Il est ressuscité !

N° 230 – Mars 2022

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


Méditation pour le premier samedi du mois :
saint Joseph et Jésus, tel père, tel fils

IL y a quarante ans, notre Père prononçait une oraison du matin où il nous exhortait à la confiance en saint Joseph, image de notre Père Céleste : « Ô mon Dieu, révélez-moi les vertus que vous avez déposées dans l’âme de ce saint patriarche, en laquelle se résument toutes les vertus de tous les patriarches de l’Ancien Testament, qu’il s’agisse de la foi, de l’espérance, d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, de la sagesse et de la fidélité de Joseph, de la docilité de Moïse, de l’amour et de la confiance de David. »

Saint Joseph a une vie comparable à celle du Joseph de l’Ancien Testament, fils de Jacob. Dieu l’a voulu, c’est Dieu qui l’a fait, pour que nous trouvions à comprendre davantage le mystère de saint Joseph, principalement dans sa chasteté, mise à l’épreuve, mais d’une tout autre manière que le Joseph de l’Ancien Testament, et récompensée par Dieu : il deviendra l’époux, virginal et parfait, de la Vierge Marie.

Tandis que le Joseph de l’Ancien Testament s’est montré fidèle à Dieu en face d’une tentation qui lui venait de l’étrangère, de l’idolâtre égyptienne, de celle qui n’était pas fille d’Abraham mais fille d’Ève. En lui résistant, il manifestait sa fidélité à son Dieu. Il avait une mission, celle de sauver son peuple. Donc, en se gardant de tout contact avec ce paganisme, fidèle à la loi de son Dieu, n’obéissant qu’à son Dieu, il va se voir accorder ce pour quoi il était né : devenir le sauveur de son peuple. Évidemment, la Sainte Vierge n’a jamais été une tentation pour le Joseph du Nouveau Testament, elle était pour lui le don de Dieu. Mais reçue en récompense de sa fidélité à résister à toutes les tentations du monde, docile comme le Joseph de l’Ancien Testament aux recommandations du livre de la Sagesse : « Fuis les amours étrangères et tu recevras de Dieu ton épouse. » De cette épouse, les sages ne cessent de louer à l’avance la beauté, la sagesse, la perfection de celle qui sera donnée pour épouse à saint Joseph en la personne de la Vierge Marie.

Saint Joseph devra aussi subir la persécution des méchants, fuir en Égypte à la naissance de Jésus ! comme le Joseph de l’Ancien Testament avait été livré aux Égyptiens en esclavage ; et, en Égypte il avait été encore davantage humilié, jeté en prison, avant de connaître la gloire dans laquelle nous les retrouvons tous les deux.

La gloire tient dans ce mot de Pharaon disant aux Égyptiens en proie à la famine : « Allez à Joseph, et faites tout ce qu’il vous dira. » Voilà la parole même que la liturgie répète dans nos fêtes de saint Joseph pour nous dire d’avoir recours à saint Joseph dans tous nos soucis matériels.

Un jour, notre Père nous a dit qu’il avait eu une distraction en récitant les matines : « Ite ad Joseph, facite quod dixerit vobis. »

Tout à coup, notre Père s’est dit : « Mais... c’est la parole que la Sainte Vierge a dite aux serviteurs des noces de Cana qui n’avaient plus de vin à servir aux invités, mais en leur disant : “ Ite ad Jesum... et faites tout ce qu’il vous dira. ” »

Alors ? Est-ce saint Joseph qui répond au Joseph de l’Ancien Testament, ou est-ce Jésus ?

Les deux, mon capitaine ! Notre Père disait : « Nous avons dans la vie de saint Joseph comme un brouillon, comme une annonce humaine de la vie de Jésus qui est plus qu’humaine ! » Saint Joseph a vécu la même aventure que Jésus va vivre plus tard, c’est vraiment le cas de dire : « Tel père, tel fils. » Lui aussi a été persécuté, a dû fuir en exil, mener une vie difficile. Et ensuite, il a été exalté, il est devenu tout-puissant, à la droite de Dieu, sur l’Église. À Nazareth, c’est la répétition générale. Vient, après lui, Jésus qui manifeste le dessein divin d’une manière tout à fait éclatante et définitive. Jésus, lui, est alors l’insurpassable.

