Il est ressuscité !

N° 241 – Mars 2023

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


« Récitez le chapelet tous les jours. »

Les mystères douloureux du Rosaire (I)

L’AGONIE

EN ce temps de Carême où la Sainte Église est  toute tournée vers la Passion de Notre-­Seigneur et la Compassion de Notre-Dame, méditons les mystères douloureux de notre Rosaire, afin de consoler leur très Unique Cœur non seulement des douleurs endurées jadis, mais des offenses et indifférences, outrages et blasphèmes qui transpercent ce Cœur aujourd’hui.

Premier mystère douloureux : l’Agonie de Jésus au jardin des Oliviers.

Après une vie publique sans cesse confrontée au mauvais esprit, à la jalousie, la haine des juifs qui refusaient de croire en Lui, Jésus est monté une dernière fois à Jérusalem avec ses disciples. Il sait très bien le complot que fomentent ses ennemis pour le tuer, il veut souffrir leur persécution jusqu’à la mort, pour offrir sa vie en expiation des péchés du monde, par obéissance à son Père. Le soir du mardi 4 avril de l’an 30, dans un dernier repas avec ses Apôtres, il leur donne, ainsi qu’aux saintes femmes, son propre Corps à manger et son Sang précieux à boire, célébrant par avance la Nouvelle et Éternelle Alliance qu’il scellerait par son Sacrifice.

La Sainte Vierge assistait à tout cela. Elle était d’une Sagesse, d’une sensibilité, d’une intuition féminine telle que, certainement, pendant cette dernière veillée, elle comprenait que Judas allait trahir ; elle réprouvait la présomption de Pierre qui le conduirait au reniement annoncé par Jésus ; et elle admirait saint Jean, le disciple que Jésus aimait plus que les autres. Elle comprenait très, très bien que c’était le dernier repas avant sa Passion et elle était remplie d’appréhension.

Saint Jean écrit : « Jésus sortit avec ses disciples, et se rendit au-delà du torrent du Cédron, où il y avait un jardin, dans lequel il entra, lui et ses disciples. » (Jn 18, 1).

La Vierge Marie avait vu que Judas avait été renvoyé par Jésus pour qu’il aille trahir son Maître. « Et erat nox », c’était la nuit, mais la nuit du diable, l’heure de la puissance des ténèbres. Jésus s’enfonçait dans ces ténèbres, avec ses Apôtres qui, eux, n’avaient aucun courage. Alors, ses entrailles de Mère se sont réveillées et toute cette nuit, elle n’a cessé de souffrir cruellement, de deviner comme une mère, toute l’angoisse de son Enfant.

Comme Elle aurait voulu le suivre, recueillir chaque goutte de sa sueur de sang, s’interposer entre ses bourreaux et lui ! La Vierge Marie a offert le grand renoncement de le laisser aller, comme elle l’avait déjà laissé partir au commencement de la vie publique, quand il la quitta à Nazareth.

Au Cénacle, dans Jérusalem endormie, il fallait qu’elle reste là, et elle a commencé à compatir. Comme Jésus acceptait, sa Mère, sa Compagne, son Épouse acceptait. Elle a tout souffert d’instant en instant ; c’est là son mérite : elle accepte, elle ne se rebelle pas, elle n’a aucune haine pour tous ceux qui torturent son Fils. Elle prie pour eux. Elle sait que dans la mesure même où elle acceptera ce supplice jusqu’au bout, elle participera au salut de ces âmes qu’elle aurait lieu de détester. Ainsi, elle devient Refuge des pécheurs, Médiatrice de toutes grâces.

