Il est ressuscité !

N° 230 – Mars 2022

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


Lettre à Mgr Alexandre Joly 
deuxième partie : les livres d’accusation

LA notification du 10 août 1969, puissant acte de diffamation d’Église, mais du fait qu’il était dénué de toute condamnation, fut, paradoxalement, une formidable confirmation du bien-fondé des graves soupçons de l’abbé de Nantes contre le Concile et contre le pape Paul VI. Il revenait dès lors à notre Père de dresser l’acte d’accusation pour engager le souverain pontife à rendre en sa propre cause, un arrêt souverain, infaillible et libérateur, ce qu’il fera à trois reprises sous les pontificats de Paul VI et de Jean-Paul II.

LE PREMIER LIVRE D’ACCUSATION

Après avoir sollicité une audience puis annoncé sa venue à Rome, l’abbé de Nantes se présenta le mardi 10 avril 1973 à la Porte de bronze de la Maison pontificale, accompagné de frères de sa communauté et d’environ soixante amis du mouvement de la Contre-Réforme catholique pour remettre au Saint-Père un livre, un mémoire de cent deux pages rédigé en quelques semaines et qui, au fur et à mesure de sa rédaction, va développer une série d’accusations, logique, implacable, révélant tous les éléments et les connexions d’un système « qui se présente comme la plus dangereuse et la plus subtile des machines de guerre qui n’ait jamais été introduite dans l’Église pour sa ruine ». En voici l’essentiel.

Le pape Paul VI est accusé de poursuivre, en guise de programme pontifical, la chimère de la construction d’un monde nouveau dans lequel la religion serait cantonnée à un simple rôle d’animation spirituelle. Et pour y parvenir il a “ sabré ” l’autorité divine de l’Église et a proclamé « le culte de l’homme ».

Paul VI a imposé de force à l’Église la liberté religieuse, pourtant condamnée définitivement, donc en rupture avec le Magistère de ses prédécesseurs et, cela fait, il s’est abstenu d’exercer son pouvoir législatif, judiciaire et coercitif. Il voulait “ être aimé ” plus qu’obéi, séduire plus que commander, en méconnaissance des droits et des volontés de Jésus-Christ dont il était le Vicaire. Et ce fut sous son pontificat le foisonnement de toutes sortes d’erreurs et de scandales consternants auxquels il ne voulut pas porter remède et dont il fut le complice consentant. Deux exemples sont particulièrement éloquents.

1. Tout d’abord, la scandaleuse affaire du catéchisme hollandais que le pape Paul VI savait être hérétique comme en témoigne la précision des articles du Credo qu’il publia en 1968. Pourtant il ne fit rien pour empêcher la diffusion mondiale de ce prétendu catéchisme et par la faute du Souverain Pontife l’enseignement de la foi a été irrémédiablement corrompu dans toute l’Église.

2. Autre scandale : l’abandon de leur vocation par des milliers de prêtres et de religieux après que le Souverain Pontife eut créé une commission ad hoc le 2 février 1964 et fait savoir qu’il annulerait les vœux de tous ceux qui lui en feraient la demande. En acceptant de délier de leurs vœux dans le bureau de l’officialité diocésaine pour qu’ils puissent se marier le lendemain devant Dieu à l’église avec sa bénédiction d’Époux répudié, mais content, en instaurant ainsi dans le mariage mystique le divorce par consentement mutuel, en imposant à Dieu de s’effacer au profit de l’amour d’une créature, Paul VI s’est fait le plus grand tentateur de ses prêtres... et le puissant complice de la chair... alors que les devoirs de sa charité lui imposaient de dire non, de faire de la peine, de contrarier, de prêcher le renoncement, d’imposer la chasteté.

« La ruine de la morale vient dans l’Église, comme à toutes les époques de décadence, du mariage des prêtres. Mais pour la première fois dans l’histoire, ce fut du consentement, de la complicité, et de la coopération du Vicaire du Christ. » Les scandales de mœurs qui se font jour actuellement au sein même du clergé permettent de mesurer l’étendue des conséquences de ce dévoiement dramatique du célibat des prêtres. La responsabilité personnelle de Paul VI est considérable.

Laissant toutes les erreurs la profaner, Paul VI s’est en même temps rendu coupable d’une révolte contre l’Église en calomniant son passé, en enseignant le mépris de tout son patrimoine. La réforme liturgique de la messe en a été une dramatique illustration. Il a abusivement invoqué le Concile et l’obéissance qui lui était due pour l’imposer, en réalité, de sa seule autorité. Cette réforme s’est révélée l’instrument premier de l’altération du Magistère de l’Église en particulier par le chamboulement dans le rituel des sacrements et la remise en cause du Sacrifice propitiatoire de la messe.

L’encyclique Ecclesiam suam, du 6 août 1964, fut présentée par son auteur comme une encyclique qui « ne veut pas revêtir un caractère solennel et proprement doctrinal, ni proposer des enseignements déterminés d’ordre moral ou social ». Paul VI instaura ainsi une nouvelle relation au sein de l’Église et avec le monde. Celle-ci ne veut plus délivrer un enseignement d’autorité, mais elle doit se faire « conversation » et promouvoir en toute occasion le dialogue. « Cet art de communication spirituelle [...] n’est pas de commandement et ne procède pas de façon impérieuse. » Mais prétendant à l’illumination du Saint-Esprit, Paul VI ne conféra pas moins à son magistère personnel novateur, inconnu jusqu’alors de ceux qui l’ont précédé sur le trône de saint Pierre, « une infaillibilité extra canonique, d’inspiration prétendue divine, absolument illégitime, mais d’un tout autre ordre qu’autoritaire : c’était comme une séduction et une communication d’amour dénuées de toute autre force d’obligation ».

Paul VI effaça ainsi le Magistère traditionnel pour que l’Église se fasse accepter comme la servante du monde, pourtant sous la domination de Satan, où tous les hommes, au fond, seraient bons et auraient vocation à s’unir car tous prétendument animés d’un désir sincère d’amitié, de paix et de justice, pour lui apporter un “ supplément ” de foi et d’amour. « Et cela sans offenser en quoi que ce soit la juste laïcité de la cité terrestre, simplement par une osmose silencieuse d’exemple et de vertu spirituelle. » C’était en réalité par Paul VI une trahison de la charge que lui avait confiée le Christ et qui lui imposait, non pas de renforcer, mais de maudire comme une construction qui défie le Seigneur, cette cité nouvelle, idéale et laïque.

Ce Magistère effacé a eu pour corollaire la dévaluation des dogmes, des commandements de Dieu considérés comme des obstacles à la fraternité universelle, et celle des sacrements devenus inutiles sur le chantier du monde à construire. Et ce fut en définitive l’anéantissement de toute notre religion appelée à fraterniser avec toutes les autres dans l’œuvre temporelle qui leur est une nouvelle et commune raison d’être, et l’effondrement de l’institution de l’Église catholique, les chrétiens étant requis de renier leur singularité et d’achever, sans le savoir, dans l’apostasie, le chemin ouvert par le Pape lui-même au nom d’un humanisme chrétien devenu athée.

La religion catholique est ainsi devenue, sous l’action même du pape Paul VI, une opinion parmi d’autres, au moins pratiquement, et a cessé de régir en fait l’univers des hommes. « Son objectivité s’estompe. Enfer, Ciel ? Grâce de Dieu ou malédiction ? Piété, impiété ? Tout cela perd de sa consistance, fait remarquer l’abbé de Nantes s’adressant au Saint-Père [...]. Ce qui grandit alors, c’est l’orgueil de l’homme, appelé par Vous dans le dialogue à se faire juge des choses divines. L’univers chrétien a basculé, du jour où le dialogue a été proclamé par Vous la seule méthode légitime de l’apostolat nouveau : au lieu que Dieu juge l’homme, c’est l’homme qui est appelé à juger Dieu. »

Le ressort intime de l’enseignement de Paul VI fut un amour immodéré, étrange de tout homme, quel qu’il soit, un amour qui adore son objet, qui s’affranchit de la Vérité, de la Loi : « Amour, amour pour tous les hommes d’aujourd’hui, quels qu’ils soient, où qu’ils soient, amour pour tous. » (Discours du 14 septembre 1965)

Cet amour inconditionné parce qu’il n’est plus ni dépendant de l’amour de Dieu ni réglé par Lui, mène à l’idéalisation, à l’idolâtrie de son objet et conduit le Pape à une foi en l’homme la plus extravagante : « Nous avons confiance en l’homme, nous croyons en ce fond de bonté qui est en chaque cœur, nous connaissons les motifs de justice, de vérité, de renouveau, de progrès, de fraternité qui sont à l’origine de tant de belles initiatives et jusque tant de contestations et, malheureusement, parfois de violences. À vous, non pas de le flatter, mais de lui faire prendre conscience de ce qu’il vaut, de ce qu’il peut. » (Déclaration du 2 décembre 1970 à Sidney)