Résumons : Saint Joseph est l’époux de la Sainte Vierge. Comme l’écrit le Père Renaud Silly : « Leur union est un vrai mariage qui comporte un contrat entre les époux, leur promesse de fidélité, et la présence d’un fils, signe de leur fécondité. Alors qu’apprenant la grossesse de sa femme à laquelle il n’avait point de part, Joseph songea d’abord à rompre l’union (Mt 1, 19). »

Il ne s’agit pas de soupçon mais, au contraire, d’un trait de lumière que notre Père a merveilleusement compris. Il s’adresse à saint Joseph dans une incomparable Page mystique :

« C’est alors que vous la vîtes, à n’en pas douter, enceinte. Elle demeurait cependant paisible, sereine, admirablement recueillie, plus qu’avant. Elle vous aimait et vous entourait davantage, de tendresse et de sollicitude empreintes de la même retenue virginale. Pas un instant l’idée ne vous effleura d’une violence qu’elle aurait subie et moins encore acceptée. Une seule lumière vint frapper votre esprit, à laquelle vous n’osâtes point consentir malgré les admirables dons de ferveur, de sainte allégresse, de joie messianique qu’elle versait en vous. Ah ! oui, cette pensée était sainte, son ivresse vous habitait, elle vous comblait et débordait de votre cœur, s’en allant rejoindre la sérénité de Marie et lui donnant la douce certitude de votre communion sans parole dans le même céleste secret. Radieux, vous entendiez carillonner en vous la Bonne Nouvelle, l’Évangile où s’illuminent les anciennes prophéties hier encore incomprises : « Voici que la Vierge concevra et qu’elle enfantera un Fils. Et son Nom sera Emmanuel. » La ‘almâh, la jeune vierge innocente, immaculée, votre cœur intuitif le proclamait avant que votre oreille l’entende de Dieu : c’était Elle ! » (Page mystique n° 21, “ Les grandeurs de saint Joseph ”)

Mais alors, comme écrit le Père Silly : « Il ne devait plus la regarder comme sienne. » Mais l’intervention de l’ange lui enjoignant de convoler avec elle en justes noces lui montra au contraire que « l’existence de ce mariage virginal importe beaucoup pour Dieu ». Pour une raison qu’a bien expliquée l’abbé de Nantes, notre Père : « En fait, il y avait deux nécessités. Il fallait bien qu’elle soit mariée pour que le saint mystère de la naissance de l’enfant divin “ soit caché à la meute ennemie ”, comme dit saint Bernard, et que l’époux soit un témoin constant de la pureté et de l’honneur de la Vierge. La Vierge ne pouvait être ainsi Mère de Jésus dans ce monde pécheur sans que quelqu’un témoigne d’elle.

« Ses parents ? continuait notre Père. On pourrait dire qu’ils cachaient un scandale quelconque. Ils n’auraient pas de crédibilité. » D’ailleurs, saint Luc ne les nomme même pas ! « Tandis que cet homme-là est prêt à répondre de la légitimité de cet enfant. » Il y a même un rite juif par lequel il faudra bien qu’il passe, et auquel il n’aurait jamais pu consentir s’il n’avait pas eu une assurance divine d’être bien à sa place de père de Jésus aux yeux des hommes comme il l’était aux yeux de Dieu, ce qui est le plus important, fait remarquer Bossuet, dont le Père Silly est l’un des meilleurs connaisseurs, avec notre Père.

Quel est ce rite ? Lorsque l’enfant vient de naître, la famille ou la mère, prend l’enfant et le pose sur les genoux du père, de celui qui dit qu’il est le père. Et lui, par le fait même qu’il le reçoit sur ses genoux, se reconnaît son père. Comment saint Joseph s’y serait-il prêté, d’un cœur vraiment paternel, s’il n’avait reçu ces assurances divines : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta femme : car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit-Saint ; elle enfantera un fils, et tu l’appelleras du nom de Jésus ; car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » “ Jésus ” en hébreu Yehoshua signifie “ Yahweh sauve ”.