« Jésus et ses Apôtres parviennent à un domaine du nom de Gethsémani, et il leur dit : Restez ici, tandis que je prierai.  Puis il prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, et il commença à ressentir effroi et angoisse. Et il leur dit : Mon âme est triste à en mourir ; demeurez ici et veillez. ” » (Mc 14, 32-34)

Notre Père s’unissait à cette angoisse en ces termes :

« Ô Jésus, votre agonie ne vient pas tant de la peur de la souffrance qui vous attend demain ni même de la pensée de tous ces hommes pour lesquels vous aurez souffert et qui n’en auront pas retiré les grâces de salut, leur mauvaise volonté faisant obstacle à vos desseins de miséricorde. Ce sont là des peines immenses, mais l’horreur de cette heure de ténèbres, c’est que vous prenez mes péchés sur vous-même, vous identifiant à eux, sous le regard de votre Père, afin, précisément, de recevoir la décision de justice de la sainteté de Dieu irrité contre le péché du monde. Ce n’est pas parce que vous allez beaucoup souffrir, mais c’est parce que la douleur de votre Père devant ce péché vous fait frémir vous-même d’indignation et vous vous sentez écrasé de honte, d’affliction, en voyant, en récapitulant tous ces péchés, cet océan de péchés de l’humanité. Dans cette honte, dans cette agonie, vous voulez fuir le péché, aller au plus loin de cette pensée et, cependant, contradictoirement, vous voulez porter ce péché pendant toutes les journées qui viendront, afin de nous en débarrasser nous-mêmes dans votre sacrifice de la Croix. »

Le Divin Cœur de Jésus est triste, à en mourir, de la peine que nos péchés causent à son Père. À Pontevedra, en 1925, il manifestera la même tristesse, à cause de la peine que nos péchés suscitent dans le Cœur de sa Sainte Mère.

Elle-même, disait notre Père, a vécu par l’opération du Saint-Esprit, la même agonie dans sa solitude, par Lui, avec Lui, et en Lui. Comme Jésus, le Saint de Dieu, a porté nos péchés devant son Père, la Vierge Marie s’est faite péché avec lui.

« Étant allé un peu plus loin, il tombait à terre, et il priait pour que, s’il était possible, cette heure passât loin de lui. Et il disait : Abba (Papa) ! tout t’est possible : éloigne de moi cette coupe ; pourtant, pas ce que je veux, mais ce que tu veux ! ” » (Mc 14, 35-36)

Durant toute sa vie terrestre de Fils de Dieu fait homme, Notre-Seigneur a souffert du mal, du péché de notre monde.

L’incrédulité, le mauvais esprit des Juifs provoquaient en lui une sorte de désarroi intime, un écartèlement entre sa volonté divine et sa volonté humaine. Dans cette angoisse, il a toujours trouvé refuge auprès de son Père : l’Évangile nous dit qu’il passait des nuits à prier ainsi.

Suprêmement, à cette heure de l’Agonie, Jésus est écartelé entre sa volonté d’obéir à son Père et sa volonté humaine, son instinct de conservation humain révulsé par la souffrance, la mort, et surtout l’ignominie de porter tous les péchés du monde. Il est tenté par le démon qui rôde dans ce jardin comme jadis au paradis terrestre, de refuser cette charge accablante.

Il retourne alors vers ses disciples « et les trouve en train de dormir ; et il dit à Pierre : Simon, tu dors ? Tu n’as pas eu la force de veiller une heure ? Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation : l’esprit est ardent, mais la chair est faible. ” » (Mc 14, 37-38)

Dans sa souffrance à lui, Jésus pense à ses pauvres Apôtres qui, s’ils ne prient pas, seront sans force quand l’ennemi viendra, et succomberont à la tentation.

« Puis il s’en alla de nouveau et pria, en disant les mêmes paroles. De nouveau il vint et les trouva endormis, car leurs yeux étaient alourdis ; et ils ne savaient que lui répondre. Une troisième fois il vient et leur dit : Désormais vous pouvez dormir et vous reposer. C’en est fait. L’heure est venue : voici que le Fils de l’homme va être livré aux mains des pécheurs. Levez-vous ! Allons ! Voici que celui qui me livre est tout proche. ” » (Mc 14, 39-42)

Notre-Seigneur s’est relevé de son Agonie. Les ténèbres de la tentation sont dissipées. Quand vient « Judas, menant la cohorte et des gardes détachés par les grands prêtres et les Pharisiens, avec des lanternes, des torches et des armes », afin de l’arrêter, Jésus se livre à eux, « sachant tout ce qui allait lui advenir, Il sortit et leur dit : Qui cherchez-vous ?  Ils lui répondirent : Jésus le Nazôréen.  Il leur dit : Je Suis. ” » À ces mots, les soldats « reculèrent et tombèrent à terre ». À Simon-Pierre qui voulait défendre son Maître, Jésus dit : « Rentre le glaive dans le fourreau. La coupe que m’a donnée le Père, ne la boirai-je pas ? » (Jn 18, 3-11)

