cieux comme aussi dans tous les tabernacles de la terre ? Qu’il lui fallait au moins surseoir dans la réalisation de ses Promesses de restauration catholique, royale et communautaire, jusqu’à ce que ces orgueilleux Français se convertissent en vrais catholiques et en vrais chrétiens. Nous avons assez payé par cinquante et encore cinquante années de misères et de ruines le blasphème de 1895, pour le jeter, lui-même et non l’Évangile, dans l’obscène chaos des infernaux paluds. » (CRC n° 320, Dieu, l’infinie liberté de l’amour. Duns Scot)

Ainsi Charles Maurras est-il volontairement demeuré dans son culte de la Raison grecque, vue par Aristote, revue par saint Thomas, qu’il opposait à toute démesure, à tout “ infini ” des choses, des passions et des pensées... et de Dieu même. « Ce besoin de comprendre pour croire », qu’exprime Charles Maurras dans son émouvante “ Prière de la fin ”, en plaidoyer pour son incrédulité, n’a-t-il pas trouvé chez nos thomistes contemporains une oreille trop bienveillante ? » demandait notre Père dans cette CRC n° 320. Alors qu’il ne s’agit pas de raisonner, de comprendre pour croire, mais selon l’adage de saint Anselme de « croire pour comprendre » (Il est ressuscité n° 136).

PROPHÉTIES DE SAINT PIE X.

Réticent devant “ le mythe tentateur ” (Lettre à Pierre Boutang, février 1951), Maurras n’entendit-il pas à la fin “ quelqu’un venir ”, ne s’est-il pas converti, endormi « entre les bras de l’espérance et de l’amour » ? Mais où est la foi ? elle demeure absente, constate notre Père. Le chanoine Cormier qui l’assista n’a jamais dit lui avoir donné la sainte communion.

La seule lumière vient de saint Pie X, déclarant à Camille Bellaigue : « Il ne sera plus de ce monde quand il se convertira. » Comment cela ?

Je pense que, jusqu’au dernier instant de sa vie, cette part révoltée de lui-même, cette part haineuse il faut le dire, indomptée, cette haine indomptée, cet esprit de blasphème et de sacrilège, cet esprit anti-Christ, il n’en a pas été le maître ; à peine a-t-il pu l’enfermer, le garder dans son secret. Mais le chasser de lui-même... il faut en croire la prophétie de saint Pie X : « Il ne sera plus de ce monde quand il se convertira. » J’imagine que, au-delà des horizons humains, comme je l’ai imaginé dans une de mes Pages mystiques (Salve Regina, n° 75, mars 1975), les âmes passent devant une sorte de grotte de Lourdes et que, sur ce chemin qui les mène à leur jugement devant Dieu, elles rencontrent la bienveillante figure de la Vierge Marie. Imaginez ce rendez-vous mystique ! À cette vision maternelle, le cœur de Maurras a dû frémir et se retourner et, en un immense mouvement de conversion, il a dû accepter tout le plan merveilleux de Dieu, les humiliations du Christ, ses abaissements et sa Croix, croire en sa Résurrection, se précipiter aux pieds de cette Mère généreuse, implorer son pardon. » (Sermon des vêpres, 2 novembre 1986)

Une autre prophétie de saint Pie X, adressée à madame Maurras, conclura notre étude : « Son œuvre aboutira ».

Oui, cette Action française sacralisée aboutit, mais dans le Mouvement Freppel, la Phalange de l’Immaculée.

« Dans l’angoisse où nous sommes, il n’y a qu’une chose. Ce n’est pas le primat de la politique, ce n’est pas le politique d’abord, ni économie d’abord, ni science et philosophie. C’est d’abord la prière à Marie. » (Congrès-Toussaint 1995)

« Nous pouvons dire que nous avons tourné le dos à l’empirisme maurrassien dans ce qu’il a de positiviste, du jour où nous avons découvert l’orthodromie de l’histoire de France, l’orthodromie générale de l’Histoire sainte. Il faut d’abord que le monde se convertisse [...]. C’est la lumière de Fatima, le dernier mot de la prophétie du 13 juillet 1917, c’est cette petite lumière brillant dans les ténèbres qui, peu à peu, a envahi notre ciel et nous nous sommes rendu compte que si Fatima avait eu lieu, c’était pour dire aux hommes qu’une nouvelle ère allait commencer ; une nouvelle ère où l’Église serait contrainte de se repentir des erreurs de tous ses membres, du Pape jusqu’au dernier, et que la consécration au Cœur Immaculé de Marie, obtenant des miracles, donnerait au monde entier la dévotion de l’Unique Cœur de Jésus et Marie.

« Maintenant, nous savons : l’étoile d’aujourd’hui, c’est Fatima, l’Étoile, c’est la Vierge Marie qui nous montre le chemin. » (Sermon, 6 janvier 1990)

frère Bruno de Jésus-Marie