Il n’y avait plus à hésiter, plus à craindre. Au moment où lui était révélé qui était cet enfant et de qui il venait, une grande joie emplit son âme en même temps que s’effectuait en son cœur, écrit notre Père, un profond changement. » (Lettre à mes amis n° 102)

Écoutons Bossuet, car il est incomparable : « Le vrai Père de Jésus-Christ [admirable parole !], ce Dieu qui l’engendre dans l’éternité, ayant choisi le divin Joseph [le divin Joseph !] pour servir de père au milieu de son temps à son Fils Unique, a fait en quelque sorte couler en son sein quelque rayon de cet amour infini qu’il a pour son Fils. »

Voici Dieu, concevez bien, le Dieu du Ciel qui fait couler dans le cœur de saint Joseph quelque chose de son amour infini pour Jésus qui est son propre Fils, à Dieu le Père. « C’est ce qui lui change le cœur, c’est ce qui lui donne un amour de père. » [Esquisse d’une mystique trinitaire, sixième conférence]

« “ Réveillé de son sommeil, Joseph fit ce que lui avait ordonné l’Ange du Seigneur et prit avec lui son épouse. ” Joseph s’est réveillé doué d’une vocation paternelle, sûre, sanctifiante. Il a parlé à Marie. Alors cette humble épouse, qui avait tout gardé secret pour demeurer dans l’état de sujétion où l’avait placée son mariage vis-à-vis de Joseph, voulut lui faire en retour l’aveu entier de son annonciation. Sa conception virginale s’établissait maintenant en dépendance de la paternité divine accordée à son époux. Dans son humilité, elle se donnait encore la petite place de servante, pour cette grande œuvre de l’Incarnation, et rendait grâces à Joseph d’avoir sur l’ordre de Dieu accepté de la prendre pour épouse et d’avoir reconnu son fardeau pour son propre enfant. Lui, Joseph, dans la plénitude de l’obéissance à sa vocation de père, n’y contrariait pas. Il savait dans son cœur qu’il n’était rien par rapport à Elle, mais il connaissait clairement qu’en lui désormais s’exerçait l’autorité même de Dieu sur Elle et sur Jésus le Sauveur ! » (Lettre à mes amis n° 102, du 2 février 1962)

« Durant ce temps de mûrissement du germe divin, leurs esprits méditaient. Joseph n’avait pas eu de peine à voir en son épouse l’élue de Dieu et la Mère du Sauveur ; simplement, il avait laissé son admiration tendre et son amour très chaste déborder à l’infini. Depuis longtemps, il avait deviné en elle une grâce incomparable. Mais d’autres étonnements allaient à l’encontre du mouvement spontané de son cœur. Lui d’abord, qu’était-il autre qu’un charpentier de Nazareth, pauvre, borné et pécheur. La présence de Marie lui avait découvert encore davantage sa misère à lui, en regard de cette perle très pure, de cette fleur ! Et sa famille, davidique bien sûr, était tellement déchue de son antique splendeur ! Et ce métier, et ce village ! Rien, rien de tout cela ne pouvait correspondre à l’idée qu’on se faisait du Messie, du Roi qui relèverait la maison d’Israël. Saint Joseph n’était traversé par aucune ombre d’incrédulité, mais simplement, en chef de famille, il demeurait soucieux et voulait agir au mieux des intérêts de l’Enfant. »

Pour bien pénétrer les sentiments de saint Joseph et en tirer profit, il nous faut comprendre ce que notre Père expliquait dans un sermon prêché à la Noël 1983 : « Saint Joseph, pour le dire en un mot, nous représente. C’est le fidèle, il représente l’Église, la troupe des âmes fidèles, ce que saint Jean appellera le “ disciple ” par excellence. Entre la Vierge Marie et lui, il y a une différence de perfection et une différence de vocation considérable. Même s’il est son époux, selon les hommes et selon Dieu, Elle est la Reine du Ciel, plus divine qu’humaine, et lui est un homme atteint par le péché originel. Saint Joseph était là auprès de la Vierge Marie comme celui qui ne comprend pas, qui ne sait pas, dans cette attitude de profonde discrétion de l’homme qui se sait très bien, si saint qu’il soit, frappé par le péché, ayant besoin de rédemption. C’est par là que saint Joseph nous est très proche, et qu’il nous faut le suivre, pour comprendre les voies de la Sagesse divine, qui est folie aux yeux des hommes.

« Les nuances de l’Évangile laissent voir cette différence d’élévation de leurs âmes : lui se voit chargé de disposer les événements au mieux et tâche de ne pas lui nuire par sa honte de nazaréen et sa misère. Elle, pleine de grâce et le sein lourd d’un enfant royal, sait que déjà Lui seul a tout arrêté et, caché dans le silence, conduit tout au gré de sa Sagesse. Elle l’écoute, le bruit de son Cœur sous le sien paraît remplir tous les espaces et soumettre tout l’univers à son mouvement. Tandis que Joseph raisonne, elle sait que nul ne pourra comprendre sa venue, sa mission, son mystère, avant l’Heure de la pleine lumière.

