Il est ressuscité !
N° 219 – Mars 2021
Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard
La vérité de Pontmain
LA VERITE DE PONTMAIN
NOTRE article “ La Vierge Marie, Régente de France pendant la guerre de 1870 ”, paru le mois dernier dans le numéro 218, a suscité plusieurs réactions parmi nos lecteurs. Nous en publions ici deux, l’une enthousiaste, l’autre critique.
NOTRE-DAME STRATÈGE !
« Les frères de l’atelier vidéo ont réalisé une remarquable illustration qui renforce bien votre démonstration, car outre l’intervention de la Sainte Vierge, l’héroïsme des Zouaves, il y a cet épouvantable contexte d’un Empire miné par la révolution et le parlementarisme républicain, et de cet empereur qui pour être lamentable n’en a pas été moins impie. Et tant de médiocres personnages pourris d’orgueil, d’ambition, et donc sans intelligence, mis à part quelques exceptions. La République, autrement dit la Révolution, est coriace comme une bête d’Apocalypse qui renaît de ses cendres, et toujours pour plonger la France dans la défaite militaire, l’abaissement, l’impiété. Mais la IIIe a fait fort : 1870, 1914, 1940...
« J’ai bien aimé l’intervention du général L., car c’est la leçon forte qui se dégage de votre conférence. C’est la Sainte Vierge qui dominait de haut, d’une manière divine et surnaturelle, tous ces événements avec la collaboration de ses nombreux enfants suppliants, priants, et celle du “ petit reste ” de ses soldats catholiques. J’ai mieux compris pourquoi il convenait, d’une convenance mystique, que la Sainte Vierge agisse ainsi, de haut, n’apparaissant qu’au-dessus d’une terre très chrétienne, très sainte, et non pas au milieu de ce désordre, de cette confusion, conséquence d’une guerre déclarée et dirigée par des impies et des incapables... Elle aurait semblé cautionner ce régime, et c’était impossible.
« Si Elle est intervenue en première ligne en Chine lors de la bataille du Pétang ou au Canada lors de la bataille de la Monongahela, pour donner la victoire, c’est parce que la cause était sainte, et les hommes qui la défendaient aussi, ou du moins sans ce summum de l’orgueil qu’est l’impiété... Mais comme c’est touchant, et tellement encourageant pour nous aujourd’hui, de voir la Très Sainte Vierge si sensible aux prières, aux sentiments du cœur de ses enfants, qu’il s’agisse du saint curé de Pontmain, des trente-huit soldats de Pontmain revenus sains et saufs, ou de Verthamon, ou encore de ce cher Sonis, car pour ce héros chrétien, elle est vraiment descendue sur terre afin de le protéger et de le consoler... »
Nous remercions notre correspondant de ce rapprochement éclairant avec les deux interventions de Notre-Dame « forte comme une armée rangée en bataille », en Chine et en Nouvelle-France. Quant au second lecteur, il ne laisse pas de marquer sa surprise :
« UNE DAME NOUS DÉFEND D’AVANCER. »
« Dans l’article du mois dernier, la Vierge Marie Régente de France, nous avons tous été saisis par le mystère de cette horrible guerre, de laquelle émergent des victimes tellement aimables, qu’elles lui ont mérité du Ciel la Victoire de l’Immaculée ! Une petite phrase pourtant nous a particulièrement interpellés : “ Une chose est historiquement indéniable : la Sainte Vierge fut la première à l’annoncer aux Français. ” Il est vrai que c’est l’opinion commune des historiens actuels sur le sujet.