Cette “ foi en l’homme ” n’est autre que le « culte de l’homme » que le Saint-Père osa proclamer ouver­tement devant toute l’assemblée conciliaire, le 7 décembre 1965, au cours d’un discours « dont il est certain qu’il n’y en a jamais eu de tel dans les annales de l’Église et qu’il n’y en aura jamais. » Le caractère inouï de ce discours est la raison pour laquelle notre Père, et nous à sa suite, s’y est constamment référé. Mais habituellement, et contrairement à ce qui est affirmé dans l’Avertissement, nous ne nous contentons pas d’en citer « un bout de phrase », mais un très large extrait afin de mieux réaliser et faire réaliser le nouveau culte que le Souverain Pontife osa prononcer en présence de tous les Pères du Concile, comme d’ailleurs notre Père le fit dans son livre d’accusation :

« “ L’Église du Concile, il est vrai, s’est beaucoup occupé de l’homme, de l’homme tel qu’en réalité il se présente à notre époque, l’homme vivant, l’homme tout entier occupé de soi, l’homme qui se fait non seulement le centre de tout ce qui l’intéresse, mais qui ose se prétendre le principe et la raison dernière de toute réalité. L’humanisme laïque et profane enfin est apparu dans sa terrible stature et a, en un sens, défié le Concile. La religion du Dieu qui s’est fait homme s’est rencontrée avec la religion (car c’en est une) de l’homme qui se fait Dieu.

 Qu’est-il arrivé ? un choc, une lutte, un ana­thème ? cela pouvait arriver ; mais cela n’a pas eu lieu. La vieille histoire du Samaritain a été le modèle de la spiritualité du Concile. Une sympathie sans bornes l’a envahi tout entier. La découverte des besoins humains – et ils sont d’autant plus grands que le fils de la terre (sic !) se fait plus grand – a absorbé l’attention de ce synode.

 Reconnaissez-lui au moins ce mérite, vous, humanistes modernes, qui renoncez à la transcendance des choses suprêmes, et sachez reconnaître notre nouvel humanisme : nous aussi, nous plus que quiconque, nous avons le culte de l’homme. 

« On mesure ici le glissement forcé de votre hétéropraxie à l’hétérodoxie pleine et entière, commente notre Père s’adressant à Paul VI, je ne dis même plus de l’hérésie, mais de l’apostasie. Dans votre bonté apostolique ! à l’encontre des conseils de prudence et des enseignements infaillibles de tous vos prédécesseurs, vous voulez être le Samaritain évangélique, affectueusement penché sur tout homme, son frère... Et voilà que ce sentiment d’amour immodéré vous conduit à vous réconcilier avec le Goliath du monde moderne, à vous agenouiller devant l’Ennemi de Dieu qui vous défie et vous hait. Au lieu de prendre courage et de lutter, comme David, contre l’Adversaire, vous vous déclarez plein d’amour pour lui, vous l’adulez et vous allez bientôt vous ranger à son service exclusif ! Votre charité se fait culte et service de l’Ennemi de Dieu, et pour le flatter, vous allez jusqu’à rivaliser avec lui dans son erreur, dans son blasphème même. »

Les auteurs de l’Avertissement font remarquer avec une coupable ingénuité que « ces mots ont été prononcés depuis la basilique Saint-Pierre, du berceau de la foi chrétienne, lieu symboliquement parmi les plus chargés au monde de signification religieuse, à la fin du concile œcuménique ayant été célébré par le plus grand nombre d’évêques de toute l’histoire de l’Église. Ces mots s’adressaient, depuis ce lieu précis, au monde des années 1960, marqué par l’humanisme athée en plein essor. » Et ils en concluent : « Épingler ce bout de phrase pour faire comme s’il signifiait un reniement de l’unique culte rendu au Père par le Christ dans l’Esprit qui caractérise la célébration chrétienne, n’est-ce pas faire preuve d’une mauvaise foi certaine ? »

Monseigneur, en toute sincérité, en toute bonne foi, je suis prêt à vous suivre dans votre analyse et cesser de m’en tenir au sens obvie des mots employés par Paul VI dans ce passage de son discours de clôture du concile Vatican II. Mais une certaine honnêteté intellectuelle vous impose d’aller jusqu’au bout de votre raisonnement en nous donnant positivement la bonne, la catholique interprétation de ce texte. Dans quel sens doit être compris ce discours de Paul VI, pourtant d’immenses conséquences et source de drames dans l’Église, aujourd’hui donné comme lecture pour l’office des lectures par un décret du 25 janvier 2019 de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements ? Comment le comprendre autrement que comme un « reniement de l’unique culte rendu au Père par le Christ dans l’Esprit qui caractérise la célébration chrétienne » ?

Or force est de constater, Monseigneur, que les rédacteurs de l’Avertissement ne donnent aucune réponse à cette question si ce n’est de préciser les circonstances très solennelles dans lesquelles ont été prononcées les paroles du Pape et qui ne font qu’aggraver leur caractère scandaleux, blasphématoire ! Donc pas la moindre réponse de la part des membres de la Commission doctrinale ! Comme d’ailleurs de la part de Mgr Le Couëdic qui se garda bien de donner la moindre réponse aux critiques de notre Père contre les nouveautés doctrinales des Actes du concile Vatican II, mais qui lui infligea une sanction disciplinaire en représailles de son exercice légitime et sacré d’un recours devant le Saint-Office. Pas la moindre réponse non plus de la part de la Sacrée Congrégation pour la doctrine de la foi qui s’abstint, en 1969, du jugement doctrinal demandé, mais notifia tour à tour, sans motivation, ultimatum, rétractation, soumission et finalement mensonge et diffamation ! Comme, enfin, le pape Paul VI en personne en 1973 !

Ce dernier ne voulut à aucun prix recevoir le livre d’accusation que notre Père était venu lui apporter à Rome, le 10 avril 1973, pour le “ déférer ” devant son propre Tribunal. Mais que pouvait-il craindre d’un simple prêtre français, déchu de tout office, suspens a divinis, muni de la seule “ force ” qu’une poignée d’amis pouvait lui apporter par son aide et son soutien ? Paul VI redoutait plus que tout ce livre dont il connaissait trop bien le contenu par le procès de 1968 au cours duquel les “ zélés ”, les trop zélés serviteurs de la Sacrée Congrégation pour la doctrine de la foi ne purent opposer à son auteur des erreurs doctrinales susceptibles de faire obstacle à ses accusations. Paul VI savait trop bien que son magistère novateur, “ prophétique ”, ne pouvait en aucune façon se prévaloir d’une quelconque note d’infaillibilité car, contraire à tout ce que les papes qui l’avaient précédé sur le Siège de Pierre avaient jusqu’alors enseigné, il était clairement hérétique.

L’un d’entre eux l’a même par avance condamné, à propos de sa doctrine sur le Mouvement d’animation spirituelle de la démocratie universelle dans lequel il voulait jeter l’Église : saint Pie X dans sa Lettre sur le Sillon fondé par Marc Sangnier, donnée le 25 août 1910 dans un français éblouissant de clarté pour régler magistralement toute la question sociale. Un extrait de ce texte constitue à lui seul une pièce maîtresse dans l’acte d’accusation dressé par notre Père contre Paul VI :

« Mais plus étranges encore, effrayantes et attristantes à la fois, sont l’audace et la légèreté d’esprit d’hommes qui se disent catholiques, qui rêvent de refondre la société dans de pareilles conditions et d’établir sur terre, par-dessus l’Église catholique  le règne de la justice et de l’amour ”, avec des ouvriers venus de toute part, de toutes religions ou sans religion, avec ou sans croyances, pourvu qu’ils oublient ce qui les divise : leurs convictions religieuses et philosophiques, et qu’ils mettent en commun ce qui les unit : un généreux idéalisme et des forces morales prises  où ils peuvent ”. Quand on songe à tout ce qu’il a fallu de forces, de science, de vertus surnaturelles pour établir la cité chrétienne, et les souffrances de millions de martyrs, et les lumières des Pères et des Docteurs de l’Église, et le dévouement de tous les héros de la charité, et une puissante hiérarchie née du ciel et des fleuves de grâce divine, et le tout édifié, relié, compénétré par la Vie de Jésus-Christ, la Sagesse de Dieu, le Verbe fait homme : quand on songe, disons-Nous, à tout cela, on est effrayé de voir de nouveaux apôtres s’acharner à faire mieux avec la mise en commun d’un vague idéalisme et de vertus civiques. Que vont-ils produire ? Qu’est-ce qui va sortir de cette collaboration ? Une construction purement verbale et chimérique, où l’on verra miroiter pêle-mêle et dans une confusion séduisante les mots de liberté, de justice, de fraternité et d’amour, d’égalité et d’exaltation humaine, le tout fondé sur une dignité mal comprise. Ce sera une agitation tumultueuse, stérile pour le but proposé et qui profitera aux remueurs de masses moins utopistes. Oui, vraiment, on peut dire que le Sillon convoie le socialisme, l’œil fixé sur une chimère. »

La Commission doctrinale, dans son Avertissement contre nous, rappelle que « l’enseignement du Magistère sur la foi requiert des fidèles un assentiment religieux et l’obligation d’éviter toute doctrine contraire ». Mais seriez-vous, Monseigneur, en mesure de nous préciser si nous devons donner notre “ assentiment religieux ” à l’enseignement de saint Pie X et, dans ce cas, éviter la doctrine contraire de Paul VI, en particulier son utopie du Mouvement d’Animation Spirituelle de la Démocratie Universelle (MASDU) ? Faut-il, au contraire, tenir pour catholique la doctrine de Paul VI et dans ce cas réprouver celle de saint Pie X ?