« Ô Jésus, pourquoi êtes-vous mort ? écrivait notre Père. Il n’était pas juste que vous soyez arrêté, ni condamné comme un malfaiteur. Ces monstruosités de la part des hommes que vous avez créés, des hommes pécheurs s’instituant vos juges et vos bourreaux, comment les avez-vous permises ? comment vous y êtes-vous plié ? Nous craignons qu’au fond de votre cœur ne soit née, au jardin de Gethsémani, une résignation infinie qui nous épouvante, une sorte d’abdication de votre dignité d’homme et même de votre divinité. Qui accepterait de vous voir avancer au-devant des insultes et des coups comme si vous les aimiez et savouriez comme une joie et des grâces ineffables ?

– Il est vrai. À cette Heure j’ai abdiqué mes droits, ma dignité. Je n’ai plus considéré les choses de la justice humaine et je me dépouillai de mon innocence pour revêtir le manteau d’ignominie des crimes de toute la communauté humaine. Comment sous le fardeau ignoble de cette culpabilité infinie aurais-je revendiqué quelque égard ou repoussé quelque peine ? J’en ai perdu l’amour de ma vie et la volonté de la défendre. Sans doute la splendeur royale et la majesté de mon visage demeuraient inchangées et grandissaient encore dans la noblesse infinie de mon sacrifice et dans mes larmes. Mon Père ne m’en aimait que davantage et les âmes qui s’attacheront à moi y trouveront une source inépuisable d’amour. Mais mon âme envahie par le Péché aspirait à tous les abaissements et tous les châtiments qu’il mérite.

« Je m’étais relevé de mon agonie différent de moi-même et devenu la victime d’expiation que le prêtre charge de tous les crimes d’Israël. Dès lors je consentais, j’aspirais à toutes les humiliations, les malédictions, les souffrances qui atteindraient, condamneraient, frapperaient en moi ce péché. Ce sacrifice était devenu ma seule pensée. Plus on me dégradait et me retirait de vie, plus j’expiais et entrais dans mon rôle de victime, plus aussi le Péché mourait de mort pour faire place à la vie. Que m’importaient les hommes et leurs jugements ? Je voulais seulement descendre au niveau du plus grand pécheur et, personnifiant le péché, devenir extérieurement cette personnification de la haine et du châtiment dans lesquels le tient mon Père.

« Ah ! Ce fut là ma torture. Il m’a fallu quitter les bras de mon Père et m’en sentir repoussé. Sous ses yeux je me suis revêtu de ce manteau de tes péchés, mon enfant, qui lui est en horreur. Cette odeur épouvantable a commencé de m’imprégner. Qu’importait Judas ! qu’importait la foule ! et les prêtres ! et les pharisiens ! Indifférent à tout cela, je ne quittais pas un instant les yeux de mon Père et n’y voyais grandir que le mécontentement, la répulsion et la plus juste colère. Son visage se durcissait, me devenait méconnaissable comme si, sous cette lèpre de vos crimes, je lui étais méconnaissable. Atterré, bouleversé, je me jetais alors dans l’avilissement et courais vers la mort pour répondre à cette juste sentence émanée de mon Père Bien-aimé en la prenant sur moi seul. Mais ainsi, n’hésitant pas à porter sur moi la malédiction de Dieu qui tombait justement sur vous tous, je vous ai sauvés tous, mon enfant, vous tous scandaleux pécheurs, ce fut ma victoire à moi, celle de l’Amour ! » (Lettre à mes amis n° 107)

Mes bien chers frères, mes sœurs, chers amis, nous du moins, tâchons de consoler notre Sauveur et notre Divine Mère. C’est le fruit de ce premier mystère douloureux : la contrition de nos fautes, et le désir de consoler le Cœur très Unique de Jésus-Marie par nos prières et nos sacrifices. Ainsi-soit-il !

Frère Bruno de Jésus-Marie.