« Mais il faut savoir que les premiers récits des événements de Pontmain mentionnent tous une seconde apparition de la Sainte Vierge dans le ciel du champ de bataille, à deux kilomètres à l’est de Laval, qui stoppa net les Prussiens le soir du 17 janvier, vers cinq heures et demie. Voici ces témoignages, ratifiés par l’ordinaire du lieu, Mgr Wicart :
« On lit dans la Semaine religieuse de Laval du 25 janvier 1873 : “ Les habitants... étaient étonnés de voir nos arrogants vainqueurs fuir comme épouvantés devant une force invisible et répéter souvent : Impossible de prendre Laval, une grande Dame la défend. Nous pouvons garantir l’authenticité de ces paroles entendues par des centaines de témoins. ”
[Les deux “ témoignages ” suivants, avancés par notre correspondant, sont de moindre importance, nous passons directement au dernier :]
« La lettre d’un officier français anonyme, qui répond à la demande des chapelains de Pontmain de leur faire connaître la situation des armées allemandes, le 17 janvier 1871 au soir : “ Mon Révérend Père,... vous allez pouvoir vous convaincre que, depuis l’heure précise où Marie est apparue au-dessus de votre sol mayennais, les Allemands n’ont pas fait un pas en avant. Ils ont bien dit : Une Madone garde ce pays et nous défend d’avancer, etc. ”
« Il est difficile de remonter aux premiers témoignages, d’une part parce que les témoins sont des Prussiens protestants, d’autre part parce que le Journal du grand État-major allemand ne pouvait guère inscrire un tel témoignage dans ses annales : le Prussien tout-puissant repoussé par... une Femme ! Le général Chanzy lui-même déclara le repli allemand “ inexplicable ”. Reste à savoir si ces témoignages ont été réfutés et si l’autorité ecclésiastique en a tenu compte. En cas contraire, nous demandons à nos modernes historiens la raison de leur silence sur ces témoignages.
« Car enfin il faut bien savoir si l’Immaculée est descendue au-dessus du champ de bataille de Saint-Mélaine, volant au secours de ses soldats héroïques, épuisés mais fidèles, avant d’aller l’annoncer à son petit peuple, non moins héroïque, mené par le saint abbé Guérin. Chacun recevant sa récompense selon sa vocation, ses prières suppliantes, et la Bonté généreuse de Notre-Dame ! Car vraiment en ce soir du 17 janvier 1871, notre Reine se montra si bonne française, prenant la tête des opérations militaires comme Jeanne d’Arc jadis, quand tout semblait perdu. Elle parut, et l’ennemi s’enfuit ! Qu’il nous soit donné de vivre de telles heures, pour le triomphe du Cœur Immaculé de Marie, notre sainte Espérance ! »
NOTRE RÉPONSE.
Nous remercions notre lecteur “ enthousiastic ” de nous permettre de faire le point sur cette légende, qui a bonne presse dans nos milieux traditionalistes. Même l’excellent ouvrage, “ Notre Reine, son Amour, sa Sagesse, sa Puissance ” (1926), fait état de cette parole pour le moins surprenante dans la bouche des Prussiens, mais sans indiquer ses sources. Qui l’aurait prononcée ? Les premiers auteurs qui la rapportent, l’attribuent, soit au commandant en chef de l’armée allemande (Moltke !), au prince Frédéric-Charles, commandant la 2e armée, au général Voigts-Rhetz, chef du 10e corps allemand, stationné au Mans, enfin au général von Schmidt, commandant le détachement du 10e corps, chargé de surveiller l’armée de Chanzy en retraite. En réalité, on n’en sait rien, aucune source allemande ne permet d’en établir l’authenticité.