Notre Père est venu à Rome pour demander au Saint-Père de trancher cette alternative insupportable à tout fidèle, à tout enfant de l’Église qui entend demeurer jusqu’au dernier souffle de sa vie fidèle à la foi catholique sans laquelle on ne peut plaire à Dieu. Plusieurs rangs serrés d’agents en civil et de carabiniers en arme de la police italienne massés devant la Porte de bronze furent la seule réponse du Souverain Pontife pour empêcher le dépôt par notre Père de son livre d’accusation qui à lui seul invalide la canonisation de celui qui profane nos autels depuis le 14 octobre 2018.

Et c’est sans doute pour éviter l’instruction d’un procès contradictoire de la cause de Jean-Paul II que Benoît XVI a précipité la procédure pour le canoniser, le 27 avril 2014, sans répondre aux nombreuses critiques formulées par l’abbé Georges de Nantes sous forme de « plainte pour hérésie, schisme et scandale à l’encontre de notre frère dans la foi Karol Wojtyla ».

Le 13 mai 1983, l’abbé de Nantes accompagné des frères de sa communauté et de deux cents amis se rendit à Rome pour y déposer un second Livre d’accusation à l’encontre de Sa Sainteté Jean-Paul II.
Le 13 mai 1983, l’abbé de Nantes accompagné des frères de sa communauté et de deux cents amis se rendit à Rome pour y déposer un second Livre d’accusation à l’encontre de Sa Sainteté Jean-Paul II.

LE DEUXIÈME LIVRE D’ACCUSATION

Au lendemain de la mort de Jean-Paul Ier, survenue tragiquement le 28 septembre 1978, notre Père espérait que les cardinaux réunis en conclave renouvelleraient le bon choix qu’ils avaient fait au mois d’août. Cependant l’orientation traditionnelle que le “ pape du sourire ” avait imprimée à son pontificat en seulement trente-trois jours en avait alarmé plus d’un, et la possibilité d’une réaction de “ contre-réforme ” effraya. Il y eut des tractations. Le cardinal Wojtyla, archevêque de Cracovie, se savait papabile. L’homme était connu à Rome depuis qu’il avait prêché au Vatican, en 1976, devant Paul VI, une retraite intitulée “ Le signe de contradiction ”. Venu du bloc de l’Est, catholique polonais, grand voyageur, travailleur assidu, athlétique, polyglotte, lorsque Karol Wojtyla fut élu au soir du 16 octobre 1978 et prit le nom de Jean-Paul II, tous les Pères du conclave se déclarèrent satisfaits, « mais chacun pour ses propres raisons qui n’étaient plus les mêmes en tous ». (La Contre-réforme catholique no 136, décembre 1978, p. 11)

Jean-Paul II avait assurément, du moins apparemment, des qualités humaines de grande envergure susceptibles d’en faire un très grand pape. Mais les immenses espérances de notre Père furent cruellement déçues.

Étudiant la vie complexe du nouveau Souverain Pontife, il remarqua d’emblée des divergences qui le distinguaient du cardinal Wyszinski, archevêque de Gniezno et Varsovie, qui en 1950, pour éviter le pire, avait signé un accord avec le gouvernement communiste aux termes duquel le Primat de Pologne combattait « sur le terrain des revendications religieuses, et non humanistes, catholiques et non révolutionnaires (...). » Tandis que le jeune cardinal Karol Wojtyla s’enflammait et enflammait ses ouailles avec les incendiaires droits de l’homme. Jean-Paul II se présentait donc comme le Pape des droits de l’homme.

La publication de l’encyclique inaugurale Redemptor hominis le 15 mars 1979 montrait que « Sa Sainteté Jean-Paul II revendique l’héritage de Paul VI et fait siens son culte de l’homme, sa foi en l’homme, son exaltation de la dignité de l’homme et la revendication de ses droits, causes manifestes de la décadence de l’Église et de la malédiction divine sur le monde. »

Que fallait-il faire ? Notre Père voyait trop clairement la vérité. Il ne put se résoudre à se taire et s’aligner sur l’encyclique en vertu d’une “ soumission intérieure et respectueuse. ” Il devait révéler les raisons certaines de son angoisse, c’est-à-dire prendre le parti « le plus loyal, le plus juste et le plus charitable ». « Ce n’est pas nous qui menons le Seigneur Jésus notre Roi, confiait-il le 25 mars 1979, jour de l’Annonciation, c’est Lui qui nous mène et par des chemins que nous n’aurions parfois pas voulu prendre [...]. Son appel, “ Viens et suis-moi ”, ne souffre ni retard ni regard en arrière, ni poursuite de ce que nous faisions, mais renoncement, nouveau départ pour l’aventure ou plutôt pour de nouvelles peines et de nouveaux calvaires. » (Lettre aux amis no 28, 25 mars 1979)

Notre Père reprit ainsi son combat de contre-­réforme qui le conduira, le 13 mai 1983, à Rome, entouré par deux cents délégués de la Ligue de Contre-Réforme catholique, pour remettre entre les mains du Juge suprême de la foi un deuxième livre d’accusation récapitulant toutes ses plaintes. Bien que cette démarche soit conforme aux canons 212, 221 et 1417 du Code de droit canonique, l’autorité a toujours refusé d’examiner et même de recevoir cette accusation contre le Souverain Pontife régnant. Comme celle signifiée dix ans plus tôt à l’encontre de Paul VI, elle demeure en attente d’un jugement qui, s’il reconnaissait son bien-fondé, devrait interdire le “ culte ” de dulie frauduleusement rendu aux prétendus “ saints ” Papes de la Réforme conciliaire.

Aujourd’hui, l’abbé de Nantes est mort, mais il parle encore contre l’hérésie de Jean-Paul II, corollaire de « la foi en l’homme qui se fait Dieu » proclamée par son prédécesseur et « père spirituel », Paul VI. En exorde de ce deuxième Livre d’accusation, l’abbé de Nantes cite un texte sur lequel il se déclare prêt à engager toute sa foi et sa vie éternelle : « Sur lequel pourrait se juger toute la cause ». Il s’agit des pages 222 à 227 du « “ Dialogue avec André Frossard, N’ayez pas peur , dont la partie qui vous est attribuée, écrit l’abbé de Nantes en s’adressant à Jean-Paul II, a été, de fait, écrite, revue et soigneusement mise au point par vous avant sa publication en 1982. »

Dans les pages incriminées, Jean-Paul II cite la réponse de Jésus à Pilate : « Oui, je suis roi. Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix. » Il commente : « Le Christ est roi en ce sens qu’en lui, dans son témoignage rendu à la vérité, se manifeste la  royauté  de chaque être humain, expression du caractère transcendant de la personne. C’est cela l’héritage propre de l’Église. »

Cette affirmation contredit formellement la tradition catholique selon laquelle la vérité pour laquelle est mort Notre-Seigneur Jésus-Christ concerne Dieu son Père et Lui-même dans son unique, sacrée, inviolable et inaccessible Sainteté, autrement dit sa “ transcendance ” de Fils de Dieu, unique Roi de l’univers et Sauveur de son peuple. Tandis que Jean-Paul II fait du Christ un martyr de la dignité, de la royauté, de la prétendue transcendance de l’homme.

a) Ésotérisme.

L’abbé de Nantes révèle ce que les biographes taisent ordinairement : Mieczyslaw Kotlarczyk, maître et ami de Karol Wojtyla, était un disciple du théosophe Rudolf Steiner, adepte d’un christianisme cosmique, a-dogmatique et évolutionniste. On ne saurait y voir une simple influence de jeunesse sur le jeune Karol fasciné par la magie enivrante de l’art théâtral, puisque, devenu archevêque de Cracovie, il accorda une introduction à l’ouvrage de Kotlarczyk, “ L’art du mot vivant ”. Or, celui-ci développe une thèse selon laquelle « un groupe de personnes, unanimement soumises au verbe poétique (sic), revêt une signification éthique : la signification d’une solidarité dans le Verbe (sic !), la signification d’une loyauté à l’égard du Verbe ».