« Tout de même, Joseph fut content de voir qu’il fallait monter à Bethléem, car c’était justement ce qu’il méditait pour que s’accomplisse une prophétie. Marie souriait de voir ainsi la Providence s’ajuster aux pensées très sages de son admirable époux. Ils partirent sans penser à leur fatigue, car tout alors paraissait légère peine et contribuait à les rapprocher encore, s’il était possible ! Ils exerçaient vis-à-vis l’un de l’autre cette exquise charité que Jésus venait apporter à la terre. Lui prenait soin d’elle et, de sa douce voix, aux inflexions tendres, elle le plaignait de tant de mal qu’il se donnait, et du souci qu’il avait, car il s’en faisait pour sûr ! Heureusement qu’elle demeurait pour lui une source de paix, de confiance en Dieu qui n’abandonne pas ses enfants, ni surtout son Enfant...

« Ils arrivèrent enfin et ce fut une grande stupéfaction pour Joseph que nulle maison ne s’ouvre devant eux. N’est-ce pas le Messie, le fils de David qui allait naître ici ce soir ! Jusqu’au bout de ses recherches hâtives et fatiguées, car tout de même ils étaient bien las ! Il crut que tant de rebuffades le mèneraient à mieux, qu’un miracle... mais il fallut se résigner à chercher au plus bas et trouver une bergerie, une étable où, sans apparat, on serait du moins seuls et tranquilles. Après coup, ils trouvaient là certaines convenances, et, ne pouvant deviner par avance les desseins de la Sagesse divine, tout de même, ils les reconnaissaient dans tout ce qui arrivait. Ainsi Jésus dirigeait tout, et ses parents commençaient à s’instruire de ses leçons. Il voulait donc naître pauvre, dans l’obscurité, dans la nuit, mais à Bethléem selon les prophéties ! » (Lettre à mes amis n° 104, du 19 mars 1962)

Ainsi saint Joseph commençait à comprendre ce que notre Père appelait la “ modification évangélique ” : le Fils de Dieu est venu sur la terre pour nous ouvrir le Ciel en mourant sur une Croix. Toute sa vie, dès l’étable de Bethléem, est un mystère d’abaissement de sa majesté divine, de souffrance et de mort par amour, mystère de beauté dans la douleur, de joie dans la peine, d’honneur dans le service, de gloire dans l’humilia­tion, de béatitude ultime dans la persécution et le martyre. C’est une Sagesse nouvelle qu’il vient révéler aux hommes, Sagesse qu’il nous faut demander au Cœur Immaculé de Marie en ce commencement de Carême, pour suivre Jésus jusqu’au Calvaire, afin d’être avec Lui dans la résurrection.

Mais revenons à la sainte Famille :

« Alors, quand le moment de cet accouchement est arrivé, de l’enfantement de Jésus, la Vierge Marie prévint saint Joseph avec cet infini respect de toute personne qu’elle a manifesté dans chacune de ses apparitions : « Mon ami, l’heure est venue, laissez-nous ! » Quand il revint, il adora cet Enfant qu’Elle déposa sur ses genoux, ses genoux de père légitime.

« J’aime voir Jésus dans les bras de Joseph et la Vierge qui les regarde songe ainsi que Dieu a vraiment donné aux hommes son propre fils. Émerveillé de sa ressemblance avec sa mère, Joseph suppute l’abîme de ce mystère qui a fait d’une femme, de sa propre femme le sanctuaire de la paternité divine même. Cet enfant de Marie n’était pas né d’une volonté d’homme, ni d’un hasard de la nature, mais de la volonté et de l’être même de Dieu, il était Fils de Dieu. Lui, Joseph, le charpentier de Nazareth et l’époux de la Vierge Marie, le prenant pour fils en portait témoignage, et Marie le lui confiant acceptait cette foi nouvelle et la soutenait admirablement de sa confiance même. » (Lettre à mes amis n° 104)

Demandons à saint Joseph de vivifier en nos âmes cette même foi en la divinité de Jésus-Christ, fils de Marie, et de nous la garder toujours intacte, pour l’amour et la consolation du Cœur Immaculé de Marie, « notre Mère à tous, à jamais ! » Ainsi soit-il !

Frère Bruno de Jésus-Marie.