Et du côté français ? « Les premiers récits des événements de Pontmain mentionnent tous une seconde apparition de la Sainte Vierge... » Non ! Pour s’en tenir aux seuls récits officiels, ni la Notice de l’abbé Richard sur “ l’Événement de Pontmain ”, dont la première édition parut le 22 mars 1871, ni le Mandement de Mgr Wicart, publié le 2 février 1872 au terme d’une enquête rigoureuse, ne parlent d’une telle chose. La première fois qu’une “ apparition ” de la Vierge dont auraient bénéficié les Allemands est évoquée, c’est dans la Semaine religieuse de Laval, du 25 janvier 1873, comme le mentionne notre correspondant. Remarquons que l’article n’est pas signé et ne cite, lui non plus, aucune source à laquelle on puisse se référer. À notre connaissance, il n’existe pas aux Archives diocésaines de Laval ni aux Archives départementales de Mayenne d’éventuelles dépositions de ces « centaines de témoins ». Cette “ manifestation ” de la Vierge sur le champ de bataille n’a fait l’objet d’aucune enquête de la part de Mgr Wicart, pourtant si scrupuleux en la matière, ni d’aucun de ses successeurs. Et pour cause, puisqu’on était dans l’impossibilité de produire aucun témoin direct du fait ! Comment, par conséquent, accorder crédit à une source si peu fiable ?
Autre remarque : dans un premier temps, ceux qui accordaient leur foi à cette “ apparition ” affirmèrent qu’elle coïncidait avec celle de Pontmain. Mais étant donné la distance entre le village et la ligne de front (50 kilomètres), cela manquait de vraisemblance, alors on a inventé une “ seconde apparition ” sur le champ de bataille même, qui aurait “ expliqué ” le recul des armées allemandes.
Après la critique interne, le contexte militaire. « Le général Chanzy lui-même déclara le repli allemand “ inexplicable ”. » En réalité, l’absence de renseignements sur les mouvements de l’ennemi ne lui permit pas de se rendre compte qu’il n’avait plus en face de lui qu’un rideau de troupes. Rappelons brièvement les faits. Au lendemain de la victoire du Mans (12 janvier), la IIe armée allemande reçoit l’ordre du GQG de Versailles de ne pas poursuivre l’armée de Chanzy, qui n’est plus en état d’aller délivrer Paris. Un simple détachement de troupes (moins de 3 000 cavaliers et fantassins), commandé par le général von Schmidt, est chargé de talonner l’armée en retraite. Chanzy réussit à faire passer ses corps d’armée au-delà de la Mayenne. Nous sommes le 17 janvier au soir. Au même moment, von Schmidt reçoit l’ordre de se replier sur Vaiges. Avant d’exécuter l’ordre, il veut tâter la résistance des Français : c’est le combat de Saint-Mélaine du 18 janvier au matin, considéré comme le coup d’arrêt de l’avancée prussienne, et magnifié par Chanzy dans son ouvrage “ La deuxième armée de la Loire ”, paru en août 1871.
Quand on consulte la version allemande des faits, tirée des archives de leur Grand État-Major, corroborée par un témoin direct, écrivant le 27 janvier 1871 dans L’Indépendant de l’Ouest, le journal légitimiste de Mayenne, il s’agit d’une simple escarmouche : quelques coups de canon, une fusillade peu prolongée. Von Schmidt voulait seulement s’assurer, avant d’en rendre compte à ses supérieurs, que l’armée de Chanzy occupait Laval et comptait défendre la ligne de la Mayenne. Concluons : il n’était pas nécessaire, nous semble-t-il, que notre “ Généralissime aux douze étoiles ” descende en personne pour repousser une simple reconnaissance ennemie...
Pontmain attend encore son historien. Tant il est vrai, comme l’écrivait notre Père, que l’ouvrage publié pour le centenaire de l’apparition, sous la direction des abbés Laurentin et Durant, “ Pontmain, Histoire authentique ” (3 vol.) a « puissamment contribué à mettre sous le boisseau le lumineux message délivré par ce dialogue du Ciel avec la terre de France en un temps de grande détresse nationale » (CRC no 320, p. 2). En attendant l’étude décisive, il vaut mieux s’en tenir aux faits attestés et faire nôtre la sage circonspection d’un Mgr Wicart, reprise par Mgr Freppel lors de la bénédiction de la basilique de Pontmain, le 27 juin 1877. La vérité de Pontmain et les leçons de notre Reine n’en brilleront qu’avec plus d’éclat.
frère Thomas de Notre-Dame du Perpétuel Secours.