Curieusement, cette préface ne figure pas dans les recensions des travaux de Karol Wojtyla... Pour ne pas faire obstacle à sa canonisation ?

Pour bien saisir le caractère contraire à la foi catholique de cette prétendue “ transcendance de l’homme ”, principe du dialogue assidûment pratiqué par le pape Jean-Paul II avec les athées, il suffit de lire la transcription de la retraite “ Le signe de contradiction ”. Il y évoque la parole du vieillard Siméon à la Vierge Marie le jour de la Présentation :

« Cet enfant doit amener la chute et le relèvement d’un grand nombre en Israël. Il doit être un signe en butte à la contradiction. » (Lc 2, 34)

L’appliquant à la contradiction hégélienne entre religion catholique (thèse) et athéisme moderne (antithèse), il entend montrer que l’idée d’un Dieu n’acceptant pas la royauté de l’homme est un effroyable malentendu qu’il se donne pour mission de dissiper.

En effet, au lieu de condamner le “ déicide spéculatif ” par lequel le scientifique et le philosophe modernes rejettent l’autorité de Dieu, lui substituant la leur propre, comme s’ils étaient eux-mêmes Dieu, le cardinal Wojtyla justifie ce crime déicide par une exégèse entièrement nouvelle des trois premiers chapitres du Livre de la Genèse. Toute son argumentation repose sur une interprétation inédite du récit biblique du péché originel, selon laquelle la faute aurait consisté non pas à s’élever contre Dieu, mais à succomber au “ mensonge ” de Satan, faisant accroire à Adam et Ève que Dieu était jaloux de leur royauté !

« Cela commença par un mensonge que l’on pourrait assimiler à une erreur d’information, à quoi l’on pourrait laisser le bénéfice de la bonne foi :  Alors, Dieu a dit : Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ?  La femme n’a aucun mal à rectifier l’information erronée ; peut-être ne pressent-elle pas qu’elle constitue seulement un début, un prélude aux intentions du père du mensonge. Celui-ci cherche d’abord à saper la véracité de la parole divine en insinuant :  Vous ne mourrez pas !  Il porte ainsi atteinte à l’existence même de l’Alliance entre Dieu et l’homme. » (p. 43)

L’abbé de Nantes fait remarquer que le cardinal Wojtyla a, dans cette présentation, « escamoté l’existence d’un précepte de Dieu à nos premiers parents : “ Tu peux manger de tous les arbres du jardin. Mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas, car, le jour où tu en mangeras, tu mourras certainement. ” » (Gn 2, 16-17) Le résultat de cette savante « omission » est l’effacement de cette vérité première « que Dieu a le droit de commander, et qu’il a commandé en fait à sa créature, sous peine de châtiment, ce qu’il a voulu lui ordonner, exigeant son obéissance pour le pur et simple bien, mérite, avantage et gloire de l’obéissance ». Selon Wojtyla, toute la faute revient uniquement à Satan, dont « l’énoncé veut détruire, dit-il, la vérité sur le Dieu de l’Alliance, sur le Dieu qui, par amour crée, par amour conclut avec l’humanité une Alliance en Adam, par amour pose des exigences s’étendant à l’essence même de l’homme, à la raison même de l’homme ».

Ainsi, selon cette exégèse, l’amour exclut toute loi qui irait au-delà de ce qu’exige de soi « l’essence même de l’homme » sous le contrôle de « la raison ». Ce qui revient à faire de l’acte d’autorité un péché, et de la désobéissance la réaction naturelle et vertueuse à tout empiétement de Dieu et de quiconque sur la liberté de l’homme.

Il en résulte que l’obéissance, la soumission, l’adoration sont trois exigences mensongèrement prêtées à Dieu par Satan, selon Wojtyla :

« Le Dieu de l’Alliance est effectivement présenté à la femme comme un Souverain jaloux du mystère de sa domination absolue. Il est présenté comme l’ennemi de l’homme auquel il convient de s’op­poser. » (p. 44)

Un tragique “ malentendu ” serait né de là, qui traverse toute l’histoire jusqu’à nous :

« On peut dire que nous nous trouvons au commencement de la tentation de l’homme, au commencement d’un long processus, qui va se déployer sur toute l’histoire. » (p. 44)

Aujourd’hui, cet artifice du démon explique l’athéisme qui oppose l’homme moderne à Dieu depuis la naissance de l’humanisme. Heureusement, ce malentendu a été dissipé par le concile Vatican II lorsqu’il a proclamé solennellement « pleinement légitime l’autonomie des hommes en société, et des sciences » (p. 45).

C’est ainsi que Karol Wojtyla sacrifie la religion catholique traditionnelle à son antithèse moderne, l’humanisme athée. À ce “ vendredi saint spéculatif ”, il fait succéder un “ samedi saint dialectique ”, de « descente aux enfers » pour y « dialoguer » avec les athées. À André Frossard, il affirme : « Si la situation de l’homme dans le monde moderne – et surtout dans certains cercles de civilisation – est telle que s’écroule sa foi, disons sa foi laïque (sic) dans l’humanisme, la science, le progrès, il y a bien sûrement lieu d’annoncer à cet homme le Dieu de Jésus-Christ, Dieu de l’Alliance, Dieu de l’Évangile, tout simplement (ce “ tout simplement ” est d’une incroyable densité, commente l’abbé de Nantes) pour qu’il retrouve par là (par la foi en Dieu, en Jésus-Christ, en l’Évangile) le sens fondamental et définitif de son humanité, c’est-à-dire le sens proprement dit de l’humanisme, et de la science, du progrès, qu’il ne doute pas, et qu’il ne cesse pas d’y voir sa tâche et sa vocation terrestre. » (N’ayez pas peur, p. 273)

C’est évidemment, de l’aveu même du cardinal Wojtyla, « une réinterprétation de l’Évangile » qui « ouvre de nouvelles voies à l’enseignement. Les chrétiens ont le devoir de façonner le visage de la terre et de rendre la vie plus humaine. Il est de leur devoir de donner à ce qu’on appelle le progrès social sa véritable signification. » (Blazynski, “ Jean-Paul II. Un homme de Cracovie ”, éd. Stock, 1979, p. 253)

Dès lors, prend tout son sens cette affirmation de sa première encyclique, Redemptor hominis : « L’attitude missionnaire commence toujours par un sentiment de profonde estime face à  ce qu’il y a dans l’homme ”. » Référence à Jean 2, 25. Mais, si l’on se reporte à ce passage du quatrième Évangile, on doit constater que Jésus, loin de manifester une telle estime pour les hommes, « ne se fiait pas à eux, parce qu’il les connaissait tous, et qu’il n’avait pas besoin d’être renseigné sur personne : Lui savait ce qu’il y a dans l’homme ».

Pour accorder sa « foi en l’homme » avec l’Écriture, le pape Jean-Paul II est contraint de l’interpréter à contresens !

Dans “ Signe de contradiction ”, on peut lire encore : « La gloire de Dieu est l’homme vivant ! Et Dieu le conduit vers la gloire... Cette gloire, c’est Dieu qui avant tout la désire. Lui seul a le pouvoir de révéler la gloire de la créature, de révéler la gloire de l’homme dans le miroir de sa Vérité, et par conséquent dans les dimensions de l’Accomplissement final... La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant. » (p. 231)

L’abbé de Nantes commente : « Voilà donc enfin la synthèse de la Religion ancienne et de l’Athéisme contemporain. C’est leur accomplissement final en l’Homme vivant, riche en avoir et en être, parachevé dans le sentiment sacré de son existence et dans la gloire de sa liberté. L’Homme et Dieu sont réconciliés, mais c’est dans l’Homme. Saint Irénée entendait de tout autre manière une telle réconciliation, non pas en l’Homme, mais en Dieu : “ La gloire de Dieu, c’est que l’homme vive. Et la vie de l’homme, c’est la vision de Dieu ” (adv. Hær. iv, 20, 5-7) ! L’homme y dépend tout de Dieu et de sa grâce, non de sa propre liberté et de son propre orgueil ! De l’un à l’autre il y a toute la différence d’une religion à son contraire, du culte et de l’amour de Dieu jusqu’au sacrifice de soi-même et à la mort de la croix, au culte et à l’exaltation de soi jusqu’à la mort de Dieu et à l’effacement de Jésus-Christ. » (Liber accusationis ii, p. 62)

Le théocentrisme de notre sainte religion catholique a fait place, dans le cœur et la pensée de Jean-Paul II, à l’anthropocentrisme, le culte de Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, au culte de l’homme qui se fait dieu. Cette idolâtrie s’exprime par exemple dans le discours prononcé à l’Unesco, le 2 juin 1980 :

« Il faut considérer jusqu’à ses dernières conséquences et intégralement l’homme comme une valeur particulière et autonome, comme le sujet porteur de la transcendance de la personne. Il faut affirmer l’homme pour lui-même et non pour quelque autre motif : uniquement pour lui-même. Bien plus, il faut aimer l’homme parce qu’il est homme, il faut revendiquer l’amour pour l’homme en raison de la dignité particulière qu’il possède. L’ensemble des affirmations concernant l’homme appartient à la substance du message du Christ, malgré ce que tous les esprits critiques ont pu déclarer en la matière, et tout ce qu’ont pu faire les divers courants opposés à la religion en général et au christianisme en particulier. »

Dans ce même discours, Jean-Paul II déclarait que « dans le domaine culturel, l’homme est toujours le fait premier : l’homme est le fait primordial et fondamental de la culture... C’est en pensant à toutes les cultures que je veux dire ici, à Paris, au siège de l’Unesco, avec respect et admiration : Voici l’homme ! »

L’abbé de Nantes a qualifié cette parole de « blasphème ». Il est, de fait, significatif que le pape Benoît XVI, dans son message adressé à l’Unesco pour le vingt-cinquième anniversaire de ce mémorable discours, a cité ce passage, mais non pas cette dernière phrase.

En présence d’un tel texte, le théologien de la Contre-Réforme catholique s’interroge :

« Serait-ce une construction intellectuelle destinée à rapprocher les athées, les incroyants, les indifférents, d’une Église qui se montrerait plus accueillante à leurs problèmes, même avec quelques excès d’éloquence ? » S’il en est ainsi, « ce serait un moindre mal, que l’insuccès total d’une telle apologétique devrait suffire à terminer ». Mais il est légitime de se demander si ce ne serait pas davantage : « Une vraie passion, une obsession de l’homme, de sa grandeur, de son amour, de sa réussite ? » Dans ce cas, annonçait l’abbé de Nantes dans son Livre d’accusation en 1983, « cet humanisme encombrera de plus en plus l’espace de votre esprit, de votre cœur, de votre temps, de vos activités ! Et cela sera d’autant plus grave que vous êtes monté au plus haut degré de la hiérarchie ecclésiastique. Parce qu’alors tout doit être enfin donné à l’homme et enlevé à Dieu, tout ce qui est conservé pour Dieu paraissant refusé à son rival l’homme. » (Liber accusationis ii, p. 68)

En 1983, l’abbé de Nantes accusait Jean-Paul II d’étouffer la religion. Sept ans plus tard, ce dernier avouait lui-même que « le nombre de ceux qui ignorent le Christ et ne font pas partie de l’Église augmente continuellement, et même il a presque doublé depuis la fin du Concile » (Redemptoris missio, 7 décembre 1990).

b) Jésus-Christ uni à tout homme.

Jean-Paul II cite continuellement une affirmation introduite par lui-même dans la Constitution Gaudium et spes, lorsqu’il siégeait au Concile comme archevêque de Cracovie, en vertu de laquelle « le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme par son Incarnation ». Confondant la nature et la grâce, la vie humaine et la vie divine, le pape Jean-Paul II ne met aucune condition à l’union au Christ « de chaque homme sans exception, même si ce dernier n’en est pas conscient » (Redemptor hominis, no 14). Quelle que soit sa religion ou son irréligion.

Il en vient, dans son ultime Lettre apostolique Mane nobiscum du 7 octobre 2004, à écrire de Notre-Seigneur Jésus-Christ qu’ « en Lui, Verbe fait chair, se révèle en effet non seulement le mystère de Dieu, mais le mystère même de l’homme. Parce que dans le Christ la nature humaine a été assumée, non absorbée, par le fait même, cette nature a été élevée en nous à une dignité sans égale. Car par son Incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme. » (G. S., 22, 2)

Il en résulte ce que l’abbé de Nantes appelle une « Pâque idéaliste », succédant au « Vendredi saint spéculatif » et au « Samedi saint dialectique », c’est-à-dire que l’Église sauvera sa foi (“ Pâque idéaliste ”) en acceptant l’humanisme athée matérialiste (« Vendredi saint spéculatif ») d’un monde qui la rejette (« Samedi saint dialectique »).

Il faut seulement remarquer que la « foi » qu’il s’agit de réconcilier avec l’humanisme contemporain est le fruit de la création spontanée et universelle des profondeurs du sentiment humain : la « foi » moderniste.

Comme exemple de ce modernisme, nous pouvons citer l’interprétation selon laquelle la « descente aux Enfers » de Jésus-Christ après sa mort sur la Croix est une “ conception ”, et non pas un événement historique. Selon le pape Jean-Paul II, cet article de notre Credo est une pure métaphore évoquant non pas une « descente », mais une accession « à la plénitude de la vision béatifique de Dieu », ce qui suggère plutôt une “ ascension ” (Allocution du 11 janvier 1989) !

Cette explication « sent l’hérésie » arienne et nestorienne, assimilant le Christ à un être humain ordinaire, moralement parfait, saint, et « admis » seulement après sa mort à « la plénitude de la vision béatifique de Dieu ». Contrairement à l’enseignement de l’Église selon lequel Jésus, Fils de Dieu, Dieu lui-même, a joui, dès le premier exercice de ses facultés humaines, de la vision béatifique de sa propre déité, de son Être divin, de son identité personnelle. L’Église interdit tout enseignement contraire et saint Thomas en montre la raison dans l’union existentielle des deux natures, divine et humaine, en la Personne du Verbe :

« Par une telle union, le Christ-homme est lui-même bienheureux de la béatitude incréée, comme aussi bien par cette union il est Dieu. Mais de surcroît, il fallut que sa nature humaine possédât cette particulière béatitude créée par laquelle son âme était en possession de la fin ultime de sa nature humaine. » (III a, question 9, article 2, ad 3) C’est pourquoi, dès ici-bas, « son âme était élevée par une lumière participée de sa nature divine à la perfection de la science bienheureuse qui consiste dans la vision de Dieu en son essence » (ad 1).

Le culte de l’homme en lequel réside le Christ du seul fait de son Incarnation conduit à considérer l’Église comme le « signe » de l’unité intime de tous les hommes avec Dieu, et de l’unité du genre humain dans ses membres, tous fraternels. Elle n’en est plus le « sacrement ». C’est « le genre humain tout entier » sans préalable de conversion ni d’entrée dans l’Église, qui se voit attribuer une union satisfaisante avec Dieu et entre ses membres, comme à la réunion de toutes les « autres religions » à Assise le 27 octobre 1986.

« Certes, commente l’abbé de Nantes, il n’y a eu “ aucune ombre de confusion ni de syncrétisme ” à Assise. Il y a eu plus grave : dans ce défilé carnavalesque et ringard de tous les folklores afro-asiatiques, un effacement suicidaire du Christ et de l’Église. » Lorsque Jean-Paul II justifie cette réunion d’Assise par une citation de l’Évangile de saint Jean : « Le Seigneur a offert sa vie non seulement pour la nation, mais encore pour rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11, 52), l’abbé de Nantes s’élève contre cette « nouvelle citation abusive de l’Écriture sainte pour appuyer l’hérésie qui lui est la plus contraire ! Notre-Seigneur est mort sur la Croix pour que tous, juifs et païens, renonçant à leur “ ignorance ” séculaire ou à leur “ perfidie ”, cèdent à l’aiguillon de la Vérité et entrent dans l’unique et sainte Église. » (CRC no 230, février 1987)

Le pape Jean-Paul II les en dissuade au contraire lorsqu’il baise religieusement le Coran, le 14 mai 1999, en Irak, où une délégation conduite par l’iman chiite de la mosquée de Khadum le lui présentait. Le geste de dévotion diffusé par la télévision irakienne inclinait les musulmans à croire que l’auteur du Coran dit vrai lorsqu’il accuse les chrétiens d’avoir « apostasié », à l’instar des juifs, la religion d’Abraham : « Jadis, ils ont apostasié (kafara), ceux qui ont dit :  Voici le Dieu, Lui, le Christ, fils de Marie. ” » (Sourate V, 17 et 72)

L’appellation « fils de Marie » est destinée à supplanter définitivement les appellations chrétiennes de « Fils du Très-Haut » et de « fils de David ».

Et le dimanche 6 mai de l’an 2 000, après avoir enlevé rituellement ses chaussures, le Pape est entré dans la mosquée des Umayyades, à Damas, pour écouter la lecture des versets du Coran et la litanie des noms d’Allah, suivies de l’homélie du grand mufti affirmant que « l’islam est la religion de la fraternité et de la paix », et que « nous adorons tous le même Dieu ». Par là, Jean-Paul II a conforté un milliard de musulmans dans leur “ foi ” au Coran selon lequel Dieu n’a pas de fils.

c) La gnose wojtylienne.

Pendant son long pontificat, le pape Jean-Paul II a détourné l’espérance chrétienne du Royaume de Dieu en vidant l’Enfer et le Ciel de toute réalité concrète, pour appeler à la construction d’un monde nouveau ici-bas à l’occasion de l’entrée dans le troisième millénaire.

Du fait que « par son Incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme », l’accompagnera-t-il en enfer ? Certes, non ! Jean-Paul II en conclut que, très probablement, il n’y a personne en enfer. Par exemple, dans son livre “ Entrez dans l’espérance ” :

« La possibilité de la damnation éternelle est affirmée dans l’Évangile sans qu’aucune ambiguïté soit permise », reconnaît-il. « Mais dans quelle mesure cela s’accomplit-il réellement dans l’au-delà ? » À cette question, le Pape répond par une autre interrogation : « Si Dieu désire que tous les hommes soient sauvés, si Dieu, pour cette raison, offre son Fils qui à son tour agit dans l’Église par l’opération de l’Esprit-Saint, l’homme peut-il être damné, peut-il être rejeté par Dieu ? De tout temps, la question de l’enfer a préoccupé les grands penseurs de l’Église, depuis Origène jusqu’à Mikhaïl Boulgakov et Hans Urs von Balthasar. Les premiers Conciles ont rejeté la théorie dite de l’apocatastase finale, selon laquelle le monde après sa destruction serait renouvelé et toute créature serait sauvée, théorie qui abolissait implicitement l’enfer. Cependant la question continue de se poser. Dieu, qui a tant aimé l’homme, peut-il accepter que celui-ci Le rejette et pour ce motif soit condamné à des tourments sans fin ? Pourtant, les paroles du Christ sont sans équivoque. Chez Matthieu, Il parle clairement de ceux qui connaîtront des peines éternelles.

« Qui seront-ils ? L’Église n’a jamais voulu prendre position. Il y a là un mystère impénétrable, entre la sainteté de Dieu et la conscience humaine. Le silence de l’Église est donc la seule attitude convenable. »

Ce disant, le pape Jean-Paul II jetait le doute sur les dires de sœur Lucie selon laquelle la Vierge Marie n’a pas adopté cette “ attitude convenable ” à Fatima, le 13 juillet 1917, en montrant à Lucie, François et Jacinthe « l’enfer où vont les pauvres pécheurs », vision pourtant bien attestée, ne serait-ce que par le cri d’effroi jeté par Lucie, entendu par les témoins de cette troisième apparition :

« Notre-Dame ouvrit de nouveau les mains, comme les deux derniers mois. Le reflet (de la lumière) parut pénétrer la terre et nous vîmes comme un océan de feu. Plongés dans ce feu nous voyions les démons et les âmes (des damnés). Celles-ci étaient comme des braises transparentes, noires ou bronzées, ayant formes humaines. Elles flottaient dans cet incendie, soulevées par les flammes qui sortaient d’elles-mêmes, avec des nuages de fumée. Elles retombaient de tous côtés, comme les étincelles dans les grands incendies, sans poids ni équilibre, au milieu des cris et des gémissements de douleur et de désespoir qui horrifiaient et faisaient trembler de frayeur. C’est à la vue de ce spectacle que j’ai dû pousser ce cri :  Aïe !  que l’on dit avoir entendu de moi. Les démons se distinguaient (des âmes des damnés) par des formes horribles et répugnantes d’animaux effrayants et inconnus, mais transparents comme de noirs charbons embrasés.

« Cette vision ne dura qu’un moment, grâce à notre Bonne Mère du Ciel qui, à la première apparition, nous avait promis de nous emmener au Ciel. Sans quoi, je crois que nous serions morts d’épouvante et de peur. »

Ne nous étonnons pas que Jean-Paul II ne tienne aucun compte de cette vision, puisqu’il nie la damnation certaine de Judas :

« Même si le Christ dit, à propos de Judas qui vient de le trahir :  Il vaudrait mieux que cet homme-là ne soit jamais né !  cette phrase ne doit pas être comprise comme la damnation pour l’éternité. »

d) Le Ciel n’est pas un lieu.

Si le pape Jean-Paul II a enseigné abusivement à ne pas craindre l’enfer, il n’a pas inspiré pour autant le désir du Ciel. Il est remarquable que les allocutions du mercredi de l’année 1989, consacrées à achever le commentaire suivi du Credo, article après article, commencé en janvier 1982, en viennent à nier le fait physique de l’Ascension corporelle de Jésus au Ciel. Selon le pape Jean-Paul II, l’Ascension n’est pas une translation locale de Jésus ressuscité, de la terre en quelque ciel, mais sa « soustraction pleine et définitive aux lois du temps et de l’espace ». « Autant dire, commente l’abbé de Nantes, sa dématérialisation. »

Après quoi, on doit constater que les allocutions des mercredis suivants changent de sujet, sans achever l’explication du Credo où il aurait dû en venir à traiter de la réalité physique du Ciel et de l’enfer !

e) Un monde nouveau pour l’an 2 000.

Si Jean-Paul II n’eut que des mots abscons pour parler du Ciel, il mit en revanche toutes ses immenses capacités intellectuelles et ses charismes au service de l’utopie d’un monde de paix par la démocratie universelle dont l’Église serait l’animatrice spirituelle en ce bas monde ! « Rompant avec la morale catholique, avec l’honneur des peuples civilisés, avec les règles immémoriales de la diplomatie pontificale, constate l’abbé de Nantes, Jean-Paul II n’a pas contredit le soulèvement révolutionnaire à prétexte syndical, à masque religieux. Il n’a pas, comme ses valeureux prédécesseurs du siècle dernier, exigé des peuples la soumission au pouvoir et ordonné à l’Église de coopérer avec l’État, pas plus en Pologne qu’il ne le fait dans le reste du monde. Il n’a pas réservé sa solli­citude au salut des âmes et à la tranquillité publique, mais il l’a gaspillée dans les causes douteuses de la justice, des droits de l’homme et de la liberté. » (CRC no 176, avril 1982, p. 3)

L’encyclique “ Sollicitudo rei socialis ”, du 30 décembre 1987, en offre un exemple flagrant, faisant un devoir à chacun « de se consacrer au développement des peuples » :

« C’est un impératif pour tous et chacun des hommes et des femmes, et aussi pour les sociétés et les nations ; il oblige en particulier l’Église catholique, les autres Églises et communautés ecclésiales, avec lesquelles nous sommes pleinement disposés à collaborer dans ce domaine. »

Nous sommes aux antipodes de saint Pie X selon lequel, dans sa Lettre sur le sillon, « nous n’avons pas à démontrer que le  développement des peuples  n’importe pas à l’action de l’Église dans le monde » ; ce qui lui importe, en revanche, c’est de mener les peuples, « tous et chacun des hommes et des femmes », s’il est possible, au bonheur du Ciel.

Non, dans le « développement intégral de l’homme », Jean-Paul II n’inclut pas l’entrée au Ciel pour y prendre place au festin des noces de l’Agneau ! L’application naturaliste qu’il fait de la parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare à la vie économique et sociale nous le confirme :

« Il est indispensable, comme le souhaitait déjà l’encyclique Populorum progressio », déclare-t-il dans l’encyclique Sollicitudo rei socialis, « de reconnaître à chaque peuple le même droit à  s’asseoir à la table du festin ” [des biens de ce monde] au lieu d’être comme Lazare qui gisait à la porte, tandis que  les chiens venaient lécher ses ulcères ” (cf. Lc 16, 21). » ( no 33)

Déjà, le 2 juin 1980, parodiant la parole de Jésus au désert, Jean-Paul II avait proclamé hautement au siège de l’Unesco : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais aussi de culture. » En remplaçant « toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt 4, 4), par la culture, Jean-Paul II montre que sa “ religion ” se réduit à la seule fonction culturelle d’appoint. Ou, plus exactement, précise-t-il, « elle s’efforce d’apporter à l’élaboration culturelle humaine la composante surnaturelle » (Discours à Camerino, 19 mars 1991).

Loin d’être « surnaturelle », ladite « composante » est purement naturelle, selon Jean-Paul II. Pour s’en convaincre, il suffit de prendre connaissance de son discours au corps diplomatique, du 10 janvier 1998. Il y révèle son ambition de se faire le mentor de tous les peuples du monde, comme le meilleur “ expert en humanité ”, traitant de tous leurs problèmes non pas par le chapelet ! mais par appel à l’idéologie des droits de l’homme, de sa liberté, de son culte ; mais l’orateur n’y dit pas un mot de sa propre religion !

Le discours prononcé à Funchal, en la fête de l’Ascension 1991, est tout aussi révélateur :

« “ Ainsi l’Ascension du Seigneur n’est pas un simple départ, résume l’abbé de Nantes. C’est tout d’abord le début d’une nouvelle présence et d’une nouvelle action salvifique ”... celles de l’Esprit, qui “ donne la force divine à la vie terrestre de l’humanité dans l’Église visible ”. Cela paraît catholique. Mais sitôt rappelée, cette limite de l’Église visible est renversée. La plénitude de “ toute la création restaurée ”, la “ nouvelle création du monde et de l’homme ” que “ nous célébrons dans l’Eucharistie du dimanche ”, remplissent “ l’Église et le monde ” sans plus de différence et sans condition. Nous retrouvons là cet unanimisme gnostique où la dilution du Corps du Christ est totale et définitive, tandis que l’humanité et le monde matériel même prennent leur stature de “ Corps ” au souffle de l’  “ Esprit ” ; et ce sera le second Avènement du Christ, dans l’Âge de l’Esprit, qui va bientôt paraître.

« “ L’Ascension du Seigneur est, à la lumière de la liturgie d’aujourd’hui, conclut le Pape, la solennité de la maturation [de qui ? de quoi ? ne cherchez pas : de tout ce qui n’est pas le Christ, mais qui le devient...] dans l’Esprit-Saint pour la plénitude du Christ. ” Il n’y a donc plus, en nul Paradis, un vrai et vivant Homme-Dieu Jésus-Christ, en chair et en os, en compagnie de sa glorieuse Mère montée aux Cieux, ni aucune Présence réelle en aucune messe. Il n’y a plus d’autre venue à espérer de ce Christ Sauveur, que celle de l’an 2 000, “ le deuxième et définitif Avènement du Christ sauveur ” :

« “ Ainsi l’homme nouveau en dignité, en contemplation et en adoration, s’approche de Dieu avec confiance, dans une grande fête de toute la création restaurée. On célèbre la splendeur renouvelée de la bonté pleine [sic] du monde en Dieu : le Christ ressuscité, dans sa grâce infinie, libère l’homme de ses limites. La Pâque est la nouvelle création du monde et de l’homme. ” » (CRC no 273, mai 1991, p. 16)

Sous le règne de Jean-Paul II, l’Église avait pour seul but de tous ses travaux non pas de conduire, s’il était possible, toutes les âmes au Ciel, mais d’  « apporter sa propre contribution à la préparation des hommes qui entreront dans le nouveau millénaire ».

Récusant « les  prophètes de malheur ”, prêts à voir des catastrophes partout », Jean-Paul II rendait hommage aux « prestigieux objectifs atteints » comme autant de « moments du chemin de l’homme au seuil de l’an 2 000 » : conquête de l’espace, énergie nucléaire, génétique, informatique, robotique (Discours à Camerino, 19 mars 1991)...

Toutes ces conquêtes, selon lui, conduisent l’Église à se rendre compte « qu’elle vit une phase parmi les plus innovatrices de l’histoire », en raison de l’extension du « concept même de culture ». Or, comme l’homme doit se nourrir non seulement du « pain gagné par le travail de ses mains... mais aussi du pain de la science et du progrès, de la civilisation et de la culture » (Laborem exercens, 1), dans ce foisonnement de « formes de sociétés multiculturelles qui dépassent les frontières traditionnelles géographiques et politiques », l’Église n’a qu’une pensée : « À la lumière de Dieu, affirmer le primat de l’homme ! »

De fait, en l’an 2000, Jean-Paul II a pensé inaugurer une ère nouvelle, définitive, une nouvelle civilisation. Le 26 mars 2 000, il s’est rendu, dans cette intention, en pèlerinage à Jérusalem. Il en marqua la première “ station ” sur l’ancienne esplanade du Temple juif, devenue esplanade du Dôme du Rocher, “ mémorial ”, selon le Coran, « consacré pour que les hommes y reviennent fidèlement et qu’ils célèbrent le  Lieu d’Abraham  par des prières » (sourate II, verset 125).

Remarquons que, de fait, le dessein de Jean-Paul II présente une extraordinaire similitude avec celui de l’auteur du Coran qui est de restaurer la religion « parfaite » (’islâm) née d’Abraham, et de la substituer au judaïsme et au christianisme perpétuellement en guerre l’un contre l’autre !

Jean-Paul II a donc formulé le vœu que « le Tout-Puissant apporte la paix à cette région tout entière et bien-aimée, afin que tous les peuples qui y vivent puissent jouir de leurs droits, vivre en harmonie et en coopération, et rendre témoignage au seul Dieu en acte de bonté et de solidarité humaine » (cité dans Résurrection no 1, janvier 2001, p. 11).

Même si, depuis, la violence n’a fait que croître en ladite région, comme il était prévisible parce que « sans Moi, vous ne pouvez rien faire », a averti Notre-Seigneur, Jean-Paul II a persévéré dans son attente d’un monde de paix sans recours obligé au Christ.

La deuxième “ station ” du pèlerinage pontifical fut le Mur des Lamentations, où le Pape s’est rendu pour y déposer le texte de la repentance (teshouva) de l’Église à l’égard du peuple juif et toucher de sa paume la pierre du “ Qotel ”, Mur occidental qui soutenait le Temple, où reposait la « présence » du Dieu vivant, jusqu’à sa destruction en 70 par les Romains.

Jean-Paul II s’est donc comporté en successeur de Pierre... quand il reniait son Maître, avant qu’il « revienne » de son reniement et invite les « hommes d’Israël » à se repentir et se faire baptiser « au nom de Jésus-Christ » pour la rémission de leurs péchés, afin de recevoir le don du Saint-Esprit : « Car c’est pour vous qu’est la promesse, leur dit-il, ainsi que pour vos enfants et pour tous ceux qui sont au loin, en aussi grand nombre que le Seigneur notre Dieu les appellera. » (Ac 2, 38-39)

En 2001, Jean-Paul II s’est rendu en Grèce, en Syrie et à Malte, « sur les pas de saint Paul ». À Damas, dans une église anciennement chrétienne, transformée en mosquée, il a déclaré à ses hôtes musulmans : « Notre rencontre dans ce lieu renommé nous rappelle que l’homme est un être spirituel, appelé à reconnaître et à respecter le primat absolu de Dieu sur toutes choses. » Il n’a pas dit : « du Christ qui est Dieu », en vrai disciple de l’auteur du Coran, mais non pas de saint Paul qui, aussitôt converti sur le chemin de Damas, « se mit à prêcher Jésus dans les synagogues, proclamant qu’il est le Fils de Dieu » (Ac 9, 20).

« Je souhaite ardemment, a-t-il poursuivi, que les responsables religieux et les professeurs de religion, musulmans et chrétiens, présentent nos deux importantes communautés religieuses comme des communautés engagées dans un dialogue respectueux, et plus jamais comme des communautés en conflit. »

Il ne faudra donc « plus jamais » parler de Jésus-Christ comme du Fils de Dieu.

Sous ce long pontificat du pape Jean-Paul II, l’Église, sans espérance surnaturelle, est devenue un mouvement d’animation spirituelle de la démocratie universelle selon le vœu de Paul VI. On peut légitimement se demander si ne s’accomplit pas sous nos yeux la parole de Jésus-Christ :

« Mais le Fils de l’homme quand il reviendra, trouvera-t-il encore la foi sur la terre ? » (Lc 18, 8)

Le 13 mai 1983, notre Père tenta de remettre au pape Jean-Paul II son deuxième livre d’accusation dont il avait achevé la rédaction deux jours auparavant. Il fut reçu cette fois-ci dans le palais de la Sacrée Congrégation pour la doctrine de la foi par son secrétaire, Mgr Hamer. Ce dernier lui signifia que le Saint-Père refusait de recevoir l’acte introductif d’instance, il en interdisait la publication et lui enjoignait de rétracter non seulement toutes ses accusations d’hérésie portées contre Paul VI et le concile Vatican II, mais également de prétendues “ erreurs ” qu’il aurait reconnues. C’était le même procédé employé en 1968. L’abbé de Nantes se leva en désignant le crucifix et s’écria : « Au nom du Christ crucifié, au nom de mon Dieu qui sera notre Juge, je dis, Excellence, que vous êtes un menteur. » Le 16 mai, une notification de la Sacrée Congrégation pour la doctrine de la foi rendait publique la demande de notre Père de voir ouvrir un procès contre le Saint-Père pour hérésie schisme et scandale, et reprenait les points notifiés de vive voix par Mgr Hamer.

Après quelques jours de réflexion et de prière, notre Père annonçait au palais de la Mutualité, à Paris, qu’en dépit de l’injonction qui lui avait été faite, il diffuserait le livre d’accusation. C’était un devoir, « si je veux confesser ma foi catholique et manifester la vérité nécessaire à la vie de l’Église. Je vais maintenant dans une lettre ouverte au Pape, répondre à la notification et justifier la publication du Liber. »

La lettre fut envoyée et ne fut suivie d’aucune réponse de la part de son Auguste destinataire. Il ne se trouva aucun théologien sur la terre pour en débattre publiquement, aucune autorité dans l’Église pour la condamner dogmatiquement, bref personne pour prendre la défense du Pape. La forfaiture ro­maine renouvelant celle de 1973, était flagrante. Mais, affirmait notre Père dans son envoi, « que nous n’ayons pas été écoutés ni condamnés, témoignera par le silence de l’Église sainte, infaillible, qu’elle reconnut en nous les témoins de son indéfectible Vérité et, plus tard, c’est à ce silence et cette secrète bienveillance maternelle qu’on reconnaîtra sa fidélité sans défaillance à son seul Époux et Seigneur, Jésus-Christ ».

Le combat de notre Père pour la foi devait connaître un nouveau sommet en 1992 avec la publication, le 11 octobre, pour le trentième anniversaire de l’ouverture du concile Vatican II, du Catéchisme de l’Église catholique, CEC, antithèse de la CRC !

LE TROISIÈME LIVRE D’ACCUSATION

À la première lecture de cet acte d’enseignement, l’abbé de Nantes se trouve séduit « par la parfaite maîtrise des questions dogmatiques, la connaissance admirable de l’Écriture sainte, les choix excellents des citations des Pères de l’Église et, mieux encore, s’il est possible ! ses ouvertures sur ce que la science et la théologie modernes ont de meilleur, toujours d’une grande modération, d’une toute romaine sobriété qui n’exclut pas la chaleur d’un juste enthousiasme. » Mais une lecture approfondie déchira le voile et laissa entrevoir le venin enrobé dans un miel des plus suaves et onctueux. « Certains chapitres parfaitement repérables sont faits de citations massives des Actes de Vatican II que notre foi catholique refuse [...] et de plus en plus fermement, pour leur évidente incompatibilité et contradiction avec la simple vérité philosophique ou scientifique accessible à la raison naturelle, ou avec des points de doctrine ecclésiastique qu’on ne saurait remettre en cause, ou même en doute, maintenant qu’ils ont été définis. »

Partant de là, notre Père dressa un nouvel acte d’accusation à l’encontre de l’Auteur du CEC dans lequel il recensa douze hérésies : une extension abusive de l’infaillibilité, une erreur sur la prédestination, sur l’incarnation, sur la rédemption, sur l’au-delà perdu hors de l’espace et du temps, sur le Saint-Esprit, animateur du monde, sur le peuple de Dieu, convoqué, conduit par l’Esprit, sur le sacerdoce commun des fidèles, sur un culte de l’homme antichrist, sur la démocratie dite chrétienne, sur la laïcité de l’État et enfin sur la gnose personnelle de Jean-Paul II.

Comme en 1973 et 1983, notre Père apporta ce livre d’accusation en personne à Rome le 13 mai 1993 et fut reçu à la Sacrée Congrégation pour la doctrine de la foi par Mgr Caotorta. Ce dernier accepta le livre, mais ce fut pour le mettre dans un tiroir et ne plus en parler. Dix jours plus tard, Mgr Leonardo Sandri, assesseur à la secrétairerie d’État accepta de me recevoir. Cette rencontre suscita un vif échange d’une heure et demie, l’un pour obtenir l’ouverture d’un procès canonique qu’exigeaient les accusations en hérésie de notre Père, l’autre pour nous reprocher notre « méthode trop brutale »... mais il finit par lâcher cet incroyable aveu : « Si nous faisons ce que vous demandez, cela veut dire que tout cela a un fundus veritatis, un fond de vérité. Si nous commencions à examiner, cela voudrait déjà dire que vous avez raison. Nous ne pouvons pas le faire. Tout le magistère postconciliaire a expliqué Vatican II. L’abbé de Nantes doit ouvrir son esprit à toutes les ­nouveautés [...]. »

Nonobstant le fait qu’elle avait formellement accepté ce troisième livre d’accusation de notre Père, l’Autorité romaine, comme en 1968, en 1973 et en 1983, se dérobait de son obligation de juger la cause qui lui était déférée, contrevenant même aux dispositions du premier paragraphe du canon 1417 du Code de droit canonique qui autorise tout fidèle à saisir le Saint-Siège de toute cause contentieuse ou pénale, à n’importe quel moment du procès, du fait de la primauté du Pontife romain. Le silence de Rome extraordinairement éloquent prouve que la foi catholique n’a pas encore été modifiée, altérée, corrompue dans l’âme virginale de l’Église.

UNE CATHÉDRALE DE LUMIÈRE.

Entre 1993 et 1996 qui devait être l’année des grandes épreuves, notre Père s’attacha à édifier une théologie mystique qui puisse répondre aux erreurs qu’il dénonçait notamment dans les enseignements de Jean-Paul II par l’exposé attrayant, “ alléchant ” de tous les biens divins et humains mis à notre disposition par la foi et la morale catholique afin que les âmes aient divine nourriture en surabondance et que nul ne défaille en chemin.

Tel fut le thème de la retraite de communauté de l’automne 1993 durant laquelle il nous montra que l’amour infini qui circule sans cesse entre les Trois Personnes divines, coulant du Père au Fils, et de leur commun principe au Saint-Esprit trouve son “ bassin d’accumulation ” dans le Cœur Immaculé de Marie. Tel fut également le sceau de la retraite qu’il prêcha l’année suivante sur la messe pour nous faire entrer plus avant dans ce “ mystère de foi ”, nous expliquant l’importance de l’offertoire et le grand miracle de la transsubstantiation. Rien ni personne fût-il membre de la Commission doctrinale, ne pourra nous arracher de l’âme ces trois vérités que l’enseignement de notre Père a inscrites dans nos cœurs en lettres d’or : « 1. C’est Jésus que je vois, que je mange, que je touche. 2. C’est lui-même en Personne dans son sacrifice. 3. Il s’applique à moi dans la communion, son Corps à mon corps, pour me “ refaire ”, selon sa promesse. » Notre Père prolongea les bienfaits de cette retraite par une méditation sur le “ Cœur eucharistique de Jésus et Marie 

Mais c’est Fatima, le message, l’Évangile oserais-je même écrire, que Notre-Dame fit connaître à Lucie, François et Jacinthe en 1917, qui devint à cette période de la vie de notre Père, alors que le parti conciliaire en faveur de la réforme de l’Église semblait l’emporter définitivement, la grande et puissante lumière de son Espérance. « Fatima est partout où quelque âme, famille, paroisse, couvent, nation adhère aux messages du Ciel qui sont tout un catéchisme catholique, et accomplit les demandes de Notre-Dame, qui sont par sa grâce, toute une pratique de la vraie religion, inchangée. Il y a une grande place dans cette “ nouvelle Jérusalem descendue du Ciel, d’auprès de Dieu, sainte Cité, parfaite, comme une épouse ornée pour son Époux ” au jour de ses noces (Ap 21, 2-3). » Et sans se décourager, malgré l’échec apparent de ses trois démarches romaines de 1973, 1983 et 1993, notre Père poursuivait inlassablement ses activités de retraites, de conférences, de méditations, puisant dans les trésors de l’Église, apportant ainsi les pierres, les matériaux nécessaires à la construction d’une cathédrale de lumière tout à la gloire de Notre-Dame, de Fatima dont le message, comme celui de Paray-le-Monial, « nous est une révélation de vérité et d’amour capitale. »

Dans cette cathédrale de lumière, auprès de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, notre Père éleva une magnifique statue à saint François de Sales, ce grand saint de contre-réforme, ainsi qu’à sainte Jeanne de Chantal, en révélant le secret de leur commune et extraordinaire vocation : leur intime union d’âmes vécue en toute sainteté et chasteté, union dont Dieu fut l’organisateur et le ministre. « Ainsi de leur  unique cœur  s’épancha tout de suite, comme en cascade, un inépuisable amour de leurs familles, de leurs amis, puis de cette fondation de la Visitation et, à travers elle, de tous les pauvres, les malades, les humbles. Fécondité mystique ! [...] Saint François de Sales fut une  image vivante  de la charité du Cœur de Jésus ; image prophétique, puisque sa doctrine spirituelle sera le contrepoison du protestantisme qui deviendra jansénisme et sombrera finalement dans le rationalisme. » (La Contre-Réforme catholique no 316, octobre 1995, p. 29)

L’année suivante, en 1996, notre Père revint à Charles de Foucauld, mettant en lumière son enfance éprouvée, son lent cheminement vers la conversion, grâce à la médiation de sa pieuse cousine, Marie de Bondy, avec laquelle il connaîtra une sainte amitié spirituelle. Par sa métaphysique relationnelle et sa “ pureté positive ”, notre Père renverse énergiquement toutes les théories modernes qui souillent cette affection surnaturelle ! Il étudie aussi l’œuvre coloniale et missionnaire de notre bienheureux Père, ainsi que les véritables causes de sa mort, qui font de lui un martyr de la foi et de la chrétienté. Comme notre Père le fut à sa manière, il est vrai d’une manière non sanglante... (À suivre.)

Frère Bruno de Jésus